• 1 Son chef d’Etat-Major l’Amiral Christophe Prazuck soulignant à plusieurs reprises entre 2016 et 202 (...)
• 2 A titre d’illustration, les 42 occurrences du termes « maritimisation » et « maritimization » ne re (...)
• 3 Seulement une centaine d’occurrences dans des articles en anglais sur Google Scholar, dont beaucoup (...)
• 4 En l’occurrence, deux études sur les activités industrielles des Pays-Bas (Gamblin, 1970, Op de Bee (...)

1L’usage de la notion de « maritimisation » a connu un important essor depuis une vingtaine d’années. Objet d’un rapport du Sénat français en 2012 et portée haut par la Marine Nationale française depuis plus d’une décennie dans de nombreux entretiens, conférences et publications1, la maritimisation figure aujourd’hui en bonne place dans les programmes scolaires français de l’enseignement secondaire depuis les réformes du collège et du lycée de 2016 et 2019. Pourtant, dans le domaine scientifique, cet objet d’étude demeure très confidentiel avec seulement 673 occurrences dans la somme des articles référencés dans Google Scholar2. A quelques exceptions notables – et récentes – près (Cetin, Irak et Khyaoglu, 2020), la maritimisation est jusqu’à présent une notion usitée principalement dans le monde francophone, son pendant anglo-saxon (« maritimization ») n’apparaissant que très rarement dans la production scientifique, politique, ou encore journalistique3. Au demeurant, elle est définie de diverses manières et le sens qui lui a été donné a évolué depuis son apparition. Celui-ci surviendrait au début des années 1970 sous la plume des géographes français et belges André Gamblin (1970), Roland Op de Beeck (1971), André Vigarié (1974) et Jean Pierre Chardon (1975) qui, sans définir explicitement cette notion, l’utilisent pour désigner la concentration des activités productives sur les littoraux4. Cette définition demeure d’actualité sous la plume de certains chercheurs. En 2014, dans un ouvrage collectif à destination des candidats à l’agrégation, dirigé par Raymond Woessner, la maritimisation était définie comme « le processus conduisant les littoraux d’un grand nombre de pays à prendre une part de plus en plus importante dans l’économie » (Woessner (coord.), 2014, p. 443).

• 5 Le commerce international réalisé par voie maritime représentait environ 550M de tonnes en 1950, co (...)
• 6 Investissements, activités et marché du forage offshore, IFP Energies nouvelles, 2019, https://www. (...)

3Comme le rappellent les contributeurs de ce numéro, le négoce maritime a été multiplié par dix en volume et par vingt en valeur depuis les années 1950, selon les données de la Commission des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (Rodrigue, 2020, mobilisé dans ce numéro par Eric Foulquier, Iwan Le Berre, Colette Ranely Vergé-Depré, Lorenzo Joncheray et Clément Iphar). Il représente ainsi aujourd’hui plus de 80% des échanges mondiaux de marchandises5. Toutefois, cette lecture qui repose sur l’accroissement des échanges par voie maritime, telle qu’elle est définie dans les programmes scolaires français, appelle à être enrichie. Sous l’effet de l’accroissement très net des prix des hydrocarbures dans les années 2000, de nombreuses réserves off-shore de forte profondeur, jusque-là jugées peu rentables, ont été mises en exploitation. Elles représentent aujourd’hui plus de 30% de la production mondiale d’hydrocarbures, pourcentage en constante augmentation6. Par ailleurs, la croissance rapide du tourisme de croisière, des activités de pêche, les perspectives énergétiques nouvelles offertes par les océans, les activités liées à la préservation de l’environnement marin, mais également l’accroissement des risques et des menaces en mer font des espaces maritimes un enjeu stratégique pour les sociétés. Ce constat nous invite à élargir notre conception de la maritimisation.

• 7 « Another attempt to clear ship blocking Suez Canal fails as economic impact mounts » de CNBC, du 2 (...)
• 8 Voir en particulier l’étude « Panorama actuel des canaux et détroits maritimes », n°231, mai 2021 ((...)

4Aussi, proposons-nous de mettre à jour sa définition dans la continuité d’Alain Vigarié qui l’entendait, en 2005, comme une situation « d’interrelations, voire d’interdépendances, entre les vies nationales et les espaces océaniques » (Vigarié, 2005, p.1), en la désignant comme un processus d’accentuation de la dépendance à la mer, sous l’effet de la polarisation croissante des activités et intérêts économiques, sociaux et politiques vers celle-ci. Certes, à l’heure de la spécialisation productive des territoires à l’échelle mondiale et de la production en flux tendus selon le principe du « juste à temps », cette dépendance existe avant tout dans le domaine du transport de biens. Le blocage de la circulation maritime du Canal de Suez durant six jours à la suite de l’accident de l’Ever Given en mars 2021 en a été l’illustration éloquente. En quelques heures, il a provoqué, notamment sous l’effet de la spéculation, une hausse mondiale des prix du baril de brut et des cours des céréales, ainsi qu’une désorganisation temporaire de la chaîne logistique internationale dans de nombreux secteurs d’activité7 (ISEMAR, 20218). Mais cette dépendance est liée aussi au développement des activités dans de nombreux domaines : exploitation des ressources halieutiques et énergétiques, tourisme, etc. Cette dépendance croissante induit un ensemble de vulnérabilités et met en exergue des enjeux de protection et de préservation des espaces marins. Ce concept soulève donc de nombreux enjeux : économiques, sociaux, culturels, politiques et géopolitiques, mais aussi scientifiques. Comme l’ont illustré cette année deux colloques internationaux d’envergure organisés par l’Union Géographique Internationale, l’un sur la géopolitique des îles en avril à Osaka, l’autre sur les mers et les océans en juin à Milan, le champ de recherche dans ce domaine est immense.