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Capital humain, pratiques de diversité et performance économique : le risque de faillite des entreprises interagit-il ?

Human capital, diversity practices and economic performance: does the bankruptcy risk matter?
Loredana Cultrera, Romina Giuliano et Guillaume Vermeylen

Résumés

La faillite d’une entreprise, lorsqu’elle surgit, entraîne de nombreuses conséquences tant pour les différents partenaires de l’entreprise que pour la société de manière générale. Si prédire la faillite est devenu un sujet fortement discuté dans la littérature, aucune étude ne se positionne en amont du processus de faillite pour tenter d’identifier les facteurs propres à l’entreprise et à sa main d’œuvre pouvant aider une entreprise à améliorer sa performance sur le marché, et ainsi maximiser ses chances de survie. Utilisant une base de données européennes en panel couvrant la période 2004-2013 et contrôlant pour de nombreux biais, nos résultats montrent qu’il serait judicieux, lorsque l’entreprise se retrouve en situation de haut risque de faillite, de favoriser l’embauche de travailleurs hautement éduqués et de travailleurs féminins, ces deux catégories de travailleurs semblant parvenir à hausser la performance de l’entreprise en situation de risque de faillite élevé.

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Texte intégral

Les auteurs aimeraient remercier les Prof. Eric Severin et Prof. Didier Van Caillie ainsi que trois réviseurs anonymes pour leurs lectures attentives et leurs commentaires judicieux.

1. Introduction

1La faillite d’une entreprise, lorsqu’elle surgit, entraîne de nombreuses conséquences tant pour les différents partenaires de l’entreprise que pour la société de manière générale (Pochet, 2001 ; Ooghe et Balcaen, 2002 ; Refait-Alexandre, 2005). Prédire la faillite est alors rapidement devenu un sujet fortement discuté tant dans la littérature économique que la littérature en sciences de gestion, et notamment en comptabilité et finance. L’objectif de ces études est de développer différents modèles permettant de prédire le phénomène de faillite via l’analyse des ratios financiers de l’entreprise (Beaver, 1966 ; Argenti, 1976 ; Ohlson, 1980 ; Altman, 1984 ; Morris, 1997 ; Guilhot, 2000 ; Daubie et Meskens, 2001 ; Ooghe et De Prijcker, 2008).

  • 1 Comme le souligne Marchesnay (1991), il n’y a pas « la » PME mais il existe une grande diversité de (...)

2En Belgique, une entreprise est considérée en état de faillite si deux conditions sont remplies : elle doit avoir cessé ses paiements de manière persistante et son crédit doit se trouver ébranlé. La première condition signifie que le manager ne parvient plus à faire face aux factures de ses créanciers et fournisseurs de manière prolongée et non pas passagère. Quant à la seconde, il s’agit d’une perte de confiance prolongée des banques et des fournisseurs de l’entreprise qui n’obtient alors plus de possibilité d’octroi de délais de paiements (SPW, 2007). La faillite touche principalement les entreprises de petite et moyenne tailles, les PME1, ces PME formant la majeure partie du tissu économique belge. Il apparaît donc logique qu’en période de basse conjoncture, la Belgique soit plus fragile aux faillites que d’autres pays comme la France ou la Grande-Bretagne par exemple, ce qui en fait un champ d’étude particulièrement intéressant. Les PME représentent en effet 70 % du PIB belge et une part de l’emploi globale de 41 % (ICHEC, 2009). Certains auteurs se sont alors penchés sur le cas des PME belges pour étudier le phénomène de faillite dans le but de développer différents modèles de prévision (Ooghe et Verbaere, 1982 ; Ooghe et Van Wymeersch, 2000 ; Van Caillie, 2000 ; Cielen et al., 2004 ; Van Caillie et Crutzen, 2007 ; Cultrera et Vermeylen, 2018).

3Néanmoins, la plupart de ces études se concentre sur la prédiction de faillite ex post et vise à identifier, via les informations comptables et financières, des événements annonciateurs d’une probable défaillance. Ces informations permettent donc de quantifier et de suivre la réalisation des objectifs de l’entreprise (Affes et Chabchoub, 2007). L’information comptable est ainsi devenue un élément de détection des difficultés (Saboly, 2001). Il a d’ailleurs été démontré que l’utilisation de l’information comptable à des fins de décisions opérationnelles permettait de réduire la probabilité de faillite des PME (Lavigne et St-Pierre, 2002). Cependant, si les études relatives à la prédiction de faillite se concentrent sur les symptômes de la faillite (Daubie et Meskens, 2001), certains auteurs jugent en revanche que les ratios financiers ne permettent pas de remonter à l’origine des problèmes de l’entreprise (Argenti, 1976 ; Koenig, 1985 ; Morris, 1997). Il a également été démontré qu’à l’approche de la faillite, certains dirigeants, conscients du potentiel d’action qu’offre la comptabilité tant au niveau organisationnel qu’informationnel, décident de mettre en place différentes mesures de gestion comptable et administrative. Ces mesures ont pour objectif d’améliorer la situation de leur entreprise, via notamment des renégociations de contrats fournisseurs ou de rémunérations de travailleurs, des réorientations stratégiques et réorganisations internes ou encore des désinvestissements (DeAngelo et al., 1994 ; Saboly, 2001 ; Djama 2002). D’autres quant à eux, connaissant la plasticité de l’information comptable, décident de se lancer dans des pratiques dites de camouflage comptable de manière à délibérément cacher la mauvaise santé financière de l’entreprise afin de retarder ou d’éviter la sanction de l’échec (Argenti, 1976 ; Saboly, 2001). Il semble donc que certains dirigeants adoptent des choix financiers et comptables « tactiques » pour préserver l’image de l’entreprise auprès de ses partenaires (Djama, 2002). Dans une optique de prévention et non plus de prédiction, le recours à l’analyse par ratios semble alors perdre de sa substance.

