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Comptes-rendus de lecture

Le mouvement social de 2009 et la lutte des pays caribéens non souverains contre le néolibéralisme dans The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories: Neoliberalism Since the French Antillean Uprisings of 2009 d’Adlai Murdoch

Rodolphe Solbiac
Référence(s) :

H. Adlai Murdoch (ed.), The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories: Neoliberalism Since the French Antillean Uprisings of 2009. New Brunswick, NJ: Critical Caribbean Studies. Rutgers University Press, 2021. ISBN 13:9781978815728

Texte intégral

The Struggle of Non-Sovereign Caribbean TerritoriesAfficher l’image
Crédits : Rutgers University Press

1The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories: Neoliberalism since the French Antillean Uprisings of 2009 est un ouvrage collectif publié en 2021 sous la direction d’Adlai H. Murdoch. Ce recueil d’essais entreprend de livrer une analyse approfondie et distanciée du mouvement social qu’ont connus les pays caribéens français en 2009, ainsi que des luttes de l’ensemble des pays non souverains de la Caraïbe, contre le néolibéralisme tout au long de la décennie 2010.

2Les études présentées dans cet ouvrage démontrent que les sociétés caribéennes sont confrontées à des « forces prédatrices à l’œuvre dans un certain nombre de domaines clés de la praxis néolibérale caribéenne ». Elles établissent ainsi la primauté du capital et du profit dans les injustices de la domination politique, économique, sociale et culturelle qui continue d’entraver la région Caraïbe.

3Elles montrent comment la dynamique des économies de nombre de territoires non souverains de la Caraïbe est déterminée par de vielles hiérarchies reposant sur la concentration et le rapatriement du capital métropolitain, l’adhésion au principe néolibéral de profit sans production ainsi que la domination politique extérieure généralisée, autant de facteurs qui vont à l’encontre des revendications régionales en matière d’autodétermination.

4Elles analysent réponses plurielles à ce néolibéralisme, élaborées dans la lutte que livrent ces territoires pour l’autonomie et la survie face la remise en question de souverainetés locales qui font l’objet d’un projet d’effacement dans l’ensemble de la région.

5Ces essais démontrent, également, que, dans la Caraïbe, peu de choses différencient les économies des sociétés régies par la départementalisation de l’assujettissement structurel des économies et des entreprises des pays indépendants soumises la destruction néolibérale mondialisée.

6The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories comprend une introduction, dix chapitres, une section de présentation des auteurs et un index. La longue introduction de 46 pages rédigée par Adlai Murdoch présente les enjeux de l’absence de souveraineté, les caractères du défi néolibéral ainsi que les modes de contestation de l’exploitation économique dans la Caraïbe. Elle offre un balisage précieux de la réflexion menée dans l’ensemble de l’ouvrage.

7Ce recueil d’essais est composé de deux parties comprenant chacune cinq chapitres. La première partie examine les sources, les effets et les incidences de ce mouvement de 2009. Elle met en évidence le rôle majeur joué par l’activisme communautaire, l’art et les médias dans la lutte contre les politiques économiques néolibérales.

8Les 5 chapitres de cette première partie jettent un regard diversifié sur ce mouvement social. Ils examinent, respectivement, l’articulation entre la contamination au chlordécone et les évènements sociaux de 2009 en Martinique et en Guadeloupe, les dynamiques de production d’économies alternatives ainsi que les formes de mobilisations d’artistes contre « La Vie Chère ». Cette première partie offre également une lecture du mouvement de 2009 en Martinique, à partir du discours Fanonien sur les mobilisations populaires, exprimé par l’expression « grandeur et faiblesse de la spontanéité ». Son cinquième chapitre examine les stratégies d’exploitation de la Martinique et de la Guadeloupe par le capitalisme métropolitain.

9La seconde partie présente une approche du mouvement indépendantiste portoricain au moyen des notions de criminalisation des revendications et de néolibéralisme punitif. Elle étudie également l’articulation austérité-violence avec les caractéristiques de l’industrialisation menée en Haïti depuis 1915. Elle livre une lecture comparée des situations des Antilles françaises et néerlandaises qui examine le démantèlement par un « État total » de l’autonomie politique et des souverainetés mises en place à la fin du 20e siècle. La dimension artistique de ce mouvement social fait aussi l’objet d’une étude à travers l’analyse de l’émergence et de l’esthétique du groupe artistique martiniquais Artincidence.

