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Comptes rendus

Laurent Brassart, Jean-Pierre Jessenne et Nadine Vivier eds., Clochemerle ou république villageoise ? La conduite municipale des affaires villageoises en Europe,

Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2012, 356 p.
Fabien Gaveau

Texte intégral

Laurent Brassart, Jean-Pierre Jessenne et Nadine Vivier eds., Clochemerle ou république villageoise ? La conduite municipale des affaires villageoises en Europe, xviiie-xxe siècle. Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2012, 356 p.

1Fruit d’une réflexion entamée à Lille en 2010, l’ouvrage rassemble dix- neuf contributions réparties en trois parties. Il entend saisir comment les municipalités rurales interviennent dans le développement économique et politique des États. Deux axes le sous-tendent : une réflexion, sur le temps long, sur la vie publique à l’échelle locale ; une comparaison européenne.

2Dans une première partie, les contributeurs explorent les particularités des collectivités villageoises. Jean-Pierre Jessenne (Lille III) et Nadine Vivier (Le Mans) discutent le cadre d’analyse retenu et décryptent le vocabulaire de la ruralité (village, communauté, collectivité villageoise, commune, municipalité). Les relations entre les communes et le pouvoir central ne se résument pas à la soumission passive des premières face au second.

3Depuis les années 1950, partout en Europe, les relations entre les communes, comme cadre territorial, et les collectivités villageoises, comme cellules sociales, se sont distendues. D’ailleurs, les communes rurales sont de plus en plus envisagées à partir de l’aire urbaine de référence dont elles relèvent.

4Peter Jones (Birmingham) présente la grande variété, en France, de l’organisation et des actions des villages avant que la Révolution ne crée les communes. Laurent Brassart (Lille III) et Jean-Pierre Jessenne décrivent comment, de 1789 à 1830, les municipalités ont été prises en main par les États. Avec la Révolution, ces nouvelles unités doivent à la fois gérer « l’ordinaire » (les affaires du quotidien) et « l’extraordinaire » (les réquisitions, la surveillance policière, les contributions pour la guerre). Les municipalités œuvrent à la construction de la nouvelle nation. À partir de l’an VIII, elles deviennent davantage des relais du pouvoir central. Toutefois, Nadine Vivier montre que, tout au long du xixe siècle, les communes ont disposé d’une réelle capacité de décision pour gérer leurs affaires quotidiennes.

5La deuxième partie de l’ouvrage éclaire les différentes actions des pouvoirs locaux en Europe. John Broad (Cambridge) décrit le repli de la paroisse dans les villages anglais, du xviiie au xixe siècle. Certes, la charité aide à financer le logement et à lutter contre la pauvreté (Poor Law Amendment Act de 1834). Cependant, les institutions civiles prennent de plus en plus d’importance au quotidien.

6La situation est différente en Allemagne, selon Clemens Zimmermann (Sarre). Alors que le libéralisme s’impose, les communes rurales, au statut bien établi, parviennent à négocier avec les États pour les servir et obtenir leur appui dans les temps de crise, entre 1815 et 1848 par exemple.

7La capacité des communes à défendre leurs intérêts est également attestée par Vincent Cuvilliers (Artois) et Matthieu Fontaine (Artois) à partir de l’exemple du Pas-de-Calais. Si les maires sont généralement capables de bien servir leurs communes, ils sont dépréciés par les préfets dès qu’ils refusent de se plier rigoureusement à ce que le pouvoir central attend d’eux.

8Analysant la situation des communes des Alpes vénitiennes durant l’occupation française des années 1796-1814, Andrea Zanini (Udine) explique que les communautés rurales évoluent vers un modèle municipal favorable aux propriétaires sans que ne soient remises en cause les modalités habituelles de la gestion des ressources communales, notamment au profit des pauvres.