4Il pourrait alors s’avérer intéressant de comprendre comment peut réagir une entreprise lorsque celle-ci se trouve dans une situation de risque, soit une étape pouvant être cruciale et survenant avant que le processus de faillite à proprement parler ne soit enclenché. Cet angle de vue, différent de la tradition dans la littérature, se base sur un échantillon d’entreprises en activité et non plus en faillite, et suppose d’envisager l’entreprise dans son schéma classique de fonctionnement, avec pour objectif principal de maximiser ses profits, sa valeur sur le marché, sa performance. Cet objectif pousse les managers à prendre toutes les décisions compatibles avec une augmentation de la valeur de l’entreprise à long terme (Jensen, 2002). Il paraît donc sensé de supposer qu’en situation de risque de faillite, le manager aura notamment tendance à vouloir augmenter la valeur créée par l’entreprise, pour améliorer sa performance, pour in fine, éviter à son entreprise d’entrer en processus de faillite (Bryan et al., 2013). Cependant, comme le souligne Gauzente (2000), si la performance des organisations est devenue un sujet central des sciences de gestion, mesurer la performance reste méthodologiquement délicat et le terme de performance est largement utilisé sans qu’il ne possède pour autant une définition unanime, ce fait reflétant la polysémie du mot. Morin et al. (1994) recensent notamment quatre grandes approches théoriques de la performance : économique, sociale, systémique et politique et nous nous proposons dans cet article de nous focaliser sur la première.

  • 2 Correspondant à la différence entre la valeur totale de la production et la valeur totale des conso (...)
  • 3 Comme les salaires ou la satisfaction au travail, l’hypothèse sous-jacente à ces mesures étant qu’u (...)

5L’originalité de cette étude réside dans le fait que nous utilisons des mesures directes de la performance économique des entreprises, i.e. la valeur ajoutée par travailleur2, ordinairement difficiles à établir, de telle sorte que les économistes ont pris pour habitude de se référer à des mesures alternatives de la performance3 lors de la conduite de leurs recherches.

  • 4 Il existe évidemment d’autres facteurs influençant la valeur de marché, la performance d’une entrep (...)

6Ensuite, cette étude nous permet non pas de prédire mais de prévenir le phénomène de faillite. Pour ce faire, et en utilisant une base de données d’entreprises belges en panel non balancé et couvrant la période 2004-2013, nous nous positionnons en amont du processus de faillite et déterminons si certains facteurs propres à la main d’œuvre de l’entreprise et donc à sa politique en matière de gestion des ressources humaines (GRH) peuvent influencer plus fortement la performance des entreprises ciblées. Ceci nous permet de mettre en évidence les mesures de GRH à appliquer afin d’éviter autant que possible la mise en place du processus de faillite4.

7La suite de ce papier s’organise de la façon suivante. Une revue de la littérature, en termes de risque de faillite au sein des PME et d’analyse de performance est présentée à la section 2. La section 3 décrit notre méthodologie de recherche et la section 4 les résultats de nos estimations. Enfin, la section 5 conclut et discute nos principaux enseignements.

2. Revue de la littérature

2.1 Le capital humain et la diversité de genre comme leviers de la performance

8Bien qu’il n’existe pas de définition unique et unilatéralement établie de la performance économique, celle-ci peut être définie comme le rapport, en volume, d’une production sur un ou plusieurs facteurs de production (OECD, 2001). Depuis les années 1950, nombreux auteurs se réfèrent à une fonction de productivité pour mesurer les influences de certaines caractéristiques ou agrégats sur la croissance et la pérennité d’une entreprise. La performance économique d’une entreprise peut alors être influencée par divers facteurs. Il peut s’agir de facteurs sur lesquels l’entreprise ne peut avoir aucun impact comme par exemple le contexte économique qui l’entoure, ou de facteurs sur lesquels l’entreprise peut avoir une influence, comme les facteurs propres à la composition de sa main d’œuvre. Au vu de leur récurrence dans la littérature, cette étude se propose d’investiguer l’impact de deux d’entre eux : le capital humain et la diversité de genre qui figurent ainsi parmi les principaux facteurs qui peuvent impacter le niveau de performance de l’entreprise (Barraud-Didier et al., 2003 ; Mahy et al., 2015).

9En termes de niveau d’éducation et de formation, i.e. de capital humain, et comme le mentionne Cadet (2014, p. 13) : « la littérature sur le capital humain est abondante mais la profusion est toutefois inversement proportionnelle à la clarification du concept, qui demeure complexe, quelle que soit l’approche disciplinaire ». Cette duplicité du concept permet cependant de rassembler les approches en capital humain en trois représentations, économique, comptable et gestionnaire (Cadet, 2014). Dans cet article, la notion de capital humain se réfère donc à la première représentation (similaire à la notion initiale établie par Becker (1964)), et peut être définie comme l’ensemble des capacités productive qu’un individu acquiert par la compétence, l’expérience ou le savoir.  La théorie du capital humain suppose donc que les investissements en capital humain (éducation et formation) permettent de développer les capacités des travailleurs, ce qui les rendrait plus productifs. Les différences salariales reflèteraient donc des différences de productivité (Becker, 1964). L’éducation formelle, tout comme la formation en emploi, augmenteraient la performance économique de tous les travailleurs (Delame et Kramarz, 1997 ; Ballot et al., 2001 ; Forbes et al., 2010 ; Crook et al., 2011 ; Konings et Vanormelingen, 2015 ; Daniel, 2019), même si certaines disparités peuvent être révélées entre les travailleurs masculins et féminins, les hommes bénéficiant en moyenne de davantage de formations en entreprise (Giuliano, 2012). Forrier et al. (2003) nuancent cette constatation, la formation permettant selon eux de n’accroître la performance économique que lorsque l’on travaille pour l’entreprise qui fournit la formation. Finalement, il existerait deux types de formation professionnelle : la formation générale qui augmenterait la performance des travailleurs dans l’entreprise dans laquelle il travaille mais aussi dans les autres entreprises et la formation spécifique qui elle augmenterait seulement la performance des travailleurs dans l’entreprise qui forme le travailleur (Hutchens, 1989). 

