1Le tourisme et le patrimoine entretiennent une relation étroite, dont la synergie, lorsqu’elle est bien exploitée, peut favoriser la durabilité culturelle, économique et environnementale. Toutefois, cette interaction se heurte aux défis de la mondialisation et à l’intensification des flux touristiques, mettant en tension la préservation du patrimoine et l’attractivité touristique.
2Le tourisme patrimonial, en valorisant et en transmettant les sites et pratiques culturelles, constitue un levier de développement durable. Cependant, face à la diversification des attentes et aux pressions économiques, la gestion des sites patrimoniaux requiert des approches adaptées aux réalités locales. Le patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel, ne se limite pas à une simple ressource touristique : il incarne une identité collective et façonne les dynamiques territoriales.
3Si le tourisme stimule les économies locales et participe à la transmission culturelle, il peut aussi fragiliser les sites qu’il exploite. Dès lors, concilier attractivité et préservation implique une gestion intégrée et contextualisée, garantissant la pérennité des patrimoines et la résilience des territoires face aux enjeux contemporains.
4Ce texte propose un aperçu des enjeux liés au tourisme et au patrimoine, s’appuyant sur une revue de la littérature spécialisée. Il met ensuite en lumière les contributions de ce dossier thématique, qui examinent comment l’interaction entre le tourisme et le patrimoine peut favoriser la durabilité des sites et des communautés locales, tout en évaluant leurs bienfaits et impacts, parfois contrastés.
5Le tourisme patrimonial est un domaine complexe et pluriel, à l’intersection de la conservation culturelle, de l’identité et du développement économique. Toutefois, les approches théoriques dominantes, souvent issues des pays du Nord, façonnent les cadres d’analyse et influencent les politiques de gestion patrimoniale à l’échelle globale. Les travaux de chercheurs tels qu’Ashworth (2000), Timothy (2003), Graham (2016) ou Waterton (2006) apportent des perspectives essentielles sur ces dynamiques, mais restent marqués par des contextes où les infrastructures, les financements et les politiques patrimoniales diffèrent fondamentalement de ceux des pays du Sud. En effet, dans de nombreux pays du Sud, le tourisme patrimonial s’inscrit dans des réalités où les défis socio-économiques, la gouvernance et les représentations du patrimoine diffèrent considérablement. L’intégration des réflexions d’auteurs francophones et d’autres chercheurs issus de ces contextes permettrait de mieux nuancer les cadres théoriques dominants et d’appréhender avec plus de précision la diversité des enjeux patrimoniaux et touristiques. Ces contributions offriraient des perspectives adaptées aux dynamiques locales, prenant en compte les spécificités culturelles, les tensions mémorielles et les modalités de gestion patrimoniale propres à chaque territoire.
6Ashworth (2000) explore comment les sites historiques, en devenant des attractions touristiques, acquièrent une nouvelle signification souvent marquée par des tensions entre préservation et marchandisation. Cette réflexion peut être enrichie par les travaux d’auteurs francophones comme Nora (1984), qui, avec son concept de « lieux de mémoire », aide à comprendre comment le patrimoine cristallise des enjeux identitaires. Lorsque le patrimoine est réduit à un produit touristique, sa valeur symbolique et historique peut être diluée. Nora montre que le patrimoine, en tant que mémoire collective, transcende sa matérialité pour refléter des récits plus profonds, souvent en tension avec des approches standardisées de sa gestion.
7Les dimensions politiques et identitaires du patrimoine, soulignées par Graham, Ashworth et Tunbridge (2000), révèlent les inégalités de pouvoir qui sous-tendent sa gestion et sa valorisation. Leur analyse montre que le patrimoine est souvent instrumentalisé pour promouvoir des intérêts spécifiques, parfois au détriment des communautés locales.
