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Études touristiques

Transitions agro-écologiques et tourisme

Agro-Ecological Transitions and Tourism
Transiciones agro-ecológicas y turismo
Jean-Marie Breton

Résumés

Les transitions agro-écologiques, favorisées et soutenues par les pouvoirs publics, contribuent à faciliter la transformation conjointe des secteurs agricole et touristique, au profit d’offres innovantes préfigurant les orientations et perspectives de « nouveaux tourismes » responsables et durables, attentifs à l’environnement, respectueux de la nature et soucieux de la biodiversité. Les deux secteurs peuvent attendre des transformations qui en résultent des bénéfices réciproques, pour autant que les dispositifs juridiques et financiers conçus et mobilisés à cet effet permettent de répondre à un tel objectif, en favorisant l’adaptation des comportements touristiques et en facilitant leur adaptation à des formes de tourismes écologiquement compatibles.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Entre autres, Breton, J.M., « Tourisme, environnement et durabilité », JurisTourisme n° 267/2023, 3 (...)
  • 2 Breton, J.-M., « Le surtourisme : fléau inéluctable ou défi majeur ? », JT n° 278/2024, 35-39.

1La relation du tourisme à l’environnement1 tient à ce que l’activité touristique se déroule et se développe en grande partie dans des espaces aujourd’hui de plus en plus soumis à des contraintes environnementales, alors même qu’elle génère à leur endroit de multiples pollutions et nuisances, sources d’altérations, de dégradations et de destructions. Cette activité affecte la structure et la consistance des paysages et des espaces naturels, met en péril la qualité et la pérennisation des ressources naturelles, impacte la biodiversité et les habitats de tous les êtres vivants, autant que les cadres et la qualité de vie des populations2.

2L’irruption de l’écologie dans le secteur du tourisme n’est pas vraiment nouvelle et revêt depuis quelques décennies une dimension essentielle et une portée déterminante, au point de changer la nature même du tourisme et de ses formes et expressions. Nouveaux tourismes, tourismes alternatifs, tourisme de demain, tourisme durable et responsable, etc., sont autant de qualificatifs ou de typologies révélateurs d’une évolution radicale dont les conséquences, à terme, relèvent autant d’études savantes que de spéculations aléatoires.

3Les transitions agro-écologiques, favorisées et soutenues par les pouvoirs publics, sont en ce sens de nature à faciliter la transformation conjointe des secteurs agricole et touristique, au profit d’offres innovantes préfigurant les orientations et perspectives de « nouveaux tourismes » responsables et durables. Le tourisme offre à cet égard un appui non négligeable aux transitions agricoles (I), l’agriculture et le pastoralisme bénéficiant largement de la dynamique de renouveau qui caractérise les formes de tourismes « alternatifs » (II), sous réserve d’en asseoir la reconversion vers le tourisme sur des outils juridiques et fiscaux ad hoc (III).

I. Le tourisme au soutien des transitions agricoles

A. Tourisme Rural Et Transitions Agro-Ecologiques

4Le tourisme est confronté depuis quelques années à une phase de transition, accélérée par les effets de la double crise sanitaire et énergétique ainsi que par des incertitudes économiques et sécuritaires récurrentes. Cette transition s’inscrit dans la logique et la continuité de celle que postule l’écologie opérationnelle, érigée en axe majeur des politiques publiques3. Elle s’est progressivement imposée, avec une portée variable, mais de manière irréversible, dans tous les domaines de l’activité touristique. En sollicitant l’imagination des décideurs comme des opérateurs, elle s’exprime en termes d’imagination et d’inventivité, d’innovation et de transformation, de mutation et de reconversion.

5Le tourisme rural, dans le secteur agro-pastoral, n’y a pas échappé, et fait à cet égard figure de véritable « laboratoire », à travers les initiatives qui y ont vu le jour, et la rénovation comme la diversité des offres qu’il propose aux touristes, au titre d’une transition agro-écologique pionnière qui, bien qu’inachevée, a sans nul doute valeur d’exemple.

