1Les études ici rassemblées ont été rédigées à l’occasion et à la suite du colloque organisé à Lyon les 4 et 5 octobre 2019, avec le concours de l’École normale supérieure de Lyon et de l’Université Jean Moulin, par L. Lavaud et J.-F. Pradeau, avec la collaboration de C. Guigon.

2Les dialogues de Platon décrivent une âme capable de quitter le monde sensible pour revenir à son origine intelligible. Le suicide exclu, seul l’effort de la raison, celui de la vie philosophique, peut permettre d’amorcer un tel retour. La pratique de la philosophie durant l’existence incorporée a également des conséquences sur le sort de l’âme après la mort et sur sa capacité à se libérer du sensible.

3Ce « retour » de l’âme vers sa patrie intelligible a constitué l’un des thèmes privilégiés des écrits éthiques et métaphysiques des platoniciens de l’époque impériale. Un retour qui a suivi des itinéraires philosophiques très variés, parfois opposés, selon la manière dont il fut conçu par les médioplatoniciens (I^er s. av. – J.-C. – II^e s. apr. J.-C.) et les néoplatoniciens (III^e – VI^e s.).

4Tous les auteurs platoniciens, païens ou chrétiens, qui sont évoqués dans ces études disent, chacun à sa façon, la nécessité pour l’âme de se méfier des charmes dont elle se laisse abuser, pour ré-apercevoir l’intelligible dont elle provient et pour y retourner. Philosopher, c’est se retourner et revenir : à une patrie, à un géniteur, à une origine ou à une perfection dont d’une façon ou d’une autre l’âme s’est éloignée.

5L’édition et la traduction inédites des fragments du De regressu animae de Porphyre par G. Madec et R. Goulet ont récemment permis de mettre en avant l’hésitation du néoplatonisme entre deux attitudes : soit l’homme peut remonter par lui-même, à l’aide de la philosophie, à l’intelligible et assurer ainsi l’immortalité de son âme, comme le soutiennent Numénius, Plotin et Porphyre ; soit il est contraint de faire appel à des puissances divines et démoniques, comme le soutiennent les partisans de la théurgie que sont Jamblique et Proclus.

6Les études qui suivent examinent ces différentes conceptions du retour de l’âme dans la tradition platonicienne et proposent ainsi un bilan de la recherche internationale sur la doctrine platonicienne de l’âme, sur la confrontation de la philosophie et de la théurgie et sur les définitions néoplatoniciennes de la philosophie.

7La conception du retour de l’âme est corrélative à la manière dont est perçue sa venue dans le sensible et dont est défini son point de départ. M. Bonazzi revient sur la présentation du platonisme comme une « philosophie de l’exil » pour montrer comment ce schème est retravaillé par les divergences anthropologiques et épistémologiques des philosophes de tradition platonicienne. Une autre conception de la descente apparaît chez Numénius : F. Jourdan la reconstruit, sur la base des témoignages disponibles, à partir de ses fondements cosmologiques. Enfin, M. Zambon montre que le platonisme chrétien, développé notamment à Alexandrie par Origène, consiste en une lecture et une assimilation chrétienne d’éléments issus de la pensée de Platon.

8La question de la descente et de la remontée ou du retour de l’âme appelle aussi une certaine conception de la nature de l’âme, et de sa double relation au sensible et à l’intelligible, comme le montre L. Brisson à propos de Plotin et surtout de Porphyre. La dimension intermédiaire de l’âme plotinienne conduit T. Vidart à distinguer deux perspectives sur le mouvement de retour, qui est à la fois retour à soi de l’âme et retour vers l’intelligible.

9Même si les platoniciens prétendent n’être que des interprètes de la pensée de Platon, C. Girard montre comment Plotin élabore son propre platonisme, à la lumière de la place centrale accordée à l’Un dans son système. D. P. Taormina explique que, par la suite, certaines thèses de Plotin, comme l’âme non descendue et l’ascension intellectuelle, ont été sérieusement mises en cause dans le platonisme ultérieur, notamment par Jamblique. La question de la remontée sera également discutée par les auteurs chrétiens, à commencer par Augustin. Comme l’indique P. Rates, l’évêque mobilise, au livre X du De civitate Dei, des arguments platoniciens contre les platoniciens eux-mêmes afin de parvenir à une définition élargie du retour. Augustin prolonge cette discussion avec les platoniciens jusqu’au livre XII du De civitate Dei : Anne-Claire Lozier présente la critique de la théorie de la métempsychose déployée dans ce livre, appuyée sur la conception augustinienne du temps et son enracinement dans l’expérience subjective de l’âme.

10Déterminant chez Plotin et Porphyre, le thème du retour de l’âme n’a pas la même importance dans le platonisme postérieur : C. Steel montre ainsi que si entre Plotin (III^e s.) et Thémistius (IV^e s.) la question des rapports entre l’âme et l’intellect appelle une réflexion sur le retour, ce n’est plus le cas chez des platoniciens plus tardifs (Priscien, Ammonius, Philopon).

11Le volume se conclut par une postface de John Dillon, qui propose au lecteur une comparaison audacieuse, en rapprochant l'expérience mystique de Plotin des expériences de mort imminente.