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Comptes rendus

François Purseigle et Bertrand Hervieu, Une agriculture sans agriculteurs. La révolution indicible

Antoine Rignault
p. 171-173
Référence(s) :

François Purseigle et Bertrand Hervieu, Une agriculture sans agriculteurs. La révolution indicible, Paris, Presses de Science Po (« Essai »), 2022, 224 p.

Texte intégral

1Pour qui tient Une agriculture sans agriculteurs en main et connaît la trajectoire académique de François Purseigle et de Bertrand Hervieu, l’impression d’une filiation avec La fin des paysans de Mendras (SEDEIS, 1967) est évidente. En effet, les auteurs défendent une thèse, qui s’inscrit dans la continuité du travail du célèbre ruraliste. Celle du constat que : « le modèle de la ferme familiale de type conjugal, dominante dans l’Europe de la seconde moitié du xxe siècle et constitutive de la modernisation de l’agriculture, se trouve aujourd’hui fragilisée » (p. 8). Les précurseurs de la sociologie rurale constataient déjà la disparition de leur objet de recherche. La démonstration de cette thèse comprend deux volets : le constat de l’agriculture française en 2022 et, en quelque sorte, son déni par une partie des agriculteurs et des chercheurs en sciences sociales.

  • 1 Voir les dossiers «Agricultures de firme» d’Études rurales, no 190 et no 191, qu’ils ont coordon (...)

2L’ouvrage de F. Purseigle et de B. Hervieu est structuré en trois grands chapitres. Dans le premier (« Une population effacée »), ils soulignent la difficulté du renouvellement démographique à laquelle est confrontée l’agriculture familiale française, fragilisée par sa traditionnelle transmission intrafamiliale et un « déficit des vocations » (p. 49). Dans le deuxième (« Des entreprises éclatées »)1, les auteurs montrent combien le modèle de l’entreprise conjugale se marginalise. La dynamique d’intégration-concentration au sein de holdings et de multinationales agricoles fait apparaître de nouveaux acteurs, qui participent à la financiarisation de l’agriculture et à la réorganisation des chaînes de valeur, induisant une abstraction du travail agricole. La dissociation entre capital et travail s’en trouve d’autant plus renforcée.

3C’est probablement l’expansion de l’externalisation du travail agricole, qui illustre le mieux ce phénomène. Il s’agit, de plus en plus, pour les héritiers d’une ferme familiale, de gérer un capital productif, défini et érigé en patrimoine, sous la forme d’une rente intégrale, au détriment du projet celui, qui tente, lui, de maintenir l’intégrité du capital productif. La sous-traitance peut également résulter d’une volonté de maintenir l’exploitation « à flot », quand l’exploitant arrête son activité pour partir en retraite et qu’il y a une incertitude sur la reprise de l’exploitation. L’inflation des normes environnementales à l’échelle européenne participe aussi de ce processus, provoquant un déficit de compétences et de matériel, notamment dans le domaine du conseil agronomique, par exemple pour élaborer des itinéraires techniques et des assolements en conformité avec les exigences environnementales de la PAC. Néanmoins, la sous-traitance peut être une opportunité pour des agriculteurs, cherchant à diversifier leurs sources de revenus, ou entreprises de prestations agricoles multinationales et intégrées.

4Le troisième chapitre (« Des espaces disputés, des pouvoirs convoités ») décentre quelque peu le propos et pointe la perte de poids politique de la profession agricole, à la fois dans sa représentation au niveau national, mais surtout local et rural. Cet effacement s’explique en partie par de nouvelles populations, qui assignent au monde rural une fonction essentiellement résidentielle.

  • 2 Michel Debatisse, La révolution silencieuse. Le combat des paysans, Paris, Calmann-Lévy (« Questio (...)

5Le second volet de la démonstration se loge dans le sous-titre du livre, Une révolution indicible, référence au livre de M. Debatisse2, celle qui a précipité la France dans la modernisation agricole. Indicible, cette révolution l’est par le déni de toute une série d’acteurs à accepter la transformation de l’agriculture familiale française pour une série de raisons.

6Au niveau de la profession agricole et de son expression syndicale d’abord, la « crise […] est autant morale qu’économique » (p. 189). Il existerait un grave trouble identitaire, marqué par un paradoxe : les agriculteurs se voient tels qu’ils ne sont plus ; ou plutôt, tels qu’ils étaient, avant la modernisation qu’ils ont eux-mêmes appelée de leurs vœux. Par exemple, pour les auteurs, il en va ainsi de la figure maintes fois invoquée du paysan proche du vivant, si tant est, en admettant la diversité des expressions syndicales agricoles françaises, qu’on puisse mettre tous les agriculteurs de France dans la même catégorie. Néanmoins, le lecteur averti ne pourra que souscrire au constat de la mutation identitaire profonde du monde agricole. Les agriculteurs supportent d’autant plus mal la perte de leur souveraineté sur leur activité, manifestée par le nombre croissant d’acteurs invités au débat agricole, que l’autonomie est une de leur valeur cardinale. La question de l’agribashing illustre les tensions entre la profession et la société civile, qui reste profondément attachée à la figure de l’agriculteur familial.

7Le déni se situerait également chez une partie des chercheurs en sciences sociales. Il se caractériserait par le fait que les scientifiques considèrent encore l’agriculture familiale comme prédominante et capable de « répondre aux défis de rentabilité, de territorialisation, de maintien de l’emploi et de préservation de l’environnement » (p. 206). Or, pour F. Purseigle et B. Hervieu les chercheurs, particulièrement ceux de l’appareil statistique d’État, disposent d’outils inadaptés pour décrire les évolutions des formes socio-­économiques d’organisation de la production agricole française, sous-estimant notamment le travail réalisé par les prestataires. En effet, certains travail1 prouvent le contraire et démontrent statistiquement que l’agriculture française reste largement familiale.

8Enfin, on pourra s’étonner qu’à côté des références de littérature sociologique, figurent celles du sondeur et essayiste polémique Jérôme Fourquet (p. 159 et p. 192). Malgré tout, Une agriculture sans agriculteurs reste un ouvrage bienvenu, dont l’ambition de se placer dans le débat politique actuel est très bien servie par un propos clair et pertinent.

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Notes

1 Voir les dossiers «Agricultures de firme» d’Études rurales, no 190 et no 191, qu’ils ont coordonnés respectivement en 2012 et 2013.

2 Michel Debatisse, La révolution silencieuse. Le combat des paysans, Paris, Calmann-Lévy (« Questions d’actualités »), 1963.

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Pour citer cet article

Référence papier

Antoine Rignault, « François Purseigle et Bertrand Hervieu, Une agriculture sans agriculteurs. La révolution indicible »Études rurales, 214 | 2024, 171-173.

Référence électronique

Antoine Rignault, « François Purseigle et Bertrand Hervieu, Une agriculture sans agriculteurs. La révolution indicible »Études rurales [En ligne], 214 | 2024, mis en ligne le 15 décembre 2024, consulté le 20 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/33992 ; DOI : https://doi.org/10.4000/136mz

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Auteur

Antoine Rignault

anthropologue, doctorant, département d’anthropologie, université de Montréal, Canada

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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