1Les inégalités de genre restent un phénomène universel et complexe, affectant divers domaines (Cecchini, Holz et al., 2021). Ces disparités, loin d’être uniformes, prennent des formes variées selon les contextes culturels, économiques et sociaux. En Haïti, pays marqué par une histoire de luttes sociales et économiques, les inégalités de genre se manifestent de manière particulièrement marquée dans le secteur agricole (Duvivier, Tescar et al., 2024).
2Le secteur agricole représente une composante essentielle de l’économie haïtienne, mobilisant une grande partie de la population active et jouant un rôle crucial dans la sécurité alimentaire du pays. Cependant, la contribution des femmes dans ce secteur, bien que fondamentale, demeure souvent sous-estimée et insuffisamment reconnue (Courdin, 2008). Selon ONU Femmes (2020) et Croppenstedt et al. (2013), les femmes représentent environ 43 % de la main-d’œuvre agricole dans les pays en développement et assurent près de la moitié de la production alimentaire mondiale. En Haïti, cette dynamique est similaire : les femmes constituent 49 % de la population active agricole (Pierre, Alfredo et al., 2003) et participent activement à presque toutes les étapes du processus de production, de la plantation à la récolte, en passant par la transformation et la commercialisation (ActionAid, 2014).
3Malgré cette implication majeure, leur travail reste souvent invisibilisé et sous-évalué. Les femmes agricoles font face à des obstacles importants tels que l’accès limité aux ressources foncières, aux crédits, aux technologies modernes et aux services de formation. Ce déséquilibre entrave non seulement leur développement personnel, mais aussi celui de leurs exploitations, réduisant ainsi leur contribution potentielle au développement rural et à la croissance économique du pays (Venort et Calixte, 2019).
4Par ailleurs, les statistiques illustrent clairement l’ampleur des disparités : selon la FAO (2022), Haïti présente un Indice d’Inégalité de Genre (IIG) de 0,636, le classant au 152e rang sur 162 pays (PNUD, 2020). Ce chiffre révèle non seulement les disparités dans la répartition des ressources et des opportunités entre hommes et femmes, mais souligne également l’urgence de remédier à ces inégalités pour stimuler un développement inclusif.
5Dans ce contexte, il est crucial d’étudier les exploitations agricoles dirigées par des femmes et celles dirigées par des hommes pour mieux comprendre les disparités socio-économiques qui les caractérisent. Cette étude cherche à répondre à la question suivante : les exploitations dirigées par des femmes présentent-elles des caractéristiques socio-économiques moins favorables que celles dirigées par des hommes sur le plan des dotations en capital (technique, naturel, social, économique/financier) ?
6En partant de cette problématique, l’hypothèse suivante sera testée : les exploitations agricoles dirigées par des femmes sont présentent des caractéristiques socio-économiques moins favorables que celles dirigées par des hommes, notamment en ce qui concerne leurs dotations en capital technique, naturel, social, économique/financier.
7Cette étude est essentielle pour comprendre les dynamiques genrées au sein du secteur agricole haïtien et proposer des solutions adaptées visant à réduire les inégalités socio-économiques. En identifiant les défis spécifiques auxquels font face les agricultrices haïtiennes, elle contribue à orienter les politiques agricoles vers un développement rural plus inclusif et équitable.
8Dans cette section, nous présentons une brève revue de la littérature portant sur les inégalités de genre dans l’agriculture, en particulier en termes d’accès aux ressources.
9À l’échelle mondiale, d’importantes inégalités de genre persistent dans les systèmes alimentaires, de la production agricole à la vente au détail et à la consommation, notamment dans les pays à revenu faible et moyen (Njuki, Eissler et al., 2023). Dans de nombreux pays en développement, les femmes jouent un rôle important dans le secteur agricole, consacrant un temps considérable à diverses activités de production tout en accomplissant simultanément leurs tâches habituelles (Mukasa et Salami, 2016), représentent en moyenne 43 % de la main-d’œuvre agricole (ONU-Femmes, 2020 ; Croppenstedt et al., 2013). Cependant, elles font face à des contraintes sévères pour accéder aux ressources productives comparativement aux hommes (Massin, Ferchichi et al, 2016 : 49). Elles jouent pourtant de multiples rôles en tant qu’agricultrices, ménagères et commerçantes (Zidouemba, et al., 2019). Parmi les ressources clés, il y a le crédit, la terre, les intrants (semences de qualité, intrants chimiques, engrais, etc.), la formation, l’information, la technologie, ainsi que les services de vulgarisation et de conseil (Njuki, Eissler et al., 2023 ; Guétat-Bernard, 2015 ; ONU-Femmes, 2020 ; FAO, 2011 citée par Zidouemba, Kinda et al., 2019). Pour pallier les différences d’accès à l’information et aux services de vulgarisation, la reconnaissance de l’importance des inégalités de genre dans l’accès à l’information agricole, ainsi que des initiatives ciblées centrées sur les agricultrices, est essentielle (Lamontagne-Godwin et al., 2019 cités par Jaleta et al., 2023).
10De nombreux travaux ont montré que les femmes gèrent des exploitations agricoles de taille plus petite que celles des hommes. FAO (2010) et Villarreal (2019) ont souligné que dans toutes les régions du monde, les unités foncières détenues par les femmes sont de plus petite taille et de qualité des sols inférieure que celles des hommes. En Haïti, les femmes ont un accès limité à la terre contrairement aux hommes, 70 % environ ne possèdent pas de titre de propriété terrien (Venort et al., 2018). Elles sont défavorisées par rapport aux hommes en ce qui concerne la taille des exploitations (Paul et al., 2023 ; Duvivier et al., 2024 ; Lamaute-Brisson, 2013). Selon une évaluation des obstacles liés à l’égalité de genre faite en Haïti par la Banque Mondiale (2023), seulement 8 % des femmes possèdent des terres, contre 20 % des hommes. En ce qui concerne l’accès aux équipements, à l’outillage et à certaines infrastructures de base, les femmes sont généralement marginalisées (CTA, 2005). Une typologie des exploitations agricoles haïtiennes basée sur l’accès à la mécanisation agricole publiée récemment par Paul et Régis (2024) a montré que les femmes ont représenté un pourcentage plus faible dans la catégorie des exploitations agricoles les plus mécanisées et un pourcentage plus élevé dans la catégorie la moins mécanisée. De plus, cette dernière catégorie d’exploitations agricoles de petite taille pratiquant l’agriculture pluviale avait un accès très limité à l’irrigation (Paul et Régis, 2024).
