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Dans l’ordinaire de la liberté et de l’émancipation

Into the Ordinary of Freedom and Emancipation
Alice Bellagamba et Alessandro Gusman
p. 9-37

Notes de l'auteur

Coordonné par Alice Bellagamba, Armando Cutolo et Alessandro Gusman, ce numéro thématique découle de l’expérience du projet d’intérêt national PRIN 2017 — « Genealogies of Africa Freedoms », auquel ont participé l’Université de Milan-Bicocca, l’Université de Pavie, l’Université de Turin et l’Université de Bologne (2020-2023). Une journée d’étude sur le sujet a été organisée à l’Université de Turin en janvier 2023. Nous tenons ici à remercier tous ceux qui ont rendu possible la réalisation de ce numéro, à commencer par les interlocuteurs.trices des recherches ethnographiques dont il est issu. Armando Cutolo, Elia Vitturini et Guido Zingari ont enrichi notre réflexion de précieuses suggestions et, à toutes les étapes — de la conception à la réalisation de ce numéro —, la rédaction des Cahiers d’Études africaines a accompagné notre travail avec un formidable engagement intellectuel, moral et scientifique. Son soutien a été fondamental.

Texte intégral

1En 1990, Eric Wolf consacre la 29e Thomas Benjamin Davie Memorial Lecture de l’Université du Cap à une réflexion sur la liberté et sur les manières de l’étudier avec les outils de l’anthropologie. L’année précédente, en 1989, la fin de la Guerre froide semble marquer le début de la mondialisation des théories économiques et des modes de gouvernance néolibéraux, tels qu’ils se sont développés dans l’ancien bloc de l’Ouest depuis les années 1980, sous le premier ministère britannique de Margaret Thatcher (1979-1990) et la présidence américaine de Ronald Reagan (1981-1989). Cette vision de l’économie et de la politique idéalise le libre marché, antagonise la solidarité sociale et communautaire et prône « the uncompromising autonomy of the individual, rights-bearing, physically discrete, monied, market-driven, materially inviolate human subject » (Comaroff & Comaroff 1999 : 3). Deux ans plus tard, en 1991, l’Afrique du Sud abolit l’apartheid, une étape cruciale vers des élections démocratiques en 1994. Ce tournant est un grand moment d’ouverture, marqué en Afrique et ailleurs par la conviction que les droits civils et sociaux, considérés comme acquis dans le Nord global, allaient s’étendre à l’échelle mondiale, transformant la vie de millions d’êtres humains, restreints jusqu’alors dans leur quotidien par des régimes autoritaires.

2Connu pour son chef-d’œuvre Europe and the People Without History (Wolf 1982) — une contribution essentielle pour comprendre le capitalisme, le racisme, le colonialisme et l’appauvrissement de certains pays ou régions du monde en relation avec l’enrichissement éclatant des autres — Wolf conclut son analyse anthropologique de la liberté par le cas des migrants de langue mixtèque, originaires de l’État d’Oaxaca, aux États-Unis, qu’il considère emblématique de la combinaison des aspirations tout à la fois locales et cosmopolites dans la production de « new claims to freedom » (Wolf 1990 : 15). Les Mixtèques cherchent à renouer avec leur langue, qu’ils avaient eux-mêmes longtemps méprisée en même temps qu’ils s’efforçaient de se construire une visibilité nationale et globale. C’est l’aube d’un monde où les revendications d’émancipation vont connaître une multiplication exponentielle, alors que l’idée même d’émancipation, privée des grands récits qui l’avaient soutenue pendant une bonne partie des xixe et xxe siècles (tels que la fin de l’esclavage, les droits des travailleurs, des femmes et des jeunes, la décolonisation, la modernisation, les droits humains), se fragmente en une politique des identités et de la reconnaissance (Laclau 1992 : 121). À l’échelle globale, ce sont le discours juridique des droits humains et le modèle politique de la démocratie libérale qui sont présentés comme la base permettant de garantir les libertés individuelles.

  • 1 Les donateurs externes qui ont soutenu le Malawi dans la transition postsocialiste comprennent l’Un (...)

3Les aspects critiques de cette vision sont rapidement mis en évidence, dans le domaine des études africaines, par Harri Englund et Francis Nyamnjoh (2004 : 2-3) qui, dans Rights and the Politics of Recognition in Africa, relèvent, au moins dans certains contextes, leurs implications plus rhétoriques qu’émancipatrices. L’ethnographie d’Englund (2006) sur le Malawi au temps de la transition postsocialiste va jusqu’à déconstruire l’universalisme des droits humains et de la vision de la liberté qui les sous-tend, en commençant par leur traduction sommaire dans des lexiques locaux préexistants qui avaient historiquement une signification différente. Ici, comme ailleurs, se chevauchent les généalogies plurielles de la liberté, enracinées tantôt dans l’histoire locale, régionale et interrégionale, tantôt dans différentes phases de l’histoire mondiale. Un important héritage colonial doit également être pris en compte : celui-ci regorge de projets pour « l’alphabétisation » démocratique, financés par des institutions internationales et mis en œuvre par des organisations non gouvernementales, dont l’approche néolibérale érode l’autonomie culturelle du monde rural. Rétrospectivement, Englund (2024 : 140) résume ainsi la situation sur son terrain malawite : « At issue was a major imbalance in knowledge production — activists, bankrolled by Euro-American donors anxious to “consolidate” liberal democracy, were the ones who knew what human rights were. “The grassroots” were the beneficiaries of their supposedly superior knowledge »1. Ce clivage entre les activistes, avec leur formation extravertie en anglais, et les cibles des interventions, majoritairement parlant chichewa, peut en effet être considéré comme l’une des conséquences de la bibliothèque coloniale (Mudimbe 1988) et de la violence épistémique par laquelle elle a disqualifié les savoirs et l’expertise endogènes (Ndlovu-Gatsheni 2021 : 449).

  • 2 De ce vaste débat — plusieurs auteur.e.s de ce numéro s’inspirent de la théorie du sujet et des pro (...)

4Bien qu’elle ait été critiquée pour ne pas faire de place aux progrès concrets en termes de gouvernance réalisés par le Malawi depuis la fin du xxsiècle (Sharra 2007), l’ethnographie d’Englund témoigne d’un mouvement intellectuel plus général, en cours depuis la fin du xxsiècle, qui porte un regard critique sur les versions de la pensée libérale de la fin du xxe siècle et qui reflète les dimensions communautaires et sociales de la liberté et l’émancipation, comme processus plus large et complexe que la rupture des liens sociaux qui entraverait la vulgate de l’agentivité individuelle (Mahmood 2005 : 9-10 ; Povinelli 2005 : 162 ; e Silva 2022 : 8). Cet effort traverse les études africaines et l’ensemble des sciences humaines, de la philosophie critique aux savoirs post-coloniaux, en passant par l’anthropologie culturelle et sociale, le débat féministe, la sociologie, les sciences politiques et la philosophie d’inspiration libérale elle-même avec la reconnaissance de sa complexité interne2. Parmi les fils conducteurs de cette grande discussion, pas nécessairement cohérente mais riche et en devenir, il n’y a pas seulement la constatation des utilisations cyniques et anti-émancipatrices de la notion de liberté par des régimes libéraux (Brown 1995 : 5) mais aussi, selon Francis Nyamnjoh (2004 : 56), l’aspiration à inaugurer « a fresh theoretical space, where not only individual rights and freedoms, but also the interests of communal and cultural solidarities can be addressed » d’une manière créative capable de surmonter l’essentialisation des différences et la rhétorique de la sécurité et de l’exclusion, qui semblent, partout dans le monde, résulter, au niveau sociopolitique, de la gouvernance néolibérale (Rose 2017).

