1La main-d’œuvre est depuis toujours un facteur essentiel dans tous les secteurs d’activités économiques à travers le monde. Cependant, dans les pays moins avancés, elle est utilisée à plus forte intensité que dans les pays développés où le processus de production fortement mécanisé nécessite moins de personnes pour une tâche spécifique donnée. Ainsi, quand elle arrive à manquer dans un pays où elle occupe une place centrale, il est important de chercher à comprendre et à analyser les effets de ce manque dans l’un ou l’autre secteur de l’économie.
2À travers le monde, ce n’est pas seulement un secteur qui fait face au défi de trouver du personnel (Martine, 2009 : 2). La rareté de main-d’œuvre est un phénomène global qui embrasse tant la quantité que la qualité de la main-d’œuvre. Le marché mondial présente un déséquilibre tant du point de vue de la quantité que de la qualité de la main-d’œuvre ; il manque de personnes ayant les compétences normales pour exercer le métier ou la profession, mais aussi les personnes de la profession manquent de certaines compétences spécifiques recherchées (Emploi-Québec, 2009 : 7). Dans de telles circonstances, la tendance où les travailleurs, d’une façon générale, prenaient leur retraite autour de 55 ans est révolue (Baril, 2011 : 1-5). Selon ce dernier auteur, le problème de rareté de main-d’œuvre fait que les vieux demeurent plus longtemps actifs. Toutefois, d’autres facteurs d’ordre personnel peuvent aussi expliquer cet état de fait (contraintes économiques, dynamiques familiales…).
3Pour plus d’un, le phénomène mondial de rareté de main-d’œuvre tire son origine à la fin du xixe siècle où la crise de patronage obligeait les patrons à restructurer les formes de contrôle de la main-d’œuvre en imposant une domination contestée par les travailleurs (Noiriel, 1988 : 17-35). Les différentes crises qui touchent le monde, sans compter les défis politiques, économiques et sociaux, affectent la disponibilité de la main-d’œuvre et la gestion par les patrons des travailleurs présents et qui choisissent de continuer à offrir leurs services. De la part des travailleurs, il n’y a plus de volonté de travailler (Nobil, Paul et Kooli, 2002 : 54-58).
4Le déficit local ou national de main-d’œuvre est expliqué, pour certains, par des facteurs tels que l’augmentation du nombre d’offres d’emploi dans de multiples pays, une diminution du nombre de personnes disponibles pour travailler ou un changement dans les compétences requises pour les emplois disponibles, l’émigration, l’évolution des attentes des travailleurs par rapport au salaire. L’émigration, l’une des causes importantes de la rareté de main-d’œuvre en nombre dans certains pays, est considérée par Todaro (1969) comme une réponse au différentiel de salaire espéré et non pas observé comme dans le modèle de Lewis (1954). Concrètement, cela signifie que le migrant envisage toutes les possibilités d’emploi qui s’offrent à lui tant en milieu rural qu’en milieu urbain et choisit de migrer si les gains nets (en termes de revenu) attendus de la migration sont positifs (Lewis et Todaro repris par Gubert, 2010). Selon Randstad (2022 : 3), 62 % des employés du monde considèrent le salaire comme la principale motivation pour changer d’emploi. Aux États-Unis, en 2022, près de 11 millions d’emplois sont vacants (Olcina, 2020 : 4), ce qui ouvre la voie à l’émigration vers ce pays. En France, des travailleurs démissionnent, abandonnent leur travail pour différentes raisons isolées ou combinées. Parmi eux, 55 % évoquent la rémunération comme souci, 39 % se plaignent de la pénibilité du travail, 22 % des horaires et 18 % du manque d’attention porté au bien-être (Skello, 2022 : 3). Dans ce pays, ce sont les métiers manuels qui souffrent le plus de la rareté de main-d’œuvre. Cependant, dans certains cas, la pénurie de main-d’œuvre touche essentiellement les postes de premier niveau et peu rémunérés où les travailleurs sont plus scolarisés et exigent, en conséquence, de meilleures conditions de travail.
5Dans le secteur agricole, les facteurs déterminants de la pénurie de main-d’œuvre sont essentiellement, la saisonnalité, l’emplacement rural, la compétition pour le recrutement des travailleurs et l’environnement de travail (AGRI-IMT, 2019), la scolarisation des enfants, la faible productivité et les mauvaises conditions de travail (Clément et al., 2023)
6La rareté de main-d’œuvre engendre plusieurs problèmes. Elle ralentit la croissance des entreprises, car celles-ci ne peuvent pas satisfaire la demande, surtout si elle est croissante. Elle affecte directement l’emploi, créant un impact négatif sur l’inflation d’une manière générale (Skello, 2022 : 3) par une réduction de l’offre.
7Pour comprendre la rareté de main-d’œuvre en Haïti, il faut jeter un regard sur l’une de ses causes majeures : la migration. L’émigration est un problème majeur en Haïti. Elle a commencé à prendre de l’ampleur dans le pays à la fin des années 1950 et s’est exagérément accélérée de nos jours. L’oppression politique conjuguée aux difficultés économiques a alimenté la fuite des Haïtiens tout au long des années 1970, 1980, 1990 et 2000 (Collectif Haïti, 2013 : 4). Ainsi, les secteurs économiques haïtiens ne sont pas exempts du problème de rareté de main-d’œuvre. L’instabilité politique les prive d’une bonne partie de leur main-d’œuvre qualifiée. La main-d’œuvre haïtienne traditionnellement connue pour ses qualités de docilité, de sérieux dans le travail et de savoir-faire semble ne plus pouvoir répondre aux nouvelles exigences de qualification (Moïse et Chérubin, 2021). Au cours des dix dernières années, le marché du travail haïtien a connu un dépeuplement sans précédent qui s’est aggravé avec le lancement en 2023 du programme « Humanitarian Parole » de l’administration de Joseph Robinette Biden Jr. (Bazile, 2024 : 1) et l’assouplissement des mesures migratoires canadiennes. Les gens fuient l’insécurité par tous les moyens et toutes les options qui leur permettent de quitter le pays sont devenues envisageables. D’une part, c’est essentiellement la main-d’œuvre qualifiée qui émigre, des entreprises basées sur la compétence se voient pénalisées par l’exode des cerveaux (Mathias, 2023). D’autre part, c’est la population travaillant dans l’agriculture et dans le secteur de l’éducation qui est plus susceptible d’émigrer (Saint-Pré, 2018). L’émigration massive de la main-d’œuvre haïtienne est occasionnée par un sentiment de désespoir, d’insécurité et d’incertitude face à la conjoncture sociopolitique du pays.
8L’industrie haïtienne est surtout représentée par la sous-traitance dans le domaine du textile. À un moment donné, les États-Unis ont développé cette industrie pour contraindre les Haïtiens à rester chez eux. Une convention empêchant les Haïtiens de débarquer sur les plages de Miami a été signée en 1981 afin de réduire les flux migratoires ; malheureusement, dans les années 2000, c’est l’effet inverse qui s’est produit (Collectif Haïti, 2013), c’est-à-dire une augmentation des flux migratoires ; ce qui aggrave le phénomène de rareté de main-d’œuvre dans le pays.
