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N° 57, 2024 ̶ Tourisme, sécurité et violence multidimensionnelle en Amérique latine

Date limite de réception des propositions d’article : 15 juin 2023

Plan

En termes Wébériens classiques, l'État a été décrit comme l'entité qui a le monopole légitime de la violence. Il est exact de dire que non seulement le monopole légitime de la violence a atomisé et infiltré de multiples secteurs (criminel et policier), mais aussi de multiples autres formes de violence. Selon de nombreux chercheurs, la violence est liée à des canaux illégaux à l'intérieur et à l'extérieur de l'État (Geertz, 2006). En Amérique latine, Guillermo O'Donnell l'a décrit comme un État étroit qui « résiste à admettre comme sujets de droits à part entière divers secteurs sociaux, leurs demandes et leurs identités, qu'il a tendance à affronter par des pratiques clientélistes et parfois par la violence » (2008 : 37). Qui sont les personnes qui ne sont pas incluses dans un tel État ? Selon Loïc Wacquant, les parias urbains contemporains qui, " plus l'économie capitaliste remodelée progresse, plus le champ de la nouvelle marginalité s'élargit et s'approfondit et plus les rangs des personnes jetées dans l'agonie de la misère sans répit ni remède se resserrent, alors même que le taux de chômage officiel baisse et que les revenus du pays augmentent » (2007:172).

D'autre part, le tourisme est considéré comme un mécanisme d'ascension socio-économique rapide grâce à l'afflux de devises étrangères et à des taux d'emploi élevés. Cependant, ces territoires sont confrontés à une série d'événements tels que l'échec redistributif et socio-économique (Cañadas, 2022) qui, liés à l'indifférence de l'État pour traiter socialement les comportements « incorrects » (vols, violence, meurtres), peuvent devenir, selon certains auteurs, les principaux facteurs criminogènes (Gómez Sánchez et Sánchez Hernández, 2020 : 86 et Sánchez, 2020). Il est possible d'affirmer que sous ces pratiques touristiques « civilisées » cohabitent ce que Gutiérrez a défini comme « un sous-monde violent et tricheur : tricheur parce que violent, et violent parce que tricheur » (Gutiérrez Sanín, 2014 : 12).

Ce numéro d'Études Caribéennes se propose d'entremêler violence et tourisme afin d'observer la contradiction entre des zones “pacifiées” qui attirent un flux constant de capitaux et de population, qui s'installent dans l'espoir de gagner un meilleur revenu, quitte à affronter une violence multidimensionnelle tenace. À cette fin, nous cherchons à comprendre dans quelle mesure le tourisme est un vecteur de criminalité et de violence, ou si les deux phénomènes s'alimentent mutuellement : le tourisme favorise la criminalité et la criminalité attire le tourisme. De même, nous cherchons à identifier l'envers de ce phénomène, c'est-à-dire l'extrême sécurisation (discours et actions visant à sécuriser les choses) des zones ou territoires touristifiés.

Les types de violence que nous considérons, évidemment de manière non exhaustive, sont la violence de genre, intrafamiliale, de classe, de race, de préférence sexuelle, la violence symbolique, l'aporophobie, l'inégalité sociale (Aragón, 2022). Nous nous encadrons en observant l'intersectionnalité du phénomène depuis plusieurs fois tout ce qui précède. En effet, Wacquant (2007 : 129) affirme qu'il faut éviter d'assimiler la pauvreté uniquement au manque de biens matériels ou à de faibles revenus. Il est important que les deux conditions existent, mais aussi la représentation de soi comme une « anomalie sociale » : c'est-à-dire être pauvre dans une société riche, qui marque symboliquement la dépossession. Ces groupes seraient ce qu'il définit comme des parias pour les zones ségréguées des États-Unis et de la France. Mais, dans notre cas, les habitants touristiques du Sud Global touristifié peuvent vivre ce phénomène et cette violence puisque la plupart du temps les résidents permanents cohabitent deux mondes, qui impliquent une extrême violence symbolique : quartiers extrêmement ségrégués et opulence, ostentation et pauvreté, services à outrance et le manque d'eau ou de drainage. Les dynamiques spatiales et la concentration du capital ont fait que ce que Wacquant appelle « la nouvelle marginalité urbaine » tend à se conglomérer et à s'accumuler dans des zones où « personne ne peut aller » (sauf ses habitants), des quartiers identifiés par l'ensemble de la population et largement stigmatisés, ils vivent finalement dans « des fosses urbaines infernales remplies de privations, d'immoralité et de violence où seuls les exclus de la société tolérerons de vivre » (Wacquant, 2007 : 178).

Bibliographie

Aragon Falomir, Jaime. « Femmes, violence et tourisme : modes de domination dans la Caraïbe mexicaine » :Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies / Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes 47, n^O 3 (2022). https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08263663.2022.2110784.

Dagnino, Evelina, Alberto J. Olvera Rivera et Aldo Panfichi.La dispute pour la construction démocratique en Amérique latine. CIESAS, 2006.

Geertz, Clifford. « Qu'est-ce qu'un État s'il n'est pas souverain ? »Anthropologie actuelle 45, n^O 5 (décembre 2004).

Gomez Sanchez, Edwin Javier. "La criminalité pendant la contingence sanitaire par COVID-19 et son impact sur le tourisme à Cancun, Quintana Roo".Archives de criminologie, sécurité privée et criminalistique, n^O 27 (2021) : 82‑90.

Gutiérrez, Francis.L'orang-outan avec sacoleva. Cent ans de démocratie et de répression en Colombie (1910-2010). Bogota : DÉBAT, 2014.

O'Donnell, Guillermo. « Vers un État de et pour la démocratie ». DansContributions au débat : Démocratie/État/Citoyenneté. Vers un état de et pour la démocratie en Amérique latine, II:25‑64. PNUD. PNUD, 2008. http://www.undp.org.mx/IMG/pdf/contribuciones_al_debate_vol_ii.pdf.

Wacquant, Loïc. parias urbains. La marginalité dans la ville au début du millénaire. Printemps 2007.