5Les pistes de réflexion ainsi ouvertes dans les études africaines sont nombreuses au sein d’une production critique portant sur la pensée, sur la liberté et l’émancipation des pères des Indépendances africaines et les héritages des traditions intellectuelles issues de la lutte anticoloniale (Macola 2006 ; Fouéré 2015 ; Hunter 2015, 2017 ; Wilder 2015 ; Taoua 2018), sur les généalogies et les articulations des libéralismes africains (Englund 2013), sur la contribution du panafricanisme, des approches diasporiques et de la « Black Thought » à la théorie de l’émancipation (Mbembe 2011, 2013) jusqu’à l’étude contextualisée des processus d’individualisation et d’entrelacement de la subjectivité et de l’intersubjectivité dans l’Afrique de la seconde moitié du xxe siècle. « Our interest […] in historicizing intersubjectivity », écrit Richard Werbner (2001 : 2), tente de comprendre une situation dans laquelle les sujets « are compelled to be aware and concerned about their interdependence » et qui en même temps, « come to perceive that […] such implication is vulnerable or even uncertain, under current postcolonial conditions ».

  • 3 Dans le cadre de cette réflexion sur la liberté et l’émancipation en Afrique, on ne peut oublier l’ (...)

6Au-delà d’explorer les nombreuses façons de qualifier le sujet individuel, toujours « domesticated » par un large éventail de liens sociaux (Nyamnjoh 2004 : 56) qui se sont remodelés dans des circonstances sociopolitiques et économiques difficiles à la suite des Indépendances (et surtout des réformes libérales que le Fonds monétaire international et d’autres institutions internationales ont imposées à plusieurs pays africains au cours des années 1980), le véritable enjeu de ces différentes études n’est pas de remarquer la typicité communautaire africaine par rapport au sens de la liberté et de l’émancipation3. Il s’agit plutôt de prendre en compte, comme souligné par certains intellectuels africains et diasporiques (Sarr 2016 ; Mbembe & Sarr 2017 ; Mbembe 2020), les questions fondamentales que « l’expérience humaine en Afrique pose […] à l’intelligence de notre temps » (Mbembe 2017 : 392) sans tomber dans le piège clôturant des « thèses nativistes, nationalistes ou indigénistes » (ibid. : 390). Parmi ces questions, il importe de mentionner les héritages de l’esclavage et du colonialisme, ainsi que les formes de domination qui caractérisent un monde où les inégalités augmentent de façon exponentielle, où le numérique favorise l’expression de revendications émancipatrices — comme ce fut le cas lors des Printemps arabes (2010-2011) — tout en générant également de nouvelles formes de contrôle et d’oppression. Enfin, les conséquences du capitalisme extractif, en termes de précarité, de souffrance et même de terreur, structurent l’expérience partagée par une grande partie de la population mondiale (Mbembe 2020).

7Ce numéro thématique, consacré aux « imaginaires de la liberté » et aux « expériences d’émancipation », s’est développé dans le sillage de ces réflexions mais en valorisant la contribution d’une ethnographie dense et processuelle de ces phénomènes, c’est-à-dire d’un mode d’étude capable d’approcher et d’interpréter, au niveau du discours et au niveau de la praxis (et dans l’interaction entre les deux), les qualités contradictoires et inventives de la vie sociale dans des contextes déterminés historiquement. La liberté est ici abordée avant tout comme un idéal et une aspiration socialement construite et située, un projet à la fois éthique et politique, pas seulement de libération de contraintes mais de prise en charge sociale active, et l’émancipation comme processus d’ouverture des nouvelles trajectoires existentielles toujours « encadré dans le réel », « sous condition », « relatif » (Balandier 1952 : 48) : chacun.e des auteur.e.s de ce numéro cherche à préciser, en rapport à son contexte d’enquête, qui est (ou souhaite être) libre « de quelles contraintes et pour faire quoi » (Veca 2019 : 47). La question de l’émancipation est tout aussi contextualisée lorsqu’elle est considérée comme un processus toujours incomplet, parfois temporaire et source de nouvelles formes de domination encadrée dans le vécu réel, souvent ardu et toujours contradictoire, des femmes et des hommes qui sont les participant.e.s de nos enquêtes. Donc, si la liberté peut être visée comme une demande de futur, l’émancipation révèle les multiples voies empruntées pour le construire dans des circonstances données.

8En tenant compte de ces nuances, ce numéro explore les tensions, mais aussi les synergies entre ces deux notions telles qu’elles sont imaginées, discutées, mises en pratique et vécues par nos interlocuteurs.trices au sein de dynamiques de transformation sociopolitique et économique qui régissent leurs vies. Outre les travaux mentionnés ci-dessus, nos sources d’inspiration initiale incluent la tentative pionnière de Paul Riesman (1974) d’aborder la liberté de manière ethnographique, ainsi que l’essai que Crawford Young (2002) a consacré à la place de cette notion dans l’histoire de l’Afrique. Riesman (1974) peut à juste titre être considéré comme le précurseur de l’intérêt que l’anthropologie a, en ce xxie siècle, dédié à la construction éthique du sujet, tandis que Young, quant à lui, nous rappelle que c’est l’intersection d’une série de dynamiques multiscalaires qu’il faut interroger pour mieux comprendre le sens que les sociétés africaines d’hier et d’aujourd’hui donnent à l’idée de liberté, à partir du commerce des esclaves noirs de l’ère moderne jusqu’à la colonisation de la fin du xixe siècle, puis à la lutte anticoloniale, la consolidation des régimes dictatoriaux et la grande phase de transformation politique, économique et sociale inaugurée par la fin de la Guerre froide et les ouvertures libérales des années 1990. Dans certains cas, les dynamiques ainsi initiées ont plongé les sociétés dans une grave instabilité interne ou même dans la guerre civile ; dans d’autres, ces dynamiques ont initié des processus de démocratisation, dont les résultats ont souvent déçu les attentes des populations. C’est cette phase historique récente et ses complexités que ce numéro prend en considération, dans le but collectif de suivre les pistes multiples qui découlent des perspectives de nos interlocuteurs.trices sur ce qu’une vie humaine « should and could be » (Keane 2017 : 137-138), ceci non pas simplement sous la forme d’une réalisation individuelle, mais aussi en tant qu’objectif collectif ou communautaire.

9Dans l’ensemble, les études de cas ici réunies font émerger des dimensions emblématiques de ce que signifie vivre dans de nombreux contextes africains (ainsi qu’ailleurs) en ce premier quart du xxiᵉ siècle. Des mondes ruraux de Guinée (Ismailou Baldé & Alice Bellagamba), du Mali (Ibrahima Poudiougou) et du Bénin (Riccardo Ciavolella) aux réalités urbaines de Bamako (Giulia Gonzales), Abidjan (Armando Cutolo), Accra (Alessandra Brivio), Hargheisa (Luca Ciabarri & Elia Vitturini) et Touba (Guido Zingari), la première dimension est certainement la désillusion généralisée quant au rôle de l’État en tant que sujet émancipateur. La seconde est la centralité des jeunes dans l’appropriation de la politique — à laquelle est consacrée la section finale de cette introduction — mais également le renforcement de la précarité économique et des conditions d’informalité qui marque la vie de larges segments de la population. Cela mène à un autre aspect connectant plusieurs de nos études de cas : l’analyse de la manière dont les réseaux familiaux et solidaires se sont transformés face aux situations de précarité décrites et à l’anomie des contextes urbains. Ici, le désir des jeunes de vivre l’instant présent et de se réjouir de la libération du poids des liens familiaux, que l’on retrouve aussi dans d’autres contextes (Diggins 2015 : 328), s’accompagne d’une recherche de formes alternatives de vie collective (Fouquet, Brivio) mais aussi d’interdépendance (Gonzales). Un autre élément emblématique qui émerge, et qui a gagné une attention croissante au cours des dernières décennies, est la vulnérabilité environnementale des populations dans de nombreux contextes africains et les limites de l’extractivisme de formes productives désormais à bout de souffle (Ciavolella ; Baldé & Bellagamba). Dans la suite de cette introduction, après avoir exploré le potentiel de l’ordinaire comme champ d’analyse, nous interrogeons nos auteur.e.s à divers niveaux, en prenant en compte les outils d’enquête, les perspectives et les méthodologies mobilisées, ainsi que la spécificité des contextes historiques et ethnographiques analysés. Enfin, notre parcours s’achève par la mise en lumière de la capacité inventive et de la centralité des jeunes dans les processus émancipateurs de nature sociale et politique.