9Toutes les sphères économiques du pays subissent les contrecoups de la rareté de main-d’œuvre. Par exemple, dans l’industrie du textile, le nombre de travailleurs est passé de 53 387 en septembre 2022 à 40 462 en août 2023 (Association des Industries d’Haïti, 2023 : 1). Dans ce secteur où le niveau de salaire a toujours été bas, les exigences du côté des travailleurs poussent les décideurs à prendre des dispositions afin d’augmenter le salaire minimum, mais les ajustements peinent à combler les attentes de ces derniers (Thomas, 2022). Dans le système bancaire, plus de 10 % des employés ont démissionné en 2023 (Banque de la République Haïtienne, 2023 : 6). Dans le secteur agricole, entre 2009 et 2021, le nombre de travailleurs agricoles a diminué de 23,86 % dans la commune de la Vallée de Jacmel et la rareté de main-d’œuvre agricole fait douter de la survie même du secteur agricole en Haïti si aucune alternative n’est envisagée. (Daméus et Jules, 2022). Dans le pays, le secteur des services absorbe une bonne partie de la main-d’œuvre qui quitte le secteur agricole. La tertiarisation du secteur économique haïtien occasionne le déclin du secteur primaire (Paul, Daméus et Garrabé, 2010) puisqu’elle ouvre la voie à un déséquilibre dans la balance de transfert de main-d’œuvre du secteur agricole vers le secteur des services, lequel déséquilibre est occasionné par les difficultés accrues dans le secteur agricole.
10Face à la situation de rareté de main-d’œuvre, le gouvernement haïtien s’est lancé dans la quête de renforcement d’opportunités vocationnelles et professionnelles pour satisfaire la demande de main-d’œuvre qualifiée (Jeanty, 2011). Ainsi, plusieurs milliers de jeunes ont eu l’opportunité d’améliorer la qualité de leur compétence. Cependant, aujourd’hui, beaucoup de ces jeunes sont partis pour l’étranger, en quête de mieux-être.
11Au niveau de la Vallée de Jacmel, commune considérée dans cette étude, le phénomène de rareté de main-d’œuvre est bel et bien présent. Les exploitations agricoles sont malmenées par la situation. De 2010 à 2021, un flux net de main-d’œuvre de -1126 personnes a été enregistré dans le secteur agricole au niveau de ladite commune (Daméus et Jules, 2022 : 5). Jusqu’à présent, les sorties de main-d’œuvre agricole dans cette commune n’ont pas cessé de croître, ce qui met à mal le fonctionnement des exploitations agricoles dans leurs activités de production et de génération de revenu pour les exploitants (avec effet indirect sur la sécurité alimentaire). Avec l’émigration massive d’Haïtiens en 2023, une nouvelle étude est nécessaire pour déterminer l’ampleur de la rareté de main-d’œuvre en nombre de travailleurs dans la commune tout en identifiant certaines de ses causes et pour évaluer ses répercussions techniques et financières dans les exploitations agricoles. Ainsi, cette étude cherche à répondre aux questions suivantes :
-
Quelle est l’étendue de la rareté de main-d’œuvre dans la commune de la Vallée de Jacmel ?
-
Quels sont les facteurs déterminants (causes) de la rareté de main-d’œuvre (causes internes et externes aux exploitations) ?
-
Comment la rareté de main-d’œuvre affecte-t-elle la prise de décision dans l’utilisation des facteurs de production et dans la production végétale et animale sur les exploitations agricoles (effets techniques).
-
Comment affecte-t-elle les disponibilités alimentaires (production totale végétale et animale séparément) ?
-
Comment affecte-t-elle les rentrées et sorties monétaires, les économies et manques à gagner découlant de la prise de décision sur les exploitations agricoles ?
-
La rareté de main-d’œuvre procure-t-elle un gain net ou une perte nette de revenu aux exploitations agricoles ?
12Cette étude fournit une réponse à ces questions et cherche donc à déterminer globalement l’ampleur du phénomène de rareté de main-d’œuvre dans la commune de la Vallée de Jacmel,, ses causes, ses conséquences techniques et financiers tout en jetant un regard sur son rapport avec la sécurité alimentaire en termes de disponibilités alimentaires pour la population haïtienne et d’accès au revenu pour les exploitations agicoles. L’identification de certaines des causes (internes et externes aux exploitations) du phénomène de rareté de main-d’œuvre dans la commune de la Vallée de Jacmel permettra de proposer certaines solutions.
13Dans les sections qui suivent, nous allons présenter la méthodologie adoptée et les résultats relatifs à chacune des questions de recherche.
14Une méthodologie est élaborée pour répondre aux différentes questions de recherche posées et est présentée dans l’ordre de ces questions.
15L’étendue de la rareté de main-d’œuvre dans toutes les exploitations agricoles de la commune de la Vallée de Jacmel (question 1) est déterminée en faisant la différence entre le nombre total de travailleurs agricoles dont les exploitations ont besoin (besoin total de main-d’œuvre agricole) pour réaliser leurs activités agricoles de culture et d’élevage et le nombre total de travailleurs agricoles actuellement présents sur les exploitations pour les activités agricoles (besoin actuellement satisfait de main-d’œuvre agricole)
16Le besoin total de main-d’œuvre agricole des exploitations agricoles est le nombre total de travailleurs agricoles nécessaires pour la réalisation des activités agricoles sur toutes les parcelles des exploitations cultivées ou non.
17Pour évaluer le besoin total de main-d’œuvre agricole et le besoin de main-d’œuvre agricole actuellement satisfait, on est parti d’une typologie des exploitations agricoles de la commune de la Vallée de Jacmel réalisée sur le critère de surface agricole utile (SAU) par le ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR) lors du Recensement général agricole (RGA) de 2009. La SAU est un critère de différenciation des exploitations agricoles généralement utilisé parce que la catégorie de taille d’une exploitation agricole fait toujours une différence dans bien de cas. Cette typologie classifie toutes les exploitations agricoles (population) de la commune en onze types non vides. Un échantillon a été tiré au hasard dans la sous-population de chaque type (nombre total d’exploitations dans le type).
18Le tableau 1 suivant présente la typologie des exploitations agricoles de la commune de la Vallée de Jacmel, les sous- populations des types en termes de nombre d’exploitations agricoles et l’échantillon choisi dans chaque type. Il n’y a pas eu d’échantillon dans certains types car toute la sous-population a été enquêtée.
Tableau 1. Typologie des exploitations agricoles de la commune de La Vallée de Jacmel, sous-population et échantillon des types
- 1 Deux types de la typologie du MARNDR sont écartés : les types XII et XIII car le type XII n’a aucun (...)
Type 1
|
Caractéristique
(SAU en carreaux) (1carreau=1ha29)
|
Sous-population
du type (nombre EA)
|
Échantillon enquêté (nombre d’EA)
|
I
|
0<SAU<0.05
|
17
|
17
|
II
|
0.050.1
|
79
|
16
|
III
|
0.1≤SAU<0.2
|
490
|
98
|
IV
|
0.2≤SAU<0.3
|
724
|
145
|
V
|
0.3≤SAU<0.5
|
1048
|
210
|
VI
|
0.5≤SAU<1
|
788
|
158
|
VII
|
1≤SAU<2
|
256
|
52
|
VIII
|
2≤SAU<3
|
41
|
41
|
IX
|
3≤SAU<4
|
13
|
13
|
X
|
4≤SAU<5
|
5
|
5
|
XI
|
5≤SAU≤10
|
8
|
8
|
Total
|
|
3469
|
763
|
SAU: surface agricole utile ; EA : exploitation agricole ; ha : hectare.