8Dans cette perspective, Smith (2006) introduit la notion de « patrimoine autorisé », c’est-à-dire une vision dominante du patrimoine imposée par des institutions ou des acteurs détenant une forme d’autorité (gouvernements, organisations internationales, experts). Selon Smith, cette approche institutionnelle tend à sélectionner ce qui doit être conservé ou valorisé, en s’appuyant sur des critères officiels qui ne tiennent pas toujours compte de la pluralité des mémoires et des identités locales. Ainsi, ces réflexions soulignent la nécessité de dépasser les démarches hiérarchiques et de favoriser des pratiques inclusives, dans lesquelles les communautés concernées participent pleinement à la définition et à la gestion de leur propre patrimoine. Autrement dit, reconnaître la diversité des significations attribuées au patrimoine par différents groupes sociaux implique de remettre en question le « patrimoine autorisé » pour faire place à une approche réellement participative.
9Les motivations des touristes, analysées par Poria, Butler et Airey (2003), montrent une différenciation essentielle entre ceux qui recherchent un lien personnel avec le passé et ceux qui s’intéressent aux aspects éducatifs ou historiques. Cette distinction peut guider des stratégies de gestion adaptées, à l’instar des travaux de Prentice (1993), qui insiste sur l’importance de l’interprétation dans l’enrichissement de l’expérience touristique, favorisant l’engagement des touristes en créant une connexion plus intime avec les lieux visités, renforçant ainsi leur expérience émotionnelle et cognitive.
10Les synergies économiques et les risques liés au tourisme patrimonial sont abordés par des auteurs tels que Richards (1996) et Silberberg (1995), qui montrent comment le tourisme culturel peut être un levier de développement économique. Cependant, ils mettent également en garde contre les effets négatifs du surtourisme, notamment la pression sur les infrastructures locales et la dégradation du patrimoine. Silberberg (1995) propose des stratégies de marketing ciblées pour maximiser le potentiel économique des musées et sites patrimoniaux, tout en préservant leur intégrité. Dans cette optique, les travaux de Hall et McArthur (1998) sur la gestion intégrée du patrimoine offrent des pistes intéressantes pour harmoniser conservation et développement. Ils insistent sur la nécessité d’une collaboration entre les parties prenantes, notamment les gestionnaires de sites, les autorités locales, et les communautés. Une gouvernance inclusive permettrait de concilier les tensions entre exploitation touristique et préservation en adoptant une vision holistique.
11L’interaction entre tourisme et patrimoine, lorsqu’elle est analysée à travers le prisme des auteurs issus des pays du Sud, révèle des dynamiques spécifiques qui diffèrent des cadres conceptuels développés dans les pays du Nord. Contrairement aux approches dominantes qui tendent à institutionnaliser le patrimoine à travers des critères universels (Smith, 2006), plusieurs chercheurs du Sud insistent sur la dimension vivante et communautaire du patrimoine, où la transmission des savoirs et des pratiques repose sur des formes orales et immatérielles profondément ancrées dans les structures sociales locales.
12Des travaux comme ceux de Niane (1989) en Afrique de l’Ouest ou de Bhabha (1994) dans une perspective postcoloniale soulignent que le patrimoine, loin d’être une simple ressource économique ou un objet figé de conservation, est un espace de négociation identitaire et mémorielle, où coexistent des récits multiples parfois en tension. Dans de nombreux contextes du Sud, le patrimoine ne se limite pas aux monuments et aux sites historiques classés, mais englobe des traditions, des rituels et des pratiques culturelles qui ne correspondent pas toujours aux standards patrimoniaux internationaux, souvent définis par des institutions occidentales comme l’UNESCO.