11
12Shortall (1996), cité par Noris-Mudege et al. (2017), a montré que l’inaccessibilité des femmes à la formation agricole découle dans la définition traditionnelle du travail agricole, qui tend à négliger le travail effectué par les femmes. Se basant sur la dévalorisation du travail des femmes, les agents de vulgarisation ont considéré la formation comme inutile pour elles (Peterman et al, 2014). Simiyu et Foeken (2014), cités par Noris-Mudege et al. (2017), ont expliqué que les hommes sont très mobiles et dominent certains espaces publics où ils peuvent accéder aux connaissances et à l’information agricole, par rapport aux femmes qui sont généralement liées à leur foyer. Contrairement aux hommes, les femmes restent très mal desservies par les services de vulgarisation (Coulter et al. 2019 ; Farnworth et Colverson, 2015 ; Huyer, 2016 ; Moore, 2017 ; Quisumbing et Pandolfelli (2010) cités par Witinok-Huber et al., (2021) ; OXFAM (2019). Les femmes ont très peu d’accès à la formation et à la vulgarisation (FAO, 2011). Elles n’ont souvent pas accès aux technologies et aux intrants agricoles (comme le matériel agricole, l’irrigation et les semences améliorées), elles sont généralement moins capables de s’adapter avec succès aux conditions climatiques changeantes que les agriculteurs masculins (Gustafson, 2015). Selon ONU-Femmes (2020), elles sont aussi exclues de l’accès aux services de vulgarisation agricole et au crédit institutionnel.
13Dans toutes les régions du monde, des disparités de genre concernant l’insécurité alimentaire ont été constatées (FAO, 2024). Selon Madzorera et Fawzi 2020 ; Theis et al. 2019 cités par Njuki et al., (2023), les femmes sont plus vulnérables à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle chronique, ainsi qu’à l’insécurité alimentaire provoquée par les chocs que les hommes. En 2021, 31,9 % des femmes dans le monde étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave, contre 27,6 % des hommes (FAO, 2024).
14Pour l’atteinte des objectifs fixés et le test de l’hypothèse formulée, cette étude mobilise des données empiriques et suit une méthodologie fondée sur une approche comparative. Pour ce faire, plusieurs étapes ont été suivies : une recherche bibliographique, l’échantillonnage, l’utilisation de données qualitatives et quantitatives, ainsi que leur traitement et analyse.
15Les données utilisées proviennent de la base de données du MARNDR via son projet PITAG. Cette base a été constituée par une équipe de chercheurs en agro-socio-économie de la faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement de l’Université Quisqueya dans le cadre du diagnostic agro-socio-économique des exploitations agricoles productrices de céréales et légumineuses, réalisée pour le compte du MARNDR, entre 2020 et 2021.
16Dans le cadre de ce travail, les exploitations agricoles productrices de céréales et légumineuses ont été choisies en raison du fait que les femmes haïtiennes cultivent pratiquement toutes ces cultures sur leur exploitation afin de répondre notamment aux besoins alimentaires de leur foyer.
17N’ayant pas pu avoir une liste exhaustive d’exploitations agricoles dans les départements concernés par cette étude, la méthode d’échantillonnage qui a été retenue est celle de la stratégie de boule de neige. Cette méthode repose sur l’idée qu’un participant initial peut aider à identifier d’autres personnes qui, à leur tour, peuvent également aider à en identifier d’autres pour participer à l’enquête, et ainsi de suite.
18Au total, 675 exploitations agricoles ont été enquêtées, dans 5 communes situées dans les départements Sud et Artibonite, dont 126 dirigées par les femmes et le reste par les hommes (Paul et al., 2023). Pour une meilleure analyse comparative et afin d’éviter tout biais possible, nous avons sélectionné aléatoirement dans les 549 exploitations dirigées par les hommes, un sous-échantillon de 126 répartis en fonction de la quantité de femmes enquêtées dans chaque commune concernée, de manière à ce que les deux échantillons (femmes et hommes) soient de taille équivalente.
19Le logiciel SPSS (version 20) a été utilisé pour le traitement et l’analyse des données socio-économiques des exploitations agricoles enquêtées, ainsi que pour la réalisation des différents tests statistiques. Notre échantillon étant de taille suffisamment grande, les deux principaux tests utilisés étaient :
-
Test du Khi-2 permettant de déterminer la relation de dépendance ou non entre le sexe et les autres variables qualitatives prises en compte par cette étude et ;
-
Test de Levenne et Test de Student pour vérifier les disparités économiques existant entre les femmes et les hommes, chefs d’exploitations agricoles.
20Pour analyser l’accès aux ressources, les variables mobilisées dans cette étude sont classées en six types de dotations :
-
Capital technique : mécanisation agricole, taille de l’exploitation agricole, taille du cheptel.
-
Capital naturel : accès à l’irrigation.
-
Capital social : insertion dans des organisations de producteurs, accès à la vulgarisation agricole, au marché des semences de qualité, recours à la main-d’œuvre extérieure, et participation dans des échanges de main-d’œuvre.
-
Capital humain : niveau de formation agricole du chef d’exploitation, niveau moyen d’instruction sur l’exploitation agricole.
-
Capital économique et financier : accès au marché financier, sécurité alimentaire et nutritionnelle, revenus agricoles et non agricoles (y compris les transferts reçus), ainsi que la valeur des dépenses totales de l’exploitation (incluant les transferts envoyés).
-
Capital institutionnel : exposition à des règles (véhiculées par des organisations ou des programmes de vulgarisation agricole), perception des règles imposées.
21Le capital institutionnel tel que théorisé par Paul (2009, 2011) et Paul et Garrabé (2011) est très lié au capital social. Mais il s’en distingue ici par le fait que même si l’appartenance à une organisation entraîne une exposition à des règles similaires pour tous les membres, ces derniers ne le perçoivent pas de la même manière. Dès lors, cette ressource institutionnelle collective connaît une médiatisation individuelle, notamment dans une perspective cognitive et comportementale (Paul, 2011 ; Paul, Garrabé et Daméus, 2011).
22Dans cette section, les résultats de l’étude sont présentés et analysés de manière comparative afin de faire ressortir les disparités socio-économiques entre les exploitations agricoles en fonction du genre.
23Les chefs d’exploitations agricoles sont en généralement âgés, avec un âge moyen de 51,5 ans (écart-type : 12,954). Les exploitants relativement jeunes (moins de 45 ans) représentent environ 28 %, tandis que près de 40 % ont plus de 55 ans. Plus de 45 % des chefs d’exploitation exercent des activités en dehors de leur exploitation agricole, consacrant la majeure partie de leur temps à des occupations non agricoles. À l’inverse, moins d’un quart des chefs d’exploitations se sont concentrés exclusivement sur leur exploitation.
24Ces exploitants dirigent des ménages composés, en moyenne, de 6 membres (écart-type : 2,646), bien que certains ménages regroupent plus d’une dizaine de personnes. Parmi eux, plus de 30 % n’ont reçu aucune instruction.
25En ce qui concerne la comparaison entre les sexes, aucune différence significative n’a été observée dans le profil des chefs d’exploitations agricoles. Que ce soit des hommes ou des femmes, leurs caractéristiques principales telles que l’âge, le temps alloué à l’exploitation, le nombre de membres dans le ménage, ou encore le niveau d’instruction ne varient pas de manière significative.
