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Mort du roi, mort du corps politique : l’irruption de la guerre civile à la mort d’Alexandre dans les Historiae Alexandri Magni de Quinte-Curce

Claire Pérez

Résumés

Quinte-Curce n’interrompt pas ses Historiae Alexandri Magni à la mort d’Alexandre le Grand en 323 a.C. mais poursuit son œuvre sur quelques chapitres pour relater la stasis qui s’ensuivit à Babylone, jusqu’au meurtre de trois-cents fantassins macédoniens séditieux par Perdiccas. Ces événements préfigurent, d’après l’auteur, les guerres entre les diadoques, présentées comme des bella ciuilia. Cet article montre que le récit de la stasis de 323 sert une réflexion sur le mécanisme d’irruption de la guerre civile dans la cité, qui se veut exemplaire pour le présent romain. Cette exemplarité est étayée par une actualisation des événements macédoniens à l’aune d’expériences romaines de conflits civils et par un discours théorique sur les liens entre corps du souverain et corps politique. Cette étude nous conduit à proposer de nouveaux éléments en faveur d’une datation des Historiae Alexandri Magni sous le règne de Vespasien.

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Texte intégral

  • 1 Cet article a été écrit avec le soutien de la Fondation Hardt, à laquelle j’adresse mes remerciemen (...)
  • 2 Ce terme est employé par les auteurs grecs au sujet de cet événement : Diodore de Sicile, Bibliothè (...)
  • 3 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.1-6.
  • 4 On trouve une synthèse de l’abondante bibliographie dans J. E. Atkinson (2009), p. 2-14 et 203-216. (...)
  • 5 Sur la lecture romaine de l’histoire macédonienne dans les Histoires : I. Yakoubovitch (2015) ; D.  (...)

1Parvenu au dixième livre de ses Histoires d’Alexandre le Grand, l’historien latin Quinte-Curce relate la mort du conquérant, qui survint en 323 a.C. à Babylone1. Bien que son œuvre ait été jusque-là largement polarisée sur la figure d’Alexandre, il poursuit son récit au-delà de sa disparition pour raconter la στάσις2 qui divisa les Macédoniens autour de la succession de leur roi (10, 5-10). Ce choix d’écriture, qui distingue Quinte-Curce du reste des auteurs anciens de monographies ou biographies sur Alexandre (Plutarque et Arrien), mérite d’être interrogé, et ce d’autant plus que c’est aussi dans ces chapitres que le présent romain de l’écriture fait une irruption particulièrement marquante dans le récit du passé macédonien. En effet, dans un excursus, l’historien oppose le sort de l’Empire macédonien, destiné à s’effondrer dans des guerres civiles, au présent heureux et paisible à Rome, et fait l’éloge, sans le nommer, du princeps régnant, qui, quant à lui, a garanti la paix civile3. Ce passage constitue l’un des rares indices internes dont nous disposions pour déterminer la date de rédaction des Histoires : en effet, la perte des deux premiers livres nous prive d’une éventuelle préface, et aucun autre texte ancien n’évoque l’œuvre curtienne. Les hypothèses ont été nombreuses, mais les plus répandues optent pour le règne de Claude – auquel cas l’historien féliciterait l’empereur d’avoir enrayé par son avènement un risque de guerre civile – ou pour celui de Vespasien, qui mit fin à la guerre civile de 694. Cet excursus rend explicite le parallèle que Quinte-Curce opère entre passé macédonien et présent romain : sur le fondement d’une continuité thématique entre les deux temporalités, il engage son lecteur, avec qui il partage une communauté d’expérience, à tirer du récit des res gestae un enseignement pour son temps5.

2C’est dans cette perspective que nous proposons de lire à nouveaux frais ces chapitres, afin de montrer que le récit de la stasis de 323 sert une réflexion sur le mécanisme d’irruption de la violence civile dans la cité, qui se veut exemplaire pour le présent romain. Cette exemplarité est étayée par une actualisation des événements macédoniens à l’aune d’expériences romaines de conflits civils et par un discours d’ordre théorique sur le corps politique et ses troubles. Cette étude nous conduira à proposer de nouveaux éléments en faveur d’une datation sous le règne de Vespasien, sans que nous puissions reprendre l’entièreté du dossier, qui dépasse le cadre du présent article.

3Il importe de rappeler préalablement le déroulement des événements tels que Quinte-Curce les raconte. Après la mort d’Alexandre (10.5.1-6), l’historien relate les réactions émotionnelles des Macédoniens et des Perses ainsi que le suicide de Sisigambis, la mère de Darius, à qui Alexandre avait apporté sa protection (10.5.7-25). Il interrompt alors son récit pour insérer une notice nécrologique du roi (10.5.26-37). Puis le récit reprend : Perdiccas, un proche d’Alexandre, réunit les Macédoniens pour débattre de la succession (10.6-7.7). Plusieurs hypothèses sont explorées, dont celle de nommer Perdiccas lui-même. Alors que la violence menace d’éclater, l’armée porte au pouvoir Arrhidée, le frère d’Alexandre, qui prend le nom de Philippe. Cependant, Perdiccas et le reste des chefs refusent de le reconnaître. L’armée se scinde en deux : la phalange, dirigée par Méléagre, qui soutient Arrhidée, et la cavalerie qui prend le parti de Perdiccas (10.7.8-20). Méléagre tente sans succès de faire assassiner Perdiccas (10.8.1-7). L’infanterie envoie ensuite aux cavaliers une députation, qui échoue, et alors qu’elle s’apprête à prendre les armes, Arrhidée parvient à ramener le calme. Une deuxième ambassade mène à une réconciliation (10.8.8-23). Quinte-Curce interrompt son récit pour révéler que l’Empire macédonien est toutefois destiné à succomber à des guerres civiles. C’est alors qu’il insère l’éloge du princeps (10.9.1-6). Puis il reprend le fil de son récit : Perdiccas n’a pas renoncé à ses ambitions et manœuvre pour piéger Méléagre. Le jour de la lustration de l’armée, il fait massacrer trois cents phalangites qui ont participé à la sédition et fait assassiner Méléagre (10.9.7-21). Quinte-Curce clôt son récit sur plusieurs considérations (10.10) : il relate la répartition des satrapies entre les généraux et annonce les guerres qu’ils se livreront à l’avenir ; il revient sur les circonstances de la mort d’Alexandre, affirmant qu’il a été assassiné ; enfin, les Histoires se terminent par une réflexion sur le devenir du corps du roi.

I. Une réflexion historiographique sur l’irruption de la violence civile

  • 6 Sur la tradition littéraire du bellum ciuile, on se reportera à l’étude de référence : P. Jal (1963 (...)

4Quinte-Curce identifie les faits qu’il donne à lire dans ces chapitres comme les prémices de bella ciuilia, associant ainsi son texte à la tradition littéraire et à l’imaginaire romains de la guerre civile6. C’est le cas dès le début de l’épisode, où il attribue ces réflexions aux soldats d’Alexandre :

  • 7 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.5.12-14. Toutes les traductions sont les nôtres.

Et cum diu nunc in ueneratione, nunc in desiderio regis haesissent, in ipsos uersa miseratio est. Macedonia profecti ultra Euphraten in mediis hostibus nouum imperium aspernantibus destitutos se esse cernebant : sine certo regis herede, sine herede regni publicas uires ad se quemque tracturum. Bella deinde ciuilia, quae secuta sunt, mentibus augurabantur : iterum, non de regno Asiae, sed de rege ipsis sanguinem esse fundendum ; nouis uulneribus ueteres rumpendas cicatrices ; senes, debiles, modo petita missione a iusto rege, nunc morituros pro potentia forsitan satellitis alicuius ignobilis7.

