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Les artisans semenciers, les haricots et leurs agents pathogènes

La biodiversité cultivée et la santé des plantes au cœur d’une identité professionnelle
Artisanal seed producers, beans and pathogens: Crop biodiversity and plant health at the core of professional identity
Stephanie Klaedtke, François Mélard, Véronique Chable et Pierre M. Stassart
p. 36-55

Résumés

En se saisissant du cas d'une association d'artisans semenciers, les Croqueurs de carottes, cet article a pour objectif d’éclairer l'articulation entre gestion de la biodiversité cultivée et gouvernance de la santé des plantes par ces acteurs. Face à un règlement phytosanitaire européen interdisant la commercialisation de semences de haricot porteuses d’un « organisme de quarantaine », les artisans semenciers défendent leurs pratiques qui consistent à « vivre avec » les maladies en les considérant comme partie intégrante de leur système de production. Par leurs efforts pour faire reconnaître leurs modes d’attachement aux maladies des plantes, ils ne font pas seulement valoir leurs pratiques de gestion, mais construisent et défendent aussi leur identité professionnelle.

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Texte intégral

  • 1 L’émergence de ce « nouveau métier ancien » a récemment été décrit par Giada Bellia dans son mémoir (...)
  • 2 Cette conférence internationale avait pour objet de présenter le travail du programme scientifique (...)
  • 3 La technologie des semences consiste à en analyser la qualité, ainsi qu’à développer et à applique (...)

1En hiver 2009/2010, un artisan semencier1 du sud-ouest de la France a adressé une lettre à Véronique Chable, agronome à l’Inra (Institut national de recherche agronomique) et coordinatrice du projet européen Farm Seed Opportunities. Dans sa missive, l’artisan poursuit le débat mené lors de la conférence finale du projet2 en relatant l’expérience relative à la gestion de la santé du haricot menée au sein de son entreprise semencière. En effet, la présentation de résultats d’analyses microbiologiques par un expert néerlandais en technologie des semences3, avait déclenché une discussion animée sur la qualité sanitaire de semences de haricot.

Plants mûrs de la variété de haricot ‘Saint-Esprit à œil rouge’, Ansembourg (Luxembourg), automne 2011.

Plants mûrs de la variété de haricot ‘Saint-Esprit à œil rouge’, Ansembourg (Luxembourg), automne 2011.

Un artisan semencier récolte les plants de haricot d’une autre variété pour la production de semences, qu’il va mettre à l’abri pour qu’ils finissent de sécher avant de les battre pour en extraire les graines. Il va ensuite trier la récolte au tarare, puis à la main. 

Photo : S. Klaedtke.

  • 4 Xanthomonas axonopodis pv. phaseoli et X. fuscans pv. fuscans.
  • 5 J. van der Burg, « WP3 Improving Seed Production and Marketing », présentation lors de la conféren (...)

2Entre autres agents pathogènes du haricot, des analyses avaient révélé la présence de bactéries du genre Xanthomonas4 (le Xantho) sur des semences produites par des artisans semenciers. Ces bactéries se développent à partir de la graine pour provoquer la « graisse bactérienne commune » sur la plante. Elles sont sujettes à une réglementation spécifique à la santé des plantes en Union européenne (UE). D’un côté, ces résultats d’analyses avaient mené l’expert à affirmer que « la santé des semences […] est médiocre » et que « la conscience de la qualité semencière de la part des paysans est limitée »5. De l’autre, les producteurs de semences et certains chercheurs dans l’auditoire avaient manifesté un mécontentement face à ces conclusions. Concernant le Xantho en particulier, l’artisan semencier du sud-ouest écrit :

Notons que, par le passé, avant le contrôle systématique de la protection des végétaux, nous vivions avec ce parasite et les années de fortes attaques, nous sélectionnions les graines issues des plantes les plus indemnes, ce qui développait une certaine forme de résistance […] L'erreur est, me semble-t-il, de vouloir absolument éradiquer cette bactérie. (Lettre datée décembre 2009, communiquée par Biau Germe)

3Il apparaît dans la lettre que l’artisan semencier ne se sent pas compris par le chercheur ayant discuté les résultats d'analyses microbiologiques lors de la conférence et s’estime en porte-à-faux avec la réglementation phytosanitaire en vigueur dans l'UE. Pour mieux comprendre les tensions de ce débat autour du Xantho, une recherche a été menée entre 2012 et 2017 [Klaedtke 2017] basée à la fois sur des essais dans les champs d’artisans semenciers, sur l’observation participante de leurs pratiques de gestion et sur des entretiens semi-directifs avec 21 personnes.

  • 6 Cet article s’appuie notamment sur une recherche doctorale menée par S. Klaedtke entre 2012 et 201 (...)
  • 7 Règlement (UE) 2016/2031 relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles aux vég (...)

4Cet article6 part de l’hypothèse que le débat décrit ci-dessus révèle deux approches opposées de la santé des plantes, au-delà de la seule gestion du Xantho et de la santé du haricot. Face à une réglementation phytosanitaire qui vise à éliminer certaines maladies des plantes, des artisans semenciers défendent une autre manière de protéger la santé des plantes cultivées, qui consiste à « vivre avec » leurs pathogènes. L’objectif est, ici, d’analyser cette pratique qu’ils défendent. En vue du nouveau règlement phytosanitaire7, devant prendre effet dans l’UE en décembre 2019 et dont la rédaction d’actes délégués est en cours, il nous paraît opportun d’aborder, à travers ce cas, les implications plus larges sur le travail avec les plantes cultivées que peut avoir la conception que nous avons de la santé des plantes.