B. Des offres touristiques favorables aux transitions agricoles

  • 4 Transitions agricoles : quelle place pour le droit ?, Société Française pou le Droit de l’Environne (...)

6Fin 2023, un colloque4 a mis en lumière et exploré, sous l’angle du droit de l’environnement, les problématiques relatives aux « transitions agricoles ». Il n’est pas sans intérêt d’en envisager les principales implications du point de vue du tourisme, du « tourisme à la ferme » (au sens large) en particulier, qui a suscité et propose aux touristes toute une gamme d’activités et de produits dont l’originalité n’a d’égal que l’attrait, et suscite un engouement croissant au profit d’un tourisme alliant innovation et découverte, partage et solidarité, responsabilité et durabilité.

  • 5 Ibid., Appel à communication.

7L’évolution des pratiques agricoles, liée à des demandes révélatrices d’un nouveau tourisme en devenir, est de nature à pallier l’insuffisance (sinon « l’inaboutissement », au stade actuel, sauf à en espérer le dépassement), de la préservation et de la conservation de milieux, d’espaces et de ressources plus ou moins gravement affectés par l’activité touristique5. Dans cette perspective se sont développées des offres originales, aptes à satisfaire les attentes d’un tourisme « autrement », répondant à l’ambition de réaliser une transition agri-écologique désormais formellement actée par le code rural et de la pêche maritime.

C. Les limites de l’apport du tourisme aux transitions agro-indus-trielles

8Il convient toutefois de rappeler que les évolutions agro-écologiques considérées, mis à part le recours à l’agriculture biologique, concernent surtout les exploitations familiales et non l’ensemble de l’agriculture française. L’évolution de cette dernière s’inscrit, plus largement, dans le passage à la grande entreprise aux technologies modernes pour lesquelles la promotion et le développement de l’agrotourisme ne présentent qu’un intérêt marginal. Celui-ci répond principalement, en effet, au déclin des seules exploitations traditionnelles, dont le nombre a considérablement diminué et, bien, mais qu’encore nombreuses, sont « en sursis ».

9Pour cette raison, la démarche envisagée ici, et les innovations et évolutions qui en résultent concernent pour l’essentiel la seule « petite » agriculture familiale, le cas échéant élargie. Les présentes remarques ne sont donc pas applicables, sauf exception, aux grandes exploitations agro-industrielles, qui ont développé une agriculture extensive, largement modernisée et fortement mécanisée, sur de vastes superficies, et selon des méthodes et des technologies qui excluent a priori toute activité ludique de proximité.

II. La diversification du tourisme au bénéfice des dynamiques de transition

A. Tourismes alternatifs, agriculture et pastoralisme

  • 6 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/19/le-gouvernement-annonce-150-millions-d-euros-supp (...)

10La transition agro-écologique ne saurait se limiter au seul tourisme et implique de nombreux secteurs d’activités, en même temps qu’elle impacte diverses politiques publiques, celle de l’agriculture en particulier et en premier lieu (réhabilitation des prairies, développement de l’élevage de plein air, plantation de haies, limitation ou interdiction d’engrais et de pesticides, etc.)6. Il convient de prendre acte de ce que, globalement, la production animale a baissé au profit du développement des cultures végétales, et que l’évolution constatée est aussi marquée par la suppression de haies bocagères, et par la concentration des exploitations au détriment des exploitations familiales. Le tourisme, pour sa part, peut à divers égards tirer profit, directement ou indirectement, de cette dynamique et des mutations, souvent radicales, dont elle est porteuse.

11Des expériences nombreuses et diverses illustrent le développement et le succès de ce mouvement et des changements qu’il entraîne, au point de faire désormais partie intégrante de l’offre de tourisme dans l’espace rural, sans pour autant qu’ait été épuisée la capacité des « petits » exploitants de concevoir et de proposer de nouveaux produits, aussi originaux qu’attractifs.