Et après qu’ils eurent longtemps balancé entre la vénération et le regret de leur roi, leur pitié se tourna vers eux-mêmes. Partis de Macédoine, ils voyaient qu’ils avaient été abandonnés au-delà de l’Euphrate au milieu d’ennemis qui répugnaient au pouvoir nouveau qui leur était imposé : sans héritier certain du roi, sans héritier pour le royaume, chacun allait tirer à soi les forces de l’État. Les guerres civiles qui s’ensuivirent, ils les prédisaient dans leurs esprits : de nouveau, il leur faudrait verser leur sang, non pour le royaume de l’Asie, mais pour le choix d’un roi ; de nouvelles plaies devraient rouvrir de vieilles cicatrices ; vieux, faibles, alors qu’ils venaient à l’instant de demander congé à leur roi légitime, ils allaient désormais peut-être mourir pour le pouvoir de quelque obscur satellite.

  • 8 Lucain, Pharsale II.1-64.
  • 9 F. Ripoll (2000), p. 47, au sujet de Stace et de Lucain.
  • 10 Stace, Thébaïde, I.168-196 ; Tacite, Histoires I.50. Sur la référence à Lucain dans ces passages : (...)
  • 11 Lucain renvoie dos à dos César et Pompée au début du Bellum ciuile (Lucain, Pharsale I.129-157). Da (...)
  • 12 Justin aussi utilise, pour évoquer ces guerres, l’imagerie topique de la guerre civile : Justin, Ab (...)
  • 13 Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée XIII.1.12-14.

5Les plaintes des milites nous paraissent faire écho au début du chant II de la Guerre civile de Lucain, lorsque les habitants de Rome apprennent la nouvelle de la marche de César sur la ville. Le poète rapporte les réactions de deuil des Romaines, qui appellent à pleurer sans attendre la mort de leur patrie, puis les lamentations des hommes à l’idée de devoir verser leur sang dans des guerres non pas extérieures, mais civiles, pour décider de qui détiendra le pouvoir sur l’Vrbs8. D’autres œuvres postérieures présentent de semblables déplorations mobilisant l’intertexte lucanien, dans lesquelles un personnage ou groupe anonyme se fait le « porte-parole d’un peuple victime innocente des crimes et des querelles de ses dirigeants9 » : les plaintes d’un anonyme face à l’alternance du pouvoir à Thèbes au début de la Thébaïde de Stace ; des paroles prêtées aux soldats au livre I des Histoires de Tacite, qui regrettent, après l’annonce de la révolte de Vitellius, de devoir combattre pour deux piètres candidats à l’Empire10. Comme dans ces textes, les soldats de Quinte-Curce dénigrent les prétendants au trône, désignés par l’expression péjorative satellitis alicuius ignobilis, « quelque obscur satellite11 »les guerres civiles annoncées sont les luttes qui opposeront ensuite les diadoques12. Au contraire, chez Trogue Pompée abrégé par Justin, le problème réside précisément dans le fait que les généraux d’Alexandre sont tous susceptibles de faire d’excellents rois13.

  • 14 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.2 ; X.8.16-20 ; X.9.1.
  • 15 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.19.
  • 16 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.14-16.
  • 17 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.10.20-21. O. Devillers (2009), p. 38.
  • 18 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.11.
  • 19 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.8.14 ; X.8.15 ; X.9.11 ; X.9.14 ; X.9.16. Le mot n’a (...)
  • 20 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.12 ; X.8.6 ; X.8.16. Seditio et discordia sont coo (...)
  • 21 M. Lavan (2017), p. 23.
  • 22 P. Jal (1963), p. 27-32 ; D. Armitage (2017), p. 57-58.

6L’idée de l’imminence de guerres civiles revient à plusieurs reprises tout au long du récit de la stasis14. En particulier, l’historien appose ce commentaire au massacre final des trois cents soldats : Hoc bellorum ciuilium Macedonibus et omen et principium fuit15 : « Tel fut pour les Macédoniens à la fois le présage et le commencement des guerres civiles. » Omen renvoie à la logique du signe religieux, que connotait aussi le verbe augurabantur introducteur des prédictions des milites. Quinte-Curce l’appuie sur une image qu’il déploie dans le récit de la lustration de l’armée, celle d’une cavalerie et d’une infanterie caractérisées comme des agmina s’avançant l’une vers l’autre16. Principium relève d’une logique temporelle, selon laquelle cet épisode de violence serait l’effusion de sang originelle : de fait, le meurtre de Méléagre, qui a lieu dans un temple, relève d’un renversement de valeurs digne du bellum ciuile17. Pour référer à la stasis, l’historien emploie les termes motus18, discordia19 ainsi que seditio20, mot qui désigne en latin la division au sein d’un groupe ou la désobéissance à une autorité légitime, comme dans le cas d’une mutinerie21 – la stasis répond aux deux définitions. Ces noms font partie du continuum des mots latins du conflit dans la cité que Paul Jal a identifié et dont l’ultime étape est le bellum ciuile22. Par ces moyens, Quinte-Curce invite à considérer ces chapitres comme une étude sur l’irruption de la violence dans la cité et les inscrit dans la tradition littéraire des récits de bella ciuilia.

II. Une théorie du corps politique

  • 23 Les trois épisodes qui surviennent du vivant du roi sont : la maladie d’Alexandre après son bain da (...)

7Cette analyse est articulée à un cadre théorique. Le récit de la mort d’Alexandre prend sens dans un réseau d’épisodes disséminés dans les Histoires, qui sont liés par un schéma commun : une blessure ou une maladie menace la vie du roi, et l’historien rapporte les craintes de ses sujets sur le risque que sa mort fait courir sur tous23. C’est surtout dans un épisode du livre IX que l’on peut apprécier la profondeur politique que Quinte-Curce donne à ce thème. Alexandre est blessé à l’occasion d’une bataille en Inde, et les soldats réagissent ainsi :

  • 24 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand IX.5.30.

Toto eo die ac nocte, quae secuta est, armatus exercitus regiam obsedit, confessus omnes unius spiritu uiuere24.

Pendant toute cette journée et la nuit qui suivit, les soldats en armes encerclèrent la tente royale, montrant que tous vivaient grâce au souffle d’un seul.

8Peu après, le général Cratère emploie une métaphore proche lorsqu’il demande à Alexandre de mettre un terme à la conquête :

  • 25 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand IX.6.8.

Sed quis deorum hoc Macedoniae columen ac sidus diuturnum fore polliceri potest, cum tam auide manifestis periculis offeras corpus, oblitus tot ciuium animas trahere in te casum ? Quis enim tibi superstes aut optat esse aut potest25 ?

Mais lequel des dieux peut promettre que cette colonne, cet astre de la Macédoine sera durable, puisque tu mets tant d’avidité à exposer ton corps à des dangers manifestes, oubliant que tu entraînes dans ta chute les âmes de tant de tes concitoyens ? Qui, en effet, ou bien souhaite te survivre, ou en est capable ?

9Le passage identifie le salut du roi, représenté par son corps, à celui du collectif, et son souffle à l’anima de chaque soldat. L’idée est doublée dans une parole attribuée aux autres amis peu après :

  • 26 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand IX.6.15.

Orabant, ut tandem (…) saluti suae, id est publicae, parceret26.

Ils lui demandaient d’enfin (…) pourvoir à sa survie, c’est-à-dire celle de tous.

10La santé et la vie du roi conditionnent celles de la communauté ; l’identification par synecdoque du corps du roi au corps politique est sous-jacente. Au livre X, elle apparaît explicitement, dans la bouche de Perdiccas lorsqu’il lance le débat sur la succession :

  • 27 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.8.

Capite opus est : hocine uno an pluribus, in uestra potestate est. Illud scire debetis, militarem sine duce turbam corpus esse spiritu27.

Nous avons besoin d’une tête : une, ou plusieurs, c’est en votre pouvoir. Vous devez savoir qu’une foule de soldats sans chef est un corps sans souffle.