L’aventure de l’ordinaire

10Parler de « liberté » et d’« émancipation » inspire des revendications d’universalité qu’il est important d’embrasser, car ces notions ont été, et continuent d’être, utilisées pour marquer la frontière « between lives whose terms are relativly controlled by their inhabitants, and those that are less so, between conditions of coercion and conditions of action, between domination by history and participation in history, between the space of action and its relative absence » (Brown 1995 : 5-6). En même temps, les auteur.e.s de ce numéro estiment qu’une perspective « from below » (Bellagamba 2017), ou qu’une « descent into the ordinary » (Das 2012 : 134), est essentielle pour saisir le travail culturel et social minutieux par lequel des idées de liberté et des attentes émancipatoires émergent dans les interstices de la vie quotidienne. Par « imaginaires » on se réfère ici à la tension — toujours culturellement, socialement et politiquement productive — entre aspirations, désirs, affects et réalisations concrètes. L’étude de la liberté et de l’émancipation ne peut éviter d’interroger la manière dont, à plusieurs échelles, ces deux notions sont construites en opposition à des formes spécifiques de non-liberté, afin de dessiner un horizon en vue duquel organiser des projets et des pratiques politiques, refuser une domination, défier une conception donnée du monde social, dénaturaliser et remettre en cause des rapports sociaux perçus comme caractérisés par l’assujettissement. Autrement dit, étudier la liberté ne consiste pas seulement à considérer « la capacité de l’individu à négocier un “soi” dans les mailles du pouvoir » (Mahieddin & Gallardo 2021 : 7-9), comme le proposent certaines perspectives anthropologiques centrées sur la construction éthique de la subjectivité individuelle (Laidlaw 2013 ; Laidlaw, Bodenhorn & Holbraad 2018). Il s’agit plutôt de ne pas oublier les modes collectifs pluriels permettant d’imaginer et d’actualiser d’autres possibles dans le cadre de contextes historiques spécifiques (Mahieddin & Gallardo 2021 : 36), comme le montrent plusieurs de nos auteur.e.s, et ceci même à un niveau microscopique.

11Se focaliser sur les « expériences » signifie, par ailleurs, prendre en compte les vécus et les pratiques de l’émancipation dans leur dimension existentielle irréductible (Jackson 2012, 2017), ainsi que leurs traces mémorielles, qu’il s’agisse de souvenirs, de sentiments de frustration ou de sources d’inspiration pour des transformations sociales et culturelles. La relation entre « imaginaires » et « expériences » peut être directe ou indirecte, ouvertement exprimée ou implicite dans les actions et les décisions des actrices et acteurs sociaux. Tout comme imaginer la liberté peut engendrer des revendications émancipatrices, celles-ci sont, quant à elles, porteuses de significations qui nourrissent des notions de liberté situées et en devenir. Parler d’« imaginaires » et d’« expériences » ne signifie pas non plus opposer visions futures et existences présentes, comme si les imaginaires se projetaient uniquement vers un futur — souvent difficile à atteindre — et les expériences émancipatrices restaient irrévocablement ancrées dans le présent. La descente dans l’« ordinaire » permet de valoriser une approche ethnographique centrée sur les pratiques, en reconnaissant la prépondérance de l’incertitude et des obstacles rencontrés par les personnes dans leurs choix quotidiens, dans la construction de trajectoires de vie et dans la recherche d’émancipation face à des contextes limitants. En même temps, cette approche ne se réduit pas au présent, en soulignant que le quotidien et ses pratiques sont traversés par des aspirations et des imaginaires qui relient la dimension quotidienne à des horizons futurs. En ce sens, l’ordinaire, loin d’être synonyme de « simple » ou « banal », est une dimension qui croise expériences et idéaux, pratiques et imaginaires. Dans Textures of the Ordinary, Veena Das (2020) redéfinit cette dimension non pas comme un arrière-plan neutre ou insignifiant de l’expérience quotidienne, mais comme une dimension centrale de la vie sociale et individuelle. Inspirée par la philosophie de Ludwig Wittgenstein (1953), elle considère l’ordinaire non seulement comme le lieu de la répétition des habitudes, ou même des ruses et tactiques de résistance subtiles, mais aussi comme un véritable champ éthique où se construisent les relations, se confrontent les défis moraux, se prennent des décisions jour après jour.

12Comme dans la trame d’un tissu (les « textures » évoquées dans le titre de son livre), les expériences, les relations et les pratiques quotidiennes s’entrelacent. L’ordinaire, en ce sens, est aussi profondément politique, comme déjà évoqué, dans le contexte francophone, par Lucien Lefebvre et Michel de Certeau. Si Lefebvre (1958), en partant du concept marxiste d’« aliénation », a conçu le quotidien comme un espace d’habitudes et de gestes répétés reflétant les structures sociales dominantes, tout en contenant le germe de la transformation sociale, de Certeau (1980) a mis au centre les micro-actions du quotidien, considérées comme des stratégies par lesquelles les individus réinterprètent et défient les contraintes structurelles imposées. En s’appuyant sur leur analyse, Das (2012, 2020) montre comment les petites actions quotidiennes — souvent invisibles — représentent le terrain sur lequel se construisent et se contestent les relations de pouvoir. L’ordinaire est donc un champ de négociation, où les individus répondent aux défis structurels non par des gestes extraordinaires, mais par des décisions et des pratiques répétées qui définissent leur position sociale et morale. C’est à cette micro-échelle sociale que se négocient les pouvoirs, les responsabilités et les solidarités, et que des actions apparemment insignifiantes peuvent devenir des outils pour créer de nouveaux horizons et des structures éthiques partagées. Ceux-ci produisent les « expériences infra-libératoires » et les marges d’autonomie négociées « à bas bruit », évoquées par Thomas Fouquet (dans ce numéro) lorsqu’il réfléchit de manière rétrospective à ses recherches auprès de celles qu’il appelle les « aventurières de la nuit » de Dakar. C’est à travers ces formes d’expériences éloignées de l’attention médiatique et non spectaculaires qu’émerge la possibilité d’explorer l’intersection entre les dimensions intimes et subjectives, leurs expressions matérielles et sociales, et enfin leur signification politique dans la production d’alternatives.