12Ceux-ci recoupent souvent des formes de tourisme « alternatifs » qu’ils s’approprient, ou avec lesquelles ils se combinent de différentes manières, et en constituent des déclinaisons particulières : tourisme de nature, de plein air, vert, lent, sensoriel, gastronomique, patrimonial, écotourisme, agro-écotourisme, etc. Par une sorte de relation de type dialectique, ces nouvelles formes de tourisme sont un effet induit des transitions agricoles, en même temps qu’elles contribuent à les favoriser et à les valoriser.

  • 7 Breton, J.-M., « Le petit patrimoine, entre communs et appropriation privative : valorisation envir (...)
  • 8 Breton, J.-M., « Le surtourisme : fléau inéluctable ou défi majeur ? », Juristourisme n° 278/2024, (...)

13On retrouve dans les deux volets (agriculture -largo sensu- et tourisme) les mêmes aspirations et valeurs : découverte, rencontres, partage, convivialité, solidarité ; ainsi que la prise en compte de préoccupations que le contexte le socio-économique (baisse du pouvoir d’achat et des budgets consacrés aux vacances, aux déplacements lointains en particulier, au profit du tourisme domestique et des hébergements en gîtes ou « chez l’habitant ») a rendus primordiales, telles que, entre autres, la sobriété (énergétique surtout), la préservation du patrimoine (de proximité comme du « petit » patrimoine7), ou même la lutte contre le surtourisme8.

B. Le tourisme a la ferme9, déclinaison du tourisme « vert »

  • 9 Breton, J.-M., « Tourisme à la ferme », dans J.-M. Breton et J.-L. Michaud (dir.), Dictionnaire du (...)

14La richesse, la diversité et l’originalité des offres traduisent l’« explosion » d’une forme de tourisme largement renouvelée, en constante expansion. Il suffit, pour s’en persuader, d’en rappeler les principales composantes et manifestations :

  • gîtes à la ferme et tables d’hôtes ;

  • expérimentation de savoir-faire (préparation de produits animaux et maraîchers, participation aux vendanges, stages de cuisine, initiation à la gastronomie locale et à l’œnologie, distillation de plantes médicinales et florales, etc.) ;

  • découverte de cultures (vieux métiers, fêtes des battages, des moissons), exposition et utilisation d’outils et d’engins traditionnels (moulins à pierre pour farines ou huile de noix, pressoirs artisanaux, alambics ambulants), et de produits (musées et visites commentées : miel, truffes, noix, pruneaux) régionaux, productions spécifiques (escargots, safran, blés anciens) ;

    • 10 Comme, par exemple, le Limousine Park, parc d’animations à proximité de Limoges (87), valorisant la (...)

    marchés paysans, gourmands ou spécialisés (fromages de terroir, légumes oubliés, plantes aromatiques de la cuisine et de la pharmacopée traditionnelles), pêche et cueillette en approvisionnement direct (piscicultures et exploitations maraîchères), parcs agro-animaliers10, fermes équestres, fermes pédagogiques, découverte d’espèces domestiques rares ou réintroduites (autruche, bison, lama, etc.) ;

    • 11 « Venez découvrir l’automne à la Ferme de la Bon’Venture ! Participez à des activités autour des pr (...)
    • 12 Telle la restitution de l’histoire de Jacquou le Croquant, figure emblématique de la paysannerie du (...)

    animations saisonnières diverses11 : repas champêtres, repas de chasse, marchés nocturnes, scénographies patrimoniales12, démonstrations (de labours, de traite, de tonte, de gavage), soirées et veillées (conteurs traditionnels), circuits de découverte (de la flore et de la faune), parcours sportifs ou gymkhanas en forêt, labyrinthes agricoles, etc. ;

  • activités collectives : randonnées guidées et commentées, réhabilitation du petit patrimoine, observation des étoiles (dans des milieux naturels exempts de pollution urbaine), cueillette de champignons et de plantes utilisées dans la cuisine traditionnelle), etc. ;

  • location d’espaces champêtres pour le déroulement de fêtes (concerts en plein air, rave-partie), de compétitions sportives (trials, VTT, rallyes-cross), etc.