Source : RGA, 2009, MARNDR
19Les échantillons de type ont permis de calculer, en termes de nombre de travailleurs agricoles dans le type, une moyenne de besoin total de main-d’œuvre agricole et une moyenne de besoin de main-d’œuvre agricole actuellement satisfait. En multipliant ces moyennes de type (nombre moyen de travailleurs agricoles) par la sous-population du type (nombre total d’exploitations agricoles dans le type), on obtient pour chaque type d’exploitations agricoles l’effectif total (en nombre de travailleurs agricoles) du besoin en main-d’œuvre agricole et du besoin en main-d’œuvre actuellement satisfait. La somme de chacun ces deux besoins sur l’ensemble des types d’exploitations agricoles donne les besoins totaux et les besoins actuellement satisfaits de main-d’œuvre agricole de toute la commune. La différence de ces deux besoins (besoins totaux de main-d’œuvre et besoins actuellement satisfaits) est l’estimation de la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune présentée dans la section des résultats.
20Pour déterminer les causes de la rareté de main-d’œuvre (question 2), un modèle de régression linéaire multiple est utilisé. Il comporte une variable dépendante (rareté de main-d’œuvre) et six variables explicatives (nombre de personnes par ménage agricole, tranche d’âge des travailleurs familiaux et salariés sur l’exploitation, niveau global de perception d’opportunités en dehors de l’exploitation de tous les travailleurs familiaux et salariés, rendement agricole, existence d’infrastructure scolaire et existence d’activité de taxi-moto). Les quatre premières variables explicatives identifient des causes internes à l’exploitation agricole de la rareté de main-d’œuvre tandis que les deux dernières spécifient des causes externes à l’exploitation. Les variables explicatives ont été identifiées à partir de questions directes posées aux exploitants sur ce qu’ils pensent être à l’origine du manque de main-d’œuvre dans leur exploitation.
21Le tableau 2 suivant présente les variables du modèle économétrique, les signes attendus pour chaque variable explicative et la façon dont les variables catégorielles ont été mesurées.
Tableau 2. Variables du modèle économétrique, signes attendus et mesure des variables
Variables
|
Dépendante
|
Rareté de main-d’œuvre (Y)
|
Signe attendu
|
Méthode de mesure
|
Indépendantes
|
Nombre de personnes dans le ménage agricole (X1)
|
-
|
-
|
Tranche d’âge des travailleurs familiaux et salariés sur l’exploitation (X2)
|
-
|
1 : [12; 21ans[
|
2 : [21; 31[
|
3 : [31; 50[
|
4 : [50; 65[
|
Perception globale d’opportunités en dehors de l’exploitation de tous les travailleurs (X3)
|
+
|
1 : Faible
|
2 : Moyenne
|
3 : Élevée
|
Rendement agricole (X4)
|
|
1 : Faible
|
-
|
2 : Moyen
|
|
3 : Élevé
|
Existence d’infrastructure scolaire dans la zone (X5)
|
|
1 : Aucune
|
-
|
2 : Primaire
|
|
3 : Secondaire
|
|
4 : Universitaire
|
Existence d’activité de taxi-moto dans la zone (X6)
|
|
1 : Faible
|
+
|
2 : Moyenne
|
|
3 : Élevée
|
22Source : Enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
23Le modèle est ainsi spécifié :
24Pour identifier les décisions prises dans les exploitations agricoles à cause de la rareté de main-d’œuvre (question 3), des questions ont été posées aux exploitants lors d’une enquête formelle pour qu’ils dévoilent les changements adoptés dans leur exploitation en raison strictement de la rareté de main-d’œuvre par comparaison entre 2023 (année de l’enquête) et 2009 (année précédant celle du tremblement de terre où débute la rareté de main-d’œuvre dans la commune).
25Il ressort de leur réponse que la rareté de main-d’œuvre dans les exploitations agricoles donne lieu à des ajustements de la part des exploitants. Par exemple, face au manque de travailleurs agricoles, un exploitant peut renoncer à une culture ou un élevage exigeant en main-d’œuvre pour se consacrer à une autre moins exigeante. De même, il peut décider d’ériger une construction sur une parcelle non cultivée par manque de main-d’œuvre pour l’habiter, la mettre en location ou en affermage. Il peut aussi produire moins en utilisant moins d’intrants variables.
26Les effets techniques de la rareté de main-d’œuvre concernent les changements dans les facteurs de production (terre, main-d’œuvre, nature et nombre de cultures pratiquées, nature et nombre des espèces animales élevées, quantité de semences ou plants ou boutures utilisées) et dans la production (quantité produite des espèces végétales, quantité produite des espèces animales). Ils sont évalués en comparant les données des exploitations obtenues par voie d’enquête des années 2023 (année de l’enquête) et l’année 2009 (année précédant celle du tremblement de terre où débute le problème de rareté de main-d’œuvre dans les exploitations de la commune.
27Pour mesurer les productions végétales, les unités de mesure utilisées au niveau des exploitations agricoles ont été converties en des unités-standards, comme le montre le tableau 3 suivant.
Tableau 3. Unités de mesure
Produits agricoles
|
Unités locales de mesure
|
Poids moyen en kg
|
Haricot
|
Marmite
|
2,6
|
Maïs
|
Marmite
|
2,72
|
Sorgho
|
Marmite
|
2,5
|
Pois congo
|
Marmite
|
2,6
|
Igname
|
Panier
|
30
|
Patate
|
Sac
|
58,8
|
Manioc
|
Sac
|
56
|
Banane
|
Régime
|
25
|
Source : enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024 ; MARNDR,2017
28Pour montrer comment la rareté de main-d’œuvre affecte les disponibilités alimentaires (question 4), une comparaison des productions végétales en tonnes équivalent maïs (TEM) et animales en unités gros bétail (UGB) est faite entre 2009 et 2023.). Le tableau 4 suivant montre les indices de conversion en UGB et en TEM pour les espèces animales élevées et les cultures produites.