26Nous présentons ici la situation socio-économique des exploitations agricoles dirigées par les femmes en comparaison à celles dirigées par les hommes en termes d’accès aux ressources à travers l’analyse des dotations en capital technique, naturel, social et économique/financier.
27L’accès à la mécanisation agricole peut contribuer à l’amélioration de l’efficacité, de la productivité et des conditions de travail dans l’agriculture. Cet accès a été mesuré en termes d’utilisation de charrue motorisée ou à traction animale (en propriété ou en location). Un test de Khi2 a révélé qu’il existe un lien significatif entre le genre et l’accès à la mécanisation agricole au niveau des communes de Torbeck, de Camp-Perrin, des Cayes, de Marmelade et de Saint-Michel (voir tableau 1). L’accès des femmes à la mécanisation agricole est limité dans ces communes, contrairement à celui des hommes. En Haïti, les agriculteurs ont souvent recours à la mécanisation agricole lorsque celle-ci est disponible (Paul et Régis, 2024), notamment pour des superficies relativement grandes, alors que la plupart des agricultrices haïtiennes exploitent des parcelles de plus petite taille (Paul et Régis, 2024 ; FAO, 2010), contrairement aux agriculteurs. Cela pourrait expliquer en partie cette limitation.
Tableau 1 : Résultats du Khi2 concernant la relation entre le sexe et l’accès à la mécanisation agricole par commune
Communes
|
Sexe
|
Valeur de Khi-deux de Pearson
|
ddl
|
Signification asymptotique (bilatérale)
|
Phi et V de Cramer
|
Camp-Perrin
|
M
|
F
|
3,429
|
1
|
0,064*
|
0,378
|
Cayes
|
M
|
F
|
0,139
|
1
|
0,066*
|
0,710
|
Torbeck
|
M
|
F
|
20,403
|
1
|
0,000***
|
0,502
|
Marmelade
|
M
|
F
|
9,579
|
1
|
0,002***
|
0,607
|
Saint-Michel
|
M
|
F
|
5,057
|
1
|
0,025**
|
0,240
|
Total
|
M
|
F
|
26,569
|
1
|
0,000***
|
0,325
|
*, ** et *** indiquent un seuil de significativité à 10 %, 5 % et 1 %, respectivement.
28Les résultats du test de comparaison de moyenne ont montré qu’il existe une inégalité entre les femmes et les hommes en ce qui concerne l’exploitation de la superficie physique (p-value du test : 0,000 032 < 5 %) et celle cultivée (p-value du test : 0,000 043 < 5 %). Les femmes ont détenu, en moyenne, moins de superficie agricole utile (SAU) que les hommes, que ce soit en termes de SAU totale ou SAU cultivée. La SAU totale moyenne (1,016 9 carreau et écart-type : 0,828 68) de leur exploitation étaient d’environ 40 % moins importante que celle des hommes et la SAU cultivée (moyenne : 0,951 0 carreau et écart-type : 0,758 09) affiche un écart moyen de 41 % de moins que celle des hommes (Tableau 2).
Tableau 2 : Test de comparaison de moyenne de la taille des exploitations par sexe
Taille de l’exploitation
|
Hypothèse de variances
|
Test de Levenne
|
Test-t pour égalité des moyennes (intervalle de confiance 95 %)
|
Sig.
|
t
|
ddl
|
Sig. (bilatérale)
|
Différence moyenne
|
Différence écart-type
|
Surface cultivée
|
Égale
|
0,000
|
-4,163
|
250
|
0,000 043
|
-0,652 629
|
0,156 775
|
Inégales
|
|
-4,163
|
179
|
0,000 049
|
-0,652 629
|
0,156 775
|
SAU physique
|
Égale
|
0,001
|
-4,238
|
250
|
0,000 032
|
-0,691 310
|
0,163 123
|
Inégales
|
|
-4,238
|
185
|
0,000 035
|
-0,691 310
|
0,163 123
|
Source : les auteurs
29La disparité de genre observée au niveau de l’accès à la terre connaît également une variation géographique dans la mesure où les analyses ont révélé que cette différence a été surtout identifiée au niveau des communes de Torbeck et de Saint-Michel l’Attalaye. Ceci est vrai tant pour la SAU totale des exploitations agricoles étudiées (Tableau 3) que pour la partie de ces exploitations réellement mise en valeur (Tableau 4).
Tableau 3 : Test de comparaison de moyenne de la superficie physique totale des exploitations agricoles par sexe et par commune
Superficie physique de l’exploitation (en carreaux)
|
Test de Levenne
|
Test-t pour égalité des moyennes (intervalle de confiance 95 %)
|
Communes
|
Hypothèse de variances
|
Sig.
|
t
|
ddl
|
Sig. (bilatérale)
|
Différence moyenne
|
Différence écart-type
|
Marmelade
|
Égales
|
0,545
|
0,434
|
24
|
0,668
|
0,205
|
0,474
|
Inégales
|
|
0,434
|
21
|
0,669
|
0,205
|
0,474
|
Torbeck
|
Égales
|
0,002
|
-3,430
|
80
|
0,001
|
-0,682
|
0,199
|
Inégales
|
|
-3,430
|
62
|
0,001
|
-0,682
|
0,199
|
Cayes
|
Égales
|
0,134
|
-0,329
|
30
|
0,745
|
-0,070
|
0,213
|
Inégales
|
|
-0,329
|
28
|
0,745
|
-0,070
|
0,213
|
Camp-Perrin
|
Égales
|
0,233
|
1,508
|
22
|
0,146
|
0,238
|
0,158
|
Inégales
|
|
1,508
|
19
|
0,148
|
0,238
|
0,158
|
Saint-Michel
|
Égales
|
0,008
|
-3,475
|
86
|
0,001
|
-1,244
|
0,358
|
Inégales
|
|
-3,475
|
59
|
0,001
|
-1,244
|
0,358
|
Source : les auteurs
30Comme pour la SAU totale, les tests de comparaison de moyenne ont révélé une différence significative entre les sexes au niveau de la SAU cultivée uniquement pour les communes de Torbeck et de Saint-Michel de l’Attalaye. Ces deux communes sont le lieu de productions de rente importantes, à savoir le riz irrigué (dans le cas de Torbeck) et la canne à sucre utilisée pour la production de clairin (rhum agricole) dans le cas de Saint-Michel de l’Attalaye. Dès lors, posséder et cultiver plus ou moins de terres dans ces communes représente une possibilité de plus ou moins grand accès à des revenus agricoles élevés.