C. Des transitions sources d’innovations et de mutations

15Cette liste, qui ne saurait être exhaustive, témoigne des ressources et des potentialités d’un tourisme susceptible d’apporter une contribution de premier plan à une transition agro-écologique qui ne saurait se cantonner aux seules activités proprement agricoles, mais qu’au contraire elle contribue significativement à enrichir. Les agriculteurs, les éleveurs et les cultivateurs, pour leur part, au même titre que les touristes, y trouvent largement leur compte, pour autant qu’ils se lancent dans une démarche appropriée de transformation de leurs bâtiments et de leurs exploitations, dûment aménagés, adaptés et modernisés dans ce propos.

16Il convient alors qu’ils puissent accéder aux financements indispensables aux investissements requis à cet effet, et soient en mesure d’en tirer des bénéfices -que ne leur permettrait pas la poursuite de leurs seules activités traditionnelles (vouées, sinon, à disparaître)- leur offrant l’opportunité de sauvegarder celles-ci, tout en se reconvertissant partiellement dans des productions annexes ou connexes. Il s’agit donc bien d’un échange tripartite « gagnant-gagnant », à la fois pour le tourisme, l’agriculture et l’écologie, assurant ainsi, grâce au tourisme, une transition opportune et valorisante du et dans le secteur agricole.

III. Des outils juridiques et financiers au service de l’agro-tourisme

A. L’élaboration et la mise en œuvre de régulations appropriées

  • 13 Ainsi que, dans une moindre mesure, des droits des transports, de la santé publique, de l’urbanisme (...)

17La transition dont s’agit doit impérativement être facilitée et encadrée par des régulations satisfaisant aux objectifs impartis. Si les instruments juridiques ne sauraient à eux seuls à y suffire (face aux facteurs politiques, économiques et sociaux, tant conjoncturels que structurels), ils n’en revêtent pas moins une importance essentielle en tant que supports et prolongements des politiques dédiées. Dans une double exigence de cohérence formelle et fonctionnelle, les outils requis relèvent principalement du droit de l’environnement, du droit rural, du droit commercial et, dans une large mesure, du droit fiscal13, qui irriguent un droit du tourisme en constante évolution.

18Les implications des relations de l’environnement et de l’agriculture déterminent à cet égard l’objet, la nature et le contenu des réglementations sur la base desquelles il convient de redéfinir les objectifs, les déclinaisons et les modalités du nouveau tourisme qui en est attendu. Sont également en cause la santé environnementale, la transition agro-alimentaire, ainsi que la transition énergétique.

  • 14 Colloque SFDE, 2023, susmentionné.
  • 15 Selon Pierre Bourdieu (in Ce que parler veut dire), « le discours juridique est une parole créatric (...)
  • 16 Colloque SDE, ibid.

19Conçu et mis en œuvre de manière complémentaire par les acteurs nationaux régionaux et locaux, le droit peut être un puissant vecteur de transformation des pratiques agricoles et touristiques. En effet, par les normes qu’il institue, le droit « est porteur d’un ensemble de représentations, de valeurs » dont il convient d’évaluer (sans préjudice de ses tendances conservatrices) « les potentialités de transformation des pratiques »14 socio-économiques15. La diversité des champs appréhendés comme des normes en vigueur « conduit à s’interroger sur l’efficacité des instruments juridiques pour accomplir la transition dès lors que nombre d’entre eux ne parviennent pas à atteindre les objectifs qui leur sont assignés »16.

B. Des incitations fiscales au profit de la transition agro-touristique

  • 17 Aides à l’innovation, financement de la rénovation et au reconditionnement des bâtiments et des équ (...)

201) Les dispositifs fiscaux. Leur importance et leur impact sont déterminants pour la transformation de l’agriculture traditionnelle et sa reconversion au profit d’activités annexes ou alternatives, parmi lesquelles le tourisme peut occuper une place prépondérante. Une fiscalité incitative à la reconversion d’exploitations et d’activités agricoles obsolètes ou en difficultés, en faveur d’un accueil touristique proposant des activités à la ferme et des loisirs de nature, s’avère à cet effet déterminante. Il est pour cela nécessaire d’aller au-delà des dispositifs actuels qui, bien qu’intéressants et efficients17, gagneront à être plus systématiquement orientés en faveur de la promotion d’un tourisme agro-pastoral offrant des attraits multiples et ouvrant des perspectives aptes à apporter des réponses pertinentes aux problèmes auxquels le secteur touristique est actuellement confronté.