13Dans les médinas marocaines, notamment à Marrakech, la conversion des riads en maisons d’hôtes crée un paradoxe entre valorisation patrimoniale et transformations socio-économiques. Si elle favorise la restauration du bâti et l’attractivité touristique, cette dynamique alimente aussi gentrification et ghettoïsation (Safaa et al., 2013), entraînant l’éviction progressive des habitants historiques sous l’effet de la spéculation immobilière. Cette mutation urbaine, bien que porteuse de retombées économiques, altère l’identité sociale des médinas, transformant certains quartiers en enclaves touristiques où les interactions entre résidents et nouveaux arrivants restent limitées. Dans ce contexte, Tebbaa (2010, p.59) souligne l’importance d’une approche participative dans la gestion du patrimoine, affirmant que « la primauté accordée à l’objet patrimonial au détriment de son contexte culturel et social est lourde de conséquences car elle réduit le patrimoine au rôle d’étendard que l’on brandit à des fins politiques voire économiques alors qu’il devrait constituer le fondement du lien social et de la mémoire collective ». Cette réflexion, qui insiste sur la centralité du lien social et de la mémoire collective dans la préservation patrimoniale, trouve un écho particulier dans les stratégies modernes de développement touristique durable.
14En ce sens, l’approche développée par Chirikure (2013) sur la gestion du patrimoine en Afrique met en évidence le rôle central des communautés locales dans la préservation et la valorisation des sites. Plutôt que d’adopter une vision descendante du patrimoine, il défend une approche endogène où les habitants ne sont pas seulement des bénéficiaires du tourisme patrimonial, mais des acteurs clés de sa gestion et de son interprétation. Cette posture rejoint celle de Nas (2002) en Asie du Sud-Est, qui met en garde contre la « muséification » du patrimoine, c’est-à-dire sa transformation en objet figé pour le regard extérieur, souvent au détriment de son ancrage social et de sa signification locale.
15Enfin, la question des inégalités de pouvoir dans la gestion du patrimoine est également au cœur des analyses critiques du Sud. Tandis que Graham, Ashworth et Tunbridge (2000) insistent sur l’instrumentalisation du patrimoine pour des intérêts politiques, des chercheurs comme Mbembe (2001) démontrent que le patrimoine dans les anciens territoires colonisés est souvent le lieu d’une mémoire fracturée, où les récits officiels occultent ou minimisent certaines voix. Dans ce contexte, le tourisme patrimonial ne peut être réduit à une simple valorisation économique, mais doit être pensé comme un processus de réappropriation culturelle, permettant aux populations locales de se réinscrire dans l’histoire de leurs propres territoires.
16Ainsi, une approche du tourisme patrimonial centrée sur les perspectives du Sud impose de repenser les cadres théoriques dominants, en mettant l’accent sur l’expérience des communautés locales, la pluralité des formes patrimoniales et la nécessité d’une gestion inclusive et participative. Cette vision dépasse l’opposition entre préservation et marchandisation pour reconnaître le patrimoine comme un espace de dialogue entre mémoire, identité et développement durable.
17Dans un monde de plus en plus marqué par la globalisation, la quête d’expériences authentiques s’impose comme une aspiration essentielle pour de nombreux voyageurs. Le patrimoine local, qu’il soit matériel ou immatériel, joue un rôle central dans cette recherche d’authenticité. Il agit comme un vecteur de connexion profonde entre les visiteurs et des réalités culturelles singulières, en favorisant des interactions significatives avec les communautés locales. Néanmoins, cette authenticité est sujette à des tensions constantes, oscillant entre les transformations imposées par le tourisme de masse et la nécessaire réinterprétation culturelle pour répondre aux attentes contemporaines.
18Le patrimoine local, dans toute sa diversité, reflète l’histoire, les traditions et les savoir-faire propres à chaque communauté. Des merveilles architecturales aux récits oraux, il constitue une véritable mémoire vivante des peuples. Par exemple, les temples de Bagan en Birmanie, les récits ancestraux des peuples aborigènes d’Australie, le festival traditionnel japonais du Gion Matsuri, ou encore la place Jemaa el-Fna à Marrakech, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, illustrent la richesse et l’unicité du patrimoine mondial.