11L’armée est assimilée à un corps, et deux métaphores sont employées pour caractériser le roi : celle de la tête, qui veut que le chef constitue la partie supérieure du corps, et celle du souffle, qui identifie plus profondément encore le roi et le corpus de la foule militaire. L’image apparaît également dans l’excursus comparant le destin macédonien et la felicitas romaine, sur lequel nous reviendrons.

  • 28 C. Moatti (2001), p. 817-820 ; J. B. Meister (2012), p. 158-163.
  • 29 Sur l’assimilation corps du prince/corps politique : J. Béranger (1953), p. 218-238 ; C. Moatti (20 (...)

12Cette synecdoque s’inscrit dans une filiation idéologique et littéraire. La res publica a été assimilée de longue date à un corps, image évocatrice d’une unité dans la pluralité28. Plusieurs textes du début du Principat identifient le prince à la res publica ou à une partie du corps de la res publica – plusieurs métaphores coexistent, signe de tâtonnements quant à la formalisation précise de la position du princeps29. C’est peut‑être chez Sénèque que l’on trouve les formulations les plus proches de Quinte-Curce, notamment l’emploi des mêmes images de la tête et du souffle :

  • 30 Sénèque, De la clémence I.4.1-3.

Ille est enim uinculum per quod res publica cohaeret, ille spiritus uitalis quem haec tot milia trahunt nihil ipsa per se futura nisi onus et praeda, si mens illa imperii subtrahatur. « Rege incolumi mens omnibus una, amisso rupere fidem. » Hic casus Romanae pacis exitium erit, hic tanti fortunam populi in ruinas aget ; tam diu ab isto periculo aberit hic populus, quam diu sciet ferre frenos, quos si quando abruperit uel aliquo casu discussos reponi sibi passus non erit, haec unitas et hic maximi imperii contextus in partes multas dissiliet, idemque huic urbi finis dominandi erit, qui parendi fuerit. Ideo principes regesque et quocumque alio nomine sunt tutores status publici non est mirum amari ultra priuatas etiam necessitudines ; nam si sanis hominibus publica priuatis potiora sunt, sequitur, ut is quoque carior sit in quem se res publica conuertit. Olim enim ita se induit rei publicae Caesar, ut seduci alterum non posset sine utriusque pernicie. Nam et illi uiribus opus est et huic capite30.

Cet homme est en effet le lien qui maintient ensemble l’État, c’est le souffle vital qu’exhalent tant de milliers d’hommes qui, en eux-mêmes, ne seraient qu’un poids et une proie, si cette raison qui les gouverne leur était ôtée. « Tant que le roi est vivant, tous ont une seule et même raison ; s’il est perdu, ils brisent leur engagement. » Ce malheur sera la mort de la paix romaine, il provoquera la ruine de la fortune d’un si grand peuple ; ce peuple se tiendra à l’écart d’un tel danger aussi longtemps qu’il saura supporter les rênes : mais si un jour il les brise ou si, après en avoir été libéré par un quelconque accident, il ne souffre pas qu’on les lui impose de nouveau, cette unité et l’assemblage qui forme cet immense empire éclateront en mille morceaux et cette ville cessera de dominer au même moment où elle cessera d’obéir. Pour cette raison, il n’est pas étonnant que les princes, les rois, et tous ceux qui, peu importe leur nom, ont la garde du gouvernement de l’État soient aimés même au-delà de l’affection que l’on ressent dans ses relations personnelles ; car si les hommes sensés préfèrent l’intérêt public à l’intérêt personnel, il s’ensuit que celui vers lequel l’État s’est tourné leur soit aussi plus cher. En effet, depuis longtemps, l’empereur s’est tellement identifié à l’État que l’un ne peut être retranché à l’autre sans que l’un et l’autre courent à la ruine. De fait, tout à la fois le premier a besoin de forces, et le second d’une tête.

13Le Principat avait fondé sa légitimité sur la paix qu’Auguste avait apportée en mettant fin aux guerres civiles. La métaphore corporelle permet de figurer l’idée selon laquelle le princeps garantit l’unité de la res publica, mais la conséquence logique en est la vulnérabilité du corps politique à sa disparition. En faisant référence à cette idéologie, Quinte-Curce rapproche la situation romaine de son temps et celle des Macédoniens de jadis.

  • 31 Notre étude rejoint l’analyse de l’éloge du princeps par Quinte-Curce que propose J. Mebane (2024), (...)
  • 32 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.16-19.
  • 33 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.10.9-10 : ueluti spiranti, « comme s’il respirait ».

14Tel est le cadre théorique dans lequel il faut comprendre le récit de la stasis : la mort du roi sans héritier apporte avec elle un risque de mort collective, identifiée dans les Histoires à la discorde civile31. Ce risque est lié à l’assimilation du corps du roi au corps politique. Le corps d’Alexandre occupe d’ailleurs une place importante dans ces chapitres : les premiers heurts entre la phalange et la cavalerie ont lieu, fait symbolique, dans la pièce où il se trouve32. C’est en outre par son évocation que l’historien termine son œuvre : Quinte-Curce rapporte une tradition, qu’il affirme ne pas croire, selon laquelle le corps d’Alexandre semblait encore en vie quelques jours après sa mort, comme s’il était encore animé par le souffle vital33, dont nous avons relevé la signification métaphorique. La place accordée au corps du roi à la clôture de l’œuvre signale l’importance du motif, mais sa conservation miraculeuse a en outre une portée métalittéraire, puisqu’elle symbolise la continuation de l’œuvre au-delà de la mort du conquérant.

III. Les causes de l’irruption de la violence 

  • 34 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVIII.2.2 ; Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de (...)

15C’est à ce discours théorique d’ordre général que Quinte-Curce articule sa représentation d’une circonstance historique particulière. Les causes de la sédition de 323, dans son récit, sont à chercher dans les acteurs des événements. En premier lieu, la foule militaire joue un rôle essentiel. En effet, d’après les récits de Justin et Diodore, les généraux tiennent conseil entre eux concernant la succession, et l’armée, exclue, se soulève pour nommer Arrhidée, alors que chez Quinte-Curce, les soldats s’introduisent de force dans le débat34 :

  • 35 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.1-4.

Ceterum Babylone (inde enim deuertit oratio) corporis custodes in regiam principes amicorum ducesque copiarum aduocauere. Secuta est militum turba cupientium scire, in quem Alexandri fortuna esset transitura. Multi duces, frequentia militum exclusi, regiam intrare non poterant, cum praeco, exceptis qui nominatim citarentur, adire prohiberet. Sed precarium spernebatur imperium. Ac primum eiulatus ingens ploratusque renouatus est, deinde futuri exspectatio inhibitis lacrimis silentium fecit. Tunc Perdicca, regia sella in conspectum uolgi data, in qua diadema uestisque Alexandri cum armis erant, anulum sibi pridie traditum a rege in eadem sede posuit. Quorum aspectu rursus obortae omnibus lacrimae integrauere luctum35.

Mais à Babylone (c’est de là que mon discours a dérivé), les gardes du corps appelèrent au palais le premier cercle des amis du rois ainsi que les chefs de troupes. Suivit la foule des soldats qui désiraient savoir dans quelles mains la fortune d’Alexandre était sur le point de passer. De nombreux chefs, maintenus à l’extérieur à cause du grand nombre de soldats, ne pouvaient entrer dans le palais, bien que le héraut, à l’exception de ceux qui étaient cités nommément, essayât de les empêcher d’entrer. Mais, parce qu’il était précaire, le commandement n’était pas respecté. Et d’abord d’immenses lamentations et pleurs recommencèrent à se faire entendre, ensuite l’attente de ce qui allait arriver tut les larmes et provoqua le silence. Alors Perdiccas, après avoir placé à la vue de la foule le trône royal sur lequel étaient posés le diadème et le vêtement d’Alexandre ainsi que ses armes, posa sur le même siège l’anneau qui lui avait été donné la veille par le roi. À la vue de ces objets, de nouveau, les larmes de tous jaillirent et renouvelèrent l’expression du deuil.