21À ce titre, les exploitants agricoles peuvent, alternativement ou conjointement, accéder à une gamme diversifiée d’avantages résidant dans les dispositions en faveur des activités et des hébergements touristiques, dans les incitations fiscales à l’investissement dans des résidences de tourisme en zones de revitalisation rurale (fiscalité du « tourisme vert » en particulier), voire dans la défiscalisation en faveur des investissements locatifs.

  • 18 Pour le surplus, v/ Breton, J.-M., Droit du tourisme, Ed. Mare & Martin, Paris, 2022, p. 615 et s.
  • 19 Code général des impôts.

22Pour s’en tenir ici au second point, ad referendum18, le dispositif d’incitation fiscale à l’investissement dans des résidences de tourisme en ZRR (zones de revitalisation rurale) via la réduction d’impôt Demessine, prévu à l’article 199 decies E CGI19, a été assoupli, en 2010, afin d’éviter que les investisseurs perdent leur avantage fiscal en cas de défaillance de l’exploitant et d’absence de repreneur. Dans ce cas, les investisseurs ont pu, après une période de vacance de douze mois, substituer à l’exploitant défaillant une solution leur permettant d’intervenir dans l’exploitation.

  • 20 Lorsque la reprise d’activité a été homologuée par un tribunal de commerce, il existe un repreneur (...)

23Cette faculté a été conditionnée à ce qu’aucun autre gestionnaire ne se soit porté candidat à la reprise de l’exploitation, ou à ce que les copropriétaires détenant au moins 70 % des appartements de la résidence n’aient pas souhaité signer un bail commercial aux conditions proposées par d’éventuels candidats. Par ailleurs, l’exonération des locaux classés meublés de tourisme et des chambres d’hôtes, situés en ZRR, est accordée sur délibération des communes. L’article 1383 E bis CGI instaure en outre une exonération facultative de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), sur délibération des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, au profit de certains hôtels, chambres d’hôtes et meublés de tourisme situés dans le périmètre d’une ZRR20

242) La fiscalité au service du tourisme « vert ». L’agritourisme offre la possibilité aux exploitants agricoles de diversifier leurs sources de revenus, ce qui pose la question de savoir jusqu’où l’exploitant agricole peut développer une activité touristique sans modifier son régime juridique et fiscal. Cette activité relève souvent des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), mais peut profiter, dans certaines limites et conditions, du rattachement aux bénéfices agricoles (BA) lorsqu’elle reste « complémentaire » de leur activité principale. Dans ce cas, les recettes accessoires issues de l’agritourisme peuvent, en fonction du chiffre d’affaires réalisé, être fondues avec les recettes agricoles, afin d’en simplifier la gestion fiscale.

  • 21 Cette activité touristique complémentaire ne doit pas représenter pas de 30 % des recettes agricole (...)

25Pour l’administration fiscale, un exploitant agricole est « pluriactif » s’il exerce au moins une activité qui n’entre pas dans le champ de l’article 63 CGI. L’exploitant impliqué dans l’agrotourisme devient le plus souvent commerçant, d’un point de vue fiscal, s’il génère des revenus relevant par nature des BIC et pouvant être soumis à la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) du régime général. Le rattachement des BIC aux BA est possible pour les exploitants imposés au réel, de même que la TVA du régime général peut être rattachée à celle du régime simplifié agricole, à la condition de respecter un double seuil en matière fiscale21.

  • 22 Ce dispositif a en partie été remis en cause en 2016, les avantages fiscaux attachés au label « gît (...)

26L’agrotourisme ne modifie donc pas le régime de l’exploitant, considéré comme une simple diversification de l’activité agricole, dans le prolongement de l’acte de production. Il en va ainsi en cas de transformation et de vente de produits de l’exploitation, ou d’activités ayant pour support l’exploitation agricole (camping à la ferme, ferme pédagogique, etc.)22.