5Notre propos, ici, n’est pas d’étudier les différentes approches de la santé des plantes de manière exhaustive et comparative, mais de comprendre l’approche adoptée par un groupe d’artisans semenciers, les « Croqueurs de carottes », et son travail de maintien de la biodiversité cultivée, depuis leur point de vue. Nous présenterons d’abord les mesures de protection contre le Xantho en vigueur dans l’UE. Ensuite, nous décrirons les tentatives menées par ce collectif pour les contourner, ainsi que les modes d’attachement aux plantes et à leur microbiologie qui en découlent. Puis, nous discuterons sur les conséquences des tensions liées au règlement phytosanitaire sur l’identité professionnelle de ces artisans et sur la redéfinition de ce que sont les semences ainsi que leur qualité sanitaire.

La réglementation phytosanitaire

  • 8 Directive 2000/29/CE concernant les mesures de protection contre l'introduction dans la communauté (...)

6Dans l’UE, la directive phytosanitaire 2000/29/CE8 fixe des mesures de protection pour empêcher l’introduction et la propagation de certains organismes nuisibles aux plantes, aussi nommées « organismes de quarantaine ». Concernant le Xantho, de telles mesures consistent à interdire la vente de semences de haricot porteuses de l’agent pathogène aux acteurs agricoles professionnels sur le territoire européen.

  • 9 Une infection est dite endémique dans une population (de plantes) quand elle perdure dans la popula (...)

7Suivant la théorie de l’expertise développée par M. Callon et A. Rip [1992], nous considérons ici ces mesures comme une norme sociotechnique. L’expertise, à la base de normes sociotechniques, peut alors être comprise comme une tentative de réduire des tensions entre trois pôles : le scientifico-technique engagé dans la construction de savoirs au sujet de la nature et des artefacts, le réglementaire, qui rassemble les directives et les recommandations guidant les experts dans leur travail, et le socio-politique et économique qui compte des acteurs humains avec leurs compétences, leurs intérêts et leurs attentes. Pour atténuer les différends, l’expertise agit sur le pôle qui offre la marge de manœuvre la plus large – soit à cause d’incertitudes scientifiques et techniques, ou de difficultés d’interprétation et d’application réglementaires, soit encore pour des raisons de légitimité sociale et économique. Les mesures de protection contre le Xantho [EFSA Panel 2014] reprennent ces trois domaines. Le Xantho n’est pas endémique9 sur le territoire européen et les semences de haricot sont la principale source d'infection des cultures. Un protocole officiel permet la détection de ces bactéries sur les semences (scientifico-technique).

8Les lots de semences de haricot produits dans un pays dans lequel le Xantho est présent et destinés à des professionnels de la production végétale doivent être testés (réglementaire). Ces mesures doivent protéger la culture des haricots, notamment dans le sud de l'Europe, zone présentant à la fois un climat favorable à l’agent pathogène et une production importante économiquement. Phytopathologues et sélectionneurs comptent le Xantho parmi les cinq pathogènes majeurs de cette plante au niveau mondial [voir aussi Broughton et al. 2003]. Des pertes de rendement de 10 % à 40 % ont été observées pour des variétés sensibles (socio-politique et économique).

9Les autorités sanitaires françaises appliquent la « quarantaine » du Xantho de manière particulièrement rigoureuse et exigent une analyse officielle pour chaque lot de semence de haricot commercialisé. Ainsi, elles définissent un mode d’attachement très précis à la santé du haricot pour préserver celle des plantes et le secteur économique qui en dépend. Or, ce principe et ce mode d’attachement ne font pas l'unanimité parmi les entreprises semencières françaises.

Tensions et modes d’attachement à la microbiologie des plantes

  • 10 Ces variétés se reproduisent fidèlement au type (pollinisation ouverte) et appartiennent au domain (...)
  • 11 Le Biau Germe est un groupement de producteurs de semences biologiques potagères, florales et arom (...)
  • 12 Germinance est une entreprise artisanale de production de semences biologiques potagères, florales (...)

10L’artisan semencier du sud-ouest de la France, cité en introduction, est membre actif de l’association les Croqueurs de carottes, (les Croqueurs). Créée en 2005, cette dernière compte huit petites entreprises semencières, dont six en France, une en Belgique et une en Espagne (fig. 1). Toutes produisent et vendent exclusivement des semences biologiques de variétés potagères reproductibles10. Les objectifs déclarés des Croqueurs sont de contribuer à la sauvegarde des variétés dites « anciennes » et de favoriser l'échange de savoir-faire pour le maintien de la biodiversité cultivée. L’association est elle-même membre actif du Réseau semences paysannes et soutient son plaidoyer aux niveaux national et européen en faveur de la réappropriation des semences par les paysans et les jardiniers. Les Croqueurs entretiennent un lien fort avec leurs producteurs multiplicateurs de semences qui sont soit partie prenante de l’entreprise artisanale, comme pour le Biau Germe11, soit convoqués à des assemblées régulières, comme dans le cas de Germinance12.

Figure 1 : Entreprises semencières membres de l'association Croqueurs de Carottes en 2016.

Figure 1 : Entreprises semencières membres de l'association Croqueurs de Carottes en 2016.

Carte : d’après un fond de carte en ligne sur histgeo.ac-aix-marseille.fr

  • 13 Voir International Standards for Phytosanitary Measures 11. Pest Risk Analysis for Quarantine Pest (...)

