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AccueilNuméros202Variétés végétales et races animales

Variétés végétales et races animales

De l’accès libre à l’appropriation, et à la (re)mobilisation des communs
Plant varieties and animal breeds: From free access to appropriation and (re)turning to the commons
Fréderic Thomas, Julie Labatut et Gilles Allaire
p. 98-119

Résumés

Cet article compare les régimes d’accès aux ressources génétiques végétales et animales. Les premières relèvent de régimes qui en garantissent le libre accès, tandis que les secondes font plutôt l’objet d’actions collectives s’apparentant à des commons au sens de Elinor Ostrom. Alors que le libre accès aux ressources génétiques végétales est en crise à cause de la brevetabilité des gènes qui réclame des mécanismes de compensation et de partage des avantages difficiles à mettre en place, l’article montre que les commons autour des « races animales » constituent une importante source d’inspiration pour sortir de la crise du libre accès aux ressources génétiques végétales.

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Texte intégral

Brebis de race locale Manech Tête Noire (Pyrénées atlantiques, 2011)

Brebis de race locale Manech Tête Noire (Pyrénées atlantiques, 2011)

Photo : M. Lupepe

  • 1 L’expression « préoccupation commune de l’humanité » date de 1992. C’est le troisième point du pré (...)

1La professionnalisation des activités de sélection génétique des animaux et des plantes constitue un des leviers de la forte croissance de la production agricole au xxe siècle. Son revers a été une grave érosion de la biodiversité en général et, particulièrement, de celle des plantes cultivées et des races animales. Ceci explique que la conservation des ressources génétiques soit devenue une « préoccupation commune de l’humanité »1 (Convention sur la diversité biologique : CDB) à partir de la deuxième moitié du siècle dernier et ait fait l’objet de grandes conventions internationales comme la CDB en 1992 et le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’agriculture et l’alimentation (Tirpaa) en 2001. À côté de ces grandes conventions, les États et les différents utilisateurs des ressources génétiques s’organisent également pour les gérer en combinant généralement divers objectifs de mise en valeur, de conservation et d’appropriation. Trois échelles imbriquées d’action collective pour la conservation de ces ressources sont ainsi repérables. Un premier niveau concerne les accords internationaux qui appréhendent le plus souvent la biodiversité agricole comme un « bien public mondial » [Thoyer 2011] dont l’accès devant être le plus ouvert possible selon des dispositifs, définis par chaque État, et faciliter l’accès aux ressources génétiques pour la recherche, notamment en situation de pandémies. Le deuxième niveau est celui des dispositifs locaux d’éleveurs et de producteurs qui gèrent la biodiversité le plus souvent comme une ressource commune exigeant la mise en place de règles collectives d’accès et d’usage. Entre les deux, les États affirment leur souveraineté nationale sur ces ressources, édifient des cadres légaux tournés vers des objectifs de production et d’innovation plus ou moins conformes à leurs engagements internationaux.

  • 2 L’Université de Bloomington dans l’Indiana (États-Unis) accueille à la fin des années 1960 le coup (...)

2Les acteurs de ces trois différentes échelles sont très hétéroclites et la coordination de leurs actions n’est pas toujours possible car ils ne partagent ni les mêmes définitions de la ressource, ni la même vision de son bon usage, pour ne rien dire de leurs affrontements économiques, politiques et culturels. Mais ils coexistent dans ce qu’appelle Gilles Allaire des « systèmes complexes de ressources communes », c’est-à-dire des systèmes de ressources communes aux contours matériels et institutionnels généralement moins tangibles que ceux des commons classiques décrits par Elinor Ostrom et son équipe2, et intégrant les trois échelles d’analyses précédentes et dont la portée théorique vise à montrer qu’ils sont des éléments essentiels du fonctionnement des marchés et de la production de biens publics [Allaire 2013 ; Allaire et al. 2018].

  • 3 Cet article présente les résultats d’une recherche qui s’inscrit dans le cadre du projet ANR Goven (...)

3En mobilisant ce cadre théorique, cet article3 vise ainsi à décrire et à analyser les systèmes complexes mis en place pour les ressources génétiques végétales (RGV) et animales (RGA). L’hypothèse centrale est qu’une meilleure compréhension de ces systèmes et de leurs différences peut fournir des clés pour répondre aux enjeux du libre accès aux RGV. La première partie montre comment les RGV sont devenues l’objet de grandes négociations internationales visant à en assurer le libre accès, tandis que la gestion des RGA est généralement restée aux mains de collectifs d’éleveurs sélectionneurs définissant les règles d’accès à la ressource, s’apparentant ainsi à des commons au sens d’Elinor Ostrom. La deuxième partie analyse les conséquences du développement du recours aux brevets pour protéger des innovations issues des biotechnologies en termes d’accès aux ressources génétiques ; elle décrit ce qu’il convient d’appeler une « crise du libre accès ». La dernière partie, plus programmatique, étudie dans quelle mesure les commons des RGA peuvent offrir un modèle pour sortir de la crise du libre accès aux RGV.