16Le débat sur la succession s’ouvre dans la confusion : les milites font irruption dans le palais sans y avoir été conviés, l’afflux ne peut être contrôlé. Toutefois, Quinte-Curce ne place pas les milites en position de sujet des verbes : c’est l’émotion qui les saisit, ou la manifestation de celle-ci, qui est le véritable agent (eiulatus, ingens ploratus, exspectatio, lacrimae). Ce corps sans souffle, pour reprendre les termes prêtés à Perdiccas, est entièrement livré à ses affects et ses impulsions. En témoigne la comparaison épique à laquelle l’historien a ensuite recours :

  • 36 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.11-12.

Nullum profundum mare, nullum uastum fretum et procellosum tantos ciet fluctus quantos multitudo motus habet, utique si noua et breui duratura libertate luxuriat. Pauci Perdiccae modo electo, plures Philippo, quem spreuerant, imperium dabant. Nec uelle nec nolle quicquam diu poterant, paenitebatque modo consilii, modo paenitentiae ipsius36.

Aucune mer profonde, aucun flot immense et orageux n’ébranle de vagues aussi grandes que les soulèvements de la foule, surtout si elle déborde d’une liberté qu’elle n’a jamais connue avant et qui ne durera que peu de temps. Un petit nombre seulement donnait le pouvoir à Perdiccas alors que naguère on l’avait choisi, le plus grand nombre à Philippe, qu’ils avaient auparavant méprisé. Et ils ne pouvaient ni vouloir ni refuser quoi que ce soit longtemps, et tantôt leur venait le regret de leur décision, tantôt celui du regret lui-même.

  • 37 J. E. Atkinson (2009), p. 192 remarque qu’on la trouve dans le discours de Scipion lors de la mutin (...)

17La métaphore de la mer pour désigner la foule est topique37, mais Quinte-Curce précise l’image : la libertas à laquelle elle est livrée, à savoir l’absence de pouvoir royal, la pousse à la violence.

  • 38 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVIII.2.2-3 ; Justin, Abrégé des Histoires Philippiques (...)
  • 39 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.23. La comparaison avec Catilina a été faite par O (...)
  • 40 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.10.
  • 41 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.24 ; X.7.10.
  • 42 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.10 ; X.8.7.
  • 43 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.9.
  • 44 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.20-22.
  • 45 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.7.
  • 46 Voir son hypocrisie lorsqu’il hésite à s’emparer du pouvoir qu’on lui offre : Quinte-Curce, Histoir (...)
  • 47 Parole de Méléagre : Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.8.1. Parole de Perdiccas : X.9. (...)
  • 48 Chez Justin, Perdiccas est dépeint positivement : Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trog (...)

18Trois autres personnages individués jouent un rôle essentiel dans les événements : Méléagre, Perdiccas et Arrhidée. La lutte personnelle entre Méléagre et Perdiccas constitue une dynamique conflictuelle qui vient s’ajouter à l’anarchie de l’armée. À travers ces personnages, l’historien donne à voir, au niveau individuel, les logiques d’agitation que nous avons dépeintes pour le collectif. C’est surtout Méléagre qui est le vecteur de cette analyse. Par comparaison, son rôle apparaît très différent chez Justin et Diodore, d’après lesquels il est envoyé en ambassade auprès de l’infanterie après le conseil des chefs sur la succession, puis change de camp ; Justin le dépeint alors comme un flatteur du peuple38. Quinte-Curce, de manière originale, en fait un véritable agent du chaos : c’est lui qui, lors du débat sur la succession, enflamme la foule tel Catilina en l’engageant à piller les richesses royales39. Quinte-Curce le caractérise par une turbulence effrénée : c’est un personnage vociférant40, dont les déplacements sont souvent décrits par les verbes erumpere ou irrumpere41 ; il est toujours en proie à ses affects, la terreur42 ou encore la colère (furens ira43). Mais sa motivation principale est son inuidia à l’égard de Perdiccas : c’est lorsque celui-ci est proposé pour succéder à Alexandre que Méléagre intervient pour exciter la foule44 ; lorsque l’armée a porté son choix sur Arrhidée, il prend le parti de celui-ci parce qu’il « haïssait Perdiccas et lui était odieux » (infestus inuisusque Perdiccae45). L’expression montre que cette haine est réciproque, bien que Perdiccas soit aussi caractérisé par son désir du pouvoir, qu’il dissimule46. Cette inuidia est rendue manifeste par la phraséologie identique des paroles que Quinte-Curce leur prête lorsque chacun projette de tuer l’autre : selon Méléagre, Perdiccas est une « âme déchaînée », inpotens animus ; selon Perdiccas, Méléagre est « insensé et déloyal » (uanum, infidum) ; chacun accuse l’autre de vouloir « causer une révolution », res nouare47. Quinte-Curce donne une image fort négative des deux personnages, ce qui est commun dans les autres sources pour Méléagre, mais non pour Perdiccas48. Il est le seul historien, par ailleurs, à évoquer cette inuidia réciproque.

  • 49 M. Lowrie (2016) : Sénèque, Thyeste 546-595.

19L’insistance de Quinte-Curce sur les affects des personnages et l’usage, pour les caractériser, de termes comme impotens ou furor font apparaître chez les protagonistes un état d’agitation de l’âme que nous mettrons en relation avec les motifs du bellum ciuile mais aussi la logique de la synecdoque évoquée plus haut. Dans une étude consacrée à une ode chorale du Thyeste de Sénèque, Michèle Lowrie a mis en lumière le déploiement dans ces vers de la « tropologie » romaine de la guerre civile, reposant sur l’image d’une violence et d’une division internes s’étendant à travers diverses sphères successives (âme, famille, cité, cosmos49). Dans le récit de Quinte-Curce, on peut reconnaître un procédé similaire : l’agitation se diffuse, à partir de la mort du roi, dans plusieurs cercles, dans l’âme des individus et du collectif.

  • 50 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.1.

20Pourtant, en toute logique, la nomination d’un nouveau roi des Macédoniens devrait y mettre un terme. C’est ainsi que l’avènement d’Arrhidée est initialement présenté. Alors que la violence menace d’éclater (in seditionem ac discordiam uersa contio, « l’assemblée avait tourné à la sédition et à la discorde »), un personnage anonyme, simplement identifié comme quidam, plerisque Macedonum ignotus, ex infima plebe50 (« un individu inconnu de la plupart des Macédoniens, issu de la plèbe la plus modeste »), prend la parole :

  • 51 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.2.

Quid opus est, inquit, armis ciuilique bello habentibus regem, quem quaeritis ? Arrhidaeus, Philippo genitus, Alexandri paulo ante regis frater, sacrorum caerimoniarumque consors modo, nunc solus heres, praeteritur a uobis51.

Quel besoin, dit-il, de combat et de guerre civile, puisque nous avons le roi que nous cherchons ? Vous oubliez Arrhidée, le fils de Philippe, le frère de celui qui était il y a peu notre roi, qui lui était naguère associé dans les rites et les cérémonies, qui est désormais son seul héritier.

  • 52 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.3.
  • 53 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.8-10.
  • 54 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.8.8-10.

21L’existence seule d’Arrhidée suffirait à neutraliser toute velléité de recours à la violence : en ce sens, le discours confirme que c’est la fonction de l’incarnation monarchique que de maintenir l’unité du corps politique. De fait, le commandement semble immédiatement restauré : les soldats font silence uelut iussa, « comme si on le leur avait ordonné », puis réclament d’une seule voix la nomination d’Arrhidée52. Toutefois, la résolution de la violence qu’apporte le frère d’Alexandre s’avèrera illusoire, puisque son avènement n’empêchera pas l’irruption finale. Si le nouveau roi recueille l’adhésion de la multitude, les chefs refusent sa nomination, de sorte qu’il devient un nouveau facteur de division53. Son échec à incarner le corps politique est sanctionné par le retour chez les Macédoniens du sentiment de vulnérabilité que l’on avait vu émerger à la mort d’Alexandre : il se manifeste dans de nouvelles plaintes prêtées aux soldats, qui, malgré l’avènement d’un successeur, craignent toujours pour leur survie54.