11Bien que le Xantho concerne d’abord le Biau Germe, les Croqueurs dans leur ensemble se font le relais de l’artisan semencier dans sa critique des mesures de protection mises en place par l’UE en attaquant leurs fondements scientifiques, réglementaires et sociopolitiques. Sur la base d’expériences menées par le Biau Germe, les Croqueurs contestent l’un des constats justifiant les mesures de protection contre le Xantho, à savoir l’absence du pathogène sur le territoire français. En effet, des analyses bactériologiques réalisées sur plusieurs échantillons de semences de haricot produits par différents semenciers qualifiés « d’industriels » démontrent, selon cette entreprise semencière artisanale, « qu'aucun semencier, petit artisan ou gros industriel, n'est capable de s'en défaire » (c. f. lettre citée plus haut). Elle en conclut que le Xantho est largement répandu et donc endémique en France. Or, des mesures de « quarantaine » ne se justifient que si l’agent pathogène est absent du territoire à protéger13. Par ailleurs, l’apparition de résultats divergents lors du double échantillonnage de lots de semences, discrédite la méthode officielle de détection du Xantho (voir infra). La remise en question du caractère non endémique et de la fiabilité des tests permet alors aux Croqueurs de pointer l’incertitude des attachements Xantho-maladie et ainsi de questionner la conception sous-jacente au principe de quarantaine. Dès lors les Croqueurs peuvent se détacher de cette conception conventionnelle en affirmant que la présence comme l’absence d’un agent pathogène n’influe pas sur la santé des plantes.

12Néanmoins dans ce processus de contestation, l’entreprise est contrainte d’emprunter le chemin du registre technico-scientifique que déploie la réglementation sur la santé des plantes. Plutôt que de défendre sa propre expérience dans le projet de « vivre avec » la maladie, elle argumente autour de la prévalence des agents bactériens et des méthodes de détection. Ainsi, la réglementation ne contraint pas seulement l’entreprise semencière à aligner sa gestion sur l’absence/présence de Xantho, mais elle impose également de négocier dans le registre des arguments considérés comme recevables.

13Les règles et procédures relatives à la quarantaine de ce pathogène sont alors doublement contestées par les Croqueurs dans leurs dimensions opérationnelles. Leurs critiques visent l’organisme français chargé des contrôles sanitaires, ainsi que le protocole d’échantillonnage pour les tests officiels.

14En France, tout lot de semences de haricot doit subir une analyse bactériologique suivant un protocole officiel pour prouver l’absence de Xantho et être commercialisé. Ce protocole [Grimault et al. 2014] requiert un échantillonnage de 5 000 graines par lot. Un résultat d’analyse négative est une condition nécessaire à l’apposition du passeport phytosanitaire européen, permettant à la semence de circuler, que ce soit au sein d’un pays ou entre pays de l’UE. Depuis 2014, les pouvoirs publics français délèguent le contrôle sanitaire des semences potagères au syndicat interprofessionnel des semences – le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS) – et plus précisément le Service officiel de contrôle (GNIS-SOC). Ainsi, le GNIS-SOC s’assure qu’un test de détection de Xantho a bien été réalisé pour chaque lot de semences, sur la base de documents fournis par les entreprises semencières.

  • 14 Le SOC est le service technique chargé de la mission de service public, confiée au GNIS par l’État. (...)

15Malgré un statut officiel particulier accordé au GNIS-SOC14, les Croqueurs considèrent que celui-ci n’est pas indépendant des intérêts portés par le GNIS et qu’il est donc illégitime en tant qu’organisme de contrôle délégataire. Déplorant que la présidence du GNIS soit assurée par des représentants de groupes semenciers multinationaux, ils estiment que l’interprofession est largement dominée par les intérêts d’entreprises industrielles et transnationales même si le GNIS affirme être le représentant de tous les semenciers (grands et petits, producteurs d’OGM et de semences biologiques).

16Ensuite, le protocole officiel d’échantillonnage pour la détection du Xantho est critiqué pour son inadéquation avec la production artisanale de semences, à l’instar de la validité du test en général. Les Croqueurs considèrent que la taille des échantillons – 5 000 graines – est disproportionnée par rapport à leur activité.

Notre lot moyen, il fait… 25 kg, je crois. Est-ce que vous considérez vraiment que la réglementation est adaptée pour des lots de 25 kg ? Sachant qu'il faut 3 ou 4 kg d'échantillon pour faire une analyse. (Membre des Croqueurs, 19 mai 2015)

17Ainsi la réglementation leur impose un coût excessif au vu de la taille de leurs lots comparée à celle d’entreprises en produisant plusieurs centaines de kilos. Pour faire entendre leur double critique, les membres français des Croqueurs conviennent d’abord de ne pas coopérer avec le GNIS-SOC. Cependant, la plupart des entreprises artisanales ont déjà engagé des négociations avec leurs contrôleurs régionaux respectifs et ne peuvent faire marche arrière. Elles se trouvent dans l’incapacité de mettre en œuvre la désobéissance collective initialement convenue au sein des Croqueurs.

  • 15 « The industrial common bean seed production scheme is currently not done on a local scale but on (...)

18Face aux exigences légales, des arrangements [Boltanski et Thévenot 1991] à l’échelle régionale ont été négociés avec les contrôleurs. Dans plusieurs cas, les modalités de mise en œuvre des procédures d’échantillonnage sont adaptées informellement. Ainsi, une entreprise obtient que seulement une partie des lots de semences, et non leur totalité, soit sélectionnée aléatoirement et testée chaque année. Une autre obtient que la taille des échantillons ne dépasse pas 10 % de chaque lot. Ces négociations transforment la notion d’« élimination » sur laquelle repose le principe de quarantaine en risques acceptables de dissémination du Xantho, la taille de l'échantillon étant proportionnelle au niveau de tolérance souhaité [Grimault et al. op. cit.]. C’est la notion de risque acceptable qui est, de manière informelle et pragmatique, mobilisée pour la production artisanale de semences dans le cadre local des contrôles phytosanitaires, alors que l’expertise à la base de la réglementation phytosanitaire fait référence au « système industriel de production de semences de haricot commun […] à l’échelle mondiale »15 .