Tableau 4. Indices de conversion des espèces animales élevées et des espèces végétales produites respectivement en unité gros bétail (UGB) et tonne équivalent maïs (TEM)
Espèces animales
|
Âge et/ou Poids
|
Indice UGB
|
|
Espèces végétales
|
Indice TEM
|
Bovins
|
Moins d’un an
|
0.4
|
|
Riz (vêtu)
|
1,09
|
|
Entre 1 et 2 ans
|
0,7
|
|
Sorgho
|
0,94
|
|
Mâles, 2 ans et plus
|
1
|
|
Maïs
|
1
|
|
Vache laitière
|
1
|
|
Blé
|
0,93
|
|
Génisse, 2 ans et plus
|
0,8
|
|
Haricot sec
|
1,02
|
|
Autres vaches, 2 ans et plus
|
0,8
|
|
Cacahuète
|
1,54
|
Ovins et Caprins
|
|
0,1
|
|
Pois congo
|
1,02
|
Équidés
|
|
0,8
|
|
Pomme de terre
|
0,21
|
Porcins
|
Porcelets dont le poids vivant n’excède pas 20 Kg
|
0,027
|
|
Patate douce
|
0,32
|
|
Truies reproductrices pesant 50 kg et plus
|
0,5
|
|
Manioc
|
0,39
|
|
Autres porcins
|
0,3
|
|
Igname
|
0,28
|
Volailles
|
Poulets de chair
|
0,007
|
|
|
|
|
Poules pondeuses
|
0,014
|
|
|
|
|
Autruches
|
0,35
|
|
|
|
|
Autres volailles
|
0,03
|
|
|
|
|
Lapins mères
|
0,02
|
|
|
|
Source : Eurostat (2023) et Baquedano (2016)
29Une approche de budget partiel est utilisée pour déterminer les rentrées et sorties monétaires, les économies et manques à gagner, le gain ou la perte net de la rareté de main-d’œuvre (questions 5 et 6). Elle est basée sur la théorie de séparabilité qui permet de mettre en évidence l’effet singulier de la rareté de main-d’œuvre. Elle fait appel à une comptabilité à partie double avec entrée et sortie pour déterminer les effets financiers de la rareté de main-d’œuvre. Elle consiste, en rapport avec les décisions prises par les exploitants face à la rareté de main-d’œuvre, à considérer, d’un côté, ce qui est ajouté (rentrée ou recette réalisée) ou gagné (économie réalisée) et, de l’autre, ce qui est éliminé (sortie ou dépense faite) ou perdu (manque à gagner). La transformation en résultats financiers (en gourdes) des résultats physiques (en quantités) découlant de la prise de décision des exploitants est faite en utilisant les prix de 2023. À travers cette démarche, nous mettons en évidence des effets nets partiels (différence entre les deux côtés) occasionnés par la rareté de main-d’œuvre en termes d’effets des éléments liés à la prise de décision et occasionnant des recettes ou économies monétaires et des dépenses monétaires ou manques à gagner (question 5) et en termes financiers nets globaux dont l’évaluation est la somme algébrique de tous les effets financiers nets partiels (question 6) calculés pour la question 5.
30Ce paragraphe sert d’introduction à la section des résultats qui apporte une réponse aux différentes questions de recherche qui traduisent aussi les objectifs de l’étude. Elle fournit des informations sur l’étendue de la rareté de main-d’œuvre dans la commune de la Vallée de Jacmel et ses causes, elle présente les différentes décisions prises à tous les niveaux face à la rareté de main-d’œuvre et les espèces végétales et animales respectivement plantées et élevées ainsi que les quantités produites végétales et animales. Ces informations sont toutes illustrées à partir de tableaux et de commentaires.
31Cette partie présente à la fois l’étendue de la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel et les divers éléments l’expliquant ou ses causes. L’étendue de la rareté de main-d’œuvre a été estimée de la manière expliquée dans la méthodologie.
32L’étendue de la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel est évaluée à 20 977 travailleurs agricoles. C’est le nombre total de travailleurs agricoles qui manque pour combler totalement le besoin en main-d’œuvre existant au niveau de l’ensemble des exploitations agricoles pour l’année 2023. Ce besoin est évalué en considérant toutes les terres en activité de culture et d’élevage et celles non utilisées pour manque de main-d’œuvre. Le tableau 5 suivant montre l’étendue de la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel et ses éléments de calcul.
Tableau 5. Estimation de la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel
- 2 Deux types de la typologie du MARNDR sont écartés : les types XII et XIII car le type XII n’a aucun (...)
2Type
|
Caractéristique
(SAU en carreaux) (1carreau=1ha29)
|
Sous-population
du type (nombre EA)
(A)
|
Échantillon
enquêté
(nombre EA)
|
Rareté moyenne de main-d’œuvre agricole dans l’échantillon
(B)
|
Rareté totale de main-d’œuvre agricole par type
(AxB)
|
I
|
0<SAU<0.05
|
17
|
17
|
1,69
|
29
|
II
|
0.05≤SAU<0.1
|
79
|
16
|
2,4
|
190
|
III
|
0.1≤SAU<0.2
|
490
|
98
|
2,97
|
1455
|
IV
|
0.2≤SAU<0.3
|
724
|
145
|
3,78
|
2737
|
V
|
0.3≤SAU<0.5
|
1048
|
210
|
6,35
|
6655
|
VI
|
0.5≤SAU<1
|
788
|
158
|
8,32
|
6556
|
VII
|
1≤SAU<2
|
256
|
52
|
9,8
|
2509
|
VIII
|
2≤SAU<3
|
41
|
41
|
12,07
|
495
|
IX
|
3≤SAU<4
|
13
|
13
|
12,15
|
158
|
X
|
4≤SAU<5
|
5
|
5
|
12,6
|
63
|
XI
|
5≤SAU≤10
|
8
|
8
|
16,25
|
130
|
Total
|
|
3469
|
763
|
|
20 977
|
EA : exploitation agricole ; SAU: surface agricole utile
Source : MARNDR, RGA 2009 et calcul des auteurs
33Les causes de la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel sont de deux catégories : celles internes aux exploitations agricoles et celles qui leur sont externes.
34Les résultats du modèle économétrique montrent que la rareté de main-d’œuvre agricole, dans la commune de la Vallée de Jacmel, a comme causes propres à l’exploitation agricole : le nombre de personnes dans le ménage agricole, l’âge des travailleurs familiaux et salariés sur l’exploitation, la perception globale d’opportunités des travailleurs en dehors de l’exploitation, et comme causes externes à l’exploitation agricole : l’existence d’infrastructure scolaire et l’existence d’activité de taxi-moto dans la zone. Le rendement des cultures ne se révèle pas une cause de la rareté de main-d’œuvre, n’étant pas significatif.
35Selon les résultats relatifs aux causes internes à l’exploitation agricole, plus le ménage agricole compte de personnes, moins il souffre de rareté de main-d’œuvre, car, vu que les exploitations agricoles sont en général de très petite taille, les travailleurs familiaux qui les quittent ne nuisent pas au déroulement des activités agricoles quand le nombre de personnes dans le ménage est élevé. L’âge des travailleurs familiaux et salariés sur l’exploitation agricole influence négativement la rareté de main-d’œuvre. Plus ces travailleurs sont âgés, moins il y a de rareté de main-d’œuvre, car, à partir d’un certain âge, le travailleur agricole est moins mobile et demeure sur l’exploitation pour travailler. Si tous les travailleurs sur l’exploitation ont une plus grande perception d’opportunités existant en dehors de l’exploitation agricole, la rareté de main-d’œuvre augmente car certains travailleurs abandonneront le secteur agricole pour saisir ces opportunités bien meilleures que l’agriculture. Le rendement des cultures, qu’il soit faible ou élevé, n’a aucune influence significative sur la rareté de main-d’œuvre.