Gouverner l’accès et l’utilisation des ressources génétiques

Les ressources génétiques végétales : le modèle de l’accès libre au domaine public

4Les ressources génétiques végétales ont été considérées après la Seconde Guerre mondiale comme une ressource devant rester le plus ouvert possible aux chercheurs et aux sélectionneurs par-delà les frontières [Thomas 2006]. Les grandes collections internationales, comme celles des Consultative Group for International Agricultural Research (CGIAR), ont ainsi été constituées pour conserver la diversité des espèces cultivées en collectant des variétés sélectionnées par les paysans du monde entier. Elles ont constitué la matière première des variétés à haut rendement diffusées massivement dans les pays riches et dans ceux en développement dans le cadre de la Révolution verte. Tant que les variétés améliorées ont été diffusées quasiment gratuitement dans le cadre de politiques de développement, elles constituaient un retour équitable (bien que discutable puisque détruisant les systèmes locaux de production des semences et les savoirs associés) vers les paysanneries qui avaient fourni le matériel brut, et l’idée que ces ressources génétiques constituaient un « patrimoine commun de l’humanité » pouvait se justifier [Brush 1999].

5La FAO a joué un rôle essentiel dans l’institutionnalisation de ce libre accès à la ressource afin de favoriser le progrès génétique. La conférence de 1967, intitulée « L’exploitation, l’utilisation et la conservation des ressources génétiques végétales », l’option conservation ex situ versus in situ a scellé l’effacement des communautés rurales de la conservation de la ressource, aux profits du dispositif banques de gènes en accès ouvert pour les sélectionneurs [Frankel et Bennet 1970]. La notion de « patrimoine commun de l’humanité » sera instituée en 1983 dans l’Engagement international de la FAO [Aoki 2008].

Agricultrice récoltant du riz gluant (commune de Tu Lê, province de Yen Bai, Vietnam octobre 2017) 

Agricultrice récoltant du riz gluant (commune de Tu Lê, province de Yen Bai, Vietnam octobre 2017) 

Ce riz provient d’une sélection paysanne de semences de riz Nêp Tu Lê, variété de riz gluant du nord du Vietnam protégée par une marque collective depuis 2005.

Photo : F. Thomas.

6À partir de 1961, les innovations variétales tirées de ces ressources ont pu, en revanche, être protégées par un droit de propriété intellectuelle sui generis, le certificat d’obtention végétale (COV) dans le cadre de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). La particularité du COV a été de laisser en libre accès les ressources génétiques contenues dans les variétés protégées. Ainsi, tout sélectionneur peut utiliser librement à des fins de recherche et de sélection des variétés déjà protégées par ce certificat. De même, le droit des agriculteurs de produire des semences à partir de variétés protégées n’est pas remis en cause par l’UPOV avant 1991. Le régime juridique que forment la FAO et l’UPOV de 1961 à 1991 articule finalement deux formes de propriétés : une publique, qui garantit le libre accès à la ressource génétique, et une privée qui garantit la protection des inventions végétales et un privilège de l’agriculteur, plus ou moins fortement reconnu à l’échelle des nations, leur laissant le libre usage de leurs semences. En cela, ce régime peut être défini comme « système complexe de ressources communes » car il a réussi à articuler l’accès et la circulation de la ressource avec l’appropriation des innovations qui en découlent [Thomas 2017a]. Cette articulation réussie explique que ce régime ait été accepté pendant plusieurs décennies par l’ensemble des acteurs du secteur et à des échelles très différentes.

La gestion des races animales entre communs, patrimoine et intérêt général

  • 4 Loi n°66-1005 du 28 décembre 1966.

7L’histoire des ressources génétiques animales est radicalement différente. Aucune convention internationale n’organise un régime d’accès à ces ressources (néanmoins réputées en accès libre) et l’appropriation des innovations est collective entre éleveurs utilisateurs et ainsi propriétaires en commun d’une même race. Dès le xviiie siècle, en Europe, ont été constituées des organisations professionnelles fédérant éleveurs et sélectionneurs d’une même région. Le travail de sélection s’est fait à partir de l’observation de caractères phénotypiques et la constitution de livres généalogiques permettant d’apprécier la performance des reproducteurs par observation de leur descendance [Labatut et al. 2011]. Ces livres ont permis une définition collective des races régionales et une mise en place progressive de techniques de sélection, indépendamment des sciences de la génétique [Vissac et Leclerc 2002]. Dans les années 1950, à la faveur du grand mouvement coopératif et à sa foi dans le progrès agricole [Gervais et al. 1976 ; Pesche 2000], et suivant les progrès des sciences de la reproduction, des coopératives d’insémination artificielle (IA) vont se constituer avec le soutien du ministère de l’Agriculture (loi sur l’élevage de 19664) et des instituts de recherche et développement comme l’Institut national de recherche agronomique (Inra) ou l’Institut de l’élevage.

8Ces différents acteurs vont alors gérer collectivement deux impératifs contradictoires : augmenter les rendements des animaux en utilisant les meilleurs reproducteurs d’une part, et de l’autre ne pas trop utiliser les semences des meilleurs reproducteurs pour éviter une consanguinité excessive à l’intérieur de chaque race et assurer un progrès génétique sur le long terme. C’est en partie parce que « la valeur future d’une race donnée est conditionnée par la variabilité génétique de l’ensemble de la population, qui est distribuée dans un grand nombre d’élevages » que celle-ci est gérée à l’échelle de la communauté [Labatut et al. 2013 : 4]. Le progrès génétique animal a donc été compris très vite par les utilisateurs de la ressource comme un bien rival nécessitant la mise en place de règles d’usage communes, contrairement aux ressources génétiques végétales longtemps regardées comme non rivales [Rege et Gibson 2003].