D. Tourisme, écologie et agriculture : un mariage de raison

  • 23 V/ dossier « Le tourisme demain », JT n° 277/2024, notamment p. 19 et s.

27L’agrotourisme constitue une chance pour les transitions agricoles, car, sous réserve d’appuyer les réglementations requises sur des politiques ad hoc favorables à une transition agro-écologique au profit du secteur du tourisme, il offre l’opportunité d’une contribution significative à l’émergence des nouveaux tourismes, ou du « tourisme de demain »23, qu’appelle de ses vœux la majorité des acteurs du tourisme, en réponse à la crise endémique dans laquelle le secteur touristique s’enfonce de manière depuis quelques années.

28Un tel processus peut susciter une rénovation salutaire à des objectifs, des destinations et des modalités d’un tourisme à bout de souffle qui y puiserait une nouvelle dynamique, en lui proposant de nouvelles motivations et en lui affectant de nouvelles orientations, fondées sur des offres de loisirs et de séjours dûment repensées, adaptées et maîtrisées. Les bénéfices de toute nature que les mutations en cours sont de nature à apporter tant aux pratiques agricoles que touristiques sont manifestes. Celles-ci pourraient, au vu des avancées réalisées et des résultats obtenus, avoir valeur de « modèle » envers des démarches similaires, dans d’autres secteurs et d’autres milieux.

29Au-delà des seuls territoires ruraux et de la sphère agro-pastorale, un tourisme diversifié et multiforme, en profonde mutation parce qu’en quête de régénération et de revalorisation autant que de légitimité et de crédibilité, aurait tout intérêt à en tirer les enseignements, au profit d’une nouvelle attractivité. Ceci contribuerait à l’« invention » et à la promotion d’un tournis-me innovant et pérenne, satisfaisant aux exigences écologiques et soucieux des valeurs d’humanisme, apte à offrir des avantages et à connaître des performances aussi profitables aux acteurs du tourisme que gratifiants pour les touristes.

Conclusion

30Le tourisme n’est, parmi d’autres, que l’une des réponses aux transitions agricoles, et l’un des secteurs qui contribue à celles-ci, par la mise en tourisme (durable, éco-compatible et responsable) d’un potentiel agricole en quête d’alternative qui serait, faute d’une telle reconversion, laissé à son déclin.  Il est susceptible, conjointement avec d’autres options et politiques, de faciliter, via une phase de transition, la reconversion du capital matériel et humain du secteur agricole, par la mobilisation de ses potentialités en termes d’offres ludiques, au-delà de sa seule vocation productive (domestique et/ou extravertie) originelle.

31Pour ce faire, il convient de concilier les deux démarches, afin qu’elles se valorisent mutuellement, le tourisme contribuant à ressourcer les savoir-faire agricoles, et l’agriculture donnant la possibilité de diversifier les offres de tourisme dans un secteur dont il a longtemps été largement absent.

  • 24 Sur cet aspect, plus généralement, v/ J.-M. Breton, Les politiques publiques de tourisme, Ed. Mare (...)

32Limité au cadre et aux potentialités d’un agro-pastoralisme familial, traditionnel, mais rénové pour répondre aux nécessités d’une reconversion vitale pour son avenir, il s’agit plus toutefois, dans le contexte actuel, d’un tourisme remède pour une agriculture en grave déclin que d’un tourisme d’adaptation24 à une agriculture à grande échelle en quête de modernité.

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Notes

1 Entre autres, Breton, J.M., « Tourisme, environnement et durabilité », JurisTourisme n° 267/2023, 35-39.

2 Breton, J.-M., « Le surtourisme : fléau inéluctable ou défi majeur ? », JT n° 278/2024, 35-39.

3 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/19/le-gouvernement-annonce-150-millions-d-euros-supplementaires-pour-soutenir-la-transition-des-exploitations_6206687_3244.html

4 Transitions agricoles : quelle place pour le droit ?, Société Française pou le Droit de l’Environnement (SFDE), Amiens, novembre 2023 (Actes à paraître dans la Revue Juridique de l’Environnement, n° spécial, 2025).