  • 55 Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée XIII.2.5-12 ; Diodore de Sicile, Bibliot (...)

22Mais pourquoi la légitimité dynastique, qui semblait au départ pouvoir mettre fin à l’anomie, ne suffit-elle pas à faire d’Arrhidée cette incarnation ? Justin, Plutarque et Diodore présentent le personnage comme atteint d’une maladie55. Quinte-Curce ne reprend pas cette tradition, mais caractérise en revanche le roi comme un personnage irrésolu et passif :

  • 56 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.13-14.

Cesserat ex contione Arrhidaeus, principum auctoritate conterritus, et, abeunte illo, conticuerat magis quam elanguerat militaris fauor. Itaque reuocatus uestem fratris (eam ipsam, quae in sella posita fuerat) induitur. Et Meleager, thorace sumpto, capit arma, noui regis satelles. Sequitur phalanx, hastis clipeos quatiens, expletura se sanguine illorum, qui adfectauerant nihil ad ipsos pertinens regnum56.

Arrhidée avait quitté l’assemblée, terrorisé par l’autorité des chefs, et son départ avait mis en sourdine la faveur témoignée par les soldats davantage qu’elle ne l’avait affaiblie. C’est pourquoi il est rappelé et habillé du vêtement de son frère (celui-là même qui avait été posé sur le trône). Et Méléagre saisit sa cuirasse et prend ses armes, en satellite du nouveau roi. Les phalangites le suivent, frappant les boucliers de leurs lances, prêts à verser le sang de ceux qui avaient aspiré à s’emparer d’un titre royal qui ne leur revenait en rien.

  • 57 Il nous paraît donc erroné de considérer, comme le fait T. R. Martin (1983), p. 166, qu’Arrhidée de (...)

23Loin d’imposer son autorité, Philippe est terrorisé par celle des autres. Il n’est sujet des verbes que lorsque ceux-ci évoquent sa fuite du palais, qui symbolise son refus du pouvoir : lorsqu’il est revêtu des insignes royaux, Quinte‑Curce emploie des formes passives (reuocatus, induitur57). Si la nomination spontanée d’Arrhidée semblait au départ lui conférer une légitimité populaire, elle finit par refléter la passivité d’un prince choisi par une armée hors de contrôle. Ce même trait se manifeste le jour de la lustration, lorsqu’il échoue à empêcher le massacre :

  • 58 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.18-19.

Omnes beluarum pedibus obtriti sunt, nec prohibente Philippo nec auctore : adparebatque id modo pro suo uindicaturum, quod adprobasset euentus58.

Tous sont piétinés par les éléphants, sans que Philippe ne l’empêche ni l’autorise : il apparaissait qu’il ne revendiquerait que ce que l’issue des événements aurait approuvé.

24Ainsi, Quinte-Curce attribue l’irruption de la violence à plusieurs facteurs qui s’additionnent : l’anarchie de l’armée, l’ambition et l’inuidia des chefs, l’absence d’un héritier digne d’incarner le corps politique, c’est-à-dire capable d’assumer le pouvoir et jugé tel par tous.

IV. La vulnérabilité du corps politique à la mort du souverain : Quinte-Curce et les expériences de succession impériale du Ier siècle

  • 59 Voir C. Pérez (2022), p. 768-776.
  • 60 E. Flaig (2012), p. 381.
  • 61 A. Molinier-Arbo (1999) ; I. Cogitore (2002) ; P. Moreau (2005) ; F. Hurlet (2008) ; O. Hekster (20 (...)
  • 62 F. Hurlet (1997).
  • 63 C’est l’approche privilégiée par T. Mommsen (1984 [1895]), p. 459‑483 ; J.‑L. Ferrary (2001).
  • 64 E. Flaig (1994), complété par F. Hurlet (2008), p. 96.

25Le récit des errances macédoniennes évoque les questionnements du Ier siècle sur les fondements et la transmission du pouvoir impérial : si le pouvoir du prince assure la paix, comment le transmettre ? Le débat sur la succession problématise le sujet dans les termes des différentes options qui s’offrirent à l’époque, à savoir le gouvernement collégial, la succession dynastique, le choix du meilleur. Ces discours dépassent le cadre de notre étude59, mais nous insisterons sur le fait qu’au début du Principat, il n’existait pas d’instance « reconnue (…) dans sa fonction incontestable d’instituer et de destituer un empereur60 ». En effet, si la succession dynastique fut très nettement privilégiée dès le début du Principat61, elle n’avait rien d’automatique. Le prince pouvait guider le choix du successeur et l’institution de la co-régence, notamment, permit d’associer au pouvoir l’héritier choisi62. La légitimité impériale, toutefois, nécessitait une formalisation juridique des pouvoirs63, mais aussi l’adhésion de toutes les composantes du corps politique : armée, Sénat, peuple, provinces64.

  • 65 R. M. Errington (1970), p. 52 ; J. E. Atkinson (1980), p. 36‑37 ; surtout T. R. Martin (1983) ; J.  (...)
  • 66 P. Duchêne (2020), p. 183-198.
  • 67 Suétone, Claude, 10.2-5.
  • 68 P. Duchêne (2020), p. 156 ; analyse stylistique de la scène suétonienne p. 155.
  • 69 Tacite, Annales III.18.3-4.
  • 70 Suétone, Vitellius 8.2. Voir également Tacite, Histoires I.56.3-57.1, avec le commentaire de R. Ash(...)
  • 71 P. Duchêne (2020), p. 152-160.

26Précisément, le récit de Quinte-Curce met en lumière la vulnérabilité du corps politique au moment de rupture que constitue la mort du souverain, ainsi que les dangers d’une succession impréparée. Il est en cela marqué par les expériences difficiles de transmission du pouvoir du Ier siècle. La critique a de longue date repéré les similitudes entre le récit curtien de l’avènement d’Arrhidée et celui de Claude65. Les circonstances étaient proches : les deux personnages furent portés au pouvoir par des soldats (dans le cas de Claude, par la garde prétorienne). La passivité et l’irrésolution d’Arrhidée nous paraissent inspirées des traits prêtés à Claude par une tradition de dénigrement datant de l’époque néronienne et dont hériteront Tacite et Suétone66. Cette passivité se manifeste dès sa nomination : chez Suétone, Claude, terrorisé par la rumeur du meurtre de Caligula, se cache avant d’être trouvé par hasard par un soldat qui le salue empereur ; il est ensuite enlevé par les prétoriens qui le mènent de force à leur camp67. Suétone fait d’ailleurs un usage de la voix passive semblable à celui de Quinte-Curce pour Arrhidée, pour camper l’attitude d’un prince « qui n’a pas pris le pouvoir, mais a été pris par lui68 ». Le personnage n’apparaît pas une seule fois dans le récit curtien du règne d’Alexandre avant le livre X. L’assemblée des Macédoniens avait d’ailleurs elle-même oublié son existence, d’après Quinte-Curce : le fait rappelle une indication de Tacite sur l’oubli de Claude dans le décret d’action de grâces aux membres de la domus Augusta les remerciant d’avoir vengé Germanicus après sa mort69. Toutefois, Claude n’est pas le seul prince à avoir été spectateur de son accession à l’Empire : c’est également le cas de Vitellius, qui, d’après Suétone, fut enlevé par des soldats en pleine nuit alors qu’il dormait, traîné devant l’armée et salué empereur alors qu’il était vêtu de sa robe de chambre70. Pauline Duchêne a montré que les attitudes prêtées aux princes étaient en train de se figer, dans la tradition historiographique et biographique, en comportements-types71. Arrhidée est modelé sur ce type du monarque faible et passif, incapable de régner parce que rien ne l’y avait préparé, dont la nomination interroge en conséquence la continuité du régime.