9En France, la loi sur l’élevage de 1966 va accompagner ces initiatives locales pour en faire une « œuvre collective d’intérêt national » pour reprendre l’expression de son principal rédacteur, Jacques Poly. Ce texte fait des coopératives d’insémination artificielle des partenaires directs de la recherche publique de l’Inra. Il encadre, en outre, la structuration des Unions pour la promotion et la sélection des races (Upra). Chaque race a son Upra qui regroupe tous les éleveurs et partenaires concernés pour définir collectivement les objectifs de sélection de la race et s’entendre pour éviter la consanguinité. La loi impose la création de stations de testage et généralise le contrôle laitier avec l’assistance des généticiens de l’Inra qui mettent en place une métrique commune : la « valeur génétique » des reproducteurs. La loi crée enfin la Commission nationale de l’amélioration génétique (Cnag), qui réunit les représentants des différentes races, les scientifiques et le ministère, avec pour mission de reconnaître officiellement des races et de contrôler le degré de consanguinité du cheptel français [Allaire et al. op.cit.].

10C’est donc un dispositif national de sélection des races animales très administré et centralisé qui se met en place, selon la tradition jacobine déjà bien éprouvée dans de nombreux secteurs agricoles français [Joly et Hervieu 2003]. L’État est l’acteur central de l’institutionnalisation du commun, dont il délimite les frontières dans la loi en indiquant que la race est définie par l’ensemble des éleveurs usagers de celle-ci. Ce commun (la race) est accessible à tous. De manière plus restrictive, l’Upra délivre des certificats d’appartenance des animaux à la race selon des critères établis collectivement par les membres. L’État distribue donc les droits des différents acteurs sur la ressource commune. Il garantit à chaque utilisateur de disposer de données objectives sur les performances des reproducteurs grâce au Système national d’information génétique (Snig) qui permet un contrôle administratif des centres d’insémination par des mesures d’agrément et un contrôle des données des performances. Les index génétiques officiels, calculés par l’Inra, sont des données publiées par l’Institut de l’élevage (l’Idele) et en accès libre [Allaire et al. op. cit.].

11La gestion des races animales concerne donc à la fois des ressources biologiques, informationnelles, culturelles et implique tant des communautés d’éleveurs sur des objectifs spécifiques à chaque race que la communauté nationale à partir du moment où le progrès génétique est à la base du développement de l’élevage [idem]. L’imbrication de ces échelles ainsi que l’emboîtement de formes de propriété publique et collective dans le même système de ressources nous conduisent à élargir le cadre classique d’analyse des communs locaux ou circonscrits en parlant de « système complexe de ressource commune ». Pour finir la comparaison avec le régime des ressources génétiques végétales, il faut souligner que ce régime articule principalement deux formes de propriété, publique et collective, l’appropriation privée de races ou de lignées restant encore l’exception, dans le domaine des ruminants du moins.

12Cette première partie a permis de mettre en perspective un modèle du libre accès dans la gestion des ressources génétiques végétales et un modèle de gestion « en commun », malgré tout fortement administré par l’État, dans le cas des ressources génétiques animales prenant la forme des races animales. La partie suivante expose les évolutions récentes dans ces modes de gestion, compte tenu du rôle croissant des brevets et des biotechnologies.

Érosion du domaine public et résilience des communs

La brevetabilité des plantes et l’érosion du domaine public

13Les biotechnologies, la sélection assistée par marqueurs et la génomique ont considérablement lézardé le régime FAO-UPOV d’accès aux ressources génétiques végétales décrit précédemment. Grâce à ces nouvelles techniques, il est désormais possible de protéger différentes formes d’innovations végétales par des brevets qui sont des droits de propriété intellectuelle beaucoup plus exclusifs que le certificat d’obtention végétale. Il peut s’agir soit de brevet de procédé, soit de produit. Dans ce dernier cas, l’objet protégé est un « gène isolé » permettant l’expression d’un trait particulier, mais la protection s’étend le plus souvent à la plante entière, ce qui a une très forte incidence sur l’accès à l’ensemble des ressources génétiques contenues dans ces variétés [Thomas 2017b]. Avec le droit des brevets, les ressources génétiques, qui semblaient être jusqu’ici des choses communes (res communes), c’est-à-dire des choses appartenant à tous et que nul ne pouvait s’approprier, deviennent des choses sans maître (res nullius), pouvant être accaparées par le premier occupant [Yann Thomas 1980]. Le domaine public n’est plus qu’un réservoir de ressources en libre accès dans lequel les industriels puisent sans contraintes pour déposer des innovations brevetées.

14Le droit de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales avait, plus ou moins, réussi jusqu’en 1991 à maintenir un équilibre entre l’accès libre aux ressources génétiques, le droit des sélectionneurs d’utiliser une innovation protégée comme facteur de variabilité et celui des agriculteurs de produire des semences (malgré un durcissement des critères pour la délivrance du certificat d’obtention végétale dans tous les pays). Dorénavant, le droit des brevets est en train de bloquer l’accès aux ressources génétiques contenues dans les innovations brevetées pour tous ces utilisateurs. L’exclusivisme des brevets débouche sur ce que M. Heller et R. Eisenberg [1998] ont décrit être une tragédie des « anti-communs », qui entraîne une utilisation sous-optimale des technologies à cause d’un morcellement excessif de la propriété.

