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Entretien

Abdellatif Aït Ben Abdallah : pionnier de la renaissance des riads à Marrakech

Entretien réalisé par Hicham Saddou et Larbi Safaa
Hicham Saddou et Larbi Safaa

Texte intégral

1Abdellatif Aït Ben Abdallah est une figure incontournable dans la préservation et la valorisation des riads de Marrakech. Depuis les années 1980, ce dernier a joué un rôle crucial dans la sauvegarde et la restauration de ces demeures historiques, contribuant ainsi à l’émergence du phénomène des maisons d’hôtes dans la médina de Marrakech. Grâce à son engagement passionné, il a non seulement préservé un patrimoine architectural précieux, mais a aussi inspiré de nombreux autres acteurs, tant marocains qu’étrangers, à s’investir dans cette démarche de conservation et de valorisation.

2Ce texte présente un entretien avec lui, où il partage ses réflexions et expériences sur le développement des riads en tant qu’atouts culturels et touristiques. Il y évoque également le rôle des maisons d’hôtes dans la revitalisation des médinas et la manière dont il a contribué à redéfinir l’identité de Marrakech

3Hicham Saddou & Larbi Safaa (H.S &L.S) : Comment avez-vous découvert votre passion pour les riads et le patrimoine de la médina de Marrakech ?

4Abdellatif Aït Ben Abdallah : Ma passion pour les riads et le patrimoine de la médina de Marrakech est née dans les années 1980, à la suite d’une rencontre marquante avec un groupe d’étudiants français venus effectuer leur service civique à Marrakech. À l’époque, ils vivaient dans la ville nouvelle, à l’extérieur des remparts. Souhaitant leur faire découvrir le cœur historique de Marrakech, je leur ai proposé de s’installer dans une maison traditionnelle au sein de la médina. Enthousiasmés par cette idée, ils ont accepté avec joie cette immersion. Parmi eux se trouvait un architecte, dont les échanges et le regard sur l’architecture locale ont éveillé en moi un vif intérêt pour le patrimoine bâti de la médina. En partageant leur approche et en observant leur manière d’analyser les espaces, j’ai découvert toute la richesse et la singularité des riads.

Photographie 1. Abdellatif Aït Ben Abdallah dans un chantier de restauration d’un riad (photo de Marrakech Riad)

Photographie 1. Abdellatif Aït Ben Abdallah dans un chantier de restauration d’un riad (photo de Marrakech Riad)

5Quelques années plus tard, j’ai eu l’opportunité de séjourner en France pendant plusieurs mois. J’y ai été frappé par l’importance accordée à la valorisation et à la préservation du patrimoine. Cette expérience a ravivé en moi un profond sentiment d’attachement à ma ville natale et une prise de conscience quant à l’urgence de préserver son héritage architectural. À mon retour à Marrakech, ma décision était prise : je voulais œuvrer activement à la sauvegarde du patrimoine de la médina.

6Cette vocation s’est consolidée grâce à une rencontre décisive avec l’architecte belge Quentin Wilbaux. Ensemble, nous avons entrepris un travail minutieux de documentation et de recensement des maisons historiques de la médina, un périple passionnant mais semé d’embûches. Dans le cadre du projet d’inscription de la médina de Marrakech au patrimoine mondial de l’UNESCO, nous avons élaboré un inventaire des riads et des maisons anciennes, posant ainsi les bases d’une véritable prise de conscience quant à la nécessité de leur conservation. Ce fut le point de départ de mon engagement concret : non seulement en restaurant ces demeures emblématiques, mais aussi en sensibilisant les habitants et les autorités à leur importance culturelle et historique.

7H.S & L.S : Quelle a été votre contribution à la sauvegarde et à la restauration des riads de Marrakech ?

8Abdellatif Aït Ben Abdallah : Mon engagement en faveur de la préservation des riads de Marrakech est né d’une passion profonde pour la médina et son architecture exceptionnelle. Dès les années 1990, j’ai parcouru la médina dans ses moindres recoins, visitant plus de six mille maisons et sensibilisant leurs habitants à l’intérêt patrimonial et historique de ces demeures. Mon objectif était de sauver ces trésors architecturaux de la dégradation et de l’abandon, en incitant les propriétaires à prendre conscience de leur valeur inestimable.

9Mon action ne s’est pas arrêtée là. J’ai ensuite collaboré avec Quentin Wilbaux, avec qui nous avons mené de nombreux projets de conservation. L’un de nos premiers défis majeurs a été l’élaboration d’un rapport pour l’UNESCO, visant à inscrire la médina de Marrakech au patrimoine mondial. Ce travail a permis de mettre en lumière la richesse architecturale des riads, tout en soulignant l’urgence de leur préservation.

10Mon premier projet de restauration aux côtés de mon associé fut la réhabilitation de Dar El Cadi, un édifice restauré dans le respect des normes de l’UNESCO, en utilisant des matériaux traditionnels et en préservant l’authenticité de son architecture d’origine.