Tableau 4 : Test de comparaison de moyenne de la superficie cultivée des exploitations agricoles par sexe et par commune
Superficie cultivée de l’exploitation (en carreaux)
|
Test de Levenne
|
Test-t pour égalité des moyennes (intervalle de confiance 95 %)
|
Communes
|
Hypothèse de variances
|
Sig.
|
t
|
ddl
|
Sig. (bilatérale)
|
Différence moyenne
|
Différence écart-type
|
Marmelade
|
Égales
|
0,942
|
0,116
|
24
|
0,908
|
0,058
|
0,497
|
Inégales
|
|
0,116
|
23
|
0,909
|
0,058
|
0,497
|
Torbeck
|
Égales
|
0,001
|
-3,634
|
80
|
0,000
|
-0,724
|
0,199
|
Inégales
|
|
-3,634
|
62
|
0,001
|
-0,724
|
0,199
|
Cayes
|
Égales
|
0,378
|
-0,117
|
30
|
0,908
|
-0,025
|
0,211
|
Inégales
|
|
-0,117
|
29
|
0,908
|
-0,025
|
0,211
|
Camp-Perrin
|
Égales
|
0,530
|
1,425
|
22
|
0,168
|
0,187
|
0,131
|
Inégales
|
|
1,425
|
21
|
0,169
|
0,187
|
0,131
|
Saint-Michel
|
Égales
|
0,002
|
-3,287
|
86
|
0,001
|
-1,135
|
0,345
|
Inégale
|
|
-3,287
|
53
|
0,002
|
-1,135
|
0,345
|
Source : les auteurs
31La figure 2 ci-après permet d’observer que dans l’ensemble des communes étudiées les exploitations agricoles de très petite taille (> 1 carreau) sont majoritairement dirigées par les femmes. Cependant, les exploitations agricoles de taille moyenne ou grande (> 2 carreaux) sont plutôt dirigées par les hommes.
Figure 2 : Terciles de taille des exploitations agricoles en fonction du sexe
32Après la terre, le bétail (mesurée en unités bovins tropicaux, UBT) représente un actif important sur les exploitations agricoles. Les résultats des données traitées dans l’échantillon considéré révèlent que les bovins, les porcins, les ovins, les caprins et les volailles sont les principaux types de bétails rencontrés sur les deux groupes d’exploitations agricoles.
33Le test de comparaison de moyenne ne révèle pas de différence statistiquement significative en ce qui a trait à la taille du cheptel à travers l’ensemble des communes étudiées. Cependant, le test de khi2 a mis en évidence l’existence d’une relation de dépendance entre le genre et l’accès à des bœufs de trait dans l’ensemble des zones d’étude (voir tableau 5). Ce résultat démontre également que les femmes ont un accès limité (6 %) aux bovins de traction, contrairement aux hommes (26 %). Cela représente une disparité marquée entre les sexes, puisque l’accès à cette ressource est important, voire déterminant, dans des zones agricoles un peu plus mécanisées comme Saint-Michel de l’Attalaye ou Torbeck.
Tableau 5 : Résultats du Khi2 concernant la relation entre le sexe et l’accès à des bœufs de trait par commune
Communes
|
Sexe
|
Valeur de Khi-deux de Pearson
|
ddl
|
Signification asymptotique (bilatérale)
|
Phi et V de Cramer
|
Camp-Perrin
|
M
|
F
|
9,882
|
1
|
0,002
|
0,642
|
Cayes
|
M
|
F
|
12,698
|
1
|
0,000
|
0,630
|
Torbeck
|
M
|
F
|
8,151
|
1
|
0,004
|
0,317
|
Marmelade
|
M
|
F
|
9,579
|
1
|
0,002
|
0,607
|
Saint-Michel
|
M
|
F
|
10,909
|
1
|
0,001
|
0,352
|
Total
|
M
|
F
|
45,875
|
1
|
0,000
|
0,428
|
Source : les auteurs
34La dotation en capital naturel fait référence ici à l’accès à l’irrigation. Les résultats du test de khi2 (Tableau 6) confirment qu’il y a une relation statistiquement significative entre le sexe et l’accès à l’irrigation, mais cette relation de dépendance est observée au niveau des communes de Camp-Perrin (p-value : 0,004), Cayes (p-value : 0,012) et Torbeck p-value : 0,000).
Tableau 6 : Résultats du Khi2 concernant la relation entre le sexe et l’accès à des parcelles irriguées par commune
Communes
|
Sexe
|
Valeur de Khi-deux de Pearson
|
ddl
|
Signification asymptotique (bilatérale)
|
Phi et V de Cramer
|
Camp-Perrin
|
M
|
F
|
8,224
|
1
|
,004
|
,585
|
Cayes
|
M
|
F
|
6,348
|
1
|
,012
|
,445
|
Torbeck
|
M
|
F
|
14,656
|
1
|
,000
|
,423
|
Marmelade
|
M
|
F
|
1,040
|
1
|
,308
|
,200
|
Saint-Michel
|
M
|
F
|
2,862
|
1
|
,091
|
,180
|
Total
|
M
|
F
|
23,428
|
1
|
,004
|
,305
|
Source : les auteurs
35Dans la figure 3 ci-après, il est indiqué que la majorité (plus de ¾) des parcelles retrouvées dans les exploitations agricoles dirigées par les femmes ne sont pas irriguées, contrairement à celles dirigées par les hommes où environ 62 % ne sont pas irriguées. Ce constat permet de conclure que les femmes dirigent des exploitations agricoles dont les parcelles sont moins irriguées que les hommes. Cet accès limité à l’irrigation réduit leur capacité à pratiquer une agriculture plus productive et résiliente notamment au dérèglement climatique qui entraîne la rareté des pluies (Duvil et al., 2024). Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette limitation, notamment un accès restreint au financement pour investir dans des infrastructures d’irrigation, ainsi que des inégalités en matière de propriété foncière et de gestion des terres.
Figure 3 : Accès des chefs d’exploitation à des parcelles irriguées ventilé en fonction du sexe
36En ce qui a trait à la formation agricole, les données collectées et traitées ont révélé que dans l’ensemble le niveau des chefs d’exploitations agricoles est très varié. Sur les 126 femmes cheffes d’exploitations enquêtées, plus de 75 % n’ont reçu aucune formation. Cependant du côté des hommes, seulement 30 % environ (pour un échantillon de 126 hommes) qui n’ont pas été formés dans le métier d’agriculteur. Plus de 50 % des hommes arrivent à suivre au moins un séminaire de formation agricole contre moins de 25 % des femmes. Seulement 7 % environ des hommes ont pu suivre une formation au niveau d’école technique contre moins de 2 % des femmes. Il convient de souligner que, dans l’échantillon considéré, il n’y a qu’une seule femme ayant une formation de niveau universitaire. Cette limitation pourrait avoir un impact sur leur capacité à accéder à des ressources et à des opportunités agricoles plus avancées, y compris l’adoption de techniques modernes ou de pratiques agricoles résilientes.
37Le test du khi-2 confirme l’existence d’un lien entre le sexe des chefs d’exploitations agricoles et la formation agricole dans les communes des Cayes, de Torbeck, et de Saint-Michel au seuil de 5 % (voir tableau 7). Les femmes sont moins formées en agriculture, ce qui signifie qu’elles ont moins de connaissances et de compétences pour adopter de nouvelles techniques et innovations agricoles. Les programmes de formation et d’éducation en agriculture peuvent ne pas être aussi accessibles ou inclusifs pour les femmes.