Les effets de la génomique animale

15Dans le domaine animal, les biotechnologies et la génomique ont également des effets importants. L’évaluation génomique, issue des progrès menés sur la cartographie et le génotypage de l’ADN, rend possible une privatisation des informations génétiques. Elle révolutionne radicalement l’organisation de la sélection animale car le potentiel génétique de n’importe quelle bête – aussi bien mâle que femelle – peut être connu instantanément (grâce à des puces à ADN) sans qu’aucune de ses performances réelles ne soit mesurée sur les descendants contrairement au testage sur descendance, principe de la génétique quantitative, qui réclamait la coopération de tous les éleveurs et sélectionneurs. Ainsi, depuis 2009, des taureaux évalués grâce à la génomique sont commercialisés dans les catalogues de semence sans testage sur descendance. Des services de génotypage des femelles, faisant appel à des outils brevetés, sont également proposés et le marché des embryons s’est développé. Avec le transfert d’embryon indexé, on peut utiliser les meilleures mères pour produire des embryons qui deviennent un produit génétique marchand, en étant implantés dans les utérus de femelles porteuses pour achever le travail de gestation. Ainsi grâce à cette technologie, le testage sur descendance, qui justifiait le mode coopératif et public de gestion des ressources, est rendu de moins en moins nécessaire notamment pour les races commerciales les plus abondantes, comme la Holstein ou la Montbéliarde, pour lesquelles ces technologies ont été mises en place très rapidement.

  • 5 Voir le site de l’entreprise Gènes diffusion (<http://www.genesdiffusion.com>).

16Ces technologies offrent aussi des opportunités jusque-là inédites comme la sélection sur de nouveaux critères à l’échelle d’entreprises et non plus à l’échelle nationale, l’acquisition de données étant plus simple, plus rapide et nécessitant moins de références. Par exemple, l’une des trois entreprises de sélection des bovins en France, Gènes diffusion, a développé en 2014 son propre index sur la santé du pied pour la race Holstein. Pour cela, elle a développé une base de données privée (phénotypes et génotypes), pour un critère de sélection qu’elle considère comme un avantage compétitif par rapport à ses concurrents5. Parallèlement, Gènes diffusion continue d’utiliser le système de données collectives pour tous les critères de sélection classiques et communs. Les deux entreprises majoritaires développent également leurs propres recherches et développement en recrutant des scientifiques formés par la recherche publique. Les données utilisées et produites (phénotypes, génotypes) dans le cadre de ces démarches sont privées et ne rentrent pas dans le Système national d’information génétique. Les index génétiques réalisés sont valorisés par l’entreprise de sélection et ses partenaires [Allaire et al. op. cit.]. Le système complexe de ressources communes, précédemment décrit, se transforme donc rapidement. Deux phénomènes relativement contradictoires apparaissent alors. D’une part, la fragilité du commons, dès que des potentiels d’appropriation privée de l’intégralité ou d’une partie de la ressource émergent, associés à des phénomènes de « défection » – y compris de l’État – favorise la mise en concurrence. D’autre part, sa relative résilience, grâce à la puissance de l’association État-interprofession, ne remet pas tout à fait en cause les positions des acteurs historiques du commons. Soulignons encore que pour les races à petits effectifs les investissements de la génomique sont encore faibles et que les producteurs se soutiennent pour conserver la propriété collective de leur race face au risque de privatisation. Le modèle de gestion sous forme de commons des races animales, maintenu malgré l’impact des biotechnologies sur l’organisation de la sélection, peut-il se retrouver en partie dans certaines formes de sélection de semences ?

Les commons contre l’exclusivisme de la propriété intellectuelle ?

Les systèmes traditionnels d’échange de semence, des commons en devenir

17La littérature académique a bien montré que les systèmes traditionnels de production de semences visent principalement à maintenir une pression sélective pour conserver les variétés, à améliorer, si possible, les caractères existants, à introduire de nouvelles variétés, et à gérer des risques liés à des problèmes d’accès aux semences ou à différentes variétés [Ceccarelli et al. 2009]. Ces objectifs n’impliquent guère de contraintes collectives de gestion de la ressource, chaque foyer paysan sélectionnant ses variétés comme il l’entend sans que cela n’affecte l’usage de la variété par son voisin. Des auteurs ont montré, par exemple, que les échanges traditionnels de semences de maïs dans la vallée de l’Oaxaca au Mexique relèvent de stratégies individuelles et que l’on ne trouve pas, dans ces systèmes, de forme d’actions collectives visant la conservation de la diversité génétique des variétés [Badstue et al. 2006]. Comme on l’a déjà souligné, la variété n’est donc pas perçue comme un « bien rival » qui nécessite la mise en place de règles collectives contraignantes. En somme, historiquement les communautés rurales ne semblent pas avoir construit intentionnellement des règles collectives de production et d’échanges de semences pour conserver l’identité des variétés locales et la diversité biologique des plantes cultivées. Il est par conséquent difficile d’en faire des commons, si l’on admet que ces derniers sont des institutions sociales consciemment construites collectivement en vue de la gestion durable d’une ressource commune consciemment perçue comme un bien rival bien que non exclusif [Thomas 2015].