  • 72 Flavius Josèphe, Antiquités judaïques XIX.217. T. R. Martin (1983), p. 177-178.

27La peinture d’une foule militaire hors de contrôle, qui commande alors qu’elle devrait être commandée, paraît aussi résulter d’une actualisation des événements macédoniens à l’aune d’expériences contemporaines. Le « plébéien » anonyme a été rapproché du gregarius miles qui aurait salué Claude empereur chez Suétone, ou encore du soldat qui prend la parole pour engager les autres prétoriens à le nommer prince dans le récit que donne Flavius Josèphe du même événement72. Toutefois, plus largement, la scène représente une armée s’arrogeant le pouvoir de faire un roi. Dans cette perspective, l’autre parallèle évident est la mort de Néron sans héritier et la guerre civile de 69, année où les légions romaines ont fait et défait les princes. Quinte-Curce dépeint un renversement à l’œuvre dans la relation de commandement au moment de l’envoi d’ambassades aux cavaliers :

  • 73 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.8.14-16.

Quorum consternationem Macedones ueriti in regiam coeunt, quaeque ipsorum sententia esset, exponunt. Placebat autem legatos ad equites mitti de finienda discordia armisque ponendis. Igitur a rege legatur Pasas Thessalus et Amissus Megalopolitanus et Perilaus. Qui cum mandata regis edidissent, non aliter posituros arma equites, quam si rex discordiae auctores dedidisset, tulere responsum. His renuntiatis sua sponte milites arma capiunt73

Les Macédoniens, craignant que ces gens ne se soulèvent, se réunissent au palais, et exposent chacun leur avis. On voulait envoyer des légats aux cavaliers pour mettre fin à la discorde et déposer les armes. Par conséquent, sont choisis par le roi Pasas de Thessalie, Amissus de Mégalopolis et Perilaus. Mais après avoir fait connaître les ordres du roi, ils rapportèrent la réponse suivante : les cavaliers ne déposeraient les armes que si le roi avait auparavant livré ceux qui avaient été à l’instigation de la discorde. Lorsqu’on le leur annonce, de leur propre chef, les soldats prennent les armes.

  • 74 Voir pour les Histoires de Tacite : R. Ash (1999).
  • 75 Tacite, Histoires I.80-85 ; Plutarque, Othon 3 ; Suétone, Othon 8 ; Cassius Dion, Histoire romaine (...)

28Le vocabulaire de la décision politique (sententia, placebat) est employé pour référer aux soldats, de sorte qu’ils semblent donner des ordres à Arrhidée, dont l’agentivité est une nouvelle fois réduite par l’emploi de la voix passive (a rege legatur). L’insistance sur cette inversion du rapport de commandement rappelle les récits de l’année des quatre empereurs74. L’épisode de la mutinerie des prétoriens sous Othon en est particulièrement représentatif75 : les soldats, pensant que les sénateurs projettent de tuer ce dernier, font irruption dans le palais, dans la pièce où le prince dîne avec des convives, exigent de le voir et menacent d’en découdre avec ceux qui lui voudraient du mal ; dans le récit tacitéen, Othon finit par les persuader de baisser les armes à force de prières et de pleurs. C’est précisément sur le critère de l’anarchie de l’armée que Plutarque rapproche, au début de sa Vie de Galba, la guerre civile de 69 et la stasis de 323 a.C. à la mort d’Alexandre :

  • 76 Plutarque, Galba 1.3-4.

[…] ἄλλα τε πάθη πολλὰ καὶ τὰ Ῥωμαίοις συμπεσόντα μετὰ τὴν Νέρωνος τελευτὴν ἔχει μαρτύρια καὶ παραδείγματα τοῦ μηδὲν εἶναι φοβερώτερον ἀπαιδεύτοις χρωμένης καὶ ἀλόγοις ὁρμαῖς ἐν ἡγεμονίᾳ στρατιωτικῆς δυνάμεως. Δημάδης μὲν γὰρ Ἀλεξάνδρου τελευτήσαντος εἴκαζε τὴν Μακεδόνων στρατιὰν ἐκτετυφλωμένῳ τῷ Κύκλωπι, πολλὰς κινουμένην ὁρῶν κινήσεις ἀτάκτους καὶ παραφόρους· τὴν δὲ Ῥωμαίων ἡγεμονίαν ὅμοια τοῖς λεγομένοις Τιτανικοῖς πάθεσι καὶ κινήμασι κατελάμβανεν, εἰς πολλὰ διασπωμένην ἅμα καὶ πολλαχόθεν αὖθις ἑαυτῇ συμπίπτουσαν, οὐχ οὕτως ὑπὸ φιλαρχίας τῶν ἀναγορευομένων αὐτοκρατόρων, ὡς φιλοπλουτίας καὶ ἀκολασίας τοῦ στρατιωτικοῦ δι᾿ ἀλλήλων ὥσπερ ἥλους τοὺς ἡγεμόνας ἐκκρούοντος76.

De nombreux maux, et tout particulièrement ceux qui s’abattirent sur les Romains après la mort de Néron, montrent à titre de témoignage et d’exemple que rien n’est plus à craindre pour un Empire qu’une force armée livrée à des affects immaîtrisables et irrationnels. Démade, à la mort d’Alexandre, voyant l’armée macédonienne s’agitant de nombreux mouvements désordonnés et aléatoires, compara l’armée macédonienne au Cyclope aveuglé ; mais l’Empire romain fut la proie de désordres semblables aux maux et aux troubles que causèrent les Titans dans les récits, car il fut déchiré en de nombreux lambeaux en même temps qu’une nouvelle fois, il s’effondra partout sur lui-même, non tant à cause de l’ambition de ceux qui s’étaient proclamés princes que de la cupidité et de la licence des soldats qui firent chasser les chefs l’un par l’autre comme on le fait avec des clous.

  • 77 A. Barzano (1985), p. 88.
  • 78 Tous les commentateurs qui ont évoqué les similitudes entre Claude et Arrhidée partent du principe (...)

29Alberto Barzano utilise ce passage pour étayer sa datation de Quinte-Curce sous Vespasien77. Nos analyses appuient l’hypothèse. La présence d’éléments inspirés de l’avènement de Claude ne la contredit pas78, bien au contraire : dans la mesure où l’historien associe à Arrhidée des traits claudiens peu glorieux, il est peu vraisemblable que Claude soit le princeps de l’éloge. Il ne s’agit pas, en outre, de voir dans ces chapitres un texte à clef évoquant spécifiquement un empereur ; l’historien peut s’appuyer sur l’expérience de différentes successions julio-claudiennes pour élargir la portée de son propos.

30Quinte-Curce prolonge donc son œuvre au-delà de la mort d’Alexandre parce que la stasis de 323 a.C. lui paraît riche de parallèles avec l’histoire romaine récente. Il donne à cet événement du passé macédonien des traits qu’il emprunte aux épisodes de troubles de succession du Ier siècle, le désordre à la mort de Caligula en 41 et la guerre civile de 69, de manière à renforcer l’exemplarité de son récit pour le lectorat romain. La mort d’Alexandre, ainsi réécrite, illustre la vulnérabilité d’un régime personnel à la disparition du souverain sans héritier désigné.

Conclusion : mort du roi et mort du corps politique

  • 79 J. B. Meister (2012) ; J. B. Meister (2015) ; P. Le Doze (2022) ; Cf. E. Kantorowicz (1957). Les de (...)
  • 80 J. B. Meister (2012), p. 163-169. Sénèque s’éloigne du cadre de la continuité républicaine égalemen (...)