Tableau 7 : Résultats du Khi2 concernant la relation entre le sexe et la formation agricole en fonction de leur localisation
Communes
|
Sexe
|
Valeur de Khi-deux de Pearson
|
ddl
|
Signification asymptotique (bilatérale)
|
Phi et V de Cramer
|
Camp-Perrin
|
M
|
F
|
,000
|
1
|
1 000
|
,000
|
Marmelade
|
M
|
F
|
1,361
|
2
|
,506
|
,648
|
Cayes
|
M
|
F
|
13,444
|
2
|
,001
|
,466
|
Torbeck
|
M
|
F
|
17,802
|
3
|
,000
|
,329
|
Saint-Michel
|
M
|
F
|
44,872
|
2
|
,000
|
,714
|
Total
|
M
|
F
|
56,894
|
3
|
,000
|
,464
|
Source : les auteurs
38Le niveau moyen d’instruction sur les exploitations agricoles est une variable importante. Il permet d’aborder l’accès d’autres ressources non agricoles pouvant être réinvesties sur les exploitations agricoles. Il a été mesuré sur le plan du nombre d’actifs du ménage vivant sur l’exploitation agricole ayant un niveau d’instruction supérieur au secondaire. Au total, sur les exploitations agricoles dirigées par les femmes, 34,9 % ont eu 2 ou plusieurs actifs éduqués et et 23,8 % ont eu un seul actif éduqué alors que sur les exploitations agricoles dirigées par des hommes, ces pourcentages étaient respectivement 40,5 % et 23,8 %. Le test du Kh2 n’a pas montré de différence significative (p-value = 0,600). De manière générale, le niveau d’éducation sur les exploitations agricoles demeure faible, avec 41,3 % d’actifs n’ayant pas atteint l’école secondaire chez les femmes et 35,7 % chez les hommes.
39L’insertion sociale est une caractéristique clé pour les exploitations agricoles. S’il est vrai que la plupart des chefs d’exploitations agricoles sont membres d’au moins une organisation de producteurs, ils ne sont pas nécessairement actifs dans ces groupes sociaux. Nous avons étudié la participation dans les associations agricoles selon trois niveaux : inexistant, occasionnel et actif. Au niveau de l’échantillon étudié, un niveau de participation active dans les associations agricoles n’était observé que pour seulement 11,9 % chez les femmes et 19,0 % chez les hommes. La participation occasionnelle était encore moins élevée (8,7 % chez les femmes et 12,7 % chez les hommes). Il ressort un niveau de participation faible globalement et estimé à 79,4 % chez les femmes et 68,3 % chez les hommes. Le test du Khi2 n’a pas permis d’observer de différence significative en termes de niveau d’insertion sociale organisationnelle entre le sexe (p-value = 0,132).
40Le test de Khi2 indique qu’il y a une différence significative entre l’accès à la vulgarisation agricole dans l’ensemble des communes étudiées au seuil de 5 % (Tableau 8).
Tableau 8 : Résultats du Khi2 concernant la relation entre le sexe et l’accès à la vulgarisation agricole par commune
Communes
|
Sexe
|
Valeur de Khi-deux de Pearson
|
ddl
|
Signification asymptotique (bilatérale)
|
Phi et V de Cramer
|
Camp-Perrin
|
M
|
F
|
6,171
|
1
|
0,013
|
0,507
|
Cayes
|
M
|
F
|
4,571
|
1
|
0,033
|
0,378
|
Torbeck
|
M
|
F
|
9,332
|
1
|
0,002
|
0,337
|
Marmelade
|
M
|
F
|
5,571
|
1
|
0,018
|
0,463
|
Saint-Michel
|
M
|
F
|
25,095
|
1
|
0,000
|
0,534
|
Total
|
M
|
F
|
46,391
|
1
|
0,000
|
0,429
|
Source : les auteurs
41La figure 4 ci-après montre que les femmes bénéficient moins de supports (intrants agricoles, matériels et/ou équipements agricoles et travail agricole) que les hommes de la part des projets et programmes de développement agricole. Ce qui suggère que les femmes sont discriminées dans l’accès à la vulgarisation agricole et plaide pour une discrimination positive et une meilleure prise en compte du genre dans le cadre de tels programmes.
42En ce qui concerne l’accès au marché des semences de qualité, le test de Khi2 (p-value < 5 %) a révélé une différence de genre dans toutes les communes étudiées (Tableau 9), en faveur des hommes avec un écart d’environ 48 %. Cette différence pourrait être expliquée par plusieurs facteurs : les femmes ont souvent un accès limité à l’information et à la formation agricole, ce qui les rend moins informées sur les semences de qualité. Elles s’approvisionnent plus sur les marchés des graines et ont eu un accès limité aux vendeurs de semences professionnels. Les inégalités de genre sur les exploitations, notamment le manque de pouvoir décisionnel des femmes, peuvent également jouer un rôle.
Tableau 9 : Résultats du Khi-2 concernant la relation entre le sexe et l’accès aux semences de qualité par commune
Communes
|
Sexe
|
Valeur de Khi-deux de Pearson
|
ddl
|
Signification asymptotique (bilatérale)
|
Phi et V de Cramer
|
Camp-Perrin
|
M
|
F
|
8,224
|
1
|
0,004**
|
0,585
|
Cayes
|
M
|
F
|
3,137
|
1
|
0,077*
|
0,313
|
Torbeck
|
M
|
F
|
18,385
|
1
|
0,000***
|
0,482
|
Marmelade
|
M
|
F
|
3,939
|
1
|
0,047**
|
0,389
|
Saint-Michel
|
M
|
F
|
19,771
|
1
|
0,000***
|
0,482
|
Total
|
M
|
F
|
51,158
|
1
|
0,000***
|
0,456
|
*, ** et *** indiquent un niveau de significativité à 10 %, 5 % et 1 %, respectivement
Source : les auteurs
43L’analyse des données, à travers la figure 5 ci-après, montre que les femmes sont moins enclines à participer à l’échange de main-d’œuvre (34,4 % chez les femmes contre 65,6 % chez les hommes). Cette différence statistiquement significative (p-value du test du Khi2 : 0,000) pourrait être partiellement expliquée par le fait que les femmes sont souvent déjà engagées dans d’autres tâches (commerce, activités domestiques, etc.). Dès lors, elles ont eu recours plutôt à la main-d’œuvre extérieure, en cas de besoin en supplément à la main-d’œuvre familiale. De plus, il est une coutume en Haïti où les tâches liées à l’échange de main-d’œuvre sont attribuées beaucoup plus aux hommes.
Figure 5 : Participation à des échanges de main-d’œuvre ventilée par sexe
44Tout comme les hommes, les femmes ont également eu recours à la main-d’œuvre extérieure pour effectuer des activités sur leur exploitation agricole. Le graphique ci-après montre qu’il n’y a aucune différence entre les femmes et les hommes quant à l’utilisation de la main-d’œuvre extérieure.