18Ce constat ne retire évidemment rien à l’importante contribution des échanges de variétés et de semences entre agriculteurs, particulièrement dans les pays du Sud, dans la conservation de l’agro-biodiversité [Coomes et al. 2015]. En effet, c’est précisément l’autonomie de chaque foyer en matière de sélection qui assure la diversité de l’ensemble. Par conséquent, les systèmes traditionnels d’échange semencier, même de manière non coordonnée à l’échelle communautaire, jouent un rôle dans le brassage de la diversité génétique des variétés cultivées [Alvarez et al. 2005 ; Scarcelli et al. 2011]. Là où les semences certifiées de variétés à haut rendement standardisent l’input variétal (en limitant l’offre à des variétés aux phénotypes fixés et homogènes et ayant perdu toute capacité évolutive), les systèmes traditionnels sont le support socioculturel de séquences successives d’isolement puis de croisements de différents écotypes participant à l’entretien de la biodiversité. Ces systèmes ont ainsi fait des variétés locales des méta-populations avec une très grande diversité génétique. De nombreuses études montrent aussi que les agriculteurs qui produisent leurs propres semences sont ceux qui cultivent le plus grand nombre de variétés en vue de sécuriser leur production [McCay et Acheson 1987 ; Berlin 1992 ; Brush 1999 ; Emperaire et Peroni 2007 ; Eloy et Emperaire 2011 ; Coomes et al. op. cit.]. Enfin des études ethnographiques constatent régulièrement que certaines règles de transmission matrimoniales des semences favorisent l’entretien de la diversité biologique [Louette 1999 ; Laligant 2002]. Tous ces éléments permettent de soutenir la thèse suivante : si les systèmes traditionnels d’échange de semences contribuent à la conservation de la biodiversité, c’est généralement de manière non intentionnelle et sans action collective tournée vers cet objectif. Par conséquent, toute intervention visant à soutenir ces systèmes pour conserver les variétés locales et/ou l’agro-biodiversité suppose de les considérer comme des commons en devenir qui attendent d’être mieux institutionnalisés.

  • 6 Voir le site de l’organisation (<http://masipag.org>).
  • 7 Voir sur le site de Vía Campesina, Bali Seed Déclaration, 2011 (<https://viacampesina.org/en/peasant-seeds-dignity-culture-and-life-farmers-in-resistance-to-defend-their-right-to-peasant-seeds/>) et (...)

19Notons qu’un certain nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) du Sud se sont déjà construites politiquement dans ce sens, avec des engagements politiques forts contre les nouvelles réglementations semencières [Borowiak 2004 ; Brush 1999, 2004]. Masipag6, une ONG basée à Los Banos (Philippines), a commencé en 1985 à collecter des variétés locales de riz et à entraîner les agriculteurs à sélectionner leurs propres variétés pour répondre à des problèmes d’adaptation auxquels celles à haut rendement de la Révolution verte ne répondaient pas. Au fil du temps, cette association a développé un discours de défense du droit des agriculteurs sur leurs variétés [Wright 2010]. Quant à Vía Campesina, mouvement paysan international, il a rejeté dès 2005 le concept de « patrimoine commun de l’humanité », pour le remplacer par celui de « patrimoine commun des peuples au service de l’humanité »7. Derrière tous ces collectifs, on voit bien que la logique de la mise en commun est un projet à la fois économique et politique : l’autonomie semencière contre l’oligopole semencier des firmes multinationales [Howard 2009 ; Peschard 2017].

Les réseaux polycentriques des commons locaux globaux

  • 8 Voir R. Goffaux, et al., Quels indicateurs pour suivre la diversité génétique des plantes cultivée (...)

20Dans les pays d’agriculture industrialisée, où ces systèmes traditionnels d’échange de semences ont quasiment disparu, on assiste à l’émergence de collectifs d’agriculteurs qui entendent produire à nouveau leurs semences. De Kokopelli en France, en Belgique et en Suisse et à l’échelle européenne, à Arche de Noah en Autriche en passant par le Réseau semences paysannes (RSP) en France, Rete Semi Rurali en Italie, l’Open Source Seed Initiative (OSSI) aux États-Unis, le nombre de réseaux fédérant des petits producteurs de semences indépendants est impressionnant [Phillips 2013 ; Kloppenburg 2014 ; Soleri 2018]. La plupart des membres de ces réseaux cultivent des variétés anciennes – plus inscrites dans le catalogue officiel des variétés et donc théoriquement interdites – et affirment ainsi participer à une œuvre d’intérêt public : la conservation de la biodiversité des plantes cultivées. La définition de la biodiversité par ces réseaux militants se distingue clairement de celle des généticiens. Il ne s’agit pas de conserver un stock de gènes mais de remettre en culture cette diversité qui a disparu des champs pour lui permettre de revivre in situ [Bonneuil et al. 2006 ; Bonneuil et Demeulenaere 2007; Demeulenaere et Bonneuil 2011]. Conçue ainsi, la ressource, objet de l’attention, est la capacité évolutive des plantes à poursuivre leur coévolution avec la nature et les hommes [Bonneuil et Thomas 2009 ; Demeulenaere 2014]. Des programmes de recherche ont, d’ailleurs, mis en évidence le rôle positif de ces réseaux dans l’entretien de la biodiversité8 [Goldringer et al. 2001 ; Enjalbert et al. 2011].

  • 9 Voir la communication de C. Hecquet, « From seed to vegetable and from vegetable to seed : constru (...)

