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chronique bibliographique
Analyses et comptes rendus

Diack Safietou, Les jeunes de la rue à Dakar. Être faqman, entre marginalisation et reconnaissance sociale

Rita Finco
p. 311-314
Référence(s) :

Diack Safietou. — Les jeunes de la rue à Dakar. Être faqman, entre marginalisation et reconnaissance sociale. Paris, Karthala, 2022, 258 p., ill.

Texte intégral

  • 1 Voir M. Champy, « Ni enfants, ni adultes : une lecture comparative de la jeunesse (Burkina Faso) », (...)

1Safietou Diack, anthropologue sénégalaise, a étudié le phénomène des jeunes vivant dans la rue en milieu urbain. Ce livre, tiré de sa thèse de doctorat soutenue en 2017, explore la problématique des enfants qui ont quitté leur famille et se trouvent en déshérence. Structuré en trois parties, le livre commence, dans la première partie, par une observation fine des différents groupes de jeunes qui hantent les quartiers des villes. Safietou Diack énumère plusieurs catégories, qu’elle répertorie de la façon suivante : « enfants de la rue », « enfants en situation de rue », « enfants en rupture familiale », « taalibe », « faqman ». Les trois premières dénominations appartiennent au champ sociologique, les deux dernières à la vision émique. Pour ces deux dénominations spécifiques, l’autrice indique que si les taalibés se raccrochent clairement à un espace social organisé, les écoles coraniques ou daara, les faqman, de leur côté, viennent d’une « zone grise ». Ils ne se rattachent à aucun groupe repéré (on pourrait même dire qu’ils sont autofondés), à part celui des « brigands », quoiqu’ils ne le soient pas. Dans les années 1950, l’ouverture de centres d’accueil mis en place par l’État sénégalais pour les mineurs errant dans les rues, en danger ou en conflit avec la loi, dépendaient d’une conception répressive, qui a perduré jusqu’au début des années 1990. Le traitement de ces jeunes par les autorités consistait à les chasser des espaces publics. L’adoption de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) en 1989 a fait évoluer la situation. Dès ce moment, une nouvelle orientation de l’encadrement de cette population a eu lieu, reposant plus largement sur une proposition de rééducation et de réadaptation sociale. Il s’agissait de se conformer à la mobilisation humanitaire et médiatique internationale. L’intérêt des différenciations que développe cette anthropologue est qu’elles aident à dépasser la tendance à construire une image réductrice de ces enfants, permettent de saisir les enjeux sociaux et politiques qui constituent ce phénomène1 et ainsi de déterminer la façon la plus efficace de les prendre en charge. Cependant, l’autrice remarque que, si les autorités reconnaissent formellement cette Convention, cette évolution tarde à s’appliquer, dans les faits, à la catégorie dans laquelle se situent les faqman. L’influence de la représentation sociale négative dont ils sont l’objet conduit encore les autorités à les réprimer (rafles policières, enfermement) et non à soutenir un accompagnement vers une sortie durable de la rue.

  • 2 Voir C. H. Kane, L’aventure ambigüe, Paris, Julliard, 1961.
  • 3 Voir R. Finco, Maîtres et disciples. Analyse transculturelle du parcours migratoire de l’école cora (...)
  • 4 Voir O. Faye & I. Thioub, « Les marginaux et l’État à Dakar », Le Mouvement social, 3, 2003, pp. 93 (...)

2La deuxième partie est centrée sur les pratiques de socialisation au sein de la famille et de la daara, mises en échec, souligne l’autrice, par l’évolution de la société2. Le fait qu’il soit difficile de situer avec précision les périodes auxquelles les figures de faqman et de taalibe apparaissent effectivement et se distinguent l’une de l’autre oblige l’autrice à une observation de terrain lui permettant de mieux définir chaque groupe. Les taalibés sont liés aux espaces de socialisation séculaires, qui se développent avec l’arrivée de l’islam dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest3. Quant aux faqman, leur présence dans la rue est corrélée à la crise économique et aux effets des ajustements structurels des années 19804. L’anthropologue s’attelle alors à définir les représentations en cours au Sénégal. Pour le milieu sénégalais, famille et daara sont encore considérées en mesure de transmettre les normes et les valeurs qui orientent les comportements, les rôles et les statuts des individus. Tous les lieux en dehors de ces systèmes sont identifiés comme de déviance et d’amoralité. Cette représentation locale peine à se confronter à une vision de la réalité qui pointe du doigt les limites autant des familles que de certaines daara, à exercer une vigilance, une autorité et un encadrement capables d’accompagner les enfants. La prégnance des anciens modèles d’éducation rend problématique la création de cadres alternatifs en capacité d’exercer ces fonctions vis-à-vis de l’enfant. Le centre d’accueil et d’hébergement chargé de remplir ce vide met de ce fait l’agent dans une position de médiateur en position d’autorité entre la famille et la descendance.

  • 5 Voir N. Jerad, « La question de la langue chez Glissant : quelques réflexions pour la Maghreb conte (...)

