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chronique bibliographique
Analyses et comptes rendus

Kavwahirehi Kasereka, Les leviers de l’émancipation. Éducation, culture et démocratie en Afrique

Gervais Désiré Yamb
p. 314-316
Référence(s) :

Kavwahirehi Kasereka. — Les leviers de l’émancipation. Éducation, culture et démocratie en Afrique. Paris, Hermann, 2024, 262 p., bibl., index.

Texte intégral

1Les leviers de l’émancipation. Éducation, culture et démocratie en Afrique est le dernier ouvrage publié par le philosophe, essayiste et critique littéraire Kasereka Kavwahirehi. Cet essai est une continuation des réflexions qu’il avait amorcées dans son ouvrage Politiques de la critique : essai sur les limites et la réinvention de la critique francophone, publié chez Hermann en 2021 (310 pages). Le « potentiel émancipateur des critiques africains » et les œuvres critiques de Georg Lukacs, Karl Marx, Friedrich Nietzsche, Walter Benjamin ou Edward Saïd, analysés dans Politiques de la critique, sont porteurs, dans Les leviers de l’émancipation, d’une « éducation accoucheuse de la démocratie » (p. 9). En observateur critique et avisé de « la crise des systèmes éducatifs africains hérités de la colonisation », l’auteur pose, d’entrée de jeu et sans détour, cette question décisive : « L’Afrique, “continent-solution” et “avenir du monde”, sera-t-elle aussi une solution pour ses propres problèmes et un avenir pour elle-même alors que les idées audacieuses pour positionner autrement le continent sur l’échiquier mondial et développer une pensée font défaut ? » (p. 11). Kasereka répond à cette question en quatre chapitres.

2Partant de l’hypothèse selon laquelle l’avenir ne se donne pas mais se construit intellectuellement, politiquement, culturellement et économiquement en s’appuyant sur la mémoire du passé, l’éducation, « qui ne semble être une priorité (en termes d’investissement) pour plus d’un pays africain » (p. 11), est, précise l’auteur, « le lieu où l’avenir, qui n’est jamais un déjà-là, se fabrique et se façonne » (p. 11). Cette hypothèse s’appuie sur un axiome qui, en réalité, est un constat amer : « si l’Afrique ne se donne pas les moyens de se penser et de se construire comme l’avenir du monde en investissant dans la jeunesse et, donc, dans l’éducation, les autres lui en construiront un à ses dépens. Un avenir de servitude presque volontaire, à coup sûr » (p. 11). Mais comment penser cet avenir ? Sur quelles bases à la fois théoriques et pratiques faudrait-il construire cet avenir afin d’éviter cette possible servitude « volontaire » ?

3La tâche de reconstruction et de refondation théorique s’impose déjà dans le chapitre 1 de l’ouvrage intitulé « De la faillite morale de l’État à la misère sociale » (pp. 27-74). Elle a pour objet l’éducation et la culture et pour lieu d’ancrage la République démocratique du Congo, « l’éléphant malade et endormi dont on a souvent dit que le réveil entraînera l’éveil de tout le continent » (p. 25). C’est le premier levier de l’émancipation. Pour ce faire, l’auteur s’appuie sur la philosophie de l’éducation du philosophe américain John Dewey pour repenser la réforme de l’éducation comme institution sociale. Car, précise-t-il, s’engager dans la réforme du système éducatif, c’est, à n’en pas douter, « s’engager dans la “re-forme” de l’organisation sociale comprise comme totalité » (p. 19). Cette réforme passe par une analyse minutieuse des « occasions d’innover manquées » (p. 31) depuis les Indépendances par les États africains pour penser leurs systèmes éducatifs. Kasereka se focalise sur le cas de la République démocratique du Congo, pays dans lequel « chaque enseignant fait ce qu’il veut ou peut », lieu où « le faire-semblant » ou la « logique du comme si » colle à la peau et où la dictature du mobutisme a détruit la raison, le jugement, la force d’humanité, le sentiment d’amour-propre et l’ambition d’excellence (p. 33). Reprenant les propos de l’historien Joseph Ki-Zerbo, il propose une refondation de l’éducation comme institution sociale en analysant certaines « pesanteurs coloniales dans les systèmes éducatifs africains » (p. 39), enracinées dans une didactique des savoirs où la « culture et la science sont au pas de l’idéologie politique » (p. 49). Une telle inféodation de la culture et de la science à l’idéologie politique est, non seulement à l’origine de la fabrique des universitaires clochards et mendiants (p. 47), mais également de la paupérisation des intellectuels africains prêts « à délaisser la recherche pour être membre d’escorte d’un ministre provincial » (p. 55).