Figure 6 : Recours à la main-d’œuvre extérieure ventilée par sexe.
45Le statut de sécurité alimentaire et nutritionnelle (SAN) du ménage vivant sur les exploitations agricoles est un bon indicateur de la performance socioéconomique de ces exploitations. Ce statut a été mesuré selon la méthodologie proposée par Coates et al. (2007). Les ménages en situation de sécurité alimentaire représentaient un pourcentage identique entre les sexes des chefs d’exploitations (4,1 %). Les ménages en statut d’insécurité alimentaire légère représentaient 38,8 % chez les femmes et 50,4 % chez les hommes. De même, ceux en situation d’insécurité alimentaire modérée et grave étaient de 22,3 % et 34,7 % respectivement chez les femmes, et 15,4 % et 30,1 % respectivement chez les hommes. Ces quatre niveaux de sécurité alimentaire sont en fait déterminés à partir du score HFIAS (Coates et al, 2007) dont la moyenne était 10,00 (écart-type : 0,496) pour les ménages vivant sur les exploitations agricoles dirigées par les femmes et 8,74 (écart-type : 0,429) pour les hommes. Là aussi, le test de student n’a pas révélé de différence significative (p-value = 0,237).
46Un test de Khi2 a été effectué (voir tableau 10), révélant qu’il n’y a aucun lien significatif entre le sexe et la sécuritaire alimentaire et nutritionnelle dans l’ensemble des communes étudiées au seuil de 5 %. Ce qui est contraire à la littérature existante où les femmes sont plus vulnérables à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle chronique (Madzorera et Fawzi 2020 ; Theis et al. 2019 cités par Njuki, Eissler et al. 2023). Ce résultat annonce plutôt une bonne nouvelle en termes de performance socioéconomique des exploitations agricoles dirigées par les femmes.
Tableau 10 : Résultats du Khi-2 concernant la relation entre le sexe et le sécurité alimentaire et la nutrition (SAN) par commune
Communes
|
Sexe
|
Valeur de Khi-deux de Pearson
|
ddl
|
Signification asymptotique (bilatérale)
|
Phi et V de Cramer
|
Camp-Perrin
|
M
|
F
|
4 000
|
3
|
0,261
|
0,408
|
Cayes
|
M
|
F
|
1,136
|
3
|
0,768
|
0,191
|
Torbeck
|
M
|
F
|
6,366
|
3
|
0,095
|
0,289
|
Marmelade
|
M
|
F
|
3,811
|
2
|
0,149
|
0,390
|
Saint-Michel
|
M
|
F
|
1,363
|
3
|
0,714
|
0,124
|
Total
|
M
|
F
|
3,756
|
3
|
0,289
|
0,124
|
Source : les auteurs
47Les résultats du test de khi2 viennent de confirmer qu’il n’y a aucune association statistiquement significative entre les sexes et l’accès au marché financier, notamment le crédit, sur l’ensemble des communes étudiées (p-value : 0,241 < 5 %). Ce qui va à l’encontre des conclusions de la littérature existante. Le crédit le plus disponible est le microcrédit commercial. Or ce type de crédit cible généralement les femmes. Le graphique 7 suivant montre également qu’il n’y a pas de différence importante entre le genre et l’obtention de crédit. Il en est de même pour le niveau d’accès aux transferts (remises).
Figure 7 : Accès au crédit reparti par sexe des chefs d’exploitations agricoles
48Les résultats du test de comparaison de moyenne indiquent qu’il n’existe pas de disparités économiques entre les exploitations agricoles en ce qui concerne les indicateurs suivants : revenus agricoles annuels moyens, valeur annuelle moyenne des revenus non agricoles (incluant les transferts reçus) et dépenses totales annuelles moyennes (incluant les transferts envoyés) effectuées (Tableaux 11, 12 et 13). Ces résultats ne sont pas cohérents avec le travail réalisé par Duvivier et al. (2024) portant sur les différences de revenus, de taille d’exploitation et d’état nutritionnel entre agriculteurs et agricultrices dans la région du Plateau des Rochelois (département des Nippes), en Haïti. Dans cette étude, ils ont constaté que les exploitations dirigées par des hommes ont un revenu annuel moyen plus élevé que celui des exploitations dirigées par des femmes. Notre étude a porté sur une diversité de zones ou agroécosystèmes autorisant la réfutation des résultats précédents.
Tableau 11 : Résultats du test de comparaison de moyenne de revenus agricoles ventilée par sexe et par localisation géographique des exploitations agricoles
Revenus agricoles moyens
|
Test de levenne
|
Test-t pour égalité des moyennes (intervalle de confiance 95 %)
|
Communes
|
Hypothèse de variances
|
Sig.
|
t
|
ddl
|
Sig. (bilatérale)
|
Différence moyenne
|
Différence écart-type
|
Cayes
|
Égales
|
0,608
|
1,415
|
30
|
0,167
|
13 307 788,00
|
9 407 372,92
|
Inégales
|
|
1,415
|
30
|
0,168
|
13 307 788,00
|
9 407 372,92
|
Saint-Michel
|
Égales
|
0,000
|
-2,175
|
77
|
0,033
|
-255 655,08
|
117 526,04
|
Inégales
|
|
-1,106
|
13
|
0,288
|
-255 655,08
|
231 102,67
|
Camp-Perrin
|
Égales
|
0,781
|
0,963
|
22
|
0,346
|
10 411 984,91
|
10 817 489,15
|
Inégales
|
|
0,963
|
21
|
0,347
|
10 411 984,91
|
10 817 489,15
|
Marmelade
|
Égales
|
0,089
|
-0,849
|
24
|
0,404
|
-10 957 962,48
|
12 905 946,22
|
Inégales
|
|
-0,849
|
21
|
0,405
|
-10 957 962,48
|
12 905 946,22
|
Torbeck
|
Égales
|
0,333
|
-0,392
|
80
|
0,696
|
-2 352 316,18
|
5 996 292,297
|
Inégales
|
|
-0,392
|
79
|
0,696
|
-2 352 316,18
|
5 996 292,297
|
Source : les auteurs
Tableau 12 : Résultats du test de comparaison de moyenne de revenus non agricoles ventilée par sexe et par localisation géographique des exploitations agricoles
Revenus non agricoles (+ transferts reçus)
|
Test de levenne
|
Test-t pour égalité des moyennes (intervalle de confiance 95 %)
|
Communes
|
Hypothèse de variances
|
Sig.