19Ces éléments, profondément ancrés dans des contextes culturels singuliers, ne sont pas seulement des symboles identitaires, mais aussi des atouts stratégiques pour les destinations touristiques. En effet, ils permettent aux territoires de se démarquer en offrant des expériences authentiques et immersives, loin de toute uniformisation. Selon Timothy et Boyd (2003), la mise en valeur et la préservation consciente des traditions locales jouent un rôle fondamental dans le positionnement et l’attractivité des destinations sur la scène touristique internationale.
20Cependant, l’authenticité ne peut se réduire à une simple reproduction fidèle du passé. Wang (2007) introduit la notion d’« authenticité existentielle », soulignant que l’authenticité est une expérience subjective, façonnée par la manière dont les visiteurs interagissent avec un lieu et ses habitants. Participer à un atelier de tissage en Équateur, s’impliquer dans un rituel spirituel au Pérou, s’initier à la calligraphie arabe dans un atelier à Marrakech, ou encore partager un repas traditionnel en Éthiopie sont autant d’activités qui permettent aux visiteurs de s’immerger dans une culture vivante et d’établir un lien personnel avec son authenticité.
21Pourtant, la mise en tourisme du patrimoine soulève des tensions. D’une part, les pratiques culturelles doivent souvent être adaptées pour répondre aux attentes des visiteurs, qui recherchent des représentations idéalisées. D’autre part, ces adaptations risquent de simplifier ou de scénariser le patrimoine, compromettant ainsi la profondeur et la richesse des traditions locales. Cohen (1988) qualifie ce dilemme de tension entre « authenticité scénique » et « authenticité originale ». Par exemple, les spectacles folkloriques scénarisés à Marrakech ou les marchés flottants en Thaïlande reflètent cette dynamique, où les attentes touristiques modifient l’essence même des pratiques culturelles. Néanmoins, ces adaptations peuvent parfois jouer un rôle positif en maintenant vivantes des traditions et des savoir-faire menacés d’extinction, à condition qu’elles soient encadrées de manière respectueuse et collaborative.
22Selon Safaa et al. (2017), la valorisation du patrimoine passe nécessairement par un équilibre entre le respect des pratiques traditionnelles et une adaptation qui tient compte des attentes contemporaines, notamment dans des contextes où les pressions touristiques sont particulièrement fortes. Ainsi, la mise en place de mécanismes de concertation entre les parties prenantes – touristes, autorités locales et communautés – devient essentielle pour assurer une gestion durable du patrimoine touristique.
23Pour surmonter ces tensions, les approches participatives et co-créatives offrent des solutions prometteuses. Richards et Hall (2000) mettent en avant l’importance d’intégrer les communautés locales dans la conception et la gestion des expériences touristiques. En impliquant activement les habitants dans ces processus, les destinations peuvent offrir des expériences plus dynamiques, où les visiteurs ne se contentent pas d’observer passivement, mais deviennent des acteurs de la culture locale. Par exemple, à Kyoto, les ateliers de kintsugi (réparation d’objets en céramique avec de l’or) ou à Bali, les cours de danse traditionnelle, permettent aux visiteurs d’apprendre tout en participant directement à la préservation du patrimoine vivant.
24El Housni (2024) souligne également que le paradoxe entre le tourisme et le développement local soulève des interrogations complexes concernant les défis liés à l’intégration du tourisme dans les dynamiques locales. Toutefois, l’inclusion des communautés locales dans la conception des expériences touristiques apparaît comme une approche potentiellement efficiente pour atténuer les tensions inhérentes au tourisme.
25L’avenir du tourisme patrimonial repose ainsi sur la capacité des destinations à trouver un équilibre subtil entre préservation et innovation. Selon Ashworth (2000), ce processus nécessite une approche qui respecte la singularité de chaque culture tout en intégrant des éléments contemporains pour répondre aux attentes des visiteurs. Le patrimoine, dans sa diversité mondiale, qu’il s’agisse d’architecture historique, de pratiques culinaires ou de paysages culturels, demeure une ressource inestimable. Lorsque les spécificités locales sont valorisées et mises au service d’une expérience co-créative, elles transcendent les défis posés par la globalisation pour offrir une authenticité durable et significative, capable de transformer une simple visite en un voyage inoubliable.