13L’ordinaire qu’analysent Ismailou Baldé et Alice Bellagamba est représenté par l’incertitude de la vie pastorale. Celui auquel est confronté Ibrahima Poudiougou prend la forme de la violence généralisée qui, depuis 2015, caractérise les régions centrales du Mali qui étaient incluses dans l’empire du Macina au xixe siècle, là où Riccardo Ciavolella considère les défis socioéconomiques et environnementaux de vivre dans la lagune qui s’étend derrière la capitale du Bénin, Cotonou. Armando Cutolo raconte les pratiques et expressions quotidiennes de subjectivation politique en Côte d’Ivoire, là où Giulia Gonzales explore les frustrations des jeunes Kel Tamasheq qu’elle a rencontrés à Bamako entre 2015 et 2021. Ces frustrations sont liées à l’exclusion de ces jeunes hommes du marché du travail urbain, exclusion qui empêche la réalisation d’un idéal partagé d’autonomie faisant partie de l’héritage culturel du monde pastoral kel tamasheq. Cet idéal combine « la connaissance pratique et approfondie » des contextes à la conscience des « capacités et inclinations individuelles », ainsi que de « ses limites dans le monde » (Gonzales, dans ce numéro). Les reproches formulés par ces jeunes à l’égard des générations qui les précèdent, accusées de ne pas avoir investi dans l’éducation et de ne pas les soutenir, ne concernent donc pas des individualisations avortées, mais plutôt un manque de responsabilité et de solidarité intergénérationnelle.

14L’ordinaire étudié par Alessandra Brivio a trait à la vie de la rue des kayayei, jeunes femmes originaires du nord du Ghana parties travailler comme porteuses sur les marchés des villes du Sud. La nécessité de quitter leur monde rural qui n’offre aucune perspective d’amélioration future, ainsi que le désir d’échapper à des pressions sociales et familiales telles que le mariage précoce ou le manque d’accès à l’éducation, les a conduites à adopter un style de vie précaire et vulnérable, stigmatisé aux yeux de la société du sud du Ghana. En ville, les kayayei se regroupent pour affronter ensemble les risques et difficultés quotidiennes dans la rue, ce qui crée de nouvelles formes d’appartenance collective. Luca Ciabarri et Elia Vitturini, de leur côté, explorent les parcours de l’agentivité politique des jeunes au Somaliland, une République née de la désintégration de la Somalie dans les années 1990 et toujours pas reconnue par la communauté internationale. Dans chacune de ces études de cas, la recherche d’autonomie individuelle et l’interdépendance ne sont pas des objectifs contradictoires. Au contraire, celles-ci entretiennent une relation mutuellement constitutive, qui invite à réfléchir non pas tant aux restrictions que les sujets humains cherchent à surmonter, mais aux formes et aux degrés d’attachement qui émergent dans des contextes différents (Povinelli 2005 : 163).

15L’appartenance est également au cœur de l’analyse que nous propose Guido Zingari (dans ce numéro), qui explore la « densité ethnographique » des « processus de prise de décision à se marier » par rapport aux expériences des jeunes femmes et hommes liés aux élites mourides du Sénégal contemporain. Ici, la tension se situe entre les contraintes familiales et lignagères, d’un côté, et les attentes affectives personnelles, de l’autre, conduisant à ce que l’auteur appelle des « formes conformistes d’émancipation ». Celles-ci se négocient dans une étroite marge de manœuvre entre l’esprit des règles censées régir la reproduction sociale et la volonté d’ouvrir de nouvelles possibilités pour l’avenir. Cet article ainsi que ceux de Poudiougou et de Cutolo sont représentatifs du caractère contradictoire du religieux qui, aussi bien que comme cadre normatif, peut être conçu comme un espace de transformation subjective et de négociation des libertés situées (Alava & Gusman 2022). Ces ambivalences sont particulièrement visibles dans les contextes où le religieux joue un rôle structurant, qu’il s’agisse des confréries (Zingari), des mouvements religieux armés (Poudiougou), ou du « patriotisme » ivoirien que Cutolo explore à travers un récit ethnographique réflexif sur le retour au pays de l’ex-président Laurent Gbagbo en 2021, après son acquittement par la Cour pénale internationale de La Haye. Les dynamiques d’émancipation de la tutelle française sont appréhendées non seulement en lien avec l’histoire controversée de l’indépendance ivoirienne et le développement de l’économie des plantations de cacao, mais aussi, et surtout, avec la tradition prophétique et religieuse propre à l’historicité ivoirienne, qui structure les énonciations du politique. Dans les discours prophétiques circulant dans les milieux patriotiques, le narratif de la libération et du retour de Gbagbo — souvent appelé « messie » ou « Christ de Mama », du nom de son village — est présenté comme un récit émancipatoire de la nation ivoirienne et, simultanément, comme une libération spirituelle.

Historicité, lexiques, trajectoires : notes pour une méthodologie contextuelle

16Comment suivre alors les « imaginaires de la liberté » et les « expériences d’émancipation » ? L’accent mis sur l’ordinaire nous invite à une démarche itérative (Olivier de Sardan 2008 ; Tavory & Timmermans 2014), caractérisée par un dialogue dynamique et mutuellement constitutif entre le concret de l’ethnographie et de la reconstruction historique, d’une part, et un ensemble de perspectives théoriques sélectionnées par nos auteur.e.s en fonction de la spécificité du contexte auquel ils et elles entendent se confronter, de l’autre. Baldé et Bellagamba reprennent la distinction classique et controversée de Isaiah Berlin (1969) entre liberté négative et liberté positive pour mettre en évidence la polysémie de la notion de heɓtaare. Ce mot pulaar couvre une gamme de significations qui inclut la liberté vis-à-vis des contraintes extérieures au sens strict, mais aussi une dimension relationnelle, qui découle de la possession de ce qui est nécessaire pour mener une bonne vie. Ciavolella et Brivio, bien que dans deux perspectives différentes — Ciavolella privilégie une approche historico-géographique, tandis que Brivio dialogue avec l’anthropologie féministe, la pensée critique féministe noire et la théorie de la dépossession — abordent toutes deux la question de la marge en tant qu’espace « where discrepant kinds of meaning-making converge » (Tsing 1994 : 279). Pour les interlocuteurs de Ciavolella, la notion de liberté renvoie discursivement à celle d’autonomie collective, entendue comme la capacité à maintenir une souveraineté sur soi et sur les eaux de la lagune, et cette autonomie doit être négociée dans un « contexte de déstructuration des solidarités locales et d’avancée de valeurs néolibérales » (Ciavolella, dans ce numéro), qui incite à mettre l’accent sur la réussite individuelle mesurée par l’accumulation monétaire et la dépense de ressources. Brivio, quant à elle, montre comment ce sont les corps mêmes des kayayei qui deviennent le lieu où s’affrontent les visions contradictoires de leur marginalité. Face au regard racialisant et excluant de la société du sud du Ghana et à l’attitude moralisatrice des organisations non gouvernementales censées les sortir de la rue, les kayayei revendiquent le potentiel émancipateur de leur position défavorisée.