3La dernière partie est caractérisée par la complémentarité des espaces public et privé, Safietou Diack essaie d’articuler ces différents lieux de socialisation. Il est évident pour la chercheuse que les expressions « enfant de la rue », « enfant en rupture familiale », ou toute autre habituellement utilisée par les organisations ne permettent pas à ces jeunes de se reconnaître. Ces expressions sont proposées dans une langue qui ne leur parle pas, le français, que très peu pratiquent. En revanche, le terme de faqman fait pour eux davantage sens. Pour développer son analyse, elle se pose une question importante : comment les faqman, qui se définissent eux-mêmes ainsi, vivent-ils cette expérience de la rue ? L’autrice développe la construction du terme (de faq, en langue wolof, détacher ou briser, et de l’anglais man, homme), que Jerad5 définirait comme un terme matriciel. La langue matricielle renvoie aux toutes premières langues de l’humanité, à partir desquelles se différencient de nouveaux idiomes qui feront langue. Ici il s’agit du terme qui source l’appartenance à un groupe, comme une matrice reproduit une forme. Avec cette dénomination, les jeunes se reconnaissent dans une appartenance et font groupe. Ainsi dans ce concept s’exprimerait le lien relationnel que ces jeunes ont pu construire entre le groupe d’origine et la société néolibérale globalisée. Le faqman n’est pas seulement celui qui a fui, qui ne voit pas ni père ni mère, qui ne rentre pas chez lui, qui est dans les marges, c’est aussi celui qui essaie de changer son destin en s’inscrivant dans une modernité, sorte de ligne de fuite vers un idéal de liberté. Cependant l’autrice insiste sur la question de la vision populaire et généralisée de la délinquance (usage de drogues, vols, pratiques homosexuelles, violences) qui met en danger l’équilibre social privé et public. La rue est l’espace où le jeune en rupture dort, où il passe son temps, où il peut potentiellement mourir. Dans cet espace public dominé par l’indifférence, le faqman, s’il n’est ni pensé ni accompagné, devient l’objet visible d’une structure sociale en mutation, d’un lien social faible et d’une crise des valeurs importante.

  • 6 Voir G. Balandier, « La situation coloniale. Approche théorique », Cahiers internationaux de sociol (...)

4La description fine que nous propose Safietou Diack est un très beau travail de terrain, de l’intérieur, pour nous permettre d’aller plus loin dans la prise en compte de ces phénomènes actuels de déstructuration sociale, largement induits par une situation coloniale et post-coloniale6. On peut, de là, penser autrement la situation de ces jeunes et peut-être proposer de meilleures pratiques de prise en compte et d’aide en vue d’une réinsertion. Trop souvent, les interventions sont construites à partir de schémas de pensée bâtis sur un paradigme occidental excluant les visions historiques autochtones. L’autrice se trouve à la juste place pour élargir et complexifier le débat. Nous pouvons cependant souligner le fait que son étude ne concerne que les garçons et les jeunes hommes. Ce phénomène ne touche-t-il pas les filles, ou dans quelle mesure sont-elles impactées par ces bouleversements sociaux ? C’est peut-être un développement possible d’une autre recherche de terrain.

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Notes

1 Voir M. Champy, « Ni enfants, ni adultes : une lecture comparative de la jeunesse (Burkina Faso) », Ateliers d’anthropologie, 42, 2015, <https://doi.org/10.4000/ateliers.10024> ; R. Lucchini, « L’enfant de la rue : réalité complexe et discours réducteur », Déviance et société, 22 (4), 1998, pp. 347-366, <https://doi.org/10.3406/ds.1998.1669> ; L. Salmon-Marchat, Les enfants de la rue à Abidjan : une étude socio-anthropologique des éléments symptomatiques de la crise ivoirienne, Paris, L’Harmattan, 2004 ; D. Stoecklin, Enfants des rues en Chine, Paris, Karthala, 2000.

2 Voir C. H. Kane, L’aventure ambigüe, Paris, Julliard, 1961.

3 Voir R. Finco, Maîtres et disciples. Analyse transculturelle du parcours migratoire de l’école coranique à l’Europe, Grenoble, La Pensée Sauvage, 2020.

4 Voir O. Faye & I. Thioub, « Les marginaux et l’État à Dakar », Le Mouvement social, 3, 2003, pp. 93-108, <https://doi.org/10.3917/lms.204.0093>.

5 Voir N. Jerad, « La question de la langue chez Glissant : quelques réflexions pour la Maghreb contemporain », in S. Kassab-Charb et al. (eds.), Autour d’Édouard Glissant, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, <https://doi.org/10.4000/books.pub.47280>.

6 Voir G. Balandier, « La situation coloniale. Approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, 11, 1951, pp. 44-79.

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Pour citer cet article

Référence papier

Rita Finco, « Diack Safietou, Les jeunes de la rue à Dakar. Être faqman, entre marginalisation et reconnaissance sociale »Cahiers d’études africaines, 257 | 2025, 311-314.

Référence électronique

Rita Finco, « Diack Safietou, Les jeunes de la rue à Dakar. Être faqman, entre marginalisation et reconnaissance sociale »Cahiers d’études africaines [En ligne], 257 | 2025, mis en ligne le 11 mars 2025, consulté le 17 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/50106 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13h7o

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Auteur

Rita Finco

Chercheuse indépendante, Centre Fo.R.Me, Bergame, Italie

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Droits d'auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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