26Le patrimoine culturel et artistique constitue une ressource précieuse pour les territoires, témoignant de leur histoire, de leur identité et de leur singularité. Cependant, face à la standardisation des offres touristiques et à l’évolution des attentes des voyageurs, de nouvelles approches se développent pour valoriser ce patrimoine de manière innovante. Le creative tourism et l’art tourism se présentent ainsi comme des leviers prometteurs, offrant une double opportunité : renforcer l’attractivité des destinations tout en préservant et dynamisant leurs ressources culturelles (Richards, 2011). Ces formes de tourisme niché s’opposent directement au tourisme de masse, qui, bien qu’économiquement avantageux, comporte de nombreux impacts négatifs.
27Le tourisme de masse est souvent associé à des destinations emblématiques telles que le Machu Picchu, Venise ou Angkor Wat. Ces sites attirent des millions de visiteurs chaque année, générant des revenus considérables pour les économies locales. Cependant, cet afflux massif n’est pas sans conséquence. La surcharge touristique, appelée overtourism, entraîne une dégradation physique des sites, une pression sur les infrastructures locales et une dilution de l’authenticité culturelle. Les pratiques culturelles, adaptées pour répondre aux attentes standardisées des visiteurs, peuvent perdre leur sens originel.
28De plus, la dépendance vis-à-vis du tourisme de masse rend les destinations vulnérables aux fluctuations économiques et environnementales. En outre, l’industrialisation du tourisme tend à réduire les communautés locales à des rôles passifs, transformant ainsi leur patrimoine en un simple produit de consommation. Cette approche compromet la pérennité des ressources patrimoniales à long terme.
29En contraste, le creative tourism et l’art tourism se distinguent par leur approche qualitative. Contrairement à la contemplation passive, ces formes de tourisme encouragent la participation active des visiteurs, qui deviennent des acteurs de leur expérience. À Marrakech, par exemple, les ateliers créatifs organisés dans les riads permettent aux visiteurs de découvrir et de pratiquer des savoir-faire locaux tels que la poterie, la peinture sur céramique ou encore la cuisine marocaine (Safaa & Saddou, 2023). Ces expériences renforcent le lien entre les touristes et les communautés locales, tout en favorisant la préservation du patrimoine immatériel.
30Ces initiatives, basées sur la co-création, ne se contentent pas de dynamiser les économies locales. Elles répondent également à une demande croissante des voyageurs modernes, qui cherchent à vivre des aventures uniques et authentiques (Tan et al., 2013). En valorisant les interactions directes et les échanges culturels, le tourisme de niche transcende les simples enjeux économiques pour promouvoir un modèle de tourisme plus humain et responsable.
31Le creative tourism et l’art tourism incarnent une tension dynamique entre conservation et innovation. Comme l’illustre Larbi Safaa et Bérangère Szostak (2023), cette nouvelle forme de tourisme transforme les activités touristiques actuelles et pose des enjeux inédits en économie et management de la créativité. Ces approches transforment les sites patrimoniaux en espaces vivants où tradition et modernité se rencontrent. Les expositions interactives, les performances artistiques et les ateliers collaboratifs permettent de réinventer le patrimoine en y intégrant une dimension contemporaine (Landry, 2008).
32À titre d’exemple, les monuments historiques ne sont plus uniquement des lieux de visite, mais deviennent des plateformes d’expression artistique. Ces initiatives attirent un public diversifié tout en générant des revenus supplémentaires pour les communautés locales. Elles permettent également de renforcer la résilience économique des territoires en diversifiant les sources de revenus.
33Les avantages économiques du tourisme de niche ne se limitent pas aux revenus directs. En impliquant activement les communautés locales, ces formes de tourisme favorisent un développement inclusif. Les ateliers créatifs et les événements artistiques offrent une visibilité et un soutien financier aux artisans et artistes locaux, tout en encourageant la transmission des savoir-faire traditionnels. Selon Safaa et Saddou (2023), ces initiatives créent un cercle vertueux où le patrimoine devient à la fois un levier économique et un moyen de préserver l’identité culturelle des territoires.