11Au fil des années, j’ai fondé ma propre entreprise de rénovation, Marrakech Riads, consacrant mon travail à la réhabilitation de plusieurs riads emblématiques. Parmi eux, Dar Chérifa, l’une des plus anciennes maisons de la médina, a été restaurée en 2000 et transformée en un lieu incontournable dédié à l’art, la culture et les rencontres. Ce projet représente pour moi une grande réussite, car il illustre comment un riad restauré peut non seulement retrouver son éclat, mais aussi devenir un espace vivant et dynamique, tout en préservant son âme et son authenticité.

Photographie 2. Restauration de riads (photos de Marrakech Riads)

Photographie 2. Restauration de riads (photos de Marrakech Riads)

12En restaurant ces maisons, mon objectif n’était pas seulement de préserver leur structure architecturale, mais aussi de sauvegarder l’art de vivre qu’elles incarnent. Mon travail a inspiré de nombreux investisseurs, aussi bien Marocains qu’étrangers, à s’impliquer dans la préservation des riads et à redonner vie à ces demeures historiques.

13Aujourd’hui, les riads restaurés de Marrakech sont devenus de véritables symboles de la ville, renforçant son rayonnement culturel et touristique, tout en protégeant un patrimoine inestimable pour les générations futures.

14H.S & L.S : Comment les riads ont-ils transformé le paysage touristique de Marrakech ?
Abdellatif Aït Ben Abdallah :
Les riads ont joué un rôle déterminant dans la transformation du paysage touristique de Marrakech. À la fin des années 1980, la médina n’était pas encore reconnue pour son potentiel touristique. La plupart des hébergements se trouvaient en dehors des remparts, notamment dans la palmeraie ou le quartier de l’Hivernage. Les touristes, logeant principalement dans ces hôtels modernes, ne faisaient que de brèves excursions dans la médina, sans réellement s’y immerger.

15C’est en découvrant l’expérience pionnière de la Villa Maroc à Essaouira, fondée par un investisseur anglais en 1992, que j’ai eu l’idée d’ouvrir les portes des riads restaurés aux touristes.

16Toutefois, cette vision n’a pas été immédiatement acceptée par les autorités locales. À cette époque, la médina de Marrakech était en mauvais état, marquée par des demeures en ruine et des problèmes d’infrastructure. Mon projet de réglementer l’hébergement des étrangers dans les riads a d’abord été rejeté par les responsables de la ville, qui considéraient la médina inadaptée à ce type de tourisme. Malgré ces obstacles, j’ai persévéré, convaincu du potentiel des riads comme une nouvelle forme d’hébergement, à la fois authentique et immersive.

17L’ouverture des riads aux visiteurs a marqué un véritable tournant dans la perception de la médina. Contrairement aux hôtels modernes, ces maisons traditionnelles offrent une expérience unique, permettant aux touristes de vivre au cœur de l’histoire et de la culture marocaine. Plus qu’un simple hébergement, les riads proposent une immersion totale dans l’authenticité et l’intimité de la vie quotidienne marocaine.

18En transformant ces demeures historiques en maisons d’hôtes, nous avons attiré une nouvelle catégorie de voyageurs, en quête d’une expérience plus personnalisée et enracinée dans la culture locale. Ces lieux sont devenus des espaces de découverte, où l’on peut séjourner tout en explorant l’art de vivre marocain, ses rituels, sa gastronomie et son architecture.

19Ce modèle d’hébergement a non seulement encouragé les visiteurs à prolonger leur séjour, mais aussi à plonger plus profondément dans l’âme de la médina, en explorant ses ruelles, en découvrant ses artisans et en vivant à son rythme authentique.

20Ainsi, les riads ont joué un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine architectural de Marrakech et la revitalisation de ses anciens quartiers. En mettant en avant l’authenticité et le charme de la médina, ils ont redéfini l’expérience touristique de la ville et contribué à lui redonner vie et attractivité, tout en préservant son âme et son héritage.

21H.S & L.S : Quel rôle jouent les riads dans la valorisation de la médina en tant qu’espace identitaire pour les habitants ?

22
Abdellatif Aït Ben Abdallah :
La médina de Marrakech ne se résume pas à un simple enchevêtrement de bâtiments et de ruelles ; c’est un espace vivant, imprégné de symboles, où se tissent des liens culturels et sociaux qui façonnent l’identité de ses habitants.

23Les riads, en particulier, occupent une place centrale dans cette identité. Conçus comme des havres tournés vers l’intérieur, ils préservent l’intimité et reflètent un mode de vie profondément enraciné dans la culture marocaine. Avec leurs cours intérieures, leurs jardins luxuriants et leur architecture unique, ils incarnent l’essence même de la médina.

24La réhabilitation des riads a permis non seulement de préserver ce précieux héritage, mais aussi de redonner vie à la médina. Avant cette vague de restaurations, la médina faisait face à une dégradation alarmante.

25Le départ des élites et l’afflux massif de populations issues de l’exode rural avaient fragilisé les structures, entraînant une détérioration progressive du patrimoine. Nombre de riads étaient abandonnés ou en ruine, menaçant la disparition d’un pan essentiel de l’histoire de Marrakech.

