Stéphane Frioux et Renaud Bécot (dir.), Écrire l’histoire environnementale au xxie siècle. Sources, méthodes, pratiques
Stéphane Frioux et Renaud Bécot (dir.), Écrire l’histoire environnementale au xxie siècle. Sources, méthodes, pratiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes (« Histoire »), 2022, 360 p.
Texte intégral
1Le volume dirigé par Renaud Bécot et Stéphane Frioux apporte, comme le promet son titre, un éclairage intéressant sur les sources, les méthodes et les pratiques de l’histoire environnementale contemporaine. Il rassemble vingt contributions (dont l’introduction de Renaud Bécot et la conclusion de Stéphane Frioux), auxquelles s’ajoute une courte introduction pour chacune des trois parties de l’ouvrage. Si, dans l’introduction générale, R. Bécot prend le parti de s’intéresser prioritairement à l’historiographie française, les différentes contributions dépassent largement l’Hexagone puisque plusieurs auteurs inscrivent leur réflexion dans un cadre européen et que des contributions portent spécifiquement sur des cas se rapportant à l’Autriche, au Canada, aux Philippines, à l’Italie et à la Suisse, parfois dans une optique comparative.
2Sur le plan des thématiques celle des zones humides, des fleuves, des ports ou encore de la pêche domine nettement l’ouvrage avec seize contributions sur vingt. Faut-il y voir un tropisme de l’histoire environnementale lié au caractère crucial, fragile de l’eau et des milieux aquatiques et de leurs usages ? N’est-ce qu’un simple hasard éditorial ? Les autres thématiques (travail, agriculture, ville, industrie…) sont abordées dans une ou deux contributions au maximum. On peut regretter que les éditeurs de l’ouvrage ne s’en expliquent pas.
3La première partie de l’ouvrage, composée de six chapitres, est consacrée à l’historiographie de différents sujets. Dans le premier chapitre, Renaud Bécot envisage les rapports entre l’histoire de l’environnement et celle du travail. Après avoir noté la précocité des interrogations États-uniennes, sous l’impulsion de divers auteurs (comme Cronon ou White), il indique que le retard européen, et français en particulier, est lié à trois facteurs : l’intérêt relativement tardif pour la question de la santé au travail, la méfiance de l’histoire sociale hexagonale vis-à-vis des études environnementales et, enfin, les « segmentations administratives passées et présentes qui se prolongent dans l’organisation des archives » (p. 34). En égratignant au passage l’usage de la notion d’anthropocène en histoire, il envisage, à travers les thèmes des transitions énergétiques et de la désindustrialisation, la floraison assez récente de travaux mêlant histoire du travail et histoire environnementale qui correspond à un mouvement de « rematérialisation de l’histoire environnementale du travail ».
4Les cinq autres contributions de cette première partie concernent différents types de territoire de l’eau : les zones humides (B. Sajaloli, C. Beck, M.-C. Marinval, F. Grégoire et S. Dournel) ; les ports (S. Llenares, M. Tranchant et Th. Sauzeau), les ressources halieutiques de la Méditerranée (D. Fagelt), les cours d’eau urbains et industriels (L. Deudon) et le flottage du bois sur les rivières européennes (N. Jacob-Rousseau).Ces contributions illustrent le développement des études environnementales depuis trente ou quarante ans et leur développement très inégal selon les aires géographiques et les thématiques (voir en particulier le chapitre de N. Jacob-Rousseau). Elles démontrent, par ailleurs, que pour les mener à bien, il faut adopter des démarches interdisciplinaires et comparatives qui transcendent les espaces régionaux et nationaux, voire continentaux. Elles mettent aussi l’accent sur le caractère construit de ces espaces dont la gestion, parfois le saccage, repose sur la mobilisation, au niveau national et transnational d’un ensemble de savoir techniques, savants et administratifs et sur la circulation des techniques. Enfin, elles permettent d’interroger les effets de rétroactions des systèmes sociotechniques sur l’environnement (Sajaloli et al., p. 64).