34En outre, le creative tourism et l’art tourism s’inscrivent dans une logique de durabilité. En limitant les flux touristiques et en mettant l’accent sur la qualité des interactions, ces approches minimisent les impacts environnementaux. Elles sensibilisent également les visiteurs à la richesse et à la fragilité des ressources patrimoniales, encourageant ainsi une consommation responsable.
35Le tourisme de niche, notamment à travers le creative tourism et l’art tourism, représente une alternative crédible au tourisme de masse. En transformant le patrimoine en un espace de dialogue et de création, ces approches permettent de repositionner les destinations comme des lieux d’expériences uniques. Elles répondent non seulement aux attentes des voyageurs modernes, mais offrent également aux communautés locales les moyens de préserver et de valoriser leur patrimoine de manière durable.
36En somme, bien que le tourisme de masse continue de dominer en termes de volume, le tourisme de niche offre une perspective plus prometteuse pour la valorisation durable du patrimoine. En privilégiant l’authenticité, la créativité et les échanges interculturels, ces formes de tourisme dessinent les contours d’un avenir où patrimoine et tourisme se réinventent mutuellement, pour le bénéfice des visiteurs et des communautés d’accueil.
37Ce dossier thématique explore les multiples facettes de la relation entre tourisme et patrimoine en s’appuyant sur une série d’études de cas et d’analyses pluridisciplinaires. Les contributions rassemblées mettent en lumière la complexité de cette relation, en soulignant à la fois son potentiel de valorisation culturelle et économique et les défis importants liés à la durabilité et à la préservation des identités locales. L’analyse des différentes stratégies mises en œuvre par les acteurs du tourisme, ainsi que les enjeux liés à la participation des communautés locales et au dialogue interculturel, constituent le fil conducteur de ce numéro.
38Plusieurs articles soulignent le rôle central de l’événementiel culturel dans la valorisation du patrimoine et la promotion du dialogue interculturel. L’étude d’Amira El Naggare sur le Festival de Fès des musiques sacrées du monde montre comment cet événement, en réunissant des artistes et des participants du monde entier, crée un espace de dialogue spirituel et culturel qui transcende les frontières. Ce modèle, où les valeurs spirituelles et les traditions locales se mêlent aux influences internationales, favorise une cohésion sociale et culturelle à l’échelle mondiale, démontrant le potentiel du tourisme événementiel comme vecteur de reconnaissance et de développement économique.
39Dans la même veine, l’article de Djadou Tanoh Pascald et Kouadio Kouakou Abraham, consacré au festival d’Abissa en Côte d’Ivoire, met en lumière le rôle de cet événement dans la préservation des traditions du peuple N’zima et dans le renforcement du sentiment d’appartenance et de l’identité culturelle des habitants de Grand-Bassam. Plus qu’une simple attraction touristique, le festival d’Abissa se présente comme une forme de résistance culturelle, où le partage des traditions locales avec les visiteurs consolide le lien entre la communauté et son héritage, tout en attirant un public international.
40Les transformations urbaines engendrées par le tourisme dans les centres historiques soulèvent également des questions de préservation et d’authenticité. Benaddi Abdelaziz et Lissaneddine Abdelilah étudient, par exemple, la conversion de riads en maisons d’hôtes dans la médina de Marrakech, illustrant l’impact de la pression touristique sur l’habitat traditionnel. Bien que la reconversion de ces édifices résidentiels en infrastructures touristiques génère d’importants revenus, elle bouleverse en profondeur la structure sociale et l’identité culturelle de ces quartiers historiques. Autrefois résidences familiales, les riads se transforment en hôtels de charme, répondant aux attentes des visiteurs au détriment de la vie de quartier et de l’authenticité de l’espace urbain. Par ailleurs, Laaouina Abdelhadi, Moubchir Wahiba et Chbani Idrissi Fadwa abordent cette problématique en étudiant l’impact de la croissance touristique sur le tissu social et les pratiques locales à Marrakech.