31Quinte-Curce articule sa représentation d’une contingence historique, si actualisée soit-elle, à une théorie de la monarchie que l’image du corps vient éclairer. Réfléchissant à l’application au Haut-Empire de la théorie des deux corps du roi d’Ernst Kantorowicz, selon laquelle le roi des monarchies médiévales occidentales réunissait en sa personne tout à la fois un corps physique mortel et le corps immortel du royaume, Jan Meister et Philippe Le Doze ont constaté que si l’assimilation du corps du prince au corps politique est bien attestée à Rome, des différences fondamentales séparent les royautés qu’étudiait Kantorowicz et le Principat79. Outre l’élément théologico-politique impossible pour l’Antiquité païenne, la préexistence du corps de la res publica, qui appartenait au populus, à l’instauration du régime personnel que fut le Principat a empêché une telle idéologie de se développer. L’idéologie aristocratique considère le prince et la res publica comme des entités liées, mais autonomes, de sorte que cette dernière assure la continuité du politique par-delà la mort du prince. La pensée de Sénèque fait un pas de plus en identifiant organiquement Néron à la res publica80, de même que celle de Quinte-Curce, dont le récit, en outre, ne porte pas sur Rome et ne fait pas apparaître le concept de res publica. Philippe Le Doze remarque par ailleurs que c’est aussi l’absence d’une continuité dynastique inconditionnelle à Rome qui interdit de penser un corps immortel du royaume survivant à la mort du du souverain. De fait, l’assimilation du corps du roi au corps politique telle que Quinte-Curce la formule veut que ce dernier meure, virtuellement, en même temps que le souverain.

  • 81 T. P. Wiseman (2010) ; J. Mebane (2024), p. 41-60 pour les auteurs républicains spécifiquement, et (...)

32L’image du corps informe à chaque instant la représentation que donne Quinte-Curce de l’irruption de la violence. La métaphore n’est pas neuve : la littérature latine mobilise l’image du corps disloqué de la res publica, du corps à deux têtes ou de Rome tournant ses mains contre ses propres entrailles81. Cependant, les Histoires font apparaître une fusion de ce motif avec la synecdoque corps du roi / corps politique ainsi qu’avec la « tropologie » du bellum ciuile : la mort du roi provoque l’apparition d’une violence interne contaminant divers corps successifs, les acteurs individués et collectifs, le corps politique, puis l’empire. C’est en effet en utilisant l’image du corps que Quinte-Curce annonce la fin de l’Empire macédonien :

  • 82 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.1-2. Sur les images du corps dans ce morceau, voir (...)

Sed iam fatis admouebantur Macedonum genti bella ciuilia ; nam et insociabile est regnum, et a pluribus expetebatur. Primum ergo conlisere uires, deinde disperserunt ; et cum pluribus corpus, quam capiebat, capitibus onerassent, cetera membra deficere coeperunt, quodque imperium sub uno stare potuisset, dum a pluribus sustinetur, ruit82.

Mais déjà les destins faisaient fondre sur le peuple macédonien les guerres civiles ; car à la fois la royauté ne peut se partager et plusieurs la convoitaient. Ce fut donc d’abord un heurt de forces, puis leur dispersion ; et comme on avait chargé le corps de plus de têtes qu’il ne pouvait le supporter, les autres membres commencèrent à se détacher, et cet empire, qui aurait pu rester debout sous le commandement d’un seul, en étant porté par plusieurs, s’écroula.

  • 83 Voir notamment L. D. Ginsberg & D. A. Krasne (2018).
  • 84 Tacite, Histoires I.12.1.
  • 85 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.3.
  • 86 P. Le Doze (2022), p. 391.

33La représentation de l’irruption de la violence au lendemain de la mort d’Alexandre chez Quinte-Curce fait de cet auteur un relais à part entière à la fois pour la théorisation ancienne de la monarchie et dans la littérature du bellum ciuile. Cette étape prend tout son sens, selon nous, dans le contexte du règne de Vespasien. La poésie d’époque flavienne donne à voir la vigueur du thème du bellum ciuile après le traumatisme de l’année 6983. L’extrait de Plutarque montre combien le corps politique y était apparu vulnérable. De même, Tacite affirme que cette année fut presque la dernière pour la res publica (annum … reipublicae prope supremum84) ; ces termes ont été rapprochés de l’expression curtienne noctis, quam paene supremam habuimus85 (« la nuit qui fut pour nous presque la dernière »), qui fait référence à la destruction dont le princeps a sauvé Rome dans l’éloge du livre X. En réaction et pour légitimer son pouvoir, Vespasien protégea sa succession en associant étroitement ses enfants à son règne et en faisant officiellement proclamer Titus devant le Sénat. D’après Philippe Le Doze, « il n’y eut sous le Haut-Empire à Rome, en définitive, guère que l’épisode flavien pour (…) donner l’illusion d’un corpus principis ne mourant jamais86. » Le récit curtien du contre-exemple macédonien et la théorie monarchique qui le sous-tend nous paraissent s’insérer parfaitement dans ce contexte idéologique.

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Notes

1 Cet article a été écrit avec le soutien de la Fondation Hardt, à laquelle j’adresse mes remerciements.

2 Ce terme est employé par les auteurs grecs au sujet de cet événement : Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVIII.2.1 ; Photios, Bibliothèque 92.69a (résumé de l’Histoire de la succession d’Alexandre, œuvre perdue d’Arrien). Sur la notion de stasis, voir les contributions de Petrazoller, Caruso et Lorenzini dans ce volume. Nous examinons plus loin les termes latins qu’utilise Quinte-Curce.

3 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.1-6.

4 On trouve une synthèse de l’abondante bibliographie dans J. E. Atkinson (2009), p. 2-14 et 203-216. On y ajoutera I. Yakoubovitch (2015), en faveur de Vespasien.

5 Sur la lecture romaine de l’histoire macédonienne dans les Histoires : I. Yakoubovitch (2015) ; D. Pausch (2016). Nous avons identifié le projet historiographique de Quinte-Curce comme l’élaboration d’une mémoire exemplaire pour le Principat et la société qu’il organisait : C. Pérez (2022).

6 Sur la tradition littéraire du bellum ciuile, on se reportera à l’étude de référence : P. Jal (1963), p. 60-69.

7 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.5.12-14. Toutes les traductions sont les nôtres.

8 Lucain, Pharsale II.1-64.

9 F. Ripoll (2000), p. 47, au sujet de Stace et de Lucain.

10 Stace, Thébaïde, I.168-196 ; Tacite, Histoires I.50. Sur la référence à Lucain dans ces passages : F. Ripoll (2000) pour Stace ; T. A. Joseph (2012), p. 57‑78 pour Tacite.

11 Lucain renvoie dos à dos César et Pompée au début du Bellum ciuile (Lucain, Pharsale I.129-157). Dans le discours du Thébain chez Stace, Polynice reçoit une caractérisation bien plus positive que celle d’Étéocle, mais relative par comparaison à ce dernier : F. Ripoll (2000), p. 50.

12 Justin aussi utilise, pour évoquer ces guerres, l’imagerie topique de la guerre civile : Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée XIII.6.17.

13 Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée XIII.1.12-14.

14 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.2 ; X.8.16-20 ; X.9.1.

15 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.19.

16 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.14-16.

17 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.10.20-21. O. Devillers (2009), p. 38.

18 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.11.

19 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.8.14 ; X.8.15 ; X.9.11 ; X.9.14 ; X.9.16. Le mot n’apparaît pas avant la mort d’Alexandre dans les Histoires. Sur ce terme : B. W. Breed, C. Damon & A. Rossi (2010), p. 4-8.

20 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.12 ; X.8.6 ; X.8.16. Seditio et discordia sont coordonnés en X.7.1.