10En termes de genre, les études établissant un lien entre le genre des travailleurs et la performance économique s’axent principalement sur les théories de la diversité. D’une part, la diversité au sein d’une entreprise pourrait avoir un impact positif sur la performance de l’entreprise, de par l’hétérogénéité des valeurs, des croyances, des attitudes du groupe de travailleurs ou encore la créativité (Robinson et Dechant, 1997 ; Williams et O’Reilly, 1998 ; Lee et Farh, 2004 ; Campbell et Mínguez-Vera, 2008 ; Belghiti-Mahut et Lafont, 2009 ; Conyon et He, 2017 ; Charles et al., 2018 ; del Carmen Triana et al., 2019). Bien que les effets positifs de la diversité de genre soient supposés se faire sentir à tous les échelons de l’entreprise (Dwyer et al., 2003 ; St-Onge et Magnan, 2013), la diversité au sein du conseil d’administration de l’entreprise plus spécifiquement pourrait avoir un impact particulièrement favorable sur la valeur ajoutée créée par l’entreprise (Carter et al., 2003 ; Ulrich et Brockbank, 2010 ; St-Onge et al., 2013) ainsi que sur la performance financière de celle-ci (Bauweraerts et al., 2017 ; Mercier-Suissa et al., 2018). D’autres auteurs, bien que se focalisant majoritairement sur un panel de grandes entreprises, vont même plus loin en établissant que l’égalité de genre au sein des conseils de direction des entreprises améliore certaines valeurs de performance financière comme le ROA ou le ROE (Niclas et al., 2003 ; Miller et Del Carmen Triana, 2009). Certains se sont également focalisés sur l’influence directe des femmes dans l’entreprise et déclarent qu’une plus grande proportion de femmes pourrait avoir une influence positive sur la réputation (Bear et al., 2010), sur la rentabilité (Adler, 2001), la conquête de nouveaux marchés et la crédibilité de l’entreprise (Cox, 1994), et in fine, sur sa performance (Osterman, 1995 ; Konrad et Mangel, 2000 ; Kramer et al., 2006 ; Kelemen et al., 2020). Toutefois, Adams et Ferreira (2004) nuancent ce dernier constat en indiquant que, si les femmes dirigeantes peuvent avoir un impact significatif et positif sur l’implication du conseil d’administration et qu’elles peuvent apporter de nouvelles idées et perspectives impactant les résultats de l’entreprise, imposer une diversité de genre dans une entreprise déjà bien gouvernée pourrait entrainer des impacts négatifs sur sa performance, du fait des désaccords et des conflits que cette implication engendre. Enfin, d’autres auteurs n’ont trouvé aucune relation significative entre diversité de genre et performance de l’entreprise (Francoeur et al., 2008 ; Wang et Clift, 2009 ; Carter et al., 2010), voire même une influence négative sur la performance en termes de ventes (Leonard et Levine, 2006).

11Notre première hypothèse de recherche est donc double et vise à déterminer de quelle manière le capital humain et la diversité de genre peuvent influencer la performance économique de l’entreprise ;

H1 : Le niveau de capital humain influence positivement la performance économique de l’entreprise.

H1 bis : La diversité de genre en entreprise influence positivement la performance économique de l’entreprise.

2.2 L’influence d’un environnement à haut risque de faillite

12Il n’existe pas une définition unanimement acceptée pour décrire la notion de faillite des entreprises (Koenig, 1985 ; Morris, 1997). En effet, trois subdivisions peuvent être faites si l’on considère une approche économique, financière ou juridique (Casta et Zerbib, 1979). L’approche économique considère qu’une entreprise est en état de faillite lorsque celle-ci supporte plus de charges que ce qu’elle ne génère comme produits (Ooghe et Van Wymeersch, 1986), il lui est de ce fait impossible de dégager de valeur ajoutée positive ou de rentabilité suffisante (Greese, 1994), et/ou possède un appareil productif inefficace (Zopounidis, 1995). L’approche financière reconnait une entreprise en faillite lorsque celle-ci n’est plus capable de faire face à ses obligations financières, de sorte que sa solvabilité est affectée (Malécot, 1981 ; Derni et Crucifix, 1992). L’approche juridique enfin établit la faillite lorsque l’entreprise introduit auprès des juridictions compétentes le document légal qui ouvre la voie à leur liquidation ou leur réorganisation (Blazy et Combier, 1998).

13Quelle que soit la définition adoptée, la faillite n’apparaît pas de manière soudaine mais est le résultat d’un long processus qui trouve sa source dans des difficultés d’ordre économique, se poursuit par des troubles d’ordre financier et s’achève devant les tribunaux pour reconnaître la cessation de paiement et l’ébranlement du crédit.

14En termes d’études empiriques du risque de faillite, nous retrouvons traditionnellement dans la littérature belge (Ooghe et Van Wymeersch, 2000) et internationale (Altman, 1968 ; Taffler, 1982 ; Frydman et al., 1985) une majorité d’articles scientifique (93 %) faisant l’objet d’une étude du risque de faillite de manière prédictive, donc ex post, au moyen de différents ratios financiers (Du Jardin, 2007). Couramment, cinq grandes catégories de ratios financiers peuvent être utilisées dans le cadre de cette problématique. Il s’agit des ratios de liquidité, de rentabilité, de structure, de valeur ajoutée et de solvabilité. Certains auteurs estiment cependant que ces ratios ne favorisent pas une analyse préventive du phénomène de faillite, étant donné qu’ils ne permettent pas de remonter aux origines des problèmes de l’entreprise (Argenti, 1976 ; Koenig, 1985 ; Morris, 1997).