21Cet objectif général se décline cependant différemment dans les pratiques de chacun et à des échelles très variées de la biodiversité. Il est donc intéressant de noter que la ressource commune n’est pas la même selon les réseaux et même selon les membres d’un même réseau. La conservation de la biodiversité dans son ensemble passe ainsi par des modes d’action très locaux souvent centrés sur une espèce ou un groupe d’espèces, voire sur une variété particulière. Ainsi des communs « locaux » s’articulent avec le bien public mondial que constitue la biodiversité. C’est, par exemple, le cas du chou de Lorient dont la conservation est assurée par une vingtaine d’agriculteurs bretons au sein d’une association appelée Koal Kozh (« vieux chou », en breton) et membre du RSP, ainsi qu’au sein du Syndicat du chou de Lorient. Quelles sont les règles communes de Kaol Kozh pour conserver la variété ? Corentin Hecquet a observé que l’une des originalités de cette association est de laisser chaque producteur libre d’orienter sa sélection. Le risque est que chaque utilisateur menace l’identité de la variété en la sélectionnant pour l’adapter exclusivement à sa situation agronomique et à ses fins économiques. Pour éviter cela, seule une partie des producteurs au sein de l’association s’autorisent à diffuser les semences de leur propre sélection. Lors des échanges de semences entre les membres, chaque producteur explique ces choix dans la manière de sélectionner sa variété. Ces échanges constituent une manière de renégocier en permanence collectivement l’identité de la variété, processus qui évite finalement la perte d’identité de la variété grâce à l’inclusion des critères de sélection de chacun. Ce n’est donc pas une règle très institutionnalisée mais une pratique. Les semences qui circulent sont produites selon des règles qui permettent à la fois à chaque utilisateur de faire évoluer la variété sur son exploitation tout en veillant à maintenir une certaine pureté correspondant à l’identité qui est collectivement reconnue comme celle de la variété. Le nom « chou de Lorient » fait partie de la ressource commune, une demande d’IGP a été déposée par le Syndicat, il ne constitue pas une entité séparée de la ressource elle-même [Allaire 2017]. Chaque producteur éprouve donc le besoin de s’associer aux autres pour être autonome en semences en cas d’accident sur son exploitation, mais aussi pour maintenir le potentiel d’adaptation de sa propre variété grâce à des échanges de semences qui permettent le maintien de l’identité de la variété tout en jouant individuellement sur sa variabilité. On met la ressource en commun pour assurer son autonomie individuelle, pour « être libre ensemble »9. Ici, c’est donc la recherche d’autonomie couplée à la nécessité d’agir ensemble qui est à l’origine de l’institutionnalisation du commons avec ses règles de sélection et de multiplication participative, une structure de gouvernance et un régime de propriété tenant compte du contexte réglementaire.

Articulation des communs locaux avec l’ordre public du libre accès

  • 10 Notons sur ce point la très grande ambivalence des acteurs de ces nouvelles formes de commons scie (...)
  • 11 Pour avoir une vision du nombre de brevets qui sont ainsi facilités, voir the International Licens (...)

22Il reste à savoir si ces organisations paysannes peuvent s’instituer conservateur, défenseur, gardien, pilote… de la biodiversité qui circule dans leur réseau, avec pour corollaire le droit de conditionner, donc de limiter, l’accès et l’utilisation de ressources pourtant légalement en libre accès. Un certain nombre de commons scientifiques et industriels autour des ressources génétiques informationnelles que constituent les big datas de la génomique, s’institutionnalisent de facto sans que les pouvoirs publics les dénoncent comme contraire à l’ordre public du libre accès. C’est le cas du projet international de séquençage du génome du riz (IRGSP). Il s’agit d’un consortium de laboratoires de recherche publics et privés dont le but était de produire la première cartographie du génome du riz. La stratégie de ce consortium a été de publier, sous 24 h, les séquences produites par chacun de ses membres dans des bases de données publiques. L’originalité du projet est de se constituer en gardien du libre accès et d’être une initiative privée qui se substitue à l’inaction des États en matière de gouvernance des données de génomiques. Il prolonge ainsi la notion de domaine public à l’échelle internationale en visant à garantir un accès universel à la ressource, l’IRGSP se pose en structure de gouvernance de cet accès universel. Pour toutes ces raisons, l’IRGSP peut être qualifié de commons, mais un commons qui n’a pas les mêmes caractéristiques économiques que les commons « historiques » de l’école de Bloomington. La ressource en jeu est informationnelle et possède les caractéristiques de ce que Charlotte Hess et Elinor Ostrom ont pointé à propos des communs de la connaissance : ce sont des « biens de club », c’est-à-dire « non rivaux » mais avec un fort potentiel « d’excluabilité ». Par conséquent l’enjeu du commons sur ce type de ressources est bien plus d’éviter les logiques de petits clubs fermés pour garantir l’accès au plus grand nombre, que de construire des règles d’accès conditionnés contre des prélèvements excessifs comme dans les cas classiques de ressources communes « rivales » et « non-exclusives ». L’objet central du commons est donc de garantir l’accès et non plus de le limiter, pour assurer la durabilité de la ressource [Hess et Ostrom 2007 ; Broca et Coriat 2015]10. La création de pools de brevets constitue une autre forme de mise en commun. Elle vise à résoudre l’excessif morcellement de la propriété dans le domaine des biotechnologies par la démultiplication de brevets et de licences de dépendance qui finissent par bloquer la recherche. La dernière initiative allant dans cette direction a été lancée par Syngenta et Nunhems (Bayer CropScience) en collaboration avec plusieurs petites et moyennes entreprise (PME) européennes de sélection. Il s’agit de la création d’une plateforme permettant de faciliter la prise de licences sur des brevets à tous les sélectionneurs qui le souhaitent grâce à des licences Frand (Fair, Reasonable And Non-Discriminatory)11. Il s’agit de trouver une réponse aux « buissons de brevets » sur les nouvelles technologies végétales qui menacent l’activité des PME qui y ont jusqu’ici difficilement accès [Girard 2015].