|
t
|
ddl
|
Sig. (bilatérale)
|
Différence moyenne
|
Différence écart-type
|
Cayes
|
Égales
|
0,019
|
-1,004
|
30
|
0,323
|
-136 114,34
|
135 509,86
|
Inégales
|
|
-1,004
|
23
|
0,326
|
-136 114,34
|
135 509,86
|
Saint-Michel
|
Égales
|
0,628
|
0,321
|
76
|
0,749
|
43 964,31
|
136 902,71
|
Inégales
|
|
0,431
|
30
|
0,670
|
43 964,31
|
102 091,88
|
Camp-Perrin
|
Égales
|
0,264
|
0,925
|
22
|
0,365
|
150 858,33
|
163 054,06
|
Inégales
|
|
0,925
|
16
|
0,369
|
150 858,33
|
163 054,06
|
Marmelade
|
Égales
|
0,563
|
-0,889
|
23
|
0,383
|
-34 255,76
|
38 530,59
|
Inégales
|
|
-0,891
|
23
|
0,382
|
-34 255,76
|
38 442,20
|
Torbeck
|
Égales
|
0,365
|
1,195
|
80
|
0,236
|
47 653,26
|
39 888,88
|
Inégales
|
|
1,195
|
79
|
0,236
|
47 653,26
|
39 888,88
|
Source : les auteurs
Tableau 13 : Résultats du test de comparaison de moyenne de dépenses totales ventilée par sexe et par localisation géographique des exploitations agricoles
Dépenses totales (+ les transferts envoyés)
|
Test de levenne
|
Test-t pour égalité des moyennes (intervalle de confiance 95 %)
|
Communes
|
Hypothèse de variances
|
Sig.
|
t
|
ddl
|
Sig. (bilatérale)
|
Différence moyenne
|
Différence écart-type
|
Cayes
|
Égales
|
0,252
|
1,232
|
30
|
0,227
|
53 295,625
|
43 253,124
|
Inégales
|
|
1,232
|
27
|
0,228
|
53 295,625
|
43 253,124
|
Saint-Michel
|
Égales
|
0,158
|
-1,092
|
77
|
0,278
|
-77 455,747
|
70 948,240
|
Inégales
|
|
-0,826
|
15
|
0,422
|
-77 455,747
|
93 817,085
|
Camp-Perrin
|
Égales
|
0,114
|
1,394
|
22
|
0,177
|
110 141,667
|
78 994,062
|
Inégales
|
|
1,394
|
15
|
0,184
|
110 141,667
|
78 994,062
|
Marmelade
|
Égales
|
0,157
|
0,215
|
24
|
0,831
|
9473,462
|
43 974,485
|
Inégales
|
|
0,215
|
20
|
0,832
|
9473,462
|
43 974,485
|
Torbeck
|
Égales
|
0,000
|
1,328
|
80
|
0,188
|
43 845,366
|
33 027,522
|
Inégales
|
|
1,328
|
52
|
0,190
|
43 845,366
|
33 027,522
|
Source : les auteurs
49L’absence de différence significative entre les sexes par rapport aux revenus et aux dépenses est une bonne nouvelle en matière de performance économique des femmes dans leurs activités agricoles.
50Le capital institutionnel est ici défini comme étant les règles auxquelles les individus sont exposés et qui modèlent leurs comportements (Paul, 2009 ; 2011). Les règles étudiées ont été véhiculées par les organisations dont les chefs des exploitations sont membres et également dans le cadre des exigences faites par les programmes d’aide aux agriculteurs (vulgarisation agricole). Au total, 36,6 % des exploitations dirigées par des femmes contre 38,1 % des exploitations dirigées par des hommes étaient exposées à des exigences précises véhiculées par les programmes de vulgarisation. Ces règles portaient sur par exemple le fait de posséder une pièce d’identité (on sait qu’en Haïti, l’absence de documentation est un problème majeur selon Paul et al., 2024), la nécessité de respecter les paquets techniques proposés, la nécessité de posséder une SAU minimale (1/6 de carreau par exemple), la nécessité de se préenregistrer au programme, etc. Dans les associations agricoles également, des règles existent comme le fait de payer des cotisations ou de participer à des réunions, mais elles ne se discriminent pas selon le sexe des participants.
51Le capital institutionnel véhiculé par les organisations ou par les programmes de vulgarisation n’est opératoire qu’en fonction de sa perception par les agriculteurs. Cette variable a été étudiée et les agriculteurs ont déclaré leur perception des règles selon trois modalités : non conforme ou faiblement correcte, moyennement conforme ou correcte, fortement conforme.
52Les résultats ont montré une tendance à mieux accepter les règles par les femmes, mais la différence n’est pas statistiquement significative (p-value du Khi2 de Pearson : 0,529).
Tableau 14 : Perception du capital institutionnel selon le sexe du chef d’exploitation
|
Sexe du chef de l’exploitation
|
Total
|
F
|
M
|
Perception du capital institutionnel
|
faible conformité ou non-conforme
|
47,6 %
|
55,8 %
|
51,6 %
|
conformité moyenne
|
9,5 %
|
7,8 %
|
8,7 %
|
forte conformité
|
42,9 %
|
36,4 %
|
39,8 %
|
Total
|
100,0 %
|
100,0 %
|
100,0 %
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53Dans cet article, nous avons étudié l’équité de genre dans les exploitations agricoles en Haïti, notamment dans les départements du Sud et de l’Artibonite, deux zones de grandes productions agricoles (en particulier les céréales et les légumineuses). Le travail présente les caractéristiques socio-économiques des exploitations agricoles dirigées par des femmes et celles dirigées par des hommes, en mettant également en lumière les disparités existantes entre elles.
54Les exploitations agricoles dirigées par les femmes présentent des caractéristiques significativement moins favorables en termes de taille d’exploitation agricole, d’accès à des parcelles irriguées, d’accès à la mécanisation agricole et aussi à des semences de qualité. Ces disparités observées sont en accord aux travaux réalisés dans d’autres pays par Njuki, Eissler et al. (2023), de Guétat-Bernard (2015), d’ONU-Femmes (2020) et de la FAO (2011) citée par Zidouemba, Kinda et al. (2019). Les résultats concernant les petites tailles des exploitations agricoles reflètent la réalité générale en Haïti. En effet, les exploitations agricoles dirigées par des femmes ont en moyenne de plus petites superficies (Paul et al. 2023). Cela peut être attribué à des facteurs socio-culturels. Traditionnellement, dans le contexte des exploitations agricoles familiales en Haïti, les terres sont souvent accaparées par les hommes, limitant ainsi l’accès des femmes à la propriété foncière et aux meilleures parcelles (irriguées et peu érodées). Cette inégalité d’accès s’inscrit dans un phénomène plus large d’inégalités socioéconomiques, où la femme rurale se retrouve confrontée à une situation de plus en plus précaire, étant exclue des processus décisionnels et des ressources agricoles (Anglade, 1986).