15Une manière de contrer cet inconvénient consiste à s’extraire d’une analyse traditionnelle par ratios financiers et à étudier comment se comportent l’entreprise et ses travailleurs en environnement risqué, afin d’en dégager des tendances et des leviers sur lesquels s’appuyer pour éviter de voir le phénomène de faillite s’enclencher. La démarche classique d’une entreprise consiste à créer de la valeur sur le marché au moyen de la fabrication de produits ou de la fourniture de services. Dès lors, étudier la manière dont les caractéristiques de l’entreprise influencent la performance économique de l’entreprise en comparant un environnement à haut risque de faillite avec un environnement plus stable peut permettre de comprendre et d’appréhender les facteurs influençant particulièrement sa performance en situation de risque de défaillance (Rahmani Movahed et Shamszadeh, 2015).

16Certains auteurs ont pu déterminer une certaine influence spécifique des variables de capital humain et de genre sur la performance économique en environnement incertain. Ils suggèrent que plus le niveau de capital humain d’un travailleur est élevé, plus il sera capable de s’adapter à des situations d’incertitude et de risque de faillite en apportant des solutions rapides et innovantes à un problème, en s’adaptant plus facilement à cet environnement changeant, conduisant in fine a de plus hauts niveaux de performance (Bulmahn et Kräkel, 2002 ; Stankiewics, 2004 ; Mahy et al., 2015). En termes de diversité de genre, implémenter de telles politiques de diversité peut entrainer un gain substantiel de performance, via notamment l’instauration d’un climat de travail basé sur la confiance et l’égalité des chances (Kagnicioglu and Kagnicioglu, 2007 ; Beaupré et al., 2008 ; Giuliano et al., 2017). Barnett et al. (2004) finalement, ont mis en relation la performance économique et le niveau de risque entourant l’entreprise et montrent qu’en situation risquée, la performance économique augmente jusqu’à un certain niveau en présence d’une diversité du genre dans le management, alors que l’inverse est perçu en situation peu risquée.

17Ces études souffrent de certaines limites. En effet, si elles investiguent non seulement des impacts du capital humain et de la diversité de genre de manière isolée, la principale limite réside dans la mesure de l’environnement incertain, souvent établi par un taux de faillite sectoriel historique, ne reflétant donc pas la réalité des entreprises en place.

18Notre seconde hypothèse de recherche a donc pour objectif de déterminer si l’environnement risqué peut influencer la réponse des variables de capital humain et de diversité de genre sur la performance ou, en d’autres termes, si les leviers permettant à une entreprise d’améliorer sa performance diffèrent en environnement à haut risque de faillite ;

H2 : Le niveau de capital humain influence plus fortement la performance économique de l’entreprise en environnement risqué en comparaison à un environnement moins risqué.

H2 bis : La diversité de genre en entreprise influence plus fortement la performance économique en environnement risqué en comparaison à un environnement moins risqué.

3. Méthodologie

3.1 Analyse des facteurs influençant la performance économique

19Pour examiner l’impact spécifique des variables de capital humain et de diversité de genre sur la performance économique, nous utilisons une spécification économétrique agrégée au niveau de l’entreprise. Plus précisément, nous estimons la relation suivante :

Où :

  • VAj,t est la performance économique de l’entreprise j à l’année t, mesurée par la valeur ajoutée moyenne par travailleur occupé ;

  • Kj,t représente le pourcentage de travailleurs hautement éduqués (i.e., détenteur, via l’éducation et/ou la formation, de compétences équivalentes au niveau supérieur universitaire ou non universitaire) ;

  • Dj,t représente la diversité de genre via le pourcentage de femmes au sein de l’entreprise ;

    • 5 En effet, la littérature a pu démontrer que le statut des travailleurs (i.e. ouvriers vs employés) (...)

    Zj,t est un vecteur de variables de contrôle représentant les caractéristiques agrégées de la main d’œuvre de l’entreprise j à l’année t, susceptibles d’influencer la valeur ajoutée de l’entreprise5 et nous permettant d’isoler l’effet des variables dépendantes clés sur la variable indépendante et ainsi éviter un biais dans l’estimation du paramètre d’intérêt : le pourcentage de travailleurs ouvriers (i.e., en cols bleus), le pourcentage de travailleurs sous contrats temporaires, la taille de l’entreprise (i.e., le logarithme du total de l’actif), et le secteur d’activité dans lequel les travailleurs évoluent (21 binaires sectorielles selon la nomenclature NACE_Rev2) ;

  • est un ensemble de 10 binaires annuelles ;
  • représente le terme d’erreur.

3.2 L’influence d’un environnement à haut risque de faillite

  • 6 Ces figures nous permettent donc une représentation visuelle de la dispersion des entreprises en fo (...)

20Dans un second temps, nous analysons et déterminons de quelle manière un environnement risqué peut influencer la réponse de chacune des variables du modèle en termes de performance économique. Pour ce faire, et de manière à construire notre environnement à haut risque de faillite, nous nous basons sur une analyse des différents ratios financiers, traditionnellement utilisés comme un moyen de prédiction de la faillite. Comme illustré aux figures 1 à 5, nous construisons notre indicateur de risque sur la base des cinq ratios précédemment développés. Une entreprise sera alors considérée comme à haut risque de faillite si elle cumule une mauvaise position sur chacun des ratios suivants, i.e. si elle appartient au premier quartile de la distribution de chacun des ratios6 :

  • Ratio de liquidité = actifs circulants / dettes de court terme

  • Ratio de rentabilité = bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement / total de l’actif

  • Ratio de structure = fonds propres / total de l’actif

  • Ratio de valeur ajoutée = charges fiscales / valeur ajoutée

  • Ratio de solvabilité (Ratio de Beaver) = cash-flow net / dettes totales.