23Si ces commons scientifiques et industriels réussissent ainsi à s’imposer dans le paysage, il n’y a a priori aucune raison pour que les commons paysans autour de la biodiversité cultivée ne trouvent pas aussi leur place dans des systèmes complexes de ressources communes attentifs à la conservation de la capacité évolutive des plantes en condition de culture. Les expériences antérieures des commons des races animales constituent ainsi une source d’inspiration importante. Ces commons montrent qu’il est possible de construire des arrangements institutionnels qui règlent l’opposition entre l’ordre public du libre accès à la ressource et les droits de collectifs d’usagers sur des segments de cette ressource. Le rôle des États est précisément d’être un acteur central pour construire ces systèmes complexes de ressources communes en assignant à tous les acteurs potentiels du commons des droits clairement définis et des modalités d’intervention reconnues et acceptées par l’ensemble des utilisateurs. C’est ce que la loi d’orientation sur l’élevage de 1966 a réussi à instituer en faisant du progrès génétique un objectif national. Elle articule, comme on l’a vu, différents régimes de propriété commune et publique de la ressource. Nous avons analysé les conditions de ce succès en termes ostromiens en montrant que différentes composantes de la ressource – le « système progrès génétique », « l’information », « la ressource biologique » ou encore les « races animales » – définissaient des positions d’intervention sur la ressource pour toute une série d’acteurs à qui sont reconnus des rôles et des modalités d’action sur la ressource (règles opérationnelles) et sur le système du commons lui-même (règles de choix collectifs).

24Nonobstant des trajectoires historiques très différentes, il est possible d’envisager le même type de système complexe pour les ressources génétiques végétales. Cette ambition nécessite de faire évoluer l’esprit général favorable au libre accès aux ressources génétiques végétales vers un accès conditionné et une gestion polycentrique et multi-acteurs. C’est désormais aux États de faire leur aggiornamento car rien n’empêche d’imaginer qu’un gouvernement un peu éclairé sur ces questions puisse choisir de piloter la gestion de la biodiversité des plantes cultivées en associant beaucoup plus les acteurs locaux qui, à l’instar des unions pour la promotion des races animales (Upra) et la sélection des races pour les ressources génétiques animales, auraient le droit de protéger l’accès à leurs ressources sans être contraire à l’ordre public. À côté des collections privées et publiques et des catalogues officiels qui conserveraient des positions et des modalités d’action pour piloter une certaine vision du « progrès génétique », pourraient exister une myriade de variétés locales et de races locales organisées en communs, avec des droits d’accès et de gestion de la ressource aux mains d’acteurs locaux clairement reconnus par les pouvoirs publics.

25Pour qu’une telle perspective devienne possible, il faut qu’une entente, même minime soit possible entre tous les usagers de la ressource commune pour que les positions et les modalités d’action de chacun soient acceptées par les autres. Si les associations d’éleveurs et de sélectionneurs ont été institutionnalisées dans les Upra comme les gestionnaires locaux de la ressource, c’est avant tout parce qu’elles partageaient avec les scientifiques de l’Inra et les administrations la même vision du progrès génétique, alors essentiellement tourné vers l’amélioration des rendements. Ce sont ces valeurs communes qui, historiquement, ont rendu possible la reconnaissance par l’État des droits collectifs des communautés locales, et donc rendu compatibles les droits collectifs sur « les races animales » et le régime du libre accès à l’information sur le « progrès génétique ». La difficulté dans le cas des ressources génériques végétales est de parvenir à réconcilier les positions des scientifiques et des industriels avec celles des collectifs locaux. Sur ce dernier point, il est important de rappeler que les Upra n’ont pas toujours les mêmes objectifs de sélection et qu’il peut y avoir des oppositions sérieuses dans la gestion de nombreuses races entre la volonté d’augmenter la production et la spécialisation des races et celle des associations d’éleveurs de maintenir des races rustiques, adaptées aux pratiques locales.

Conclusion

26Dans le domaine de la gestion des ressources génétiques végétales, les équilibres passés entre propriété de l’innovation et maintien des ressources génétiques en libre accès sont totalement remis en cause par l’exclusivisme des brevets sur la ressource qui débouche sur une double érosion, celle du domaine public et celle de la ressource elle-même. Le fait que des communautés d’usagers mettent en place des actions collectives alternatives pour se substituer à l’État et devenir des gardiens de la biodiversité montre que l’on rentre dans une nouvelle phase qui pourrait redéfinir la diversité génétique agricole non pas comme un bien public mondial, mais comme la somme de commons locaux [Halewood et al. 2013 ; Bonneuil et Fenzi 2011]. Cependant, on le voit, l’institutionnalisation des communs sur de telles ressources n’est pas sans poser de difficulté dans son articulation avec la notion de domaine public et de libre accès. Si les pouvoirs publics voient généralement d’un bon œil les initiatives des consortiums de recherche en faveur de la construction de commons de la connaissance, les initiatives militantes de paysans alternatifs visant la réappropriation de variétés locales posent plus de difficultés car elles sont immédiatement comprises par les pouvoirs publics comme une atteinte à la règle du libre accès à une ressource relevant du domaine public.

27Les ressources génétiques animales qui n’ont pas été dominées par le paradigme du libre accès à la ressource constituent un bel exemple de gouvernance polycentrique et local d’un commons global. Malgré toutes les difficultés que ne manquera pas de soulever l’introduction effective de ce modèle de gestion dans la gouvernance des RGV, il permet d’entrevoir des solutions pour sortir de la crise du libre accès à la ressource liée au renforcement de l’exclusivisme de la propriété intellectuelle. Il apporte en fait des pistes techniques importantes pour que les États puissent déléguer une part de leur souveraineté sur les ressources biologiques aux communautés locales qui peuvent en être de véritables gestionnaires. Bien sûr, une telle proposition ne pourra que se heurter aux intérêts des professionnels de l’amélioration des plantes qui demeurent, à travers le monde, les plus grands défenseurs du libre accès aux ressources génétiques [Pistorius 1997 ; Kloppenburg op. cit.]. Il faudra donc beaucoup d’imagination juridique et de détermination politique pour reconstruire des formes de propriété commune sur les plantes cultivées, capables de laisser jouer aux initiatives locales tout leur rôle positif sur la gestion de ces ressources. Il faudra notamment sortir définitivement des théories relatives à la tragédie des communs [Hardin 1968] qui ont conduit à la dichotomie domaine public/propriété privée contre toutes les formes de propriété commune, pour permettre de réintégrer la diversité des acteurs dans la distribution des droits et des pouvoirs que la gestion d’une ressource commune locale et globale réclame impérativement.

