Réinventer (vraiment) le tourisme : en finir avec les hypocrisies du tourisme durable
Knafou, R. (2023). Réinventer (vraiment) le tourisme : En finir avec les hypocrisies du tourisme durable. Edition du Faubourg. ISBN : 978-2-493594-23-5
Texte intégral

Crédits : Édition du Faubourg
1Dans son essai Réinventer (vraiment) le tourisme : En finir avec les hypocrisies du tourisme durable, publié le 21 avril 2023 aux Éditions du Faubourg, Rémy Knafou, spécialiste et praticien reconnu dans le domaine du tourisme, livre une analyse critique de l’évolution du secteur touristique mondial. Cet ouvrage, à la fois clair et accessible, explore les contradictions du modèle du tourisme durable et propose des solutions concrètes et innovantes pour repenser le secteur en profondeur. À travers cet essai, Knafou invite à une réflexion d’ensemble sur les pratiques touristiques actuelles et à une remise en question des paradigmes économiques, sociaux et environnementaux qui sous-tendent le tourisme moderne.
2Dès les premières pages de son ouvrage, Knafou dresse un constat sans appel de l’état actuel du secteur touristique, particulièrement marqué par l’expansion exponentielle du phénomène du surtourisme. Il souligne les effets dévastateurs de cette prolifération des flux touristiques sur la planète : dégradation de l’environnement, surexploitation des ressources naturelles, perte d’authenticité des destinations et surcharge des infrastructures locales. Le phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il est devenu global, affectant tant les destinations classiques que des régions jusque-là préservées. L’auteur n’hésite pas à mobiliser des exemples concrets pour appuyer son propos, comme la forêt amazonienne, le Groenland ou encore l’Antarctique, des lieux désormais victimes de la pression touristique et de ses effets délétères.
3Knafou ne se contente pas de dénoncer cette situation ; il en analyse également les causes profondes. Le modèle économique dominant du secteur, qui repose sur la recherche incessante du profit à court terme, est selon lui l’une des raisons majeures de cette dérégulation. Le système mondial du tourisme est en effet orienté vers la massification de l’offre, avec des pratiques favorisant la rentabilité immédiate au détriment de la préservation des environnements naturels et sociaux. Ainsi, chaque année, les destinations touristiques sont confrontées à une augmentation du nombre de visiteurs, souvent supérieure à la capacité d’accueil des infrastructures et des écosystèmes.
4L’auteur souligne également un phénomène paradoxal : le tourisme de masse est souvent associé à la recherche de destinations « authentiques » ou « préservées », mais cette quête d’authenticité se heurte directement à la réalité du surtourisme, qui transforme ces mêmes lieux en produits standardisés, dénués de toute singularité. Cette contradiction est d’autant plus flagrante qu’elle remet en question la viabilité à long terme du modèle économique touristique tel qu’il existe aujourd’hui.
5Face à ce constat alarmant, Knafou porte un jugement sévère sur le modèle de tourisme durable tel qu’il est défendu par les institutions internationales et les entreprises du secteur. Il soutient que le tourisme durable, tel qu’il est mis en œuvre aujourd’hui, constitue une hypocrisie manifeste. Selon lui, les initiatives mises en place dans ce domaine sont souvent fragmentées, insuffisantes et manquent d’une vision ambitieuse. L’auteur dénonce une série de contradictions au sein des politiques de développement du tourisme durable, lesquelles échouent à endiguer les effets néfastes du surtourisme. À titre d’exemple, il cite l’île de Lanzarote, aux Canaries, où, bien qu’une charte pour le tourisme durable ait été adoptée en 1995, le littoral de l’île comptait, en 2022, un grand nombre d’hôtels illégaux en Espagne. Cette situation illustre l’écart entre les discours et les actions dans la gestion du secteur.
6L’auteur approfondit sa critique en soulignant que les solutions proposées par les défenseurs du tourisme durable se résument souvent à des mesures superficielles ou à des actions ponctuelles qui n’ébranlent pas les fondements mêmes du système. Il considère que le tourisme durable, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, relève d’un label marketing utilisé par les grandes multinationales du secteur pour masquer leurs pratiques d’exploitation. Knafou affirme ainsi : « L’idée du toujours plus est incompatible avec la durabilité », soulignant que tant que le secteur restera dominé par des intérêts économiques à court terme, toute tentative de durabilité sera vouée à l’échec. En d’autres termes, le modèle de croissance infinie et de marchandisation totale du secteur touristique est incompatible avec les principes de préservation écologique et de justice sociale.