17L’historicité, c’est-à-dire les situations fluides « where versions of the past and future (of persons, collectives or things) assume present form in relation to events, political needs, available cultural forms and emotional dispositions » (Hirsch & Stewart 2005 : 262), est au cœur de ce numéro (Hirsch & Stewart 2005 ; Stewart 2016 ; Fourchard 2021). Nos auteur.e.s enracinent l’étude des « imaginaires de la liberté » et des « expériences d’émancipation » dans les dynamiques locales, régionales, interrégionales, nationales et internationales. Les articles resituent ces dynamiques au sein d’un ensemble d’idées corrélées, articulées et superposées, qui jouent un rôle clé au cours de la période considérée, parmi lesquelles l’autonomie, l’appartenance, l’égalité, la bonne vie, la reconnaissance sociale, la participation politique et la souveraineté. Dans certaines de nos études de cas, la production de nouveaux « imaginaires de la liberté » et « expériences d’émancipation » s’approprie des vécus passés de manière plus ou moins directe, souvent même latérale et épisodique. Les échecs d’autres conjonctures historiques, les futurs qui semblaient alors possibles et qui ne se sont pas concrétisés, pèsent donc sur les aspirations individuelles et collectives (Cooper 2014 : 1-2). Le contexte auquel se réfère Ciavolella s’est historiquement constitué en relation avec les dynamiques esclavagistes régionales, interrégionales et transcontinentales des xviiie et xixe siècles. Brivio, de son côté, remarque comment l’habitus discriminatoire qui assimile la mobilité des kayayei à la corruption morale et qui dépeint le nord du Ghana comme une région culturellement « arriérée » est l’un des sous-produits de la longue histoire de l’esclavage dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest. Ces deux exemples nous rappellent que, même en ce xxie siècle, le poids de la durée des assujettissements passés ne peut être ignoré, tant au niveau politique que dans la construction des subjectivités individuelles (Bellagamba, Greene & Klein 2017 ; Bayart 2020 : 27-28 ; Fourchard 2021 : 134). De même, dans le contexte analysé par Poudiougou, c’est la contestation d’histoires entremêlées de violence qui alimente la militarisation de la société rurale. Les legs des catégories statutaires établies dans cette partie du Mali par l’Empire du Macina au xixe siècle reviennent dans les appellations de « Rimaïbé », qui désigne les esclaves émancipés des Peuls et leurs descendants, et de « Habbè », catégorie qui englobe les groupes non peuls considérés comme « noirs » et « païens ». À cet héritage controversé s’ajoutent les formes de subalternité développées à l’époque coloniale et dans le contexte du Mali indépendant. Les revendications d’égalité qui s’appuient sur ces temporalités multiples sont à leur tour appropriées à la fois par les groupes djihadistes qui opèrent dans la région depuis 2015 et par les initiatives d’autodéfense promues au niveau des villages.

18Bien que sous un angle partiellement différent, notre entretien avec Patrice Yengo, ainsi que l’article d’Armando Cutolo, révèlent que les définitions locales de la liberté politique continuent à tourner autour de la question coloniale et ses avatars post-coloniaux. Une recherche-action réalisée récemment par le mouvement Tournons la page (tpl 2024) sur le rejet de la politique française dans six pays africains a montré l’ampleur dramatique des tensions qui caractérisent aujourd’hui le thème de la colonialité dans les rapports entre le Nord et les Suds. Les voix des nombreux citoyens africains présentées dans le rapport de tpl expriment de façon récurrente, selon ses auteurs, « la volonté profonde d’être souverains, de déterminer le cours de leur histoire » (tpl 2024 : 16). Cet appel à la souveraineté se décline à plusieurs niveaux différents. Parmi les plus importants, on trouve la souveraineté en matière financière, où la question du franc cfa reste centrale dans les débats autour de l’influence française, « alors que la monnaie est unanimement considérée comme un marqueur essentiel de souveraineté » (ibid.). On trouve aussi le contrôle sur les ressources naturelles nationales, invoqué pour arrêter ce qui est représenté comme un « pillage » perpétré par les pays occidentaux. En dépit des différences et des spécificités liées aux historicités nationales de pays comme la Côte d’Ivoire ou le Mali, l’idée d’une libération à venir des dépendances vis-à-vis de l’ancienne métropole coloniale demeure un élément crucial dans l’appréhension de la souveraineté au début du xxie siècle.

19Les lexiques sont des outils privilégiés pour comprendre la liberté et l’émancipation au pluriel, dans le dialogue et le bricolage créatif entre des dimensions endogènes et exogènes temporellement imbriquées, qui sont rendues par les discours et les pratiques au quotidien. On souligne ici la dimension de la « pluralité », car on ne peut pas oublier le caractère glissant et toujours contesté de ces deux notions, comme l’a démontré Eric Foner (1998) aux États-Unis, où l’idée de liberté est investie d’une valeur fondatrice. Non seulement chaque époque historique invente sa propre notion de la liberté, comme l’avait suggéré Marc Bloch (1949), mais à chaque phase, ses contours et son contenu sont contestés, conflictuels et liés aux luttes de l’un ou l’autre groupe social pour faire prévaloir sa propre vision. Il faudra donc tenir compte à la fois des perspectives dominantes et minoritaires, et surtout des opérations de remodelage idéologique qui favorisent un type de développement social et politique plutôt qu'un autre. La pertinence d’un passage par les langues, souligné par Bloch (1982 [1939] : 244-261 ; 1949) en rapport à la variabilité interne de la société féodale, et par Émile Benveniste (1969) en relation avec les institutions indo-européennes, est aussi bien valorisée par ces anthropologues qui, en ce xxie siècle, ont surmonté le scepticisme des générations précédentes quant à la possibilité d’inclure la notion de la liberté dans le projet comparatif de la discipline (Leach 1963 : 75).

20En plus de l’ethnographie d’Englund (2006), déjà mentionnée comme point de référence pour ce numéro, un essai de Carolyne Humphrey (2007 : 1-2), publié après l’invasion de l’Iraq en 2003, à une époque où les États-Unis aspiraient à mondialiser leur conception de la liberté, nous invite à prendre en considération les bouleversements de sens que la traduction de ce terme peut entraîner d’une langue à l’autre, ainsi que les écarts et les frictions, pour mieux comprendre sa complexité comparative. « Any exercise of translation is unavoidably bound to indeterminacy » (e Silva & Wardle 2016 : 5) et, dans une certaine mesure, à la reconnaissance du caractère précaire et négocié des relations qui peuvent s’établir entre des mots ayant des histoires différentes. Certains termes sont mêmes intraduisibles par des équivalences directes. Englund (2024 : 141-142) précise que, au début du xxie siècle, les militants malawites des droits humains utilisaient le mot chichewa ufulu pour parler de la liberté personnelle, alors qu’au xixe siècle, ce terme désignait la qualité d’un homme capable de subvenir aux besoins de son entourage familial et de sa clientèle, tout en accueillant dignement les étrangers demandant sa protection. Cette inflexion de ufulu, difficilement exprimable en termes libéraux, met en évidence que la signification d’un même mot peut changer fréquemment au fil du temps et des situations. Les lexiques peuvent en effet constituer une matrice historique qui marque des conjonctures avec lesquelles les sujets, y compris les individus, doivent composer. Au fil des époques (et des cadres politiques et économiques qui les caractérisent), ces lexiques peuvent être réadaptés ou écartés s’ils sont jugés inadaptés aux nouvelles circonstances, pour éventuellement revenir à une autre étape. C’est ce que soutient, par exemple, Marco Gardini (2022) lorsqu’il aborde les façons dont ses interlocuteurs malgaches ont remodelé et renégocié la notion de fahafahana, généralement traduite en français par « liberté », en fonction de leur position de pouvoir et de leur agenda politique, en la liant à des questions de pureté, d’honneur et de statut. Par un exercice similaire de sémantique historique sur la notion de heɓtaare, Baldé et Bellagamba nous invitent à penser la généalogie de ce terme à l’intersection de « plusieurs extériorités » (Mbembe 2017 : 385), entre les humains et les animaux, la brousse, et les configurations changeantes de l’État postcolonial. Selon eux et les autres auteur.e.s de ce numéro traitant des lexiques vernaculaires, les termes « liberté » et « émancipation » agissent avant tout comme des pointeurs (Kopytoff 1988 : 490) vers des mots locaux comparables, mais qui ne coïncident pas nécessairement, ni entièrement, en termes de signification. Une fois ces mots identifiés, suivre leurs ramifications sémantiques a montré tout son potentiel pour orienter d’une manière inattendue et novatrice la réflexion sur le thème de ce numéro. C’est ainsi que Ciavolella montre comment le mot ablɔɖe, utilisé par ses interlocuteurs à la fois pour parler de liberté, d’indépendance vis-à-vis de l’étranger ou d’émancipation au sens social et politique, se connecte à d’autres termes qui évoquent la « paix » (fifa, et aussi alăfíà, ayijàyĭ, vuvomumɔ̀, etc.) en tant que condition à conquérir ou à préserver « jusqu’à évoquer, peut-être par glissement métaphorique, l’idée d’une sérénité de vie, de liberté par rapport aux besoins, de santé et réussite, ce qui pourrait alors correspondre au sens local de “liberté” » (Ciavolella, dans ce numéro).