10Dans cette deuxième partie, les contributeurs analysent en profondeur la manière dont la primauté donnée à l’accumulation et à la concentration des capitaux a instauré de solides hiérarchies de profit déterminées par le marché qui ont produit une exploitation économique de toute une série de populations et de territoires dans la Caraïbe non souveraine comme dans la Caraïbe officiellement souveraine.

11Ces travaux montrent comment, aussi bien en Haïti, qu’aux Antilles néerlandaises et à Porto Rico, il est possible d’observer le même renforcement des modèles raciaux d’exclusion socio-économique et de privatisation imposés depuis longtemps par la France à ses anciens territoires coloniaux.

12Ces essais analysent la départementalisation des colonies françaises de la Caraïbe de plusieurs points de vue. Ainsi, l’examen des caractéristiques géopolitiques, économiques et raciales de cette départementalisation établit que ce changement institutionnel ne produit pas l’égalité, mais une nouvelle domination néolibérale dans un cadre internationaliste. Une situation qui repose sur une exploitation économique et institue une dépendance psychique.

13Cette analyse rappelle que lorsque les Antillais comparaient leur situation économique et sociale à celle de l’ensemble des citoyens français, les gouvernants français ne cessaient de mettre en avant le caractère particulier et local de leur situation, minorant inévitablement leurs droits et leurs aspirations à un certain niveau de vie. Ainsi, la France signifiait-elle que les Antillais pourraient prétendre à une amélioration de leur niveau de vie grâce aux projets de développement financés par l’État, mais ils ne pouvaient espérer atteindre, du moins dans un avenir déterminable, la parité avec les niveaux de confort matériel de la France métropolitaine.

14Ces études entreprennent une relecture des idées et concepts qui ont présidé à la décolonisation de la Caraïbe. Celle-ci pointe les réalités cachées du colonialisme étendu et la manière dont il produit une forme de colonialisme sans postcolonialisme ainsi que des idéologies d’émancipation sans décolonisation complète. Cette relecture permet de se rendre compte du fait que l’ensemble du processus de décolonisation constitue, en fin de compte, un problème, en particulier avec la mise en place d’indépendances qui n’ont souvent de l’indépendance que le nom.

15The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories offre une analyse du mouvement de 2009 permettant de mesurer à quel point la souveraineté a été effectivement exclue de la réflexion par une multitude de moyens, et ce, dans divers contextes politiques, lorsque les anciens colonisateurs ont articulé les principes de gouvernance des systèmes politiques caribéens postcoloniaux.

16En effet, il ressort de la relecture géopolitique, économique et raciale de la décolonisation de la Caraïbe que propose l’ouvrage, que ce sont les concepts d’indépendance et de nationalisme qui ont été mis sur le devant de la scène par ces colonisateurs imposant de la sorte des modèles occidentaux de gouvernance portés à une dimension universelle qu’ils ont eux-mêmes décrétée.

17Cette imposition a inscrit les pays de la Caraïbe dans une vision du monde définie par une rhétorique reposant sur les mots « progrès », « développement », « modernité », « Etat-nation », et « mondialisation ». Ce projet cherchait à insérer les anciennes colonies dans le continuum politique du « progrès » et de la « démocratie », un modèle qui était intéressant principalement pour les pays colonisateurs. En effet, l’autre facette d’une Histoire faite d’asservissements et d’exploitation qui avaient rendu possibles les profits métropolitains de l’ère coloniale a été délibérément exclue de cette vision du développement de ces nouveaux États-nations.

18Cette réflexion conclut que ce modèle de décolonisation imposé aux colonies françaises devenues des départements d’outre-mer d’un point de vue économique et politique est emblématique des paradoxes postcoloniaux qui imprègnent la région. L’analyse de ces paradoxes souligne l’importance de se rappeler que, même si ces acteurs politiques contemporains sont les héritiers d’une ère antérieure de lutte et de combat anticoloniaux, ils sont également le produit d’un projet politique singulier de colonisation au moyen d’une intégration juridique et, qu’à ce titre, ils occupent la position privilégiée à partir de laquelle il convient de repenser les catégories de nation, de citoyenneté, de souveraineté et d’autorité, autant de concepts qui n’ont jamais été intégrés avec succès dans un socle de droits et de devoirs garantis.

19Cette relecture du contexte géopolitique, économique, racial et conceptuel de cette décolonisation caribéenne multiforme permet de comprendre les raisons pour lesquelles la souveraineté est en proie à tant de contradictions et de limitations.