36Les résultats liés aux causes de la rareté de main-d’œuvre en dehors de l’exploitation agricole montrent que l’existence d’infrastructure scolaire dans la zone influence négativement la rareté de main-d’œuvre agricole. Ceci s’explique par le fait que les jeunes travailleurs agricoles qui peuvent trouver un établissement scolaire dans leur zone de résidence ne sont pas enclins à quitter le travail agricole pour aller faire des études ailleurs. Plus le cycle de formation existant dans la zone est élevé, moins est la rareté de main-d’œuvre agricole. L’existence de l’activité de taxi-moto dans la zone a un impact positif sur la rareté de main-d’œuvre agricole car plus cette activité est présente dans la zone, plus les jeunes travailleurs agricoles quittent les exploitations agricoles pour s’y adonner.
37Le tableau 6 suivant présente les résultats du modèle économétrique identifiant les causes de la rareté de main-d’œuvre dans la commune de la Vallée de Jacmel.
Tableau 6. Tableau des résultats du modèle économétrique
Variable dépendante :
|
Rareté de main-d’œuvre
|
Coefficients de régression
|
Statistiques calculées (
|
P-value
|
Terme constant :
|
|
13,880 39*
|
16,409 14
|
0,000 0
|
Variables indépendantes
|
Nombre de personnes dans le ménage agricole (X1)
|
-1,101 747*
|
-15,502 60
|
0,000 0
|
Âge des travailleurs familiaux et salariés sur l’exploitation(X2)
|
-0,264 142*
|
-2,809 979
|
0,005 1
|
Perception globale d’opportunités des travailleurs en dehors de l’exploitation (X3)
|
2,905 529*
|
14,828 11
|
0,000 0
|
Rendement des cultures (X4)
|
-0,748 065
|
-1,332 369
|
0,183 1
|
Existence d’infrastructure scolaire dans la zone (X5)
|
-2,622 606*
|
-15,011 48
|
0,000 0
|
Existence de l’activité de taxi-moto (X6)
|
1,067 692*
|
6,252 990
|
0,000 0
|
|
R2
|
0,908
|
|
F
|
1 255 942
|
Statistiques calculées
|
VIF (Variance Inflation Factors)
|
2,844 834
|
4,601 627
|
4,812 646
|
14,148 28
|
3,708 238
|
3,657 747
|
|
Breusch-Pagan-Godfrey (P-value)**
|
0.0000
|
|
Normalité (P-value)
|
0,086 494
|
* : significatif au seuil de 5 %.
**Le test Huber-White a été utilisé pour corriger l’hétéroscédasticité.
Source : enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
38Dans la commune de la Vallée de Jacmel, le phénomène de rareté de main-d’œuvre agricole a débuté de manière significative en 2010, après le tremblement de terre. L’année de sa manifestation varie avec les localités de la commune. Il a incité les agriculteurs de la zone à prendre certaines décisions d’adaptation.
39Cette section illustre les différentes décisions prises à tous les niveaux par les exploitants agricoles face au manque de main-d’œuvre pour entreprendre les productions végétales et animales. Ces décisions sont :
-
le changement dans la quantité de main-d’œuvre utilisée et dans la surface agricole utile,
-
la mise en vacance de terres agricoles et autres utilisations de ces terres,
-
le changement dans la nature et le nombre d’espèces végétales cultivées et d’espèces animales élevées,
-
le changement dans la quantité semée et plantée des espèces végétales,
-
le changement dans la quantité d’espèces animales élevées.
40Le tableau 7 montre que, dans la commune de la Vallée de Jacmel, la quantité de main-d’œuvre utilisée par l’ensemble des exploitations agricoles dans l’année 2009 (précédant l’année 2010 qui est celle à laquelle la rareté de main-d’œuvre agricole commence véritablement à se manifester) est de 9391 travailleurs agricoles alors que celle utilisée pour l’année 2023 est de 2055. Cela implique une variation de -7336 travailleurs dans les activités agricoles. Les exploitations ont donc diminué significativement la quantité de main-d’œuvre utilisée en 2023 par rapport à l’année 2009 qui précède le début de la rareté significative de main-d’œuvre dans la commune.
41Le tableau 7 indique aussi un total de 515,42 carreaux utilisés par l’ensemble des exploitations agricoles avant la période précédant la rareté de main-d’œuvre agricole et un total de 395,94 carreaux en 2023. Donc, la rareté de main-d’œuvre a occasionné une baisse de 119,48 carreaux dans la SAU de 2009 à 2023. Les exploitations agricoles ont ajusté graduellement à la baisse la quantité de terre exploitée afin de contourner le problème de rareté de main-d’œuvre.
42Ce changement négatif dans la quantité de main-d’œuvre utilisée et dans la surface agricole utile, dû à la rareté de main-d’œuvre, a certainement des conséquences négatives sur le niveau de production agricole, donc sur les disponibilités alimentaires et le revenu de l’exploitant. Ceci sera vu plus loin.
Tableau 7. Changement dans la quantité de main-d’œuvre utilisée et dans la superficie agricole utile dans la commune de la Vallée de Jacmel à cause de la rareté de main-d’œuvre
|
2009 (avant la rareté)
|
2023
|
Variation
|
Quantité de main-d’œuvre (nombre de travailleurs agricoles)
|
9391
|
2055
|
-7336
|
SAU (en carreaux)
|
515.42
|
395.94
|
-119.48
|
Source : Enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
43Nous venons de montrer que, à cause de la rareté de main-d’œuvre, un total de 119,48 carreaux de terre dans la commune de la Vallée de Jacmel est mis en vacance c’est-à-dire non travaillé en 2023 par comparaison à l’année 2009 où il n’y avait pas encore une rareté significative de main-d’œuvre. Considérant les types d’utilisations faites des terres rendues vacantes par la rareté de main-d’œuvre, 67,5 % des surfaces rendues vacantes par la rareté de main-d’œuvre ne font l’objet d’aucune utilisation, 15,9 % sont mis en métayage ou en affermage alors que dans les 16,6 % restants, la terre est, soit utilisée pour mettre en place des infrastructures (constructions) pouvant servir soit à des fins personnelles, soit louée, soit vendue. Les nouvelles utilisations constituent de nouvelles sources de rentrées pour les exploitations, mais impliquent aussi de nouvelles dépenses en cas de mise en place d’infrastructures.
44Le tableau 8 fournit des informations sur les espèces végétales cultivées et les espèces animales élevées par les exploitations agricoles en 2009 (avant la rareté de main-d’œuvre) et en 2023. De manière générale, ce sont les mêmes espèces végétales qui sont cultivées avant et pendant la rareté de main-d’œuvre dans la commune. La rareté de main-d’œuvre n’influence que très peu le nombre d’espèces végétales que cultivaient les exploitants agricoles. À part le sorgho qui n’est pas cultivé en 2023 pour cause de maladie, globalement, ce sont les mêmes cultures qui persistent avec quelques variations peu significatives d’une exploitation à une autre.
45Le tableau présente aussi, pour la commune de la Vallée de Jacmel, le changement opéré dans la nature et le nombre d’espèces animales élevées en 2023 à cause de la rareté de main-d’œuvre agricole, comparé à l’année 2009. Globalement, il n’y a pas de changements au niveau de la nature et du nombre des espèces animales élevées par les exploitations agricoles dans leur ensemble. Toutefois, de petites variations existent d’une exploitation à une autre.
Tableau 8. Espèces végétales cultivées et espèces animales élevées avant et pendant la rareté de main-d’œuvre.