21Enfin, pour suivre le fil des processus culturels à travers des temporalités multiples et imbriquées, et pratiquer une ethnographie dense et historiquement multisituée, nos auteur.e.s placent les trajectoires des personnes et des groupes au centre de l’analyse. Cela nous rappelle que le sens que la liberté et l’émancipation peuvent acquérir dans des contextes spécifiques s’exprime non seulement au niveau discursif, mais aussi dans les choix des acteurs sociaux. Si Brivio et Zingari prennent en compte les trajectoires dans leur sens le plus classique, en tant qu’outils pour comprendre les parcours de vie et ainsi aborder les expériences d’émancipation, le potentiel heuristique de cette perspective est plus vaste. En effet, une approche par les trajectoires peut devenir une ressource précieuse, applicable tant aux concepts (Baldé & Bellagamba, dans ce numéro) qu’aux dynamiques collectives (Ciavolella ; Ciabarri & Vitturini, dans ce numéro), pour renforcer la compréhension processuelle des entremêlements entre les aspirations à la continuité et au changement, tout en évitant le piège de la reconstruction causale téléologique (Bayart 2008 : 7).

Entre précarité existentielle et engagement politique : laboratoire de la jeunesse

22Parmi les catégories sociales explorées dans ce numéro, la jeunesse émerge comme un prisme analytique central. Marquée par des transitions identitaires et des attentes sociales, cette phase de la vie illustre, dans de nombreux cas présentés dans ce numéro, les tensions entre dépendance et quête d’autonomie, ainsi que les revendications collectives où les aspirations à la liberté se manifestent avec une intensité particulière.

  • 4 La notion de « cadets sociaux » a été introduite par J.-F. Bayart (1979) dans son analyse du régime (...)

23Débattues en profondeur dans les années 1990 et au début du nouveau millénaire (Peatrik 1999 ; Durham 2000 ; Abbink & Van Kessel 2005 ; Burgess 2005 ; Honwana & De Boeck 2005 ; Christiansen, Utas & Vigh 2006 ; Alber, Van der Geest & Whyte 2008 ; Gomez-Perez & Leblanc 2012 ; Honwana 2012), les dynamiques intergénérationnelles et les expressions de la culture jeune dans les domaines politique, social, économique et médiatique sont au cœur de l’évolution des sociétés africaines au xxie siècle. Ceci est particulièrement pertinent en raison de la composition démographique, avec 60 % de la population ayant moins de 25 ans (Duthé et al. 2024). Il est donc crucial qu’un intérêt pour les « imaginaires de la liberté » et les « expériences d’émancipation » conduise à réexaminer la question de la jeunesse. Certes, l’irruption des « jeunes » dans l’espace public, avec des désirs d’émancipation qui s’expriment souvent par la violence (Abbink & Van Kessel 2005 ; Honwana & De Boeck 2005), ne peut être réduite à des déterminants démographiques. Cela est avant tout la conséquence du ralentissement ou du blocage du devenir social (Vigh 2010) qui devrait faire de cette phase de la vie une condition temporaire. Comme le constate Deborah Durham (2000), il est difficile de définir qui est « jeune » et ce qu’est la jeunesse en Afrique — puisque cette catégorie est non seulement sujette à des définitions variables d’une société à l’autre, mais aussi parce qu’elle est en transformation historique continue. Cependant, on peut observer que, depuis la seconde moitié du xxe siècle, les contours de la « jeunesse » africaine ont continué à s’élargir, d’autant plus que l’accès à ce qui confère le statut d’aîné est restreint : l’emploi, le mariage, la possibilité de créer sa propre unité domestique et sa descendance et, on peut ajouter, la possibilité de circuler sans restriction et de choisir ses dirigeants, comme peuvent le faire (partiellement) leurs pairs dans le Nord global. Les « jeunes » peuvent donc être considérés comme des « vecteurs de transformation sociale (social shifters) » (Durham 2004) dont la définition résulte des rapports, des tensions et des luttes dans lesquels ceux-ci sont impliqués. Entendue comme une « condition d’attente (waithood) » permanente (Honwana 2013), cette jeunesse devient un espace où s’élaborent les potentialités pour des formes alternatives d’engagement politique. L’intersection entre les « imaginaires de la liberté », les « expériences d’émancipation » et la jeunesse est donc également une question profondément politique. Selon Patrice Yengo (dans ce numéro), « les mobilisations collectives sont des écoles de la citoyenneté où s’expérimente la liberté sous toutes ses formes, non comme liberté individuelle, même si elle en fixe l’horizon, mais comme liberté active et combative ». Comme à d’autres périodes historiques, par exemple celle de la décolonisation, en ce début du xxie siècle, on observe une contestation de l’autorité des aînés — tels qu’ils sont socialement définis — de la part des « cadets sociaux » (Peatrik 2020)4. Les espaces sociaux et politiques du xxie siècle, comme ceux du xxe siècle, ont en effet été bouleversés par de nouvelles générations qui ont explicitement remis en question le système de l’aînesse en tant que dispositif de reproduction de l’ordre social, tout en protestant contre leur exclusion de ce même dispositif. Cette contestation peut prendre des connotations inattendues : Ramon Sarró (2023) a montré que chez les Baka de Guinée la migration des jeunes a transformé ce qui, au début de ses recherches dans les années 1990, était une société fortement gérontocratique. Le dépérissement de l’économie agricole locale a rendu les personnes restées dans les zones rurales dépendantes des envois de fonds de leurs proches établis ailleurs — dans la plupart des cas des jeunes — qui se sont déplacés vers les centres urbains ou à l’étranger. Ces changements ont entraîné un renversement des rôles sociaux. Ceux qui étaient jeunes à l’époque de la décolonisation et contestaient l’autorité de leurs aînés, sont devenus aujourd’hui des anciens qui reconnaissent le leadership sociopolitique et culturel des jeunes qui, dans un contexte généralisé de dépossession rurale, semblent mieux savoir ce qu’il faut faire pour survivre à l’incertitude (Sarró 2023 : 97-98).

  • 5 Pour une analyse de ces mouvements, voir Booysen (2016), Touré (2017) et Adeniyi (2022).