Figure 1 : Répartition des entreprises selon le profil de risque 1 – La liquidité

Figure 2 : Répartition des entreprises selon le profil de risque 2 – La rentabilité

Figure 3 : Répartition des entreprises selon le profil de risque 3 – La structure

Figure 4 : Répartition des entreprises selon le profil de risque 4 – La valeur ajoutée

Figure 5 : Répartition des entreprises selon le profil de risque 5 – La solvabilité

3.3 Techniques d’estimations

21Historiquement, la triple approche empirique (i.e., moindres carrés ordinaires (MCO), effets fixes (FE) et effets aléatoires (RE)) a été appliquée dans des contextes variés. La méthode MCO aux erreurs standards robustes à l’hétéroscédasticité (provenant de variables explicatives inobservées de variance différentes pour certains groupes d’individus définis par des variables observées) et à la corrélation sérielle est basée sur la variabilité inter-entreprises en cross section et sur la variabilité longitudinale intra-entreprises au cours du temps. Cependant, l’estimateur MCO souffre du biais d’hétérogénéité. En effet, la performance économique de l’entreprise peut subir une influence spécifique de certains facteurs, invariables dans le temps qui ne sont pas mesurés au niveau microéconomique comme par exemple une localisation avantageuse, un brevet spécifique, ou toute autre caractéristique. Les méthodes d’estimation par effets fixes (FE) et par effets aléatoires (RE) ont donc été utilisées traditionnellement pour contrecarrer ce biais d’hétéroscédasticité (Bauer, 2002). Comme l’explique Mundlak (1978), l’estimateur à effets aléatoires (RE) ne suppose l’endogénéité d’aucune variable exogène du modèle tandis que l’estimateur à effets fixes (FE) suppose l’endogénéité de tous les régresseurs.

22Ce choix du « tout ou rien » (Baltagi et al., 2003) a amené Hausman et Taylor (HT, 1981) à développer une méthode d’estimation tenant également compte du phénomène d’endogénéité frappant certaines variables explicatives et basée sur le principe des variables d’instruments.

  • 7 La méthode des moments généralisés (GMM) permet également de contrôler pour le biais d’endogénéité. (...)

23Adaptée aux données en panel7, l’estimateur HT, plus abouti et plus robuste dans sa technique d’estimation que les techniques précédemment citées, suppose que certaines variables explicatives sont corrélées avec des effets individuels inobservées ui, mais qu’aucune de ces variables explicative n’est corrélée avec le terme d’erreur idiosyncratique i,t. Cette méthode nécessite de définir un sous-ensemble de variables incluses dans la relation que nous suspectons être endogènes, i.e. pour lesquelles nous supposons une corrélation avec l’effet aléatoire inobservé. Appliquée à notre étude, l’endogénéité peut ainsi frapper la variable d’éducation. Ainsi par exemple, une baisse de la productivité due à une récession entrainerait également un surplus de travailleurs hautement éduqués sur le marché du travail avec, in fine, un engagement supplémentaire de ce type de main d’œuvre par l’entreprise. La relation entre niveau d’éducation des travailleurs et productivité est alors biaisée par le phénomène de récession économique. Contrôler pour ce phénomène d’endogénéité pour notre variable d’éducation via l’application de l’estimateur HT semble donc essentiel. La même réflexion nous pousse à considérer la variable genre comme susceptible d’être endogène.

24Nous estimons donc l’équation (1) au moyen de deux différentes méthodes : la méthode des moindres carrés ordinaires (MCO) utilisée en tant que référence ainsi que la méthode Hausman et Taylor (1981, HT).

3.4 Échantillon de données et statistiques descriptives

25Pour effectuer notre étude, nous avons sélectionné, au moyen de la base de données du Bureau Van Dijck, les entreprises classées, sur toute la période envisagée, dans la catégorie des PME selon la définition belge. Les entreprises sélectionnées emploient soit au minimum un travailleur unique et maximum cinquante, soit ne dépassent pas 7 300 000 euros de chiffre d’affaires, soit ne dépassent pas 3 650 000 euros de total bilantaire. Également, nous avons repris uniquement les entreprises actives, soit celles n’étant pas déclarées en faillite au sens juridique de la définition. Après avoir écarté les entreprises présentant des valeurs aberrantes ou manquantes, notre échantillon final couvrant la période 2004-2013 consiste en un panel non balancé de 34 124 observations couvrant 11 097 entreprises et peut être considéré comme représentatif de l’ensemble des petites et moyennes entreprises actives en Belgique.

26Les statistiques descriptives d’une sélection de variables sont présentées au tableau 1. Elles montrent que le niveau moyen de valeur ajoutée par travailleur est établi à 152,51 EUR. Le total de l’actif moyen d’une entreprise s’élève à 26 464,93 EUR, tandis qu’une entreprise compte en moyenne 26 travailleurs. Chaque entreprise emploie en moyenne 28,57 % de femmes, 34,86 % des travailleurs sont engagés sous le statut d’ouvrier, 2,61 % des travailleurs évoluent sous des contrats temporaires, et enfin, 32,47 % des travailleurs possèdent un diplôme de l’enseignement supérieur universitaire ou non universitaire et sont donc considérés comme des travailleurs hautement éduqués. Concernant la répartition sectorielle, le top trois des secteurs en termes de part des entreprises est constitué des secteurs du commerce de gros et de détail (36,25 %), des industries manufacturières (18,91 %) et du secteur des transports (8,10 %).