Espèces végétales cultivées en 2009 (avant rareté de main-d’œuvre)
|
Espèces végétales cultivées (année 2023)
|
Espèces animales élevées en 2009 (avant rareté de main-d’œuvre)
|
Espèces animales élevées (année 2023)
|
Maïs
|
Maïs
|
Bovin
|
Bovin
|
Haricot
|
Haricot
|
Cheval
|
Cheval
|
Pois congo
|
Pois congo
|
Âne
|
Âne
|
Sorgho
|
-
|
Poule
|
Poule
|
Igname
|
Igname
|
Dinde
|
Dinde
|
Manioc
|
Manioc
|
Lapin
|
Lapin
|
Patate douce
|
Patate douce
|
Caprin
|
Caprin
|
Banane
|
Banane
|
Porcin
|
Porcin
|
Source : Enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
46La rareté de main-d’œuvre a provoqué des changements dans la quantité semée ou plantée des espèces végétales au niveau de l’ensemble des exploitations agricoles. Toutes les cultures présentent une variation négative illustrée dans le tableau 9. La quantité de maïs semée est passée de 2674,44 kg en 2009 à 2142,544 kg en 2023, soit une variation de -531,896 kg. Les autres cultures suivent la même tendance à la réduction que le maïs mais dans des proportions différentes. Il manque de travailleurs pour continuer à cultiver les mêmes quantités. Une baisse de la quantité semée et/ou plantée en 2023 par rapport à 2009 donne lieu à une baisse de production qui touche chaque exploitation agricole au cours de l’année 2023. L’inexistence de semis pour le sorgho en 2023 s’explique par le fait que, dans les années précédentes, le pays a connu un désastre pathologique sur cette culture qui a porté les exploitants à ne plus la pratiquer dans la commune.
Tableau 9. Changement dans la quantité semée/plantée de chaque espèce végétale à cause de la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel
Espèce végétale (EV)
|
Maïs(kg)
|
Haricot(kg)
|
Pois congo
(kg)
|
Sorgho (kg)
|
Igname (Plants)
|
Manioc (boutures)
|
Patate douce (boutures)
|
Banane (rejetons)
|
Quantité semée/plantée en 2009 (avant rareté)
|
2674,44
|
19 910,15
|
2370,55
|
1497,5
|
142 053
|
15 484
|
18 125
|
7046
|
Quantité semée/plantée en 2023
|
2 142 544
|
13 058,5
|
1902,55
|
0
|
112 500
|
12 653
|
16 015
|
4241
|
Variation
|
-531 896
|
-6851,65
|
-468
|
-1497,5
|
-29 553
|
-2831
|
-2110
|
-2805
|
Source : enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
47Les résultats que révèle le tableau 10 suivant indiquent que les quantités élevées de volailles (poule et dinde) ont connu un accroissement respectif de 1737 et 841 têtes pour l’année 2023 par rapport à l’année 2009. Ce changement constitue une réponse à la rareté de main-d’œuvre à laquelle font face les exploitations agricoles. Il traduit le fait que la rareté de main-d’œuvre agricole incite les exploitations à augmenter leur cheptel de menu bétail en élevage libre (volailles) qui ne nécessite aucune main-d’œuvre ou très peu. Quant aux autres espèces, une réduction est observable dans les quantités élevées pour l’année 2023.
Tableau 10. Changement dans la quantité des espèces animales élevées à cause de la rareté de main-d’œuvre dans la commune de la Vallée de Jacmel
EA
|
Bovin
|
Cheval
|
Âne
|
Poule
|
Dinde
|
Lapin
|
Caprin
|
Porcin
|
Quantité élevée en 2009 avant rareté (têtes de bétail)
|
336
|
473
|
285
|
2342
|
603
|
559
|
952
|
873
|
Quantité élevée en 2023 (têtes de bétail)
|
129
|
120
|
247
|
4079
|
1444
|
411
|
531
|
383
|
Variation (têtes de bétail)
|
-207
|
-353
|
-38
|
1737
|
841
|
-148
|
-421
|
-490
|
EA : espèces animales
Source : enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
48Cette partie montre l’impact de la rareté de main-d’œuvre sur les quantités produites d’aliments d’origine végétale et animale et sur les disponibilités alimentaires pour l’année 2023. Les changements dans les quantités produites des cultures sont présentés en kilogrammes puis convertis en tonnes équivalents maïs (TEM) et ceux dans les espèces animales sont présentés en têtes de bétail puis convertis en unités gros bétail (UGB), conformément aux données du tableau 4 dans la méthodologie.
49Suivant les données présentées dans le tableau 11, une baisse générale dans les disponibilités alimentaires végétales est constatée sur l’ensemble des exploitations agricoles à cause de la rareté de main-d’œuvre. Toutefois, il faut reconnaître que d’autres facteurs non considérés dans cette étude peuvent aussi occasionnellement intervenir dans cette baisse, même si l’enquête réalisée a cherché à bien circonscrire le phénomène étudié à travers les questions posées. Toutes les quantités produites en kg et en TEM sont réduites. Par exemple, la quantité de maïs est passée de 129.0592 TEM en 2009 à 74,387 92 TEM, soit une réduction de 54,671 3 TEM. Pour le haricot, la réduction est de 52,961 8 TEM. Le sorgho n’est plus cultivé en 2023. La rareté de main-d’œuvre ne fait que réduire les productions végétales, quelle que soit l’espèce considérée. Elle provoque donc une baisse dans les disponibilités alimentaires végétales représentées par la somme de toutes les réductions végétales en TEM et évaluée à 144,384 34 TEM. De ce fait, elle impacte négativement la sécurité alimentaire des ménages agricoles car l’agriculture est de subsistance en Haïti.
Tableau 11. Changement dans la quantité produite des espèces végétales occasionné par la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel
Espèce végétale
|
Maïs
|
Haricot
|
Pois congo
|
Sorgho
|
Igname
|
Manioc
|
Patate douce
|
Banane
|
Quantité produite en TEM et kg en 2009 (avant la rareté)
|
129.0592
(TEM)
|
71,655 71
(TEM)
|
25,056 1
(TEM)
|
11,086 71
(TEM)
|
34,204 8
(TEM)
|
17,291 82
(TEM)
|
22,201 92
(TEM)
|
23,69
(TEM)
|
129 059,2
(kg)
|
70 250,7
(kg)
|
24 564,8
(kg)
|
11 794,38
(kg)
|
122 160
(kg)
|
44 338
(kg)
|
69 381
(kg)
|
103 000
(kg)
|
Quantité produite en 2023 (en TEM et kg)
|
74.38792
(TEM)
|
18.69395
(TEM)
|
18.01703
(TEM)
|
0
(TEM
|
28.1736
(TEM)
|
13.58448
(TEM)
|
18.92124
(TEM)
|
18.08375
(TEM)
|
74387.92
(kg)
|
18327.4
(kg)
|
17663.75
(kg)
|
0
(kg)
|
100 620
(kg)
|
34 832
(kg)
|
59128.88
(kg)
|
78 625
(kg)
|
Variation (TEM et kg)
|
-54.6713
(TEM)
|
-52.9618
(TEM)
|
-7.03907
(TEM)
|
-11.0867
(TEM)
|
-6.0312
(TEM)
|
-3.70734
(TEM)
|
-3.28068
(TEM)
|
-5.60625
(TEM)
|
-54671.3
(kg)
|
-51923.3
(kg)
|
-6901,05
(kg)
|
-11794.4
(kg)
|
-21 540
(kg)
|
-9506
(kg)
|
-10252.1
(kg)
|
-24 375
(kg)
|
Source : Enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024 TEM : tonne équivalent maïs kg : kilogramme.