26La restauration des riads n’a pas seulement sauvé ces trésors architecturaux, elle a également réaffirmé la médina comme un espace identitaire. Chaque riad restauré est un fragment d’histoire préservé, témoignant de l’art de vivre marocain.

27En ouvrant ces maisons aux visiteurs, cet héritage a pu être partagé et valorisé, sans pour autant être dénaturé. La mise en valeur des riads a eu un impact profond sur les habitants. Voir leur patrimoine restauré et admiré par des visiteurs du monde entier a renforcé leur fierté et leur attachement à leur cité. Les riads restaurés ont contribué à revitaliser la médina, préservant son authenticité tout en réaffirmant son rôle central dans la vie culturelle de Marrakech.

28Ainsi, ces maisons traditionnelles jouent un rôle essentiel dans la valorisation de la médina en tant qu’espace identitaire. Elles permettent de conserver et transmettre un mode de vie, une esthétique, et des valeurs qui reflètent l’âme de Marrakech. En rendant ce patrimoine accessible, nous avons non seulement sauvegardé un pan fondamental de l’histoire de la ville, mais aussi encouragé une nouvelle génération à s’approprier et à perpétuer cet héritage.

29H.S & L.S : Quelles sont vos perspectives pour l’avenir de la réhabilitation des riads et leur rôle dans le rayonnement culturel de Marrakech ?

30
Abdellatif Aït Ben Abdallah :
Pour moi, les riads possèdent un potentiel immense, bien au-delà de leur simple fonction d’hébergement touristique. À l’avenir, je les imagine devenir de véritables espaces de rencontres culturelles et artistiques.

31Ces maisons traditionnelles peuvent être des lieux où l’art, la culture et l’histoire se croisent, créant un pont entre le passé et le présent. Je souhaite développer des projets où les riads deviennent des centres de médiation et d’échanges culturels, accueillant des expositions, des événements artistiques et des ateliers.

32Cela permettrait non seulement de mettre en valeur l’architecture et l’artisanat marocains, mais aussi de favoriser le dialogue et les rencontres entre cultures et générations.

33Il est également crucial de préserver ces maisons, alors que la modernisation et le développement touristiques’intensifient. La réhabilitation des riads doit respecter leur architecture et leur histoire, en évitant les pièges de la standardisation et de la transformation excessive.

34La médina doit rester un lieu authentique, où chaque riad raconte une histoire unique. Préserver leur caractère original est essentiel pour maintenir l’âme de la médina et éviter qu’elle ne devienne un simple décor touristique.

35De plus, je suis convaincu que les riads peuvent jouer un rôle clé dans le rayonnement culturel de Marrakech. En les intégrant dans des circuits culturels et en les ouvrant au public à travers des événements artistiques, nous pouvons attirer une clientèle en quête d’expériences authentiques et de découvertes culturelles.

36Les riads ont le potentiel de devenir de véritables ambassadeurs de la culture marocaine, offrant aux visiteurs un aperçu de l’art de vivre, de l’artisanat et de l’histoire du pays.

37Enfin, il est primordial d’encourager les acteurs locaux et internationaux à investir dans la réhabilitation des riads, en les sensibilisant à l’importance de préserver ce patrimoine unique.

38La collaboration entre propriétaires, artisans, architectes et institutions est essentielle pour assurer un développement harmonieux de la médina, qui préserve son identité tout en s’adaptant aux exigences du tourisme moderne.

39Un avenir entre préservation, valorisation et innovation

40En somme, l’avenir des riads à Marrakech doit être envisagé comme un équilibre entre préservation, valorisation culturelle et innovation.

41Ils doivent continuer à être des lieux vivants, ouverts sur le monde, tout en restant fidèles à leur essence.

42C’est ainsi que les riads pourront contribuer au rayonnement culturel de Marrakech, tout en perpétuant l’héritage de la médina pour les générations futures.

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Table des illustrations

Titre Photographie 1. Abdellatif Aït Ben Abdallah dans un chantier de restauration d’un riad (photo de Marrakech Riad)
URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/34187/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 256k
Titre Photographie 2. Restauration de riads (photos de Marrakech Riads)
URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/34187/img-2.png
Fichier image/png, 1,2M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Hicham Saddou et Larbi Safaa, « Abdellatif Aït Ben Abdallah : pionnier de la renaissance des riads à Marrakech »Études caribéennes [En ligne], 13 | Mars 2025, mis en ligne le 15 mars 2025, consulté le 24 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/34187 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13lte

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Auteurs

Hicham Saddou

Centre d’excellence Tourism & Hospitality Management School, Laboratoire d’études sur les ressources, la mobilité et l’attractivité (LERMA), Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc, Hicham.saddou[a]uca.ac.ma

Larbi Safaa

Université Cadi Ayyad (UCA), Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Centre d’Excellence Tourism and Hospitality Management School
Laboratoire d’Études sur les Ressources, la Mobilité et l’Attractivité (LERMA)
Marrakech, Maroc

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