Tableau 1 – Statistiques descriptives des variables sélectionnées, 2004-2013

Variables

Moyenne

Écart-type

Valeur ajoutée par travailleur (€)

152,51

455,09

Valeur ajoutée par travailleur (ln)

4,58

0,74

Total de l’actif (€)

26 464,93

260 827,90

Total de l’actif (ln)

8,76

1,33

Nombre de travailleurs

25,58

21,53

Femmes (%)

28,57

26,95

Travailleurs temporaires (%)

2,61

8,36

Ouvriers (cols bleus, %)

34,86

35,94

Travailleurs hautement éduqués (%)a

32,47

35,67

Secteur (%)

Agriculture, sylviculture et pêche (A)

Industries extractives (B)

Industries manufacturière (C)

Production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné (D)

Production et distribution d’eau ; assainissement, gestion des déchets et dépollution (E)

Construction (F)

Commerce de gros et de détail ; réparation de véhicules automobiles et de motocycles (G)

Transports et entreposage (H)

Hébergement et restauration (I)

Information et communication (J)

Activités financières et d’assurance (K)

Activités immobilières (L)

Activités spécialisées, scientifiques et techniques (M)

Activités de services administratifs et de soutien (N)

Administration publique et défense ; sécurité sociale obligatoire (O)

Enseignement (P)

Santé humaine et action sociale (Q)

Arts, spectacles et activités récréatives (R)

Autres activités de services (S)

Activités des ménages en tant qu’employeurs ; activités indifférenciées des ménages en tant que producteurs de biens et services pour usage propre (T)

Activités des organismes extraterritoriaux (U)

0,51

0,40

18,91

0,27

0,00

7,75

36,25

8,10

0,75

4,30

2,90

2,15

7,79

3,70

0,14

1,35

3,42

0,57

0,73

0,01

0,00

Nombre d’observations entreprise-année

34 124

a Un travailleur est considéré comme hautement éduqués si il est détenteur d’un diplôme de l’enseignement supérieur universitaire ou non universitaire.

27Par ailleurs, la matrice des corrélations de Pearson des principales variables du modèle, présentées au tableau 2 (sous la diagonale), montre une plus forte corrélation (négative) entre les variables ouvrier et femmes (corrélation de -0,4371) ainsi qu’entre les variables ouvrier et haute éducation (corrélation de -0,5370). De même, la matrice des corrélations de Spearman présentées au tableau 2 (au-dessus de la diagonale), permettant un test non paramétrique accordant moins de poids à de potentielles valeurs extrêmes dans notre échantillon, confirme que les corrélations entre les variables restent cependant inférieures au seuil de 0,6. Nous pouvons ainsi ne pas considérer de risque de multicolinéarité dans notre modèle, suggérant des catégories mutuellement exclusives et donc indépendantes. De plus, un examen plus fin du lien existant entre les variables via une analyse des VIFs (Variance Inflation Factors) présentée à la dernière colonne du tableau 2 confirme l’absence de multicolinéarité entre les variables choisies.

Tableau 2 – MATRICES DES CORRELATIONS DE PEARSON \ SPEARMAN ET VIFs

Valeur ajoutée (kEUR)

Femmes (%)

Haute éducation (%)

CDD (%)

Ouvrier (%)

Total de l’actif (kEUR)

VIF

Valeur ajoutée (kEUR)

1,000

0,0632

0,2138

-0,1588

-0,3179

0,3622

1,28

Femmes (%)

0,0452

1,000

0,2393

0,0714

-0,4444

0,1013

1,27

Haute éducation (%)

0,0779

0,2060

1,000

-0,0466

-0,4959

0,1238

1,49

CDD (%)

0,0080

-0,0766

0,0646

1,000

0,1159

0,0531

1,02

Ouvrier (%)

-0,0868

-0,4371

-0,5370

0,0455

1,000

-0,0113

1,81

Total de l’actif (kEUR)

0,0859

0,0240

0,0240

-0,0066

-0,0453

1,000

1,19

Moy : 1,34

4. Résultats de l’étude

4.1 Relation globale

28Les résultats présentés à la seconde colonne du tableau 3 montrent que la performance de l’entreprise retardée d’une année a un effet positif et significatif sur sa valeur actuelle. Autrement dit, une entreprise plus performante dans le passé a de grandes chances d’être plus performante cette année également. Concernant nos variables d’intérêt, nos résultats montrent qu’augmenter la part des femmes semble avoir un impact négatif sur la performance, alors que le niveau de capital humain des travailleurs semble avoir un effet positif sur la performance économique de l’entreprise. Cependant, comme mentionné précédemment, l’estimateur MCO souffre de nombreux biais comme les biais d’hétérogénéité et d’endogénéité. Pour contrer ces divers biais, nous ré-estimons l’équation (1) au moyen de l’estimateur développé par Hausman et Taylor (1981). Les résultats présentés à la troisième colonne du tableau 3 suggèrent que la diversité de genre ainsi que l’investissement en capital humain exercent un impact positif sur la performance économique. Plus précisément, une augmentation de 1 % du nombre de travailleurs hautement éduqués (i.e., possédant des compétences équivalentes à un niveau supérieur universitaire ou non universitaire) a pour effet d’augmenter la performance économique de 0,081 % tandis qu’une augmentation du nombre de femmes d’1 % conduit à une hausse de 0,042 % de la performance économique.

29En termes de genre, cela confirme, en lien avec les études existantes sur la thématique (Carter et al., 2003 ; Lee et Farh, 2004 ; Kramer et al., 2006 ; ou plus récemment Charles et al., 2018 et Kelemen et al., 2020), que prôner une plus grande diversité de genre (notre moyenne de l’échantillon s’établissant à 28,57 % de travailleurs féminins) aurait pour effet de booster la performance économique de l’entreprise étant donnée l’hétérogénéité des valeurs ainsi créées, mais aussi par le supplément de créativité que ce type de travailleurs est capable d’apporter. En termes de niveau de capital humain, la théorie principale de Becker (1964) mais aussi les études récentes en matière d’influence du niveau d’éducation, ou du capital humain au sens large, sur la performance économique (Mahy et al., 2015 ; Kiai et al., 2019) et prônant un gain de performance apporté par le supplément de compétences issu des investissements en éducation et formation est aussi confirmé. Au regard de nos hypothèses de recherche, ces premiers résultats semblent donc valider, pour notre estimateur le plus abouti, nos hypothèses H1 et H1 bis suggérant un impact positif du niveau de capital humain (H1) et de la diversité de genre (H1 bis) sur la performance économique de l’entreprise.