24Les années 2010, qui en Afrique ont commencé avec les soi-disant « printemps arabes » (Schielke 2015 ; Henry 2021), ont vu aussi, pour citer quelques exemples, les protestations antigouvernementales des jeunes au Sénégal et au Burkina Faso (tels que les mouvements « Y’en a marre » en 2012 et « Balai citoyen » en 2014), les manifestations étudiantes en Afrique du Sud (« Rhodes Must fall » et « Fees Must Fall » en 2015), celles contre la brutalité policière au Nigéria en 2020 (« End sars »)5, et d’autres mouvements dont les jeunes ont été les protagonistes, montrant leur engagement dans la revendication d’espaces pour l’autodétermination économique et culturelle (Branch & Mampilly 2015). Ces mouvements se sont concentrés sur des questions de justice sociale et d’équité économique, défiant les gouvernements et les élites, tout en ayant recours aux réseaux sociaux et à d’autres modes de mobilisation qui ont permis de créer des formes inédites de citoyenneté active. Les changements survenus dans les années 2010 concernant la participation des jeunes à ces mouvements de protestation ont érodé l’image d’une « génération perdue » répandue dans les années 1990 (Cruise O’Brien 1996), qui représentait cette catégorie sociale comme étant politiquement inactive et sans perspectives. Au contraire, plusieurs études ont mis en lumière la manière dont les jeunes en Afrique deviennent des sujets-acteurs qui s’émancipent, prenant des décisions face à la précarité générée par le contexte postcolonial (Amougou 2016 ; Eyenga 2021). Un cas particulièrement intéressant de mobilisation politique juvénile — qui s’est exprimée à travers la superposition entre tensions contre les élites politiques, conflits intergénérationnels et participation pour un projet d’avenir en opposition avec le passé récent évident de ces dynamiques — est celui du mouvement politique « People Power », fondé en Ouganda en 2017 par Robert Kyagulanyi, mieux connu sous le nom de Bobi Wine, un chanteur à succès avant qu’il se consacre à la politique. Dans un pays qui est le deuxième plus jeune du monde sur le plan démographique, avec environ 80 % de la population âgée de moins de 30 ans, Bobi Wine a su se forger l’image du « président du Ghetto », capable de comprendre les besoins de la majorité de la population, à la différence de l’élite, perçue comme éloignée de la réalité vécue par les Ougandais. Cette opposition entre « le peuple » et « l’élite » s’est rapidement enrichie, dans le discours de Bobi Wine, d’un élément générationnel : « le peuple » est avant tout composé de jeunes, bloqués dans un présent incertain marqué par le chômage et les difficultés à accéder à un rôle social adulte. La campagne politique de Bobi Wine s’est dès le début définie comme une « cause générationnelle », en opposition à un ordre politique gérontocratique (Melchiorre 2023). À travers ces références, le leader de « People Power » a réussi à créer une mobilisation politique sans précédent parmi les jeunes Ougandais.

25Dans la trajectoire de Somaliland, les jeunes ont joué un rôle important dans la mise en place d’institutions démocratiques et la participation politique dans le nouvel État. Pour atteindre leurs objectifs, ils ont réactivé les langages politiques de liberté et de libération développés pendant la période d’indépendance de la Somalie, dans les années 1950 et 1960, et les ont bricolés avec un discours de modernisation institutionnelle centré sur l’association entre jeunesse, formation de l’espace public et émergence des libertés individuelles qui a bien répondu aux attentes de démocratisation après la fin de la Guerre froide. Ensuite, dans les années 2010, une nouvelle génération a défié la conception « traditionnelle » de la reproduction sociale qui voudrait les jeunes constitutivement « libres d’être égoïstes », et ainsi incapables d’exercer un éthos communautaire. Ainsi, lors des élections de 2012, les politiques de la jeunesse ont conduit à une réduction de l’âge minimum pour se présenter aux élections de 35 à 25 ans. Ce changement, soutenu par des organisations de jeunesse telles que sonyo, a encouragé une plus grande participation politique des jeunes, en particulier dans les zones urbaines. Cependant, il faut noter que depuis 2023, une nouvelle phase de conflit est active dans la région, dans laquelle le projet démocratique et la consolidation du multipartisme, initiés au début des années 2000 et culminant lors des élections de 2012, ont été relégués au second plan dans un débat politique plutôt centré sur l’irréversibilité du projet indépendantiste et nationaliste du Somaliland. La question de la jeunesse, qui avait réussi à s’imposer comme significative dans l’agenda politique, est ainsi absorbée dans des positions dictées par les élites politiques, et le projet d’avenir qu’elle avait porté au cours de ces dernières décennies se trouve ainsi partiellement arrêté (Chonka 2023 : 37-38). Alors que dans ce cas, l’objectif de la mobilisation a été, dès le début, la création d’une communauté nationale, Poudiougou constate une forte fragmentation dans le Mali rural. Ici, la reconfiguration des sujets politiques procède toutefois dans la violence. Les acteurs des deux fronts du conflit agissent dans un contexte marqué par la présence d’entrepreneurs politiques de la violence où on fait « de l’ak-47 l’instrument d’émancipation par excellence » (Poudiougou, dans ce numéro). Les désirs et les pratiques vont plutôt vers « la possibilité d’une appropriation d’une partie du monopole local de la violence et la demande d’une respectabilité sociale et politique » (ibid.). En synthèse, s’il existe ici une politique de « libération » collective des jeunes, elle s’exprime comme une politique de confrontation entre différents pouvoirs, lesquels, dans le contexte engendré par le conflit, luttent pour imposer leur propre souveraineté.

26C’est par la descente dans l’ordinaire de la liberté et de l’émancipation (Das 2012, 2020) que ce numéro s’attache à montrer que la pertinence universelle que ces deux notions ont acquise au fil de l’histoire s’exprime à travers la concrétude des existences humaines (Tsing 1994 ; Englund 2006 ; Neocosmos 2016). Cependant, les parcours et détours (Balandier 2006), ainsi que les chemins de traverse (Bayart 2007) empruntés par ce numéro en suivant les « imaginaires de la liberté » et les « expériences d’émancipation » à la micro-échelle sociale — donc « à une distance prudente vis-à-vis des enjeux publics et collectifs souvent rattachés » à ces deux notions (Fouquet, dans ce numéro) — invitent, ne serait-ce qu’à titre provisoire, à tenter quelques réflexions d’ordre plus général. La première réflexion concerne ce laboratoire de la jeunesse qu’est l’Afrique du xxie siècle face au vieillissement de la population dans les contextes européen et nord-américain qui se sont longtemps arrogés le privilège de définir ce qu’étaient la liberté et l’émancipation. Les contextes examinés dans ce numéro — ainsi que ceux de la diaspora, qui n’ont pas été pris en compte ici mais méritent certainement d’être mentionnés, car ce que nous appelons l’Afrique est une réalité plurielle et à géométrie variable — nous indiquent qu’au-delà de la présence de dynamiques d’individualisation et de la quête de formes d’autonomie visant à l’affirmation d’une subjectivité libérée des contraintes gérontocratiques, la pertinence du collectif et l’importance de la relationnalité, même « subordonnée », en tant que forme d’agentivité, jouent un rôle central dans les discours et les pratiques des jeunes. Si les liens entre les discours sur l’autonomie et ceux sur la liberté méritent d’être approfondis, il convient donc aussi de noter qu’il existe des perspectives où ce lien est remis en question, indiquant que l’autonomie seule ne suffit pas pour faire face aux insécurités socio-existentielles. Comme l’a montré Alain Marie (2007) en analysant les formes de « démocratisation » des communautés claniques et lignagères, individualisme et communautarisme ne sont pas nécessairement antinomiques. D’une part, certaines conceptions célèbrent l’autonomie et l’indépendance individuelle, souvent considérées comme constitutives de la « liberté » au xxie siècle ; d’autre part, d’autres perspectives visent à renégocier les normes sociales sans pour autant les dépasser ou les transformer profondément. Par ailleurs, certaines relations de subordination sont perçues comme des formes de pouvoir stratégique, utilisées comme des leviers par les jeunes pour accéder à des ressources et à des espaces d’action politique. En analysant l’histoire de la société ngoni, où le pouvoir était caractérisé par la compétition pour obtenir des clients et des dépendants (ce que la littérature en études africaines appelle le « wealth in people »), James Ferguson (2013) montre que le concept de « liberté » s’enracinait non pas dans l’absence de formes de dépendance, mais plutôt dans la pluralité des opportunités de dépendance. Cette forme d’agentivité offrait aux individus un espace d’action déterminé par la possibilité de passer d’une forme de relations de subordination à une autre. Comme il l’a souligné à propos de la société sud-africaine du xxie siècle (dont les dynamiques sont comparables à celles d’autres contextes post-industriels), le problème auquel font face les jeunes avec la montée du chômage n’est pas tant d’être dans une relation de subordination ; au contraire, le vrai problème est qu’ils ne valent plus la peine d’être soumis, qu’ils sont exclus de la boule de neige sociétale (ibid. : 31). L’aspiration à l’indépendance vis-à-vis du lignage et des structures gérontocratiques ne s’est donc pas révélée être une voie vers la « liberté », mais a plutôt conduit à des formes d’émancipation engendrant, dans bien des cas, des phénomènes croissants d’insécurité sociale et économique. C’est cette vulnérabilité, couplée à l’abandon par leurs réseaux familiaux, dont les jeunes chômeurs kel tamasheq se plaignent (Gonzales, dans ce numéro). Pour eux, comme pour les jeunes Égyptiennes que Samuli Schielke (2015 : 225) a étudiées avant et après la révolution de 2010, la conquête de l’individualité en termes libéraux est souvent associée à la solitude, à l’isolement et au manque de pouvoir.