19Finalement, seul un membre des Croqueurs persiste dans son refus catégorique de coopérer avec le GNIS-SOC et rejette en bloc les réglementations phytosanitaires nationales, sinon communautaires. En conséquence, l’entreprise semencière n’est pas en mesure légale d’émettre les passeports phytosanitaires européens nécessaires au commerce de semences entre professionnels. Réglementation négociée localement ou rejetée catégoriquement, il s’agit là d’arrangements socio-techniques fragiles qui permettent aux entreprises artisanales de faire coexister, au quotidien, leurs pratiques de gestion avec une réglementation adverse. Cependant ces pratiques ne suffisent pas à ouvrir le débat sur la portée socio-politique des mesures de protection contre le Xantho. Or, la lettre, citée plus haut, marque la différence entre semenciers artisanaux et industriels et invite à aller au-delà des arrangements, notamment les « bricolages » permettant aux Croqueurs de mettre en œuvre leurs pratiques artisanales. Par ailleurs, ces derniers revendiquent leur identité professionnelle par les actions qu’ils conçoivent et par l’évitement de comportements qui reviendraient à la compromettre [van de Graaf et Grin 1999 : 89]. Nous allons voir que la traduction [Latour 2007] faite de la santé des plantes par le règlement phytosanitaire et le GNIS est incompatible avec celle les Croqueurs, et donc avec leur identité professionnelle.

20Lorsque les artisans semenciers remettent en question les présupposés technico-scientifiques et les procédures à la base de la quarantaine, il s’agit non seulement de faire perdurer leurs pratiques de production de semences, mais aussi d’affirmer d’autres modes d’attachement à la santé : alors que la quarantaine vise à se séparer – l’éradication – d’un pathogène, les Croqueurs tentent de « vivre avec ». La vie microbienne d’un lieu, agents pathogènes inclus, fait donc pour eux partie intégrante de l’environnement dans lequel évoluent les plantes. Lorsqu’ils parlent de haricots, « vivre avec » implique des formes d’attachement qui dépassent la variété, la « souche » étant tout aussi importante.

  • 16 Contrairement à l’usage qui en est parfois fait dans le domaine de la conservation génétique de va (...)

21La « souche » est le produit d’une coévolution triangulaire entre la variété, le terroir et la pratique singulière d’un producteur de semences, donnant lieu à l’adaptation des plantes à leur environnement naturel et humain au fil des années de culture. Lorsqu’on a devant soi un lot de la variété ‘Rognon de coq’, par exemple, il faut savoir si elle vient « de chez Philippe » ou « de chez François ». Les Croqueurs ont d’ailleurs permis de démontrer que la composition génétique et le comportement de plantes (le phénotype) de haricots [Klaedtke et al. 2017], ainsi que les communautés microbiennes associées aux semences [Klaedtke et al. 2016], pouvaient être influencés par leur environnement de culture. Les « souches » et leur adaptation locale constituent la base de la gestion de la biodiversité cultivée par les Croqueurs. Laisser aux plantes l’occasion d’affronter les stress émanant de l’environnement dans lequel elles évoluent, contribue aussi à leur santé. De ce point de vue, une plante qui ne développe pas de symptômes de maladie uniquement parce que tout agent pathogène est tenu à l’écart ne saurait être considérée comme réellement saine. Les interactions des plantes avec les micro-organismes présents dans leur environnement constituent donc un « point de passage obligé » [Callon 1986] pour la gestion de la santé des plantes par les Croqueurs. C’est pourquoi nous qualifions cette gestion, intimement liée à celle de la biodiversité cultivée, de gestion in situ16.

22La population de plantes, son environnement – naturel et humain, incluant l’entourage microbien – et le producteur de semences évoluent ensemble au fil des années et s’entre-définissent mutuellement (fig. 2). De cette manière, une souche se crée, c’est-à-dire une population de plantes qui reflète son milieu et les pratiques de multiplication. Simultanément, le producteur adapte ses manières de faire et d’observer à une souche donnée, au fur et à mesure qu’il apprend à connaître cette population particulière de plantes. Les producteurs de semences et les entreprises semencières auxquelles ils sont affiliés se définissent par cette coévolution triangulaire, qui caractérise le travail de l’artisan semencier. Effectivement, l’activité de l’artisan semencier est basée sur ces processus circulatoires qui constituent les souches dont l’entreprise vend les semences (fig. 3).

Figure 2 : Coévolution triangulaire qui constitue une souche.

Figure 2 : Coévolution triangulaire qui constitue une souche.

23Chaque paquet de semences est notamment pourvu d’un code rendant traçable, pour l’acheteur, le producteur et le site d’où provient la semence, reflétant la notion de souche.

24Outre leurs réserves face aux présupposés scientifiques de la quarantaine et leur inquiétude concernant la gouvernance des organismes contrôles phytosanitaires, les Croqueurs manifeste une défiance, découlant avant tout de leur « traduction concurrente » [Latour op. cit.] de la santé des plantes, qui écarte la gestion par l’éradication et par l’analyse bactériologique au profit d’une gestion in situ. Les deux traductions ne peuvent être mises en pratique en même temps. En effet, soit on essaie d'éliminer le Xantho en UE, soit on le laisse interagir avec les plantes de haricot dans leurs environnements de culture. Comme le formule un artisan semencier :

Ils veulent éradiquer la graisse ? Alors ils éradiqueront les semences paysannes.

25Les Croqueurs n’estiment pas que leurs cultures de haricot sont représentées, ni protégées, par la réglementation et les contrôles phytosanitaires. Les semences analysées dans des environnements stériles, isolées du sol qui les accueillera, ne sont pas considérées comme des porte-parole de l’état de santé des plantes. Ces dispositifs d’analyse et de contrôle mettent à l’épreuve leur identité professionnelle d’artisans semenciers, laquelle se trouvant en porte-à-faux et mise en tension avec la réglementation phytosanitaire.