Tableau 3 – Caractéristiques du travailleur et de l’entreprise et performance économique – Spécification globale (Estimateurs OLS et HT, 2004-2013)

Variable dépendante

Valeur ajoutée par travailleur (ln)

OLS

HT

Valeur ajoutée par travailleur

(décalée d’une année, en ln)

0,829***

(0,005)

0,198***

(0,005)

Travailleurs femmes

(en pourcentage)

-0,027**

(0,011)

0,042**

(0,021)

Travailleurs hautement éduquésa

(en pourcentage)

0,032***

(0,008)

0,081***

(0,011)

Variables de contrôleb

OUI

OUI

Secteurs industriels (20)

OUI

OUI

Binaires annuelles (09)

OUI

OUI

R-carré ajusté

0,791

Sig. modèle (p-value)

0,000

0,000

Nombre d’observations entreprise-année

34 124

34 124

Note : Les écarts-types standards sont reportés entre parenthèses.

(***, **, *) : Significatif à 1 %, 5 % and 10 %, respectivement.

a Un travailleur est considéré comme hautement éduqués si il est détenteur d’un diplôme de l’enseignement supérieur universitaire ou non universitaire.

b Sont reprises dans les variables de contrôle : le pourcentage de travailleurs temporaires, le pourcentage de travailleurs en cols bleus (ouvriers), et la taille de l’entreprise (logarithme du total de l’actif)

4.2 Prise en compte du risque de faillite

  • 8 Les statistiques descriptives de ces deux sous-échantillons ainsi formés, présentées à l’Annexe 1, (...)

30L’objectif principal de notre étude est de déterminer si la relation entre diversité de genre et performance économique d’une part, capital humain et performance économique d’autre part, se trouve modifiée dans le cas où une entreprise évoluerait dans un environnement à haut risque de faillite. Nous estimons dans un second temps de quelle manière un environnement qualifié de « à haut risque de faillite » peut jouer un rôle sur l’influence des variables explicatives sur la performance. Pour ce faire, nous avons subdivisé notre échantillon d’entreprises en deux sous-échantillons en fonction de l’indicateur de risque identifié à la section 3.2. L’un est formé des entreprises moins sujettes au risque de faillite et regroupant la majeure part de notre échantillon d’entreprises (33 538 entreprises, soit 98,28 % de l’échantillon), l’autre regroupe les entreprises plus fortement sujettes au risque de faillite (soit les 586 entreprises restantes), et nous avons répété la procédure d’estimation préalablement établie8.

Tableau 4 – Caractéristiques du travailleur et de l’entreprise et performance économique – Environnement risqué (Estimateur Hausman-Taylor, 2004-2013)

Variable dépendante

Valeur ajoutée par travailleur (ln)

Environnement moins risqué

Environnement risqué

Valeur ajoutée par travailleur

(décalée d’une année, en ln)

0,197***

(0,005)

0,242***

(0,036)

Travailleurs femmes

(en pourcentage)

-0,044**

(0,021)

0,354**

(0,181)

Travailleurs hautement éduquésa

(en pourcentage)

0,083***

(0,011)

0,197***

(0,068)

Variables de contrôleb

OUI

OUI

Secteurs industriels (20)

OUI

OUI

Binaires annuelles (09)

OUI

OUI

Sig. modèle (p-value)

0,000

0,000

Nombre d’observations entreprise-année

33 538

586

Note : Les écarts-types standards sont reportés entre parenthèses.

(***, **, *) : Significatif à 1 %, 5 % and 10 %, respectivement.

a Un travailleur est considéré comme hautement éduqués si il est détenteur d’un diplôme de l’enseignement supérieur universitaire ou non universitaire.

b Sont reprises dans les variables de contrôle : le pourcentage de travailleurs temporaires, le pourcentage de travailleurs en cols bleus (ouvriers), et la taille de l’entreprise (logarithme du total de l’actif)

  • 9 Au vu des différents biais que présente l’estimateur MCO, seuls les résultats concernant la méthode (...)
  • 10 Notons que des tests de comparaison de moyennes ont été réalisés. Ces résultats, disponibles à la d (...)

31Concernant l’estimateur HT9, les résultats présentés aux deuxième et troisième colonnes du tableau 4 montrent des différences significatives en fonction de l’appartenance de l’entreprise à un environnement à haut risque de faillite. Ainsi, lorsque l’on compare les deux séries de coefficients10, les résultats montrent que l’impact d’une augmentation de 1 % de la part des femmes a pour effet de réduire la performance économique de 0,044 % dans les entreprises évoluant dans un environnement moins risqué, alors que l’on estime un impact positif de 0,354 % dans les entreprises plus sujettes au risque de faillite. Concernant l’impact des travailleurs hautement éduqués, il apparaît que l’impact positif d’une augmentation de 1 % de leur part est plus important dans des entreprises évoluant dans un environnement plus risqué (0,197 %) que dans des entreprises moins sujettes au risque de faillite (0,083 %).

32Nos résultats démontrent donc une plus grande capacité des travailleurs féminins et hautement éduqués à élever la performance de l’entreprise en milieu risqué, pouvant favoriser in fine sa sauvegarde et ainsi l’aider à échapper au phénomène de faillite, plus présent dans ce type d’environnement. Au point de vue de nos hypothèses de recherche, ces résultats spécifiques à l’influence d’un environnement risqué semblent valider nos hypothèses d’influence plus importante sur la performance économique des facteurs capital humain et diversité de genre, respectivement nos hypothèses H2 et H2 bis.