50Le changement en UGB dans la production des espèces animales élevées varie selon l’espèce. D’après le tableau 12 qui suit, la production des espèces animales de basses-cours a augmenté. De l’année 2009 (avant la rareté) à l’année 2023, la quantité de poules produite est passée de 16 394 UGB à 28 553 UGB, celle de dindes de 18,09 UGB à 43,32 UGB. Le gros bétail a une variation nette de -155,25 UGB pour les bovins, de -42,1 UGB pour les caprins et de -147 UGB pour les porcins. Il y a donc moins de produits carnés disponibles pour l’alimentation humaine avec la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel. Globalement, le déficit de production animale occasionné par la rareté de main-d’œuvre agricole est évalué à -309 921 UGB.
Tableau 12. Changement dans les disponibilités alimentaires animales occasionné par la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel
EA
|
Bovins
|
Poules
|
Dindes
|
Lapins
|
Caprins
|
Porcin
|
Quantité élevée en 2009, avant rareté (UGB et Tête de bétail)
|
252
(UGB)
|
16 394
(UGB)
|
18,09
(UGB)
|
11,18
(UGB)
|
95,2
(UGB)
|
261,9
(UGB)
|
336
(têtes)
|
2342
(têtes)
|
603
(têtes)
|
559
(têtes)
|
952
(têtes)
|
873
(têtes)
|
Quantité élevée en 2023 (UGB et Tête de bétail)
|
96,75
(UGB)
|
28 553
(UGB)
|
43,42
(UGB)
|
8,22
(UGB)
|
53,1
(UGB)
|
114,9
(UGB)
|
129
(têtes)
|
4079
(têtes)
|
1444
(têtes)
|
411
(têtes)
|
531
(têtes)
|
383
(têtes)
|
Variation (UGB et Tête de bétail)
|
-155,25
(UGB)
|
12 159
(UGB)
|
25,23
(UGB)
|
-2,96
(UGB)
|
-42,1
(UGB)
|
-147
(UGB)
|
-207
(têtes)
|
1737
(têtes)
|
841
(têtes)
|
-148
(têtes)
|
-421
(têtes)
|
-490
(têtes)
|
EA : espèce animale ; UGB : unité gros bétail
Source : enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
51Dû à la rareté de main-d’œuvre agricole, les exploitations agricoles de la commune de la Vallée de Jacmel enregistrent une perte de production végétale de 144 384 TEM et une perte de production animale de 309 921 UGB, comme le montre le tableau 13 qui suit. Ainsi, en diminuant les disponibilités alimentaires, la rareté de main-d’œuvre est une menace pour la sécurité alimentaire non seulement pour la famille des petits exploitants qui dépend de l’autoconsommation mais aussi pour la population qui trouve moins de produits locaux à leur disposition sur les marchés. Elle est aussi une menace pour la souveraineté alimentaire car elle favorise l’invasion des marchés locaux par des produits importés pour satisfaire la demande locale.
Tableau 13. Changement dans les disponibilités alimentaires occasionné par la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel.
En 2009 (avant rareté de main-d’œuvre)
|
En 2023
|
Production végétale (TEM)
|
334.2463
|
Production végétale (TEM)
|
189 862
|
Production animale (UGB)
|
654 764
|
Production animale (UGB)
|
344 843
|
Variation végétale (TEM)
|
Variation animale (UGB)
|
-144 384
|
-309 921
|
Source : enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
52Cette section utilise l’approche de budget partiel expliquée dans la méthodologie pour apporter une réponse aux questions de recherche 5 et 6. Elle évalue les rentrées et sortie monétaires, les économies et manques à gagner (question 5), de même que le gain net ou la perte nette (question 6) engendré(e)s dans les exploitations agricoles par la rareté de main-d’œuvre agricole. Dans le tableau 14 suivant, toutes les valeurs sont calculées aux prix de l’année 2023.
53Les rentrées ajoutées représentent l’ensemble des recettes additionnelles gagnées par les exploitations agricoles et imputables aux décisions prises, à cause de la rareté de main-d’œuvre agricole, dans les secteurs de production végétale et animale et dans le secteur du foncier (mise en vente, en loyer ou en affermage des terres rendues vacantes par la rareté de main-d’œuvre ou de constructions entreprises sur ces terres). Les sorties réduites représentent l’ensemble des économies de dépense d’argent réalisées par le fait de réduire la production dans les secteurs de production végétale et animale et d’avoir moins de travailleurs engagés sur les exploitations à cause de la rareté de main-d’œuvre agricole. Le gain total imputable à la rareté de main-d’œuvre est la somme des rentrées ajoutées et des sorties réduites.
54Les sorties ajoutées représentent l’ensemble des dépenses d’argent additionnelles occasionnées par la rareté de main-d’œuvre dans les secteurs de production végétale et animale et dans le secteur du foncier (infrastructures, construction de maisons sur les terres rendues vacantes par la rareté de main-d’œuvre). Les rentrées réduites représentent les manques à gagner en termes de recettes dans les secteurs de production végétale et animale et résultant de la rareté de main-d’œuvre agricole. La perte totale imputable à la rareté de main-d’œuvre est la somme des sorties ajoutées et des rentrées réduites.
55Le gain net ou la perte nette imputable à la rareté de main-d’œuvre est la différence entre le gain total et la perte totale. Quand cette différence est positive, il y a gain net ; dans le cas contraire, il y a perte nette.
56Pour répondre à la question 5, le tableau 14 ci-dessous montre que la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel engendre une rentrée monétaire totale de 402165.65 gourdes provenant de recettes additionnelles dans les secteurs de production végétale et animale et de vente, location et affermage de terres rendues vacantes et de constructions érigées sur des parcelles rendues vacantes. Elle occasionne une sortie monétaire ou des dépenses additionnelles de 91042.71 gourdes réalisées dans les secteurs de production végétale et animale et dans la construction de maisons sur des parcelles devenues vacantes En comparant ces deux valeurs, on peut voir qu’il y a une rentrée monétaire nette de 311122.94 gourdes engendrée par la rareté de main-d’œuvre agricole. De même, d’après le tableau, le total des économies réalisées (à cause de la rareté de main-d’œuvre) sous forme de dépenses non effectuées par le fait de réduire la production dans les secteurs végétal et animal et d’employer moins de main-d’œuvre est de 525178.10 gourdes. Le total des manques à gagner résultant de perte de recettes due à la réduction dans les productions végétale et animale à cause de la rareté de main-d’œuvre est de 1693426.88 gourdes. La comparaison de ces deux valeurs nous permet de voir que la rareté de main-d’œuvre agricole engendre un manque à gagner net de 1168248.78 gourdes.