41D’autres contributions s’intéressent aux initiatives de tourisme participatif, en montrant comment les communautés locales s’approprient le tourisme pour proposer des expériences immersives et authentiques. Par exemple, l’analyse de Ruaux Bastien sur les Greeters en Normandie illustre ce phénomène : les Greeters, des habitants qui proposent bénévolement des balades aux visiteurs, offrent une expérience intime et authentique, loin des circuits touristiques classiques. Ce type de tourisme, fondé sur le partage humain et non commercial, valorise des aspects souvent méconnus du patrimoine et renforce le sentiment d’appartenance des résidents à leur culture, tout en assurant une meilleure répartition des bénéfices liés au tourisme.
42En devenant eux-mêmes acteurs de la valorisation de leur patrimoine, les communautés locales encouragent une expérience touristique plus respectueuse et plus enrichissante que la simple consommation du patrimoine. Ces initiatives de tourisme participatif favorisent des interactions sincères et directes, dépassant ainsi la simple logique de consommation.
43Plusieurs recherches soulignent l’importance de valoriser le patrimoine culturel immatériel au moyen d’une approche globale et inclusive. Par exemple, l’analyse de Batazzi Claudine, Alexis Henri et Charaï Zineb sur les corporations artisanales de Fès met en lumière les liens complexes entre tourisme, patrimonialisation et identité culturelle. Le tourisme, en tant que vecteur d’échanges interculturels, influence les processus de patrimonialisation tout en soulevant la question de la protection des traditions locales face à l’acculturation.
44Cette problématique, centrée sur la préservation des identités culturelles, réapparaît dans plusieurs travaux, notamment dans l’étude de Bouazza Abdellah, Jannot Laura et Lahlafi Thomas sur les charmeurs de serpents à Marrakech. Le cas de Marrakech, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, soulève des enjeux éthiques liés à la protection des espèces et à la gestion durable du patrimoine. L’activité des charmeurs, bien qu’elle constitue une attraction touristique majeure, nécessite une approche responsable et durable, intégrant pleinement les considérations éthiques.
45L’analyse de Chiraz Thabet sur le design artisanal tunisien montre comment ce patrimoine peut contribuer à la promotion du tourisme interculturel en dépassant les barrières linguistiques et culturelles. Les produits artisanaux, véritables vecteurs d’histoire et d’identité, favorisent une meilleure communication et une compréhension mutuelle entre touristes et populations locales. Cette approche est complétée par l’analyse d’Engamba Fernando Ligue sur le patrimoine immatériel de l’Est-Cameroun, qui met en lumière la richesse des traditions et des savoir-faire locaux, tout en soulignant l’importance d’une approche plurielle et inclusive du patrimoine, dépassant les visions européocentristes héritées de la colonisation. L’étude propose une conceptualisation du tourisme de mémoire, envisagé comme une stratégie de valorisation et de développement durable.
46L’article de Charhaddine Imane, El Housni Khalid et Mellakh Amal sur le patrimoine judéo-marocain à Essaouira met en évidence le potentiel de ce patrimoine pour susciter un tourisme spirituel. La coexistence des cultures juive et musulmane au Maroc, considérée comme un modèle de tolérance et de dialogue interculturel, attire des touristes en quête d’expériences spirituelles et de ressourcement.
47La recherche d’Ouallet Anne et Al Karjousli Soufian, portant sur le Mali et les inscriptions au patrimoine mondial de l’UNESCO, montre comment les interactions complexes entre tourisme et patrimoine immatériel peuvent engendrer des transferts, des résistances, des transformations, mais aussi des innovations susceptibles de déboucher soit sur une plus grande cohésion sociale, soit sur des oppositions plus radicales. Cette étude souligne l’importance d’une gestion durable et responsable du patrimoine, au service du développement.