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Notes

1 L’expression « préoccupation commune de l’humanité » date de 1992. C’est le troisième point du préambule de la Convention sur la diversité biologique, le quatrième étant la reconnaissance des droits souverains des États sur leurs ressources biologiques. La formule remplace l’expression « patrimoine commun de l’humanité », utilisée par la FAO (Food and Agriculture Organization) dans son Engagement international pour les ressources phyto-génétiques en 1984, qui oblitérait la souveraineté des États sur la diversité biologique. En 2001, la FAO utilise la formule « préoccupation commune de tous les pays » (Tirpaa).

2 L’Université de Bloomington dans l’Indiana (États-Unis) accueille à la fin des années 1960 le couple Vincent et Elinor Ostrom autour duquel une communauté de chercheurs sur l’économie institutionnelle de gestion de ressources communes va peu à peu se fédérer. L’attribution du prix Nobel d’économie à Elinor Ostrom en 2009 va internationaliser la réputation de l’école de Bloomington comme « centre de référence pour l’étude de l’action collective et la gouvernance des biens publics et des ressources communes » [Brondizio et Pérez 2017 : 475].

3 Cet article présente les résultats d’une recherche qui s’inscrit dans le cadre du projet ANR Govenpro (ANR-14-CE03-0003).

4 Loi n°66-1005 du 28 décembre 1966.

5 Voir le site de l’entreprise Gènes diffusion (<http://www.genesdiffusion.com>).

6 Voir le site de l’organisation (<http://masipag.org>).

7 Voir sur le site de Vía Campesina, Bali Seed Déclaration, 2011 (<https://viacampesina.org/en/peasant-seeds-dignity-culture-and-life-farmers-in-resistance-to-defend-their-right-to-peasant-seeds/>) et Our Seeds, Our Future, 2013 (<https://viacampesina.org/en/wp-content/uploads/sites/2/2013/06/EN-notebook6.pdf>).

8 Voir R. Goffaux, et al., Quels indicateurs pour suivre la diversité génétique des plantes cultivées ? Le cas du blé tendre cultivé en France depuis un siècle. Rapport, 2011, Fondation pour la recherche sur la biodiversité, (<http://www.fondationbiodiversite.fr/images/stories/telechargement/frb_etude_bl_web.pdf>).

9 Voir la communication de C. Hecquet, « From seed to vegetable and from vegetable to seed : constructing a right to existence », Young Scholar Research Seminar Unine, Neuchâtel, 12 septembre 2017.

10 Notons sur ce point la très grande ambivalence des acteurs de ces nouvelles formes de commons scientifiques et industriels qui s’instituent gardien d’un accès universel à la ressource informationnelle brute parce qu’ils sont aussi les principaux « appropriateurs » (au sens de E. Ostrom) des innovations biotechnologiques issues de cet accès. Il ne faut donc pas s’y tromper, sous des atours de discours à la mode sur les commons et la mutualisation des ressources, ces logiques construisent de nouvelles formes d’appropriation avec des effets d’exclusion que l’on mesure encore très mal. Voir le communiqué ETC-Group, 2013, « Gene Giants Seek “Philanthrogopoly” Ag Monopoly Makes mergers Suspect – Big Six Create “Charity” Cartel Instead, Conning Regulators and Public Breeders », 2013, Issue # 110 (<http://www.etcgroup.org/content/gene-giants-seek-philanthrogopoly>).

11 Pour avoir une vision du nombre de brevets qui sont ainsi facilités, voir the International Licensing Platform for vegetable plant breeding (ILP) (<https://www.ilp-vegetable.org/>).

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Table des illustrations

Titre Brebis de race locale Manech Tête Noire (Pyrénées atlantiques, 2011)
Crédits Photo : M. Lupepe
URL http://journals.openedition.org/etudesrurales/docannexe/image/14997/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 466k
Titre Agricultrice récoltant du riz gluant (commune de Tu Lê, province de Yen Bai, Vietnam octobre 2017) 
Légende Ce riz provient d’une sélection paysanne de semences de riz Nêp Tu Lê, variété de riz gluant du nord du Vietnam protégée par une marque collective depuis 2005.
Crédits Photo : F. Thomas.
URL http://journals.openedition.org/etudesrurales/docannexe/image/14997/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 226k
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Pour citer cet article

Référence papier

Fréderic Thomas, Julie Labatut et Gilles Allaire, « Variétés végétales et races animales »Études rurales, 202 | 2018, 98-119.

Référence électronique

Fréderic Thomas, Julie Labatut et Gilles Allaire, « Variétés végétales et races animales »Études rurales [En ligne], 202 | 2018, mis en ligne le 01 juillet 2020, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/14997 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.14997

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Auteurs

Fréderic Thomas

historien, chargé de recherche, Patrimoines locaux et gouvernance (UMR 208), Institut de recherche pour le développement, Muséum national d'histoire naturelle, Paris

Julie Labatut

chargée de recherche en sciences de gestion, Agir (UMR 1248), Institut national de recherche agronomique, Toulouse

Gilles Allaire

économiste, directeur de recherche honoraire, nstitut national de recherche agronomique

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Droits d’auteur

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