4Les chapitres 2 et 3 explorent les voies et moyens de la refondation des systèmes éducatifs. L’auteur analyse, avec acuité, les clés de « l’impératif de la refondation » à l’origine d’une « société véritablement démocratique ». Penser la société et l’éducation en termes de « totalité » en revisitant les concepts clés du vivre-ensemble tels que la citoyenneté, la tribalité, le droit ou la philosophie, apparaissent comme des lieux concrets d’un impératif de refondation, qui ne peut aucunement faire l’économie d’une réflexion critique sur la démocratie en contextes africains. C’est dire, en effet, que pour l’auteur, l’éducation est indissociable de la démocratie. En d’autres termes, il ne peut y avoir un « impératif de refondation » sans une reconstruction de la démocratie en Afrique. C’est ici qu’apparaît le deuxième levier de l’émancipation, qui impose une mise en place des réformes dont l’objectif majeur est de « repenser le système éducatif pour le mettre au service d’un projet africain de civilisation bien articulé et en replaçant l’Afrique dans sa longue histoire » (p. 75). Et c’est à ce niveau précis que le troisième levier de l’émancipation s’érige en lieu concret du « déploiement » de l’éducation comme pratique de la démocratie.

5En effet, le chapitre 4 de l’ouvrage ambitionne de concilier l’éducation, la pratique de la démocratie et l’émancipation. Ainsi, reconstruire la démocratie en Afrique présuppose l’existence ou la mise en marche d’un « environnement physique et social » (p. 198), qui fait de l’école un lieu de « formation de l’esprit », d’apprentissage et d’acquisition des savoirs et des attitudes nécessaires au déploiement de la démocratie comme pratique et « forme de vie » (p. 200). L’auteur insiste sur la force de la « pensée critique » dans ce processus de socialisation en s’inspirant du modèle américain proposé par John Dewey. Dans cette perspective, « l’éducation, spécialement pour une nation qui aspire à être une grande démocratie, vise à cultiver la liberté et à aider les jeunes à enrichir leurs capacités pour contribuer au progrès tant moral que social de leur société » (p. 211).

6En guise de conclusion de cet ouvrage que Kasereka considère, un peu à l’image de Socrate ou de son disciple Platon, comme une « méditation » susceptible d’accoucher des « esprits », des idées et pratiques novatrices, l’auteur fait une reprise de son argumentaire en précisant que « la culture, l’éducation et la démocratie sont les trois leviers inséparables de l’émancipation » (p. 241). Mais cette méditation, somme toute très inspirante, nous laisse un peu sur notre faim. Certes, l’auteur a analysé la nature des relations que l’éducation entretenait avec la culture, l’identité, l’histoire, la démocratie et la notion de citoyenneté. Mais une réflexion « informée » sur la place de la tradition (ou des traditions comme lieux d’apprentissage et formes d’initiation en Afrique en général, et en République démocratique du Congo en particulier) dans le processus d’émancipation aurait peut-être ouvert des pistes fécondes sur les modes spécifiques d’appropriation des savoirs endogènes, utiles au développement intégral des sociétés africaines.

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Pour citer cet article

Référence papier

Gervais Désiré Yamb, « Kavwahirehi Kasereka, Les leviers de l’émancipation. Éducation, culture et démocratie en Afrique »Cahiers d’études africaines, 257 | 2025, 314-316.

Référence électronique

Gervais Désiré Yamb, « Kavwahirehi Kasereka, Les leviers de l’émancipation. Éducation, culture et démocratie en Afrique »Cahiers d’études africaines [En ligne], 257 | 2025, mis en ligne le 11 mars 2025, consulté le 16 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/50111 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13h7p

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Auteur

Gervais Désiré Yamb

Département de français, Université d’Ottawa, Canada

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Droits d'auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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