5La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux sources et aux méthodologies de l’histoire environnementale. La répartition des contributions revêt une dimension un peu artificielle. En effet, elles reprennent des thèmes déjà abordés dans la précédente partie avec, pour certaines, un fort contenu bibliographique (S. Frioux et G. Le Goullon ou F. Bartolloti). Néanmoins, il faut saluer l’effort des éditeurs pour rendre cohérent et lisible ce livre dont les textes ont des statuts très différents tant sur le plan heuristique qu’académique. Les six contributions de cette partie interrogent la nature des sources mobilisables : sources manuscrites, cartes (Schmid et al.), traces manuscrites, cartographiques ou physiques des aménagements passées (Simonetti), sources orales (idem), sources industrielles (Bartolotti), administratives… Elles illustrent la nécessité d’approches multidisciplinaires et d’envisager la multiplicité des méthodes dont disposent les historiens. Parmi ces méthodes les SIG (systèmes d’information géographique) occupent une place privilégiée (B. Furst, par exemple). Par ailleurs, l’analyse des sources (dont les entretiens avec des acteurs encore vivants, voire encore actifs) constitue un moyen d’action ou de restauration des milieux (D. Abhervé) ou, encore, un moyen de mettre au jour les interrogations qu’ont pu soulever très tôt les projets d’aménagement et les résistances qu’ils ont suscitées (Frioux et Le Goullon). Enfin, comme l’indique Schimd et ses co-auteurs (p. 132-133) la dimension interdisciplinaire doit s’appuyer sur la définition de notion qui permet d’assumer pleinement la relation entre les disciplines.
6Les contributions de la troisième partie abordent différentes facettes du rôle des historiens. La contribution de S. Castonguay et J. Clifford réinterroge la notion d’hectares cachés à l’aune des prélèvements de bois québécois à destination de l’Angleterre durant un très long xixe siècle. Les autres contributions portent sur le second xxe siècle et le début du xxie siècle. M. F. Orillos Juan s’intéresse aux récentes invasions de criquets dans l’île de Luçon aux Philippines et souligne le rôle que pourraient jouer les experts, dont les historiens, auprès du gouvernement pour prévoir et lutter contre ce fléau. La contribution d’A. Elsig, revient, à travers la dépollution du site de la décharge de la Pila (Fribourg, Suisse) sur le rôle de l’historien dans la détermination des responsabilités des pollutions industrielles et les contraintes qui pèsent sur lui lorsqu’il joue un rôle d’expert. B. Ziglioli, se penche sur la mémoire des désastres industriels en Italie et G. Ronsin sur les mutations de l’activité de conseil dans les espaces protégés en France.
7Deux contributions intéresseront plus particulièrement les spécialistes de l’histoire agraire. À travers l’analyse de la crise des bouquetins du Bargy, atteints de brucellose et vecteurs potentiels de propagation de la maladie aux cheptels bovins, S. Gardon, A. Gautier et G. Le Naour soulignent que le « cas de la faune sauvage apparaît […] comme un révélateur d’une reconfiguration des frontières entre environnement et agriculture » (p. 303). Quant à P. Cornu, dans une contribution extrêmement dense, il tente de décrypter, à partir des travaux de l’agronome Stéphane Hénin et de ses élèves, « l’entrée en histoire » de trois objets : agriculture, agronomie et environnement. De ce point de vue, il souligne à quel point « l’histoire de l’environnement est étonnamment peu ruraliste » (p. 266) tout en concluant que, contrairement à d’autres champs disciplinaires, « la question agraire offre l’intérêt particulier d’avoir éveillé progressivement et comme insensiblement un questionnement à la fois environnemental et historique » (p. 273-274), participant ainsi, à son rythme, aux « ré-encastrement » de l’histoire naturelle et de l’histoire après deux siècles de divergence.
8S’il est assez probable que l’ouvrage dirigé par S. Frioux et R. Bécaut ne satisfera pas pleinement les spécialistes de l’histoire de l’environnement, il pourra constituer une source d’inspiration pour les non-spécialistes et les étudiants.
Pour citer cet article
Référence papier
Laurent Herment, « Stéphane Frioux et Renaud Bécot (dir.), Écrire l’histoire environnementale au xxie siècle. Sources, méthodes, pratiques », Études rurales, 212 | 2023, 157-159.
Référence électronique
Laurent Herment, « Stéphane Frioux et Renaud Bécot (dir.), Écrire l’histoire environnementale au xxie siècle. Sources, méthodes, pratiques », Études rurales [En ligne], 212 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 15 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/32431 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.32431
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