5 Ibid., Appel à communication.

6 https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/19/le-gouvernement-annonce-150-millions-d-euros-supplémentaires-pour-soutenir-la-transition-des-exploitations 6206687 3244.htlm

7 Breton, J.-M., « Le petit patrimoine, entre communs et appropriation privative : valorisation environnementale et attractivité touristique », Revue Juridique de l’Environnement, 2023, n° HS22, vol.48, 21-30.

8 Breton, J.-M., « Le surtourisme : fléau inéluctable ou défi majeur ? », Juristourisme n° 278/2024, 35-39.

9 Breton, J.-M., « Tourisme à la ferme », dans J.-M. Breton et J.-L. Michaud (dir.), Dictionnaire du tourisme et de droit du tourisme, Ed. Mare & Martin, coll. « Tourisme et écotourisme », à paraître 2025.

10 Comme, par exemple, le Limousine Park, parc d’animations à proximité de Limoges (87), valorisant la race bovine Limousin.

11 « Venez découvrir l’automne à la Ferme de la Bon’Venture ! Participez à des activités autour des produits de saison et des animaux. Une immersion conviviale et gourmande au cœur de la campagne » (Office du Tourisme de la Dordogne, 09.2024).

12 Telle la restitution de l’histoire de Jacquou le Croquant, figure emblématique de la paysannerie du sud-ouest de la France et de ses révoltes aux xvie et xviie siècles (d’après l’œuvre d’Eugène Le Roy).

13 Ainsi que, dans une moindre mesure, des droits des transports, de la santé publique, de l’urbanisme, et des collectivités territoriales, sans oublier les directives européennes dédiées (cf.).

14 Colloque SFDE, 2023, susmentionné.

15 Selon Pierre Bourdieu (in Ce que parler veut dire), « le discours juridique est une parole créatrice qui fait exister ce qu’elle énonce », et constitue donc un énoncé performatif.

16 Colloque SDE, ibid.

17 Aides à l’innovation, financement de la rénovation et au reconditionnement des bâtiments et des équipements, fiscalité favorable à la location de meublés touristiques, imposition des bénéfices industrie et commerciaux réalisés par les exploitantes agricoles au titre d’activités à caractère annexe, etc.

18 Pour le surplus, v/ Breton, J.-M., Droit du tourisme, Ed. Mare & Martin, Paris, 2022, p. 615 et s.

19 Code général des impôts.

20 Lorsque la reprise d’activité a été homologuée par un tribunal de commerce, il existe un repreneur titulaire du droit d’exploiter, qui dispose à ce titre des prérogatives d’exploitant unique. Le repreneur désigné par le tribunal est le seul à même d’assurer l’exécution des services et prestations caractéristiques d’une résidence de tourisme (gîtes à la ferme, par ex.), permettant de respecter les conditions d’éligibilité à la réduction d’impôt sur le revenu.

21 Cette activité touristique complémentaire ne doit pas représenter pas de 30 % des recettes agricoles, ni plus de 50 000 € de chiffre d’affaires TTC (art. 75 CGI).

22 Ce dispositif a en partie été remis en cause en 2016, les avantages fiscaux attachés au label « gîte rural » ayant été supprimés sauf, pour les propriétaires concernés, à solliciter, en lieu et place de celui-ci, le classement des locaux donnés en location en « meublés de tourisme ».

23 V/ dossier « Le tourisme demain », JT n° 277/2024, notamment p. 19 et s.

24 Sur cet aspect, plus généralement, v/ J.-M. Breton, Les politiques publiques de tourisme, Ed. Mare & Martin, Paris, 2023.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Marie Breton, « Transitions agro-écologiques et tourisme »Études caribéennes [En ligne], 59 | Décembre 2024, mis en ligne le 17 décembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/33192 ; DOI : https://doi.org/10.4000/132zm

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Auteur

Jean-Marie Breton

Professeur émérite de droit public, Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (Paris)

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