7Face à ce constat accablant, Knafou propose des solutions à la fois radicales et innovantes pour réinventer le secteur du tourisme. Celles-ci reposent sur une refonte totale du modèle touristique, à la fois global, national et local, et sur une mobilisation coordonnée de tous les acteurs concernés.
8Au niveau planétaire, l’auteur appelle à une gouvernance internationale efficace, capable de faire converger le discours et la réalité. Il met en avant la nécessité de réglementer le trafic aérien et maritime, de sanctuariser des territoires sensibles, comme l’Antarctique (un continent de « 14 millions de km², englacé à 98 % à la fois non habité et non approprié par les États »), ou encore la haute atmosphère, espaces souvent laissés à l’abandon dans les débats environnementaux. Knafou plaide également pour une coopération renforcée entre les États afin de garantir une gestion équitable et durable des flux touristiques mondiaux. À ses yeux, une gouvernance sans parti pris et fondée sur des principes écologiques et éthiques est la seule manière de lutter efficacement contre le surtourisme.
9Au niveau national, l’auteur insiste sur la nécessité de dépasser la logique purement quantitative qui prédomine aujourd’hui dans les politiques touristiques. Il propose des mesures concrètes, telles que la mise en place d’un dispositif numérique de régulation des flux touristiques afin de limiter l’emprise des plateformes multinationales du secteur. L’une des propositions les plus intéressantes de Knafou concerne l’éducation des jeunes : sensibiliser les générations futures aux bonnes pratiques touristiques serait, selon lui, un levier essentiel pour changer les mentalités et orienter le tourisme vers un modèle plus respectueux des territoires et des populations locales. Parallèlement, il suggère d’utiliser le tourisme comme un levier d’inclusion sociale en favorisant des initiatives qui luttent contre la marginalisation et la vulnérabilité des communautés locales.
10Enfin, au niveau local, Knafou propose des actions concrètes pour limiter les effets du surtourisme sur les territoires sensibles. Il recommande notamment de promouvoir des séjours décarbonés, accompagnés de tarifications adaptées, et de soutenir un tourisme de proximité, susceptible de réduire l’empreinte carbone. Il insiste également sur l’importance d’incitations fiscales favorisant des pratiques touristiques responsables et sur la mise en place d’un système de régulation des flux touristiques dans les zones les plus vulnérables. L’auteur plaide également pour l’instauration d’un système réflexif, où le voyageur serait vu comme un acteur central de l’écosystème touristique, conscient des impacts de ses choix et motivé par une démarche responsable.
11L’ouvrage de Rémy Knafou se termine sur une note résolument optimiste. L’auteur appelle à une mobilisation coordonnée des acteurs publics et privés afin de « réinventer vraiment le tourisme ». Il insiste sur la nécessité d’adopter un modèle de tourisme à échelle humaine, sobre et régulé, qui permette de préserver l’environnement planétaire tout en favorisant des relations humaines authentiques et des échanges culturels enrichissants. Ce modèle, fondé sur des principes de solidarité, de respect de la biodiversité et de justice sociale, serait, selon lui, la seule voie viable pour un tourisme réellement durable.
12À travers cet essai, Knafou nous invite à repenser les bases du secteur touristique en mettant l’accent sur une réflexion profonde et collective qui dépasse les intérêts individuels ou nationaux. Ses propositions, audacieuses et concrètes, offrent une perspective nouvelle et stimulante pour un secteur qui, à défaut de se réinventer, risque de contribuer de manière irréversible à la dégradation de notre planète. Par sa lucidité et son engagement, cet ouvrage constitue une réflexion indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à l’avenir du tourisme et à la sauvegarde de nos écosystèmes.
Pour citer cet article
Référence électronique
Sofia Bensaid, « Réinventer (vraiment) le tourisme : en finir avec les hypocrisies du tourisme durable », Études caribéennes [En ligne], 13 | Mars 2025, mis en ligne le 15 mars 2025, consulté le 24 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/34171 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13ltp
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