20The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories publié un peu plus d’une décennie après les mouvements de 2009 jette un regard critique et rétrospectif aussi bien sur le mouvement que sur l’évolution, durant la décennie 2009 - 2019, des problématiques auxquelles ce dernier s’attaquait.

21Cet ouvrage offre une relecture originale en forme de bilan de la décolonisation de la Caraïbe, dans une perspective comparée originale. Cette originalité réside, d’une part, dans la comparaison des évolutions économiques et politiques des pays non souverains français et néerlandais. Elle réside également dans la comparaison des caractères de la souveraineté économique et politique dans les pays indépendants avec les domaines de souveraineté existant dans les pays caribéens non souverains.

22Cette réflexion organisée par Adlai Murdoch dans The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories s’appuie sur sa connaissance experte des sociétés guadeloupéenne et martiniquaise, construite à la faveur des nombreux travaux qu’il leur a consacrés.

23Les articles intitulés « Aimé Césaire, 1913-2008: poet, politician, cultural statesman » (2010), « Tout-monde, chaos-monde, the DOM, and Caribbean Dance: Inscribing Community Identity in Gerty Dambury’s Les rétifs » (2021) et  « Zouk and the Articulation of French Caribbean Culture: History, Identity, Creolization, and Relation in Kassav’s » Medley Gwoka » and « Kavalié o Dam » (2021) donnent un aperçu de l’investigation scientifique menée par Murdoch sur la Guadeloupe et la Martinique. De plus, Murdoch prolonge sa réflexion sur la souveraineté avec l’article « Creolization, Hybridity and Archipelagic Thinking: Interrogating Inscriptions of Postcolonial Agency » qu’il publie en 2023.

24The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories poursuit une réflexion sur le mouvement social de 2009 entamée, la même année dans l’ouvrage Guadeloupe, Martinique, des sociétés en révolte : morphologie d’un conflit social (2009) de Juliette Sméralda. Cette réflexion est approfondie trois ans plus tard dans la publication des chercheurs en sciences sociales et sciences politiques de l’université des Antilles et de la Guyane intitulée Mobilisations sociales aux Antilles. Les évènements de 2009 dans tous leurs sens, dirigée par Jean-Claude William, Fred Réno et Fabienne Alvarez (2012).

25The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories apporte également une contribution à la recherche menée sur les caractères et l’impact du néolibéralisme et de la mondialisation sur les sociétés caribéennes. Il fait ainsi écho au livre Globalization and Neoliberalism: The Caribbean Context dirigé par Thomas, Klak en 2018, et à l’ouvrage Globalizing the Caribbean: Political Economy, Social Change, and the Transnational Capitalist Class publié en 2020 par Sprague Jeb.

26Cet ouvrage vient encore enrichir la production de travaux en sciences politiques portant sur les sociétés caribéennes postcoloniales tels que Caribbean Political Thought: Theories of the Post-colonial State d’Aaron Kamuguisha (2013) et Freedom, Power and Sovereignty: The Thought of Gordon K. Lewis. Caribbean Reasonings de Brian Meeks and Jermaine McCalpin (2015).

27De plus, le tout récent After the Postcolonial Caribbean: Memory, Imagination, Hope publié en 2023 par Brian Meeks poursuit la réflexion coordonnée par Adlai Murdoch dans The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories. Fred Constant apporte une mise en perspectives opportune avec son ouvrage Overseas Territories in World Affairs Linking up Subnational, National and International Politics (2024) dans lequel il examine la condition comme les défis des pays non souverains dans leurs navigations politiques et économiques entre le local, le national et l’international.

28La publication de The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories intervient à propos dans la dynamique contemporaine d’une recherche caribéenne qui établit le bilan des paradigmes politiques et économiques dans le cadre desquels la décolonisation s’est opérée au milieu du xxe siècle.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Rodolphe Solbiac, « Le mouvement social de 2009 et la lutte des pays caribéens non souverains contre le néolibéralisme dans The Struggle of Non-Sovereign Caribbean Territories: Neoliberalism Since the French Antillean Uprisings of 2009 d’Adlai Murdoch »Études caribéennes [En ligne], 59 | Décembre 2024, mis en ligne le 17 décembre 2024, consulté le 10 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/32508 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13301

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Auteur

Rodolphe Solbiac

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