Figure 3 : Processus circulatoires qui contribuent à la construction de l'identité professionnelle des « Croqueurs ».

Figure 3 : Processus circulatoires qui contribuent à la construction de l'identité professionnelle des « Croqueurs ».

Ce que la notion de souche fait faire

26L’identité des Croqueurs se définit par les liens qu’ils entretiennent avec le monde qui les entoure dans leurs pratiques d’artisans semenciers [Latour 2004]. La gestion in situ implique une distribution des compétences nécessaires à la santé des plantes à travers l’environnement de culture. Les micro-organismes associés au sol, aux plantes et aux semences, dont les pathogènes potentiels, sont considérés comme faisant partie intégrante des plantes. Dans sa lettre, l’artisan semencier du Sud-Ouest mentionne une variété de haricot qu’il a l’habitude de produire, le ‘Rognon de coq’. Selon ses observations de cette variété dans son environnement de culture, les symptômes de graisse bactérienne, tels qu’ils sont causés par le Xantho, peuvent être considérés comme un caractère typique. Considérant que la variété vaut la peine d'être maintenue pour ses qualités gustatives et nutritionnelles, il accepte même de ne pouvoir la vendre qu’une année sur deux à la suite de l’apparition régulière de symptômes. L’attachement personnel à « sa » souche de ‘Rognon de coq’, produit de sa gestion dans son terroir, y est aussi pour quelque chose.

27Cultiver et reproduire une telle variété implique donc d’accepter et de prendre en compte son caractère sensible à la maladie. La santé des plantes n’est alors plus synonyme d’absence de symptômes, mais plutôt d’un équilibre où la nature du sol, la vie microbienne qu’il contient, les propriétés climatiques du lieu et les attentes du producteur s’accordent.

28Les compétences pour la santé des plantes se trouvent distribuées à travers l’environnement dans lequel elles évoluent. Les artisans semenciers laissent les plantes et les micro-organismes interagir et négocier pour construire cette compétence distribuée [Jonnaert et al. 2009]. Cela implique que la présence d’un pathogène n’engendre pas nécessairement une maladie, mais qu’il faut parfois accepter des pertes, selon les lieux et les années. Une telle distribution des compétences s’oppose aux prescriptions des mesures de protection contre le Xantho, la réglementation phytosanitaire concevant la semence comme seul vecteur de santé des plantes, santé garantie par l’absence d’agents pathogènes.

29Pour l’artisan semencier, qui attribue la santé des plantes à l’ensemble de l’environnement de culture, l’apparition d'une maladie est l’indicateur d'un déséquilibre qui questionne le cultivateur. Cette maladie lui apprend-elle quelque chose sur sa gestion du système ? Les plantes seront-elles capables de s'adapter à cet agent pathogène dans cet environnement local ? Les symptômes observables à l’œil nu comptent, ainsi que sa connaissance sur ces symptômes. Cela est bien illustré par les symptômes de graisse qu’il a remarqués sur sa culture de haricot ‘Rognon de coq’. En effet, les symptômes causés par le Xantho sont sensiblement les mêmes que ceux causés par une autre bactérie pathogène du haricot présente sur le territoire, qui est de la famille des Pseudomonas et qui n’est pas réglementée comme organisme de quarantaine. Pour l’artisan semencier, il n’importe pas de savoir si les symptômes qu’il observe dans son champ sont dus à l’une ou l’autre bactérie, mais qu’il a l’habitude de régulièrement voir dans ses cultures de ‘Rognon de coq’ et qu’il est disposé à les accepter.

30Il arrive que l’apparition régulière d’une maladie transmissible par la semence devienne inacceptable pour le producteur concerné. Le réseau de producteurs de semences prend alors le relais, comme le démontre l’exemple suivant. Au cours de l’observation participante menée dans le cadre de notre recherche, un producteur au Luxembourg décide en 2016 de ne plus cultiver la variété ‘Saint-Esprit à œil rouge’ après l’avoir reproduite pendant plus de dix ans. Il est découragé par des symptômes de maladies virales qui s’intensifient d’année en année, menant à des plantes chétives et à de maigres récoltes. La variété est confiée à un autre producteur de la même entreprise artisanale afin de voir si elle est capable de s’adapter à un autre environnement qui lui serait plus favorable et à un autre artisan semencier.

31Cet exemple renvoie à des cas similaires observés pour plusieurs autres variétés, espèces cultivées et producteurs de semences : du fait de ses propriétés intrinsèques, une variété fixe des limites aux gammes d’environnements et d’attentes auxquelles elle peut s’adapter. Il est pratique courante parmi les Croqueurs de cultiver une variété qu’ils connaissent mal pendant 2-3 ans sur leur ferme avant d’en évaluer la performance. Cela laisse le temps aux plantes de s’adapter aux nouvelles conditions environnementales et au producteur d’apprendre à les connaître et à les observer. Malgré cela, une variété peut faillir et ne pas s’adapter conformément aux attentes du producteur. Si elle ne convient pas à un environnement donné, elle n’est généralement pas abandonnée, mais transmise à un autre membre du réseau qui tentera, à son tour, de l’adopter.

32Le réseau de producteurs de semences prend le relais, donnant une dimension collective à l’effort de gestion de la santé des plantes. La gestion in situ ne peut être prise en compte sans cette dimension collective, qui se construit par l'alignement de tous les acteurs du réseau sur une même approche de la santé des plantes. Le travail collectif autour des souches ne met pas uniquement en circulation des semences, comme dans l’exemple du ‘Saint-Esprit à œil rouge’, mais aussi en mouvement une identité collective, d’abord au sein de chaque entreprise semencière, puis au sein des Croqueurs (fig. 3).