55Aucune différence de genre n’est observée en ce qui a trait à la taille du cheptel. Cependant, les femmes ont eu un accès limité aux bovins de traction (principale force motrice utilisée dans la majorité des exploitations agricoles en Haïti), contrairement aux hommes dans l’ensemble des communes étudiées. Cette disparité peut s’expliquer par une tradition haïtienne selon laquelle les activités de traction animale sont généralement attribuées aux hommes. D’ailleurs, le niveau d’accès et d’utilisation de mécanisation agricole a été moins élevé sur les exploitations dirigées par les femmes que sur celles dirigées par des hommes, dans les zones habituellement mécanisées étudiées. Ce résultat confirme ceux trouvés par Paul et Régis (2024). L’accès plus limité des exploitations agricoles dirigées par des femmes à l’eau d’irrigation est témoin d’une plus grande vulnérabilité technique de ces exploitations dans un contexte de changement climatique (Duvil et al., 2024).
56Les résultats montrent que les femmes sont désavantagées en termes de formation agricole et d’accès à la vulgarisation agricole. Ce qui est cohérent avec les affirmations de Shortall (1996) cité par Noris Mudege, Mdege et al. (2017), de Coulter et al. (2019) ; Farnworth et Colverson, (2015) ; Huyer (2016) ; Moore, (2017) ; Quisumbing et Pandolfelli (2010) cités par Witinok-Huber, Radil et al. (2021), ainsi que la FAO (2011) et ONU-Femmes, (2020), présentées dans la littérature. Ainsi, il convient de souligner que cet écart observé peut s’expliquer en partie par le fait qu’en Haïti, les femmes sont souvent occupées dans des tâches domestiques, ce qui peut limiter leur disponibilité pour assister à des formations (Lebrun et al., 2019). Toutefois, il est important de nuancer cette approche, car les femmes se déplacent régulièrement pour des activités telles que le commerce ambulant, démontrant qu’elles peuvent être disponibles pour d’autres tâches lorsque cela est nécessaire. De plus, rares sont les projets qui tiennent compte de la question du genre dans les supports fournis aux exploitants agricoles. On peut donc faire l’hypothèse que les femmes sont discriminées dans l’accès aux formations et à la vulgarisation agricole en Haïti.
57Contrairement à la littérature existante, il n’y a pas de différence de genre dans l’ensemble des zones d’études en termes de capital économique et financier (accès au marché financier, sécurité alimentaire et nutritionnelle, revenus agricoles, revenus non agricoles, valeur des dépenses totales). Le crédit agricole n’est pas trop important en Haïti en termes du volume de crédit octroyé. Selon le rapport de la BRH au 30 septembre 2015, ce montant représente moins de 1 % du total des crédits octroyés par les banques (Paul, 2019). Il passe de 0,12 % en 2015 à 0,01 % en 2016. En raison de ce volume insignifiant, il est peu probable que des différences significatives entre les sexes soient révélées. De plus, le faible poids des femmes dans le crédit agricole, combiné à leur accès privilégié pour le (micro)crédit commercial, peut s’expliquer par un mouvement de fond détourné vers l’agriculture en Haïti, sachant que les femmes sont très présentes dans le commerce. Tout ceci pourrait également expliquer pourquoi notre étude n’a pas mis en évidence de disparités de genre dans l’accès au crédit agricole.
58Il est aussi à souligner que le recours à la main-d’œuvre extérieure représente un poids très important dans la structure des coûts au niveau des exploitations agricoles. Or, nous avons trouvé qu’il n’y a pas de différence significative quant au recours à la main-d’œuvre extérieure. D’ailleurs, une analyse sur les dépenses moyennes annuelles sur les exploitations a montré une différence statistiquement significative dans les dépenses (p-value = 0,027) entre les sexes, avec une moyenne plus faible pour les exploitations dirigées par les femmes. Par contre, l’absence de différence dans les revenus pourrait également être liée à des performances accrues des femmes en matière de gestion des exploitations agricoles. Ce qui représente une piste intéressante à creuser dans le cadre de futures recherches.
59Enfin, comme pour les ressources économiques, la situation des exploitations agricoles dirigées par les femmes n’était pas moins bonne que celle des exploitations agricoles dirigées par des hommes, en termes de ressources sociales et institutionnelles, en particulier en termes d’insertion dans les organisations de producteurs et en termes d’exposition au capital institutionnel.
60Cette étude est l’une des premières en Haïti à analyser les disparités de genre entre les exploitations agricoles en tenant compte de toutes ces variables. Elle a le mérite d’avoir utilisé l’approche par les capitaux multiples pour étudier les dotations des exploitations agricoles dirigées par les femmes par rapport à celles dirigées par les femmes. Cependant elle est limitée dans le sens que nous utilisons des données secondaires, c’est-à-dire, des données qui ne sont pas collectées spécifiquement pour réaliser ce travail. Cela ne nous permet pas d’analyser toutes les variables qui auraient pu permettre d’apprécier d’éventuelles discriminations de genre, par exemple la participation des femmes dans le processus de prise de décision sur les exploitations agricoles dirigées par des hommes, l’influence éventuelle des hommes présents sur les exploitations agricoles dirigées par les femmes, etc. De plus, les données utilisées ici prennent en compte seulement des échantillons d’exploitations agricoles dans 2 des 10 départements du pays (Sud et Artibonite). Ce qui limite la généralisation des résultats sur l’ensemble du territoire d’Haïti. Enfin, il est possible que dans d’autres systèmes de cultures, la situation des femmes soit différente de celle observée dans cet article.
61Ce travail a porté sur l’analyse de la situation des exploitations agricoles dirigées par les femmes en comparaison à celles dirigées par les hommes en Haïti. Il a concerné les départements du Sud et de l’Artibonite et a mis en évidence les disparités socio-économiques qui les caractérisent.
62L’approche méthodologique utilisée a consisté en l’utilisation des statistiques descriptives, des tests de Khi2 et des tests de comparaison de moyenne afin d’étudier l’existence de disparités socio-économiques entre les exploitations agricoles selon le sexe de leur dirigeant. Les résultats trouvés ont révélé que les exploitations agricoles dirigées par les femmes présentent des caractéristiques socio-économiques ne sont pas particulièrement moins favorables que celles dirigées par des hommes. Si les exploitations dirigées par les femmes sont moins bien dotées en capital technique, naturel et social ; elles ne sont pas moins performantes en termes socio-économiques et institutionnels (revenus, sécurité alimentaire, capital institutionnel).
63Avec la féminisation des chefs de ménages en Haïti (Jean Simon et al., 2023) et ces résultats soulignent l’importance de promouvoir l’égalité de genre dans les programmes de développement agricole dans le pays, pour favoriser un développement durable et inclusif. Ils montrent clairement que les agricultrices font face à des défis importants qui entravent la productivité de leur exploitation.
64Dans cette optique, plusieurs stratégies peuvent être mises en place pour surmonter ces défis. Il est crucial que le ministère de l’Agriculture ainsi que les autres acteurs du secteur agricole haïtien renforcent l’accès des femmes aux ressources agricoles, notamment aux semences de qualité et aux outils mécanisés, et de promouvoir l’éducation et la formation professionnelle des femmes dans le domaine agricole. Des projets de développement inclusifs doivent être conçus en prenant en compte les besoins spécifiques des femmes et en s’assurant qu’elles bénéficient équitablement des ressources et des opportunités.