9Au fond, les communes interviennent grandement dans l’exploitation des ressources et dans le développement rural. Corinne Marache (Bordeaux) en donne une belle illustration en étudiant la commune d’Échourgnac (Dordogne) et l’action de ses édiles dans l’assèchement des marais de la Double au xixe siècle. Toutefois, Jean-Michel Dereix (Paris IV) explique que la gestion de l’eau dans les villages résulte de rapports de force et de transactions entre les intérêts des familles et ceux de la communauté et de l’État.

10Jean-Paul Rothiot (Nancy II) s’intéresse aux ressources des municipalités. Il retrace, à partir de l’exemple lorrain, le développement des budgets municipaux, à la charnière des xviiie et xixe siècles. Il souligne la prudence financière des municipalités rurales. Face à de grosses dépenses, les communes qui le peuvent vendent des coupes de bois car l’emprunt apparaît toujours très risqué.

11La situation diffère cependant selon les pays considérés. Maria Teresa Perez Picazo (Murcie, décédée depuis le colloque) montre combien, dans l’Espagne du xixe siècle, les municipalités ont souffert de la perte de nombreuses ressources. Elles n’ont pu investir ni au service du développement économique ni au service de l’action quotidienne. D’ailleurs, en 1916, le ministre espagnol des Finances publiques reconnaît, devant le Sénat, qu’il s’agit d’un problème national. À l’inverse, Serge Bianchi précise que les municipalités de la Brie parviennent à développer des infrastructures locales (bâtiments, voirie), de l’Ancien Régime aux années 1930.

12Marie-Christine Allart (Lille III) en donne un autre témoignage à travers l’exemple du Pas-de-Calais. Dans la seconde moitié du xxe siècle, les municipalités améliorent la vie locale (électrification, adduction d’eau, nouveaux services culturels et scolaires). Si les décisions liées à l’agriculture reculent beaucoup, les communes rurales parviennent néanmoins à faire entendre leurs spécificités dans un monde devenu plus urbain.

13La revitalisation des campagnes est très bien étudiée par Leen van Molle (Leuven). Cette auteure décrit l’essor démographique, depuis les années 1950, des villages belges, en Flandre surtout, ce qui va à l’encontre des discours dominants sur « l’exode rural ». L’État belge a joué un rôle actif en donnant à des communes jalouses de leur autonomie des moyens financiers destinés au logement et aux équipements collectifs, accompagnant ainsi la mutation sociale des campagnes.

14La troisième partie de l’ouvrage ouvre des pistes de recherche. Catherine Denys (Lille III) propose, en tant que spécialiste des questions de police, d’entrer dans l’analyse des régulations policières au village en dépassant l’approche via la maréchaussée ou la gendarmerie, afin de saisir les mécanismes sociaux et politiques qui construisent l’ordre au quotidien. De même, Jean-Paul Rothiot propose de mettre au point une méthode d’analyse des délibérations et des budgets municipaux. Dominique Rosselle (Lille III) présente les ressources qui, en Europe, s’offrent aux historiens pour réaliser l’histoire des municipalités. Enfin, les éditeurs du volume synthétisent utilement les acquis du colloque en parcourant les grands axes qui y ont été abordés.

15En somme, ce livre est d’une grande richesse. Il remplit ses objectifs comparatifs en rassemblant des contributions sur un espace ouest-européen qui a manifestement connu les influences de la modernisation libérale, celles du droit administratif français (hormis au Royaume-Uni) né avec la Révolution et porté par le Directoire et l’Empire, et les influences de la mutation urbaine. Les études proposées témoignent de l’importance considérable des cellules rurales dans le développement des infrastructures nationales, en lien avec des impulsions venues des pouvoirs centraux.

16L’ouvrage vise à mobiliser la recherche, et son message a toutes les chances d’être entendu à condition que les chercheurs (re)découvrent le goût du détour champêtre.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabien Gaveau, « Laurent Brassart, Jean-Pierre Jessenne et Nadine Vivier eds., Clochemerle ou république villageoise ? La conduite municipale des affaires villageoises en Europe, »Études rurales [En ligne], 192 | 2013, mis en ligne le 24 février 2016, consulté le 07 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/9980 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.9980

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Auteur

Fabien Gaveau

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