33Au-delà du réseau des Croqueurs, cette gouvernance collective de la santé des plantes vise également à s’étendre au réseau des utilisateurs de la semence, c’est-à-dire les clients des artisans semenciers, comme l’explique l’un d’eux :

On vendrait nos semences à des conventionnels, avec les sols morts qu'ils ont et autres, peut-être qu'ils auraient plein de maladies. Mais comme on vend à des gens qui travaillent un peu comme nous – la plupart de nos clients, ce sont soit des jardiniers, soit des maraîchers diversifiés en petites surfaces – ben aussi ils apprennent à travailler un peu comme nous. Ils ont un peu la même conception que nous de la vie, de la santé des plantes et autre. Et du coup, ben, ils ont moins de problèmes. (Membre des Croqueurs, 19 mai 2015)

34Ainsi, les utilisateurs des semences gèrent, eux aussi, la santé des plantes par un équilibre dans le triangle plantes/terroir/cultivateur. La gouvernance in situ de la santé tiendrait donc grâce à un alignement de tous les acteurs sur cette approche.

35Par leur opposition aux mesures de quarantaine et au GNIS-SOC, les Croqueurs révèlent une autre approche de la santé des plantes, qui peut être qualifiée de globale et collective. Loin d’être fixée ou absolue, elle est questionnée par les Croqueurs eux-mêmes dans l’objectif de mieux la définir et ainsi la clarifier – d’abord au sein de leur collectif, puis envers d’autres acteurs.

36Pour résumer l’approche mise en œuvre par les Croqueurs, la distribution des compétences pour la santé des plantes à travers l’environnement de culture dans la recherche d’un équilibre mène à une gestion collective en réseau. Cela s’oppose aux pratiques observées dans d’autres entreprises semencières, qui visent à mettre sur le marché de la semence exempte de Xantho ou d’autres maladies. La qualité phytosanitaire des semences y est assurée par des équipes spécialisées, avec une délimitation des compétences concernant la santé des plantes. Ces équipes s’attachent à isoler la semence pour pouvoir contrôler de manière très précise ce qui est considéré comme le vecteur de la maladie.

Discussion et conclusion

  • 17 Voir l’article co-écrit par C. Ruault [2016] et la communication de J. Cabaret et C. Nicourt, « La (...)

37Que ce soit en santé des végétaux [Döring et al. 2012] ou des animaux17, différentes manières de concevoir les agents pathogènes et les maladies en agriculture ont été identifiées dans des travaux antérieurs, en particulier pour l’agriculture biologique. Ils montrent que les modes de gestion de la santé ne peuvent pas simplement être distingués par leur appartenance à l’agriculture biologique ou conventionnelle, mais qu’il s’agit de s’intéresser plus finement aux modes d’attachement [Hennion 2004] qui préservent la santé pour différents individus et groupes. Le cas des Croqueurs prouve que le mode d’attachement aux micro-organismes pathogènes des plantes n’influe pas seulement sur les rôles qui sont attribués à ces micro-organismes et la façon dont ils sont gérés. Il soulève aussi la question de la réciprocité entre l’identité des plantes cultivées, d’une part, et l’identité des artisans semenciers qui prennent soin de ces plantes, d’autre part.

38Face à une réglementation qui délimite la semence en tant que seul vecteur de santé, les Croqueurs développent une gestion in situ qui englobe l’environnement de culture. La prise en compte des interactions entre plantes et environnement et de la capacité adaptative des plantes, rend les frontières entre eux plus poreuses. Quand les Croqueurs observent leurs populations de plantes, ils observent aussi un environnement écologique et humain. La santé des plantes, comme leur composition génétique, se conçoit alors en termes de flux – qu’il s’agit de diriger de façon dynamique – et non de stock à conserver de manière statique [Girard 2014]. Extraire les plantes de l’environnement dans lequel elles évoluent ne revêt alors aucun sens.

39Ce mode d’attachement à la microbiologie des plantes constitue un système dans lequel circulent à la fois la conception des plantes cultivées (avec leurs maladies) et une identité professionnelle. La semence est déterminée par l’ensemble de ses interactions avec les humains et les non-humains. La prise en compte de ces liens dans la construction de ce qu’est une semence et sa qualité sanitaire interrogent aussi sur le fait d'être semencier et de produire de la semence de qualité. L’expertise à la base de la quarantaine du Xantho s’adresse explicitement à un secteur semencier industriel et mondialisé construit selon un modèle linéaire. Dans ce modèle, des entreprises recrutent des producteurs pour multiplier des variétés de haricot qu’elles ont sélectionnées et considérées comme fixées. De manière analogique, la santé des plantes est gérée par des équipes spécialisées qui visent à fournir de la semence de base indemne d’agents pathogènes aux multiplicateurs et, après multiplication, à contrôler l’état de la semence produite et commercialisée. À ce modèle, les Croqueurs opposent un mode d’attachement reliant gestion collective et maintien de la biodiversité cultivée en réseaux. Ils considèrent les souches de haricot comme le résultat d’une coévolution entre plantes, terroir et pratiques et la santé des plantes comme celui de ces mêmes interactions. Le système est maintenu par la circulation de semences et connaissances au sein du réseau de producteurs et d’artisans semenciers.

40Ainsi, à titre d’exemple, la notion de « nuisible à éradiquer » est remise en question par le second modèle. Sa gestion de la santé des plantes relève du « faire avec » qui caractérise l’agriculture comme « pilotage de processus naturels » [Larrère 2002 : 161-162]. Selon R. Larrère, cette démarche se situe à l’opposé de celle qualifiée « d’artificialisation » qui consiste à maîtriser des facteurs de production pour maximiser les rendements et nécessite de dissocier le vivant de son environnement. Les Croqueurs ne sont effectivement pas attachés à une productivité maximale mais à un pilotage d’interactions in situ, qui soutient un autre rapport à la nature et entre êtres humains.

