Pekka Hämäläinen L’empire comanche
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Pekka Hämäläinen, L’empire comanche. Traduit de l’anglais par Frédéric Cotton. Préface de Richard White. Paris, Anacharsis Éditions, 2012, 599 p. (1re édition Yale University Press, 2008)
1Enfin disponible en français, l’ouvrage de ce professeur d’histoire américaine à Oxford renouvelle profondément la présentation d’une population indienne dont la vie s’est développée à partir du sud- ouest des États-Unis, entre la Nouvelle-Espagne (Mexique) et les zones conquises par les Européens en Amérique du Nord. La traduction de Frédéric Cotton est précise et expliquée chaque fois que cela est nécessaire.
2La thèse centrale postule que les Comanches ont développé une forte emprise sur tout le sud-ouest du continent nord-américain. Intermédiaires respectés et redoutés entre les conquérants de l’Amérique et les autres groupes indiens, ils ont développé une emprise territoriale qui leur assure une présence quasi impériale. Leur « empire » est pourtant dénué des structures bureaucratiques et de la culture politique que le concept revêt dans les terres d’Europe et d’Asie.
3Après une introduction solide, huit chapitres traitent du développement de la Comancheria, espace dominé par les Comanches depuis le xviiie siècle jusqu’à son effondrement après la guerre de Sécession.
4Au début des temps modernes, les Comanches ont fui les désordres des Grandes Plaines pour se réfugier dans une zone de canyons au nord du Nouveau- Mexique. Là, ils transforment leur mode de vie en acquérant, par le vol ou l’échange, des chevaux, animaux introduits par les Espagnols. L’organisation sociale des Comanches est modifiée par l’utilisation du cheval pour la chasse et la guerre. L’élevage devient en outre une activité importante.
5À la fin du xviiie siècle, les groupes comanches sont de redoutables guerriers. Ils maîtrisent les régions du sud- ouest des États-Unis actuels. Les Espagnols et les autres pouvoirs européens échouent à s’en faire des alliés pour soumettre le continent.
6Les Comanches exploitent les zones de pâturage et de chasse de l’ouest de l’Amérique pour vivre et nourrir leurs troupeaux de chevaux et de mules. La gestion du quotidien exige une main-d’œuvre nombreuse. Les femmes s’occupent des foyers, de la préparation des peaux issues de la chasse et de l’entretien des troupeaux. Les hommes passent de longues heures à dresser les chevaux qu’ils capturent, à organiser les déplacements des groupes, les chasses et les raids contre les établissements européens.
7Toutefois, à la fin du xviiie siècle, l’expansion de la Comancheria exige encore plus de main-d’œuvre. Les Comanches utilisent des captifs, des adoptés, des esclaves, des subordonnés, des vassaux… Pour obtenir des chevaux déjà dressés et s’épargner un long labeur, ils pillent régulièrement les fermes de colons mal protégées sur la frontière nord du Mexique et au Texas. En somme, les régions où l’agriculture européenne se développe deviennent des réservoirs utiles à la vie des Comanches.
8Grâce aux raids qu’ils mènent, ils se procurent des éléments à échanger avec d’autres groupes, indiens ou européens. Ils participent ainsi au commerce des troupeaux, des peaux, des esclaves et des fusils, entre les zones mexicaines et les régions situées à l’est du Mississippi. Ils constituent des partenaires incontournables dans les confins des empires euro-américains, là où ils rendent si difficile l’expansion espagnole, mexicaine, française et anglo-saxonne. Ils contrôlent d’ailleurs les routes terrestres qui sont les seuls axes de pénétration dans cet Ouest.
9Cependant, devant la poussée migratoire anglo-saxonne soutenue par un puissant mouvement d’industrialisation au nord-est des États-Unis, les Comanches perdent du terrain au cours du xixe siècle. Les grandes sécheresses du milieu du xixe siècle et la destruction des troupeaux de bisons affaiblissent, dans le même temps, leur élevage, leur pastoralisme et leur capacité de résistance. C’est surtout après la guerre de Sécession (1861-1865), quand Washington accentue son action contre les Indiens, que leur sort est scellé.
10Le travail proposé ici est d’un grand intérêt méthodologique et scientifique. L’auteur montre d’abord que les sources ne manquent pas pour écrire l’histoire des peuples « sans écriture ». L’histoire de l’environnement offre de précieux éléments, par exemple. L’auteur montre aussi comment les Indiens ont assis leur emprise sur un territoire que les Américains aimaient à se représenter comme vierge et sauvage.
- 1 Thomas W. Kavanagh, The Comanche. A history, 1706-1875, Lincoln, University of Nebraska Press, 1996
11Notons cependant que les Comanches avaient déjà fait l’objet d’un travail conséquent de Thomas W. Kavanagh1, qui avait souligné l’importance des relations entre ce peuple et les Européens qui voulaient conquérir le sud-ouest des États-Unis.
12Le présent ouvrage propose toutefois une lecture différente, d’abord en ce qu’il ouvre une réflexion approfondie sur les frontières et les zones dites « marginales ». Le territoire comanche est d’abord celui des confins des empires que les puissances européennes cherchent à se tailler. Les Comanches exploitent les potentialités des régions sises entre le Mississippi et le Rio Grande et trouvent dans les faibles établissements européens sur les fronts pionniers de quoi se renforcer.
13L’auteur insiste beaucoup sur le fait que l’écologie de la Comancheria soutient sa puissance. L’herbe des prairies nourrit les bisons et les chevaux. C’est la ressource énergétique sur laquelle repose toute l’organisation sociale des Comanches. Les crises météorologiques atteignent le socle même de l’existence des Indiens, qui envisagent difficilement que l’herbe puisse leur manquer durablement. En effet, leurs croyances leur enseignent que l’esprit de la nature régénèrera tout ce dont ils ont besoin pour vivre. Lors des périodes difficiles, ils ne réduisent pas la taille de leurs troupeaux de chevaux qui leur apportent la puissance militaire mais peinent à les nourrir, d’autant que les bisons qu’ils chassent prélèvent, eux aussi, leur nourriture sur un potentiel herbager amoindri. Ainsi le système de survie des Comanches est-il fragilisé, préparant leur affaiblissement global face aux Anglo- Saxons.
14Avec ce travail, qui pourrait être transposé à d’autres confédérations indiennes comme les Iroquois, les Sioux ou les Cheyennes, les peuples indiens deviennent plus qu’un élément du décor : ils sont au centre des développements de l’Amérique du Nord.
Notes
1 Thomas W. Kavanagh, The Comanche. A history, 1706-1875, Lincoln, University of Nebraska Press, 1996.
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Référence électronique
Fabien Gaveau, « Pekka Hämäläinen L’empire comanche », Études rurales [En ligne], 192 | 2013, mis en ligne le 24 février 2016, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/9973 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.9973
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