57En relation avec la question 6, le tableau 14 montre que le gain total (rentrées ajoutées + sorties réduites) dû à la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel est de 927343.75 gourdes et la perte totale (sorties ajoutées + rentrées réduites) est de 1784469.59 gourdes, ce qui donne une perte nette de 857 125,84 gourdes pour l’ensemble des exploitations agricoles dans l’échantillon. Donc, la rareté de main-d’œuvre agricole réduit l’accès au revenu des exploitations agricoles de la commune de la Vallée de Jacmel, un élément important pour la sécurité alimentaire.
Tableau 14. Effets financiers de la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel selon l’approche de budget partiel
Rentrées ajoutées
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(Gourdes)
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Sorties ajoutées
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(Gourdes)
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Animale
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346676.90
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Animale
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54729.54
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Végétale
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9619,95
|
Végétale
|
23040.41
|
Vente, Location, Affermage
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45868.80
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Infrastructures
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13272.76
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Sous-total
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402165.65
|
Sous-total
|
91042.71
|
Sorties réduites
|
|
Rentrées réduites
|
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Animale
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178012.90
|
Animale
|
1263562.40
|
Végétale
|
251475.30
|
Végétale
|
429864.48
|
Main-d’œuvre
|
95689.90
|
|
|
Sous-total
|
525178.10
|
Sous-total
|
1693426.88
|
Gain total 927343.75
|
|
Perte totale
|
1784469.59
|
Perte nette : 857125.84
Source : Enquête des auteurs, novembre 2023-janvier 2024
58La rareté de main-d’œuvre agricole a eu un très grand impact à la fois sur les disponibilités alimentaires et le revenu des exploitants dans la commune de la Vallée de Jacmel pour l’année 2023, mettant ainsi les exploitations agricoles en situation d’insécurité alimentaire. Les exploitations agricoles font face à une réduction globale des quantités de productions disponibles pour les ménages qui sont passées de 334.2463 en 2009 à 189,862 tonnes équivalents maïs (TEM) en 2023 pour les cultures végétales et de 654 764 en 2009 à 344 943 unités gros bétail (UGB) en 2023 pour les espèces animales, une situation qui affecte les conditions de survie des ménages qui faisaient déjà face à des situations très délicates. Avec la rareté de main-d’œuvre, les productions animale et végétale ont nettement diminué d’une exploitation à une autre et les producteurs font face à d’énormes difficultés alimentaires car leur production a diminué. Ils ne peuvent ni autoconsommer autant qu’avant, ni vendre autant de produits alimentaires qu’avant pour se procurer d’autres produits. Le revenu des exploitations suit la même tendance baissière que les disponibilités alimentaires. Au cours de l’année 2023, les exploitations agricoles enquêtées ont enregistré globalement une perte nette financière évaluée à 857125.84 gourdes. Leurs moyens économiques étant réduits à cause, entre autres, de la rareté de main-d’œuvre, il est probable que certaines d’entre elles qui n’ont que leurs activités agricoles comme source de revenus aient des difficultés d’accès à la nourriture non produite sur l’exploitation.
59Donc, la réduction dans les disponibilités alimentaires et dans l’accès au revenu provoquée par la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel peut être un handicap pour la sécurité alimentaire des exploitations agricoles.
60Cette étude sur la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel a estimé son étendue, ses causes, ses effets sur la prise de décision technique, sur les disponibilités alimentaires et le revenu des exploitations agricoles. Les causes sont analysées à partir d’un modèle économétrique de régression multiple et les effets sur le revenu à partir de l’approche de budget partiel. La rareté de main-d’œuvre agricole ne s’est pas manifestée dans une année unique pour l’ensemble des exploitations agricoles. Cependant, il est certain qu’elle a commencé de manière significative à partir du tremblement de terre de 2010. De ce fait, l’année 2009 a servi comme témoin pour étudier ses effets sur l’ensemble des exploitations agricoles de la commune.
61L’étude débouche sur les résultats suivants : pour l’année 2023 comparée à 2009, la rareté de main-d’œuvre agricole dans la commune de la Vallée de Jacmel est estimée à 20 977 travailleurs (salariés et familiaux) sur l’ensemble des exploitations agricoles. C’est le nombre total de travailleurs dans la commune qui a délaissé le secteur agricole sur une période de quatorze ans et dont la présence aurait permis d’exploiter toutes les terres disponibles.
62La rareté de main-d’œuvre agricole a des causes propres aux exploitations agricoles (nombre de personnes dans le ménage agricole, l’âge des travailleurs familiaux et salariés, la perception globale d’opportunités des travailleurs en dehors de l’agriculture) et des causes externes aux exploitations agricoles (existence d’infrastructure scolaire dans la zone, existence d’activité de taxi-moto dans la zone). Les exploitations agricoles, dans leur ensemble et par rapport à 2009, ont pris diverses décisions techniques en 2023 pour faire face à la rareté de main-d’œuvre, telles que :
-
la réduction de la quantité de main-d’œuvre utilisée pour les activités agricoles et d’élevage de 7336 travailleurs,
-
la réduction de la surface agricole utile (SAU) de 119,48 carreaux,
-
l’utilisation d’une partie des terres rendue vacantes à d’autres fins telles que la mise en place de nouvelles structures (construction de maisons) pour certaines exploitations, la location, l’affermage ou le métayage pour d’autres ; 67,5 % de ces terres sont restées sans aucune utilité, 15,9 % sont en affermage ou métayage alors que les 16,6 % restantes sont destinées à la mise en place de structures pour location, affermage ou pour résider,
-
la réduction plus ou moins relative dans le nombre d’espèces végétales et animales d’une exploitation agricole à une autre,
-
la réduction dans la quantité semée ou plantée et élevée respectivement d’espèces végétales et animales.
63Les exploitations ont connu une réduction dans les disponibilités alimentaires végétales de 144,384 tonnes équivalents maïs (TEM), dans les disponibilités alimentaires animales de 309 921 unités gros bétail (UGB) et dans leur revenu de 857125.84 gourdes, une situation susceptible de renforcer leur insécurité alimentaire.
64Ainsi, comme pistes de solution, il serait recommandé aux exploitants agricoles de la commune de la Vallée de Jacmel de :
-
se constituer en groupes d’entraide pour avoir plus de personnes pour les travaux agricoles ;
-
s’organiser en coopératives pour s’offrir des services de machines adaptés et à prix abordables, inférieurs ou égaux au coût de la main-d’œuvre agricole qui augmente avec sa rareté ;
-
faire l’équilibre entre l’agriculture et les autres activités extra-agricoles des membres de leur famille afin de garder un certain niveau de main-d’œuvre indispensable à la réalisation des activités agricoles.
65Et à l’État haïtien de :
-
prendre des mesures publiques en faveur de la jeunesse pour qu’elle reste dans les zones rurales par la création dans celles-ci d’écoles de différents niveaux et d’opportunités de travail non agricole à temps partiel (par exemple ; formation en menuiserie, en maçonnerie, cordonnerie, couture…) ;
-
encourager la recherche et le développement de technologie adaptée de substitution à la main-d’œuvre agricole ;
-
adopter une politique de support de prix pour les agriculteurs en général pour améliorer leur revenu ;
-
adopter une politique de subvention de la production agricole en général pour compenser la perte de revenu des exploitants due à la rareté de main-d’œuvre ;
-
réglementer l’activité de taxi-moto pour diminuer le nombre de personnes qui y sont engagées ;
-
aciliter le développement de services agricoles payants.