41Pour J. Cabaret et C. Nicourt, en ce qui concerne les animaux, « la maladie n’est plus le résultat d’une attaque par des bio-agresseurs, mais l’expression d’un dérèglement de l’individu ou de son environnement » [2011]. Leur conception de la santé, qu’ils qualifient de fonctionnelle, s’oppose à une conception ontologique. Dans le domaine de la santé humaine, des recherches et des découvertes de plus en plus nombreuses montrent l’importance des flores microbiennes qui accompagnent et font partie de l’être humain pour la santé de celui-ci. À l’instar des développements en cours dans ce domaine [Lorimer 2016], la gestion globale que font les Croqueurs de leurs plantes, en interdépendance avec les micro-organismes qui les entourent, nous amène à nous interroger sur les contours d’une espèce et sur l’identité même d’une plante.

42Nous avons décrit comment les Croqueurs remettent en question la réglementation « santé des plantes » dans ses trois pôles. Ils mettent en doute les présupposés scientifiques de la quarantaine et argumentent donc dans l’arène mise en place par l'EFSA et les normes internationales pour discuter des questions phytosanitaires. Ils trouvent aussi des arrangements officieux avec leurs contrôleurs à propos des procédures des mesures de protection, alors qu'ils trouvent ces dernières plutôt menaçantes pour leur activité artisanale. Si ces démarches permettent de faire de la place aux pratiques des Croqueurs, leurs avancées pour faire reconnaître et légitimer leur identité professionnelle n'en sont qu'aux débuts. Elles prennent forme par des échanges qui continuent d’avoir lieu au sein de l’association pour définir ce qu’est pour eux la santé des plantes.

43Ces échanges se déroulent dans un contexte de révision de la réglementation phytosanitaire européenne ayant pour objectifs l’harmonisation de la législation respective à la santé végétale et animale et, dans le domaine du végétal, l’efficacité du budget alloué aux organismes de quarantaine. Dans le nouveau règlement, en vigueur à partir de 2019, le Xantho sera retiré de la liste des organismes de quarantaine. Néanmoins, le travail que font les Croqueurs pour construire et défendre leur conception de la santé des plantes reste d’actualité. Le nouveau règlement exige, par exemple, la mise en place de protocoles internes, dirigés par des responsables phytosanitaires dans le cadre d’un d’autocontrôle par les entreprises semencières. Pour les Croqueurs, cela rend obligatoire des pratiques déjà en place chez les entreprises industrielles, mais non réalisables dans les entreprises artisanales à cause de leur coût. Selon notre analyse, cela irait en effet à l’encontre de la distribution des compétences, à la fois à travers l’environnement de culture et à travers le réseau d’acteurs, qui caractérise le travail et l’identité des artisans semenciers.

44C’est peut-être en agissant davantage dans le pôle socio-politique de la réglementation, que cet autre mode d’attachement et ses artisans pourront se faire une place, car la contre expérience menée par les Croqueurs porte sur la nature socio-économique nouvelle de leur mode d’attachement à la microbiologie des semences, donnant une autre légitimité à la sélection et à la production de semences. Il s’agirait alors d’ouvrir le débat sur ce qu’est la santé des plantes, donc sur les enjeux pour la construction des rapports entre artisans semenciers, usagers de la semence, plantes et micro-organismes. Des propositions [Döring et al. op. cit.] ont déjà été faites pour une définition procédurale de la santé des plantes en confrontant différents points de vue, allant dans le sens d’une gouvernance collaborative et discursive telle qu’elle a été proposée et défendue par Melanie DuPuis [2015] pour la gestion de la sécurité sanitaire alimentaire. Une telle gouvernance – qu’elle compare à celle en œuvre pour les processus de fermentation alimentaire – admet que la sécurité sanitaire certaine et absolue ne peut exister et que la limite entre ce qui est sain et ce qui ne l’est pas doit en permanence être négociée et renégociée. Pour le système alimentaire, elle a démontré qu’une gouvernance sanitaire, qui vise à garantir à tout prix l’absence de pathogènes, n’apporte aucune avancée en termes sanitaires tout en favorisant l’industrialisation des systèmes de production [idem]. Organiser une négociation entre différentes approches de la santé des plantes en vue d’une gouvernance discursive, en particulier celle pour éliminer des agents pathogènes et celle qui cherche à « vivre avec », ne va pas de soi. Mais cela s’impose si l’on souhaite prendre en compte une diversité d’approches de la santé des plantes. De là pourrait aussi dépendre, en Europe, le maintien de la biodiversité cultivée tel qu’il est assuré par des artisans semenciers.

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Notes

1 L’émergence de ce « nouveau métier ancien » a récemment été décrit par Giada Bellia dans son mémoire soutenu en 2018 et intitulé L’artisan semencier : la recomposition d’un métier. Comment appréhender le vivant autrement (<http://ressources.semencespaysannes.org/docs/memoire_giada_bellia.pdf>). Elle montre en quoi des praticiens qui se qualifient d’artisans semenciers reconstruisent la production de semences en articulant production, alimentation, humains et plantes afin de réorganiser et d’autonomiser la filière alimentaire. Cependant, la définition du métier reste approximative et l’analyse du rapport d’un groupe d’artisans semenciers proposée dans le présent article peut contribuer à le démarquer davantage.

2 Cette conférence internationale avait pour objet de présenter le travail du programme scientifique européen Farm Seed Opportunities, à Marseille, les 14 et 15 octobre 2009.