27Un autre aspect que nous souhaitons souligner est la nature expérimentale de l’effort entrepris. Il est souvent plus aisé pour les chercheurs de s’interroger sur ce dont leurs interlocuteurs.trices souhaitent se libérer — c’est-à-dire les contraintes pesant sur leurs vies — plutôt que sur le sens même qu’ils attribuent à la (ou aux) liberté(s) et à l’émancipation dont ils voudraient être acteurs et actrices (Fouquet, dans ce numéro). Repositionner le regard révèle un tableau des possibilités, mettant en lumière des dimensions à la fois vernaculaires et bricolées, dans lesquelles la liberté et l’émancipation sont pensées, désirées et mises en œuvre « ni par des individus autonomes, ni par des communautés abstraites », mais toujours dans des configurations « situated and intermittent » (Englund 2006 : 201). Ce tableau inclut les paroles d’un jeune interlocuteur de Ciavolella : « Ici, on est chacun avec ses propres problèmes […] chacun essaie de se sauver », mais aussi la capacité des jeunes de se présenter comme des bâtisseurs de nouvelles formes d’appartenance, allant de la cohabitation et de la solidarité temporaire parmi les kayayei (Brivio, dans ce numéro), à la création de milices engagées dans « l’instauration d’un ordre nouveau à partir de la transgression des normes socialement et historiquement établies » (Poudiougou, dans ce numéro), jusqu’aux projets de refondation de la communauté nationale, avec des inflexions populistes et souverainistes (Cutolo, dans ce numéro) ou, au contraire, libérales-démocratiques (Ciabarri & Vitturini, dans ce numéro). Ces formes, en partie inédites, de construction de l’appartenance devraient encourager une réflexion comparative avec d’autres contextes, y compris ceux du Nord global, devenus les promoteurs mondiaux d’une vision de la gouvernance dans laquelle l’État est censé abandonner le rôle de protecteur social, capable de soutenir l’émancipation des couches défavorisées de la société. Si comme l’a affirmé Achille Mbembe (2018 : 145) « il n’y a pas de meilleur terrain que l’Afrique pour une recherche curieuse visant à décrire la nouveauté, l’originalité et la complexité », cette curiosité a pour horizon principal non pas d’essentialiser l’exceptionnalité de l’Afrique dans l’histoire globale, mais plutôt d’écouter attentivement ce qui se passe en Afrique afin de revendiquer, depuis cette perspective, une participation à la grande et inachevée conversation humaine sur la liberté et l’émancipation.

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Notes

1 Les donateurs externes qui ont soutenu le Malawi dans la transition postsocialiste comprennent l’Union européenne, la Banque mondiale, les États-Unis, le Canada et aussi le Japon, Taïwan, les Pays-Bas, la Norvège et le Danemark (Englund 2006 : 16).

2 De ce vaste débat — plusieurs auteur.e.s de ce numéro s’inspirent de la théorie du sujet et des processus de subjectivation développée par M. Foucault (2001, 2008), quand d’autres reprennent H. Arendt (1972) et d’autres encore abordent de manière critique la réflexion d’I. Berlin (1969) —, nous ne pouvons donner ici que quelques références, telles que Bauman (1988), Nancy (1988), Rose (1999), Siame (2000), Hirschmann (2003), Mahmood (2005), Boltanski (2009), Chatterjee (2011), Laidlaw (2013), Bell (2014), e Silva & Wardle (2016), Christman (2021), e Silva (2022), Paugam (2023), Žižek (2023).

3 Dans le cadre de cette réflexion sur la liberté et l’émancipation en Afrique, on ne peut oublier l’énorme contribution apportée par les études sur l’esclavage et le post-esclavage, en mettant l’accent à la fois sur les différentes phases historiques de la colonisation, de la décolonisation et des processus de démocratisation de la fin du XXe siècle et sur les questions de genre. À titre d’exemples, voir Rossi (2009), Hall (2011), La Rue (2017), Becker & Liebst (2022) et Bellagamba (2024). L’analyse des mobilisations anti-esclavagistes (Hahonou  2024) est développée dans le cadre d’un intérêt plus général pour la lutte des minorités contre leur exclusion du champ politique (Mouiche & Ndema 2019).

4 La notion de « cadets sociaux » a été introduite par J.-F. Bayart (1979) dans son analyse du régime de parti unique de l’État camerounais dans les années 1970. Par ce terme, il fait référence à des groupes sociaux, souvent jeunes et appartenant à des couches marginalisées, qui dépendent des « aînés sociaux ». Alors que ces derniers sont définis comme ceux qui ont au moins une épouse et occupent plus généralement une position sociale et politique dominante, les cadets sociaux se trouvent dans une situation de dépendance permanente vis-à-vis des aînés, dans un système qui reproduit les inégalités sociales générées par les relations de production et les relations politiques présentes dans les sociétés précoloniales à base lignagère.

5 Pour une analyse de ces mouvements, voir Booysen (2016), Touré (2017) et Adeniyi (2022).

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Pour citer cet article

Référence papier

Alice Bellagamba et Alessandro Gusman, « Dans l’ordinaire de la liberté et de l’émancipation »Cahiers d’études africaines, 257 | 2025, 9-37.

Référence électronique

Alice Bellagamba et Alessandro Gusman, « Dans l’ordinaire de la liberté et de l’émancipation »Cahiers d’études africaines [En ligne], 257 | 2025, mis en ligne le 11 mars 2025, consulté le 17 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/49440 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13h7b

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Auteurs

Alice Bellagamba

Dipartimento di Scienze Umane per la Formazione « Riccardo Massa », Université de Milano- Bicocca, Italie

Du même auteur

Alessandro Gusman

Dipartimento di culture, politica e società, Université de Turin, Italie

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Droits d'auteur

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