21 M. Lavan (2017), p. 23.

22 P. Jal (1963), p. 27-32 ; D. Armitage (2017), p. 57-58.

23 Les trois épisodes qui surviennent du vivant du roi sont : la maladie d’Alexandre après son bain dans le Cydnus (Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand III.5-6) ; la guerre contre les Scythes (VII.7.1-26) ; la guerre contre les Malles (IX.5-6). Pour une analyse plus approfondie, voir C. Pérez (2022), p. 358-367.

24 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand IX.5.30.

25 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand IX.6.8.

26 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand IX.6.15.

27 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.8.

28 C. Moatti (2001), p. 817-820 ; J. B. Meister (2012), p. 158-163.

29 Sur l’assimilation corps du prince/corps politique : J. Béranger (1953), p. 218-238 ; C. Moatti (2001), p. 834-835 ; J. B. Meister (2012), particulièrement p. 163-169 ; J. B. Meister (2015) ; M. Lowrie (2020) ; P. LDoze (2022), p. 378-381 ; A. Gangloff (2020), sur la santé du prince spécifiquement. Pour une étude complète sur la métaphore du corps politique, de la République au Principat : J. Mebane (2024). L’autrice met en lumière la manière dont les écrivains anciens successifs qui ont employé l’image l’ont retravaillée et souligne les difficultés conceptuelles qu’ils ont rencontrées.

30 Sénèque, De la clémence I.4.1-3.

31 Notre étude rejoint l’analyse de l’éloge du princeps par Quinte-Curce que propose J. Mebane (2024), p. 158-161. D’après celle-ci, bien que l’historien célèbre la felicitas romaine, il identifie néanmoins une « faiblesse structurelle » (p. 161) dans un régime qui fait reposer la survie de la communauté sur un seul.

32 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.16-19.

33 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.10.9-10 : ueluti spiranti, « comme s’il respirait ».

34 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVIII.2.2 ; Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée XIII.2-3.1. Il existe un débat pour savoir si ce type de différences qui séparent le récit de Quinte-Curce des autres historiens est le fait d’une source ou d’inventions. T. R. Martin (1983) et PMcKechnie (1999) considèrent que l’auteur des Histoires a inventé beaucoup d’éléments, idée à laquelle s’opposent I. Sharples (1994) et A. B. Bosworth (2003). Ce débat semble impossible à trancher. Par ailleurs, les historiens produisent à partir de leurs sources une interprétation personnelle cohérente, de sorte que l’on peut apprécier la peinture curtienne de l’armée en dehors de cette question.

35 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.1-4.

36 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.11-12.

37 J. E. Atkinson (2009), p. 192 remarque qu’on la trouve dans le discours de Scipion lors de la mutinerie de Sucro chez Tite‑Live : Tite-Live, Histoire romaine XXVIII.27.11. Elle figure aussi dans la version polybienne : Polybe, Histoires XI.29.9-10. Voir également chez Virgile la comparaison de Neptune calmant les flots à l’homme politique apaisant la sédition de la foule : Virgile, Énéide X.148-156. Par ailleurs, elle est courante : voir la liste dressée par R. Morstein-Marx (2004), p. 62-63. On peut aussi la rapprocher de la figuration du bon dirigeant en pilote de navire, par exemple chez Cicéron, La République I.40.62-63.

38 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVIII.2.2-3 ; Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée XIII.3.2-3.

39 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.23. La comparaison avec Catilina a été faite par O. Devillers (2009), p. 38.

40 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.10.

41 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.24 ; X.7.10.

42 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.10 ; X.8.7.

43 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.9.

44 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.20-22.

45 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.7.

46 Voir son hypocrisie lorsqu’il hésite à s’emparer du pouvoir qu’on lui offre : Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.6.18-19.

47 Parole de Méléagre : Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.8.1. Parole de Perdiccas : X.9.7.

48 Chez Justin, Perdiccas est dépeint positivement : Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée XIII.3.9-4.1.

49 M. Lowrie (2016) : Sénèque, Thyeste 546-595.

50 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.1.

51 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.2.

52 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.3.

53 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.8-10.

54 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.8.8-10.

55 Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée XIII.2.5-12 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVIII.2.2 ; Plutarque, Alexandre 77.7-8.

56 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.7.13-14.

57 Il nous paraît donc erroné de considérer, comme le fait T. R. Martin (1983), p. 166, qu’Arrhidée devient à ce moment acteur des événements.

58 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.18-19.

59 Voir C. Pérez (2022), p. 768-776.

60 E. Flaig (2012), p. 381.

61 A. Molinier-Arbo (1999) ; I. Cogitore (2002) ; P. Moreau (2005) ; F. Hurlet (2008) ; O. Hekster (2015) ; F. Hurlet (2015) ; P. Sawinsky (2018).

62 F. Hurlet (1997).

63 C’est l’approche privilégiée par T. Mommsen (1984 [1895]), p. 459‑483 ; J.‑L. Ferrary (2001).

64 E. Flaig (1994), complété par F. Hurlet (2008), p. 96.

65 R. M. Errington (1970), p. 52 ; J. E. Atkinson (1980), p. 36‑37 ; surtout T. R. Martin (1983) ; J. E. Atkinson (2009) ad loc.

66 P. Duchêne (2020), p. 183-198.

67 Suétone, Claude, 10.2-5.

68 P. Duchêne (2020), p. 156 ; analyse stylistique de la scène suétonienne p. 155.

69 Tacite, Annales III.18.3-4.

70 Suétone, Vitellius 8.2. Voir également Tacite, Histoires I.56.3-57.1, avec le commentaire de R. Ash (1999), p. 105-111.

71 P. Duchêne (2020), p. 152-160.

72 Flavius Josèphe, Antiquités judaïques XIX.217. T. R. Martin (1983), p. 177-178.

73 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.8.14-16.

74 Voir pour les Histoires de Tacite : R. Ash (1999).

75 Tacite, Histoires I.80-85 ; Plutarque, Othon 3 ; Suétone, Othon 8 ; Cassius Dion, Histoire romaine LXIII.9.

76 Plutarque, Galba 1.3-4.

77 A. Barzano (1985), p. 88.

78 Tous les commentateurs qui ont évoqué les similitudes entre Claude et Arrhidée partent du principe que Quinte-Curce écrit sous Claude.

79 J. B. Meister (2012) ; J. B. Meister (2015) ; P. Le Doze (2022) ; Cf. E. Kantorowicz (1957). Les deux auteurs diffèrent toutefois. Pour J. Meister, il n’y a pas pu avoir de confusion complète entre le corps de la res publica et le corps du prince car le Principat a caché sa nature monarchique. Pour P. le Doze, la res publica n’est pas en soi incompatible avec le gouvernement monarchique, mais la souveraineté du populus interdit qu’elle se résume au prince et rend impossible un légitimisme dynastique automatique.

80 J. B. Meister (2012), p. 163-169. Sénèque s’éloigne du cadre de la continuité républicaine également selon J. Mebane (2024), p. 166-167.

81 T. P. Wiseman (2010) ; J. Mebane (2024), p. 41-60 pour les auteurs républicains spécifiquement, et passim pour les récits des guerres civiles républicaines datant de l’époque impériale.

82 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.1-2. Sur les images du corps dans ce morceau, voir J. Mebane (2024), p. 158-160.

83 Voir notamment L. D. Ginsberg & D. A. Krasne (2018).

84 Tacite, Histoires I.12.1.

85 Quinte-Curce, Histoires d’Alexandre le Grand X.9.3.

86 P. Le Doze (2022), p. 391.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Pérez, « Mort du roi, mort du corps politique : l’irruption de la guerre civile à la mort d’Alexandre dans les Historiae Alexandri Magni de Quinte-Curce »Cahiers des études anciennes [En ligne], LXII | 2025, mis en ligne le 11 avril 2025, consulté le 18 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudesanciennes/6015

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Auteur

Claire Pérez

École normale supérieure de Lyon – HiSoMa (UMR 5189)

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