3 La technologie des semences consiste à en analyser la qualité, ainsi qu’à développer et à appliquer des traitements pour en améliorer la qualité.

4 Xanthomonas axonopodis pv. phaseoli et X. fuscans pv. fuscans.

5 J. van der Burg, « WP3 Improving Seed Production and Marketing », présentation lors de la conférence finale du projet « Farm Seed Opportunities », 2009, Marseille, 14 octobre.

6 Cet article s’appuie notamment sur une recherche doctorale menée par S. Klaedtke entre 2012 et 2017, financée par le Fonds national de la recherche, Luxembourg (projet 5126594), ainsi que le 7e projet cadre de la Communauté européenne (projet Solibam, grant agreement 245058) et le programme « Horizon 2020 » (projet Diversifood, grant agreement 633571). Les auteurs remercient vivement les Croqueurs de carottes, le Réseau semences paysannes et Paul de la Grandville pour sa traduction. Le projet Dynaversity du programme H2020 de l'Union européenne a également financé l'écriture de cet article.

7 Règlement (UE) 2016/2031 relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles aux végétaux, paru en 2016 (<https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R2031>).

8 Directive 2000/29/CE concernant les mesures de protection contre l'introduction dans la communauté d'organismes nuisibles aux végétaux ou aux produits végétaux et contre leur propagation à l'intérieur de la communauté.

9 Une infection est dite endémique dans une population (de plantes) quand elle perdure dans la population sans nécessité d’apports externes.

10 Ces variétés se reproduisent fidèlement au type (pollinisation ouverte) et appartiennent au domaine public, ne sont donc protégées par aucun type de droit de propriété intellectuelle.

11 Le Biau Germe est un groupement de producteurs de semences biologiques potagères, florales et aromatiques.

12 Germinance est une entreprise artisanale de production de semences biologiques potagères, florales et aromatiques.

13 Voir International Standards for Phytosanitary Measures 11. Pest Risk Analysis for Quarantine Pests Including Analysis for Environmental Risks and Living Modified Organisms, 2004, Secretariat of the International Plant Protection Convention, Food and Agriculture Organization.

14 Le SOC est le service technique chargé de la mission de service public, confiée au GNIS par l’État. Le directeur du SOC est un fonctionnaire nommé par le ministère de l’Agriculture et détaché auprès du GNIS. Il détient le pouvoir de décision sur l’ensemble des activités du SOC et l’autorisation à déléguer ce pouvoir. Les contrôles sont réalisés par du personnel réparti dans les délégations régionales du GNIS, en s’appuyant sur des référents techniques nationaux. Voir le site web du GNIS (<www.gnis.fr/service-officiel-controle-et-certification/>).

15 « The industrial common bean seed production scheme is currently not done on a local scale but on a worldwide scale » [EFSA Panel op. cit. : 14].

16 Contrairement à l’usage qui en est parfois fait dans le domaine de la conservation génétique de variétés, le sens que nous donnons à ce terme, ici, ne fait référence à aucune région d’origine particulière.

17 Voir l’article co-écrit par C. Ruault [2016] et la communication de J. Cabaret et C. Nicourt, « La maladie animale entre visions ontologique et fonctionnelle : jachère des croyances ou culture de l’interdisciplinarité en élevage biologique », conférence Les transversabilités de l'agriculture biologique, Strasbourg, 23-24 juin 2011.

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Table des illustrations

Titre Plants mûrs de la variété de haricot ‘Saint-Esprit à œil rouge’, Ansembourg (Luxembourg), automne 2011.
Légende Un artisan semencier récolte les plants de haricot d’une autre variété pour la production de semences, qu’il va mettre à l’abri pour qu’ils finissent de sécher avant de les battre pour en extraire les graines. Il va ensuite trier la récolte au tarare, puis à la main. 
Crédits Photo : S. Klaedtke.
URL http://journals.openedition.org/etudesrurales/docannexe/image/14930/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 308k
Titre Figure 1 : Entreprises semencières membres de l'association Croqueurs de Carottes en 2016.
Crédits Carte : d’après un fond de carte en ligne sur histgeo.ac-aix-marseille.fr
URL http://journals.openedition.org/etudesrurales/docannexe/image/14930/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 248k
Titre Figure 2 : Coévolution triangulaire qui constitue une souche.
URL http://journals.openedition.org/etudesrurales/docannexe/image/14930/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 39k
Titre Figure 3 : Processus circulatoires qui contribuent à la construction de l'identité professionnelle des « Croqueurs ».
URL http://journals.openedition.org/etudesrurales/docannexe/image/14930/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 80k
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Pour citer cet article

Référence papier

Stephanie Klaedtke, François Mélard, Véronique Chable et Pierre M. Stassart, « Les artisans semenciers, les haricots et leurs agents pathogènes »Études rurales, 202 | 2018, 36-55.

Référence électronique

Stephanie Klaedtke, François Mélard, Véronique Chable et Pierre M. Stassart, « Les artisans semenciers, les haricots et leurs agents pathogènes »Études rurales [En ligne], 202 | 2018, mis en ligne le 01 juillet 2020, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/14930 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.14930

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Auteurs

Stephanie Klaedtke

agronome, chargée de mission, ITAB/ Pôle Semences, plants et biodiversité cultivée (Angers), Socio-économie, environnement, développement (Seed), Université de Liège, Arlon (Belgique)

François Mélard

sociologue, chef de travaux, unité Socio-économie, environnement, développement, Université de Liège, Arlon (Belgique)

Véronique Chable

agronome, ingénieur de recherche, Biodiversité, agroécologie et aménagement du paysage (UMR 0980), Inra, Le Rheu

Pierre M. Stassart

sociologue, professeur, Socio-économie, environnement, développement (Seed) Université de Liège, Arlon (Belgique)

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