48La recherche de Mouhibi Kamal, El Housni Khalid et Hadach Mohamed sur la gastronomie à Marrakech complète ce corpus en explorant le rôle du patrimoine culinaire dans l’attractivité touristique. À Marrakech, la richesse et l’authenticité de l’offre gastronomique, ainsi que les expériences culinaires immersives, constituent des atouts majeurs pour attirer les touristes et renforcer l’image de la ville en tant que destination touristique culturelle.
49L’analyse de Xue Han sur les Instituts Confucius en France souligne l’importance de la communication pour valoriser efficacement le patrimoine culturel dans un contexte interculturel. Les résultats de cette étude montrent que ces instituts contribuent à déconstruire les stéréotypes culturels et à mieux faire comprendre les réalités chinoises. Toutefois, ils révèlent aussi la nécessité d’une communication adaptée au contexte local afin de répondre aux attentes variées des publics.
50Benhaida Soufiane et Safaa Larbi et Dalia Perkumienė, dans leur recherche bibliométrique sur la personnalité de la destination touristique, mettent en lumière l’importance d’intégrer la psychologie au marketing touristique. Ce concept, en anthropomorphisant les destinations pour créer des liens émotionnels et renforcer la fidélité touristique, constitue un outil majeur dans la stratégie touristique moderne.
51Ce numéro est enrichi par deux contributions complémentaires qui offrent des perspectives éclairantes sur les enjeux du tourisme contemporain. Tout d’abord, un entretien mené par Saddou Hicham et Safaa Larbi avec Abdellatif Aït Ben Abdallah, pionnier de la renaissance des riads à Marrakech, met en lumière l’importance de la préservation et de la valorisation du patrimoine architectural marocain. Aït Ben Abdallah, acteur clé de ce mouvement, partage ses réflexions et son expérience quant au développement des riads en tant qu’atouts touristiques et culturels, ainsi que sur leur rôle dans la réhabilitation des médinas. Son témoignage met en évidence la dimension humaine et patrimoniale du développement touristique et souligne l’importance des initiatives locales dans la préservation et la valorisation du patrimoine.
52La seconde contribution se présente sous la forme d’un compte rendu, rédigé par Bensaïd Sofia, de l’ouvrage de Rémy Knafou, Réinventer (vraiment) le tourisme : En finir avec les hypocrisies du tourisme durable. Knafou y dresse un constat alarmant des effets néfastes du surtourisme et propose des solutions innovantes en faveur d’un tourisme plus durable et plus responsable. L’analyse de Bensaïd souligne la clarté, la rigueur et l’accessibilité de l’ouvrage, qui facilitent la compréhension de la problématique et des propositions de l’auteur. Ce compte rendu offre un éclairage précieux sur les défis actuels du tourisme, rappelant la nécessité d’une approche critique et d’une transformation profonde du secteur pour concilier développement économique et durabilité.
53L’ensemble de ces travaux, qui adoptent des perspectives théoriques et méthodologiques variées, offre un éclairage riche et nuancé sur les relations entre tourisme et patrimoine. Ils mettent en avant le rôle central des festivals, du tourisme participatif et des stratégies de branding dans la valorisation du patrimoine, tout en soulignant l’importance de la durabilité et de la préservation des identités culturelles.
54Les recherches futures devraient s’appuyer sur ces résultats et ces perspectives afin d’approfondir notre compréhension de ces interactions complexes et d’élaborer des stratégies de gestion et de développement touristique plus efficaces et plus durables. Il est impératif de prendre simultanément en compte les enjeux économiques et socioculturels, en privilégiant des approches qui favorisent un développement équitable, résilient et respectueux des différences culturelles. Enfin, l’intégration des technologies numériques, la prise en compte des dimensions environnementales et l’implication des communautés doivent être pleinement intégrées aux stratégies de gestion touristique, pour assurer la durabilité et la compétitivité du secteur.