33Ces résultats plaident en faveur d’une plus grande part de travailleurs féminins et hautement éduqués dans ce type d’environnements risqués et trouvent un appui dans la littérature, puisque ces travailleurs posséderaient certaines caractéristiques particulières comme une plus grande adaptabilité et une plus grande capacité d’innovation ou encore un plus haut degré de créativité leur permettant d’améliorer leur performance en entreprise (Nelson et Phelps, 1966 ; Lee et Farh, 2004). Ils nous permettent de surcroit de comprendre comment ces types de travailleurs peuvent aider l’entreprise, qui peut notamment orienter ses politiques d’embauches en situation de risque de faillite, de manière à augmenter sa performance économique, sa valeur sur le marché, et donc améliorer sa situation au regard du risque de faillite. 

5. Conclusion et discussion

34La faillite est un phénomène qui touche de plus en plus d’entreprises en Belgique, en Europe et dans le monde de manière générale. Si de nombreuses recherches ont été menées pour prédire la faillite ex post, peu à notre connaissance ont tenté de déterminer les moyens de prévenir ce phénomène, avant qu’il ne se produise. Dès lors, l’objectif de cet article est de déterminer si les variables de capital humain et de diversité de genre peuvent influencer la performance de l’entreprise. Il fournit également les premières mises en évidence d’un impact différencié de ces variables en fonction de l’environnement dans lequel l’entreprise évolue, environnement étant défini comme à haut risque de faillite ou non. 

35Pour tenter de répondre à cette question, nous nous sommes appuyés sur une base de données d’entreprises belges en panel et couvrant la période 2004-2013, et avons estimé une équation de productivité agrégée au niveau de l’entreprise via l’utilisation de la valeur ajoutée par travailleur comme variable dépendante. Enfin, pour définir notre environnement à haut risque de faillite, nous nous sommes basés sur les ratios financiers utilisés traditionnellement pour prédire la faillite, et avons élaboré notre indicateur de risque de faillite comme une mauvaise position sur chacun des cinq types de ratios (liquidité, rentabilité, structure, valeur ajoutée et enfin, solvabilité).

36Nos principaux résultats, contrôlant pour de nombreuses caractéristiques de la main d’œuvre et de l’entreprise et robustes à l’hétérogénéité et à l’endogénéité, montrent que le risque de faillite joue un rôle important en matière d’influence des variables de capital humain et de diversité de genre sur la performance. Ainsi, nos résultats globaux démontrent tout d’abord que favoriser la diversité de genre en entreprise et l’embauche de travailleurs hautement éduqués permet d’augmenter la productivité de l’entreprise. Ces résultats corroborent les études existantes en termes de diversité de genre (Lee et Farh, 2004 ; Campbell et Mínguez-Vera, 2008 ; Charles et al., 2018) et de capital humain (Forbes et al., 2010 ; Konings et Vanormelingen, 2015).

37Ensuite, la contribution majeure de cet article réside dans son analyse de l’influence du risque de faillite sur ces relations, analyse n’ayant à notre connaissance jamais été conduite au moyen d’un outil de ségrégation des entreprises se référant à la structure financière et comptable de celles-ci. Lorsque nous réalisons notre analyse en fonction du contexte de faillite, nos résultats ont montré que les impacts positifs d’une augmentation de la part des femmes ou des travailleurs hautement éduqués sont plus importants lorsque l’entreprise se trouve en situation de risque de faillite élevé. Il semblerait donc que le recours à ce type de main d’œuvre permettrait à une entreprise en difficulté d’augmenter sa valeur ajoutée, sa performance, avec pour espoir de rétablir sa situation économique sur le marché.

38Les implications managériales de cette étude sont multiples. Il apparaît tout d’abord qu’investir en capital humain et promouvoir une diversité de genre plus optimale ne peut qu’être bénéfique pour l’entreprise. Nos résultats semble également montrer, si l’on considère qu’une entreprise en situation de haut risque de faillite devra chercher à maximiser sa valeur sur le marché, et donc sa performance économique de manière à espérer éviter une dégradation de sa situation pouvant in fine la conduire à la faillite, qu’il serait tout particulièrement opportun de s’appuyer sur un main d’œuvre hautement qualifiée mais également sur la recherche d’un équilibre hommes/femmes, tirant ainsi profit des capacités d’innovation et d’adaptation propres à ces deux catégories de travailleurs. Ces constats en faveur d’un meilleur équilibre hommes/femmes et d’un investissement en capital humain sont d’ailleurs en ligne avec les débats politiques et publiques actuels en Belgique.

39En termes de diversité de genre, de nombreuses législations en la matière ont notamment vu le jour et touchent tant la sphère publique que privée, comme par exemple la Loi Quota du 28 juillet 2011 stipulant qu’au moins un tiers des membres des conseils d’administration des entreprises cotées doivent être de sexe différent de celui des autres membres (Moniteur belge, 2011). En politique également, la Belgique a adopté des lois fixant des quotas de plus en plus ambitieux au sein des parlementaires, avec pour impulsion la Loi Smet-Tobback du 24 mai 1994 (Moniteur belge, 1994) imposant au moins un tiers de candidats du sexe sous-représenté sur les listes électorales. La situation semble donc s’améliorer en faveur d’une meilleure diversité de genre, et des pistes sont d’ailleurs en cours de négociation pour notamment favoriser une parité au sein des universités où seulement 10 % des professeurs d’universités belges seraient des femmes (OCDE, 2015). Cependant, ce constat doit être nuancé car il ne faudrait pas que le fait d’être une femme devienne un critère de sélection à l’embauche en lieu et place des compétences et connaissances.

40En termes de capital humain, il est également intéressant de noter que favoriser une hausse des niveaux moyens d’éducation n’est pas une mesure inconnue du contexte belge. Ainsi, le Pacte d’Excellence instauré en 2015 (Fédération Wallonie Bruxelles, 2015) a pour objectif de favoriser une hausse générale des niveaux d’éducation, mais également de favoriser l’excellence en matière d’éducation, qui se doit d’être en lien avec les besoins du monde professionnel. De tels résultats, plaidant en faveur d’un rehaussement constant des niveaux d’éducation, ne font donc que confirmer le bienfondé, tant pour le travailleur que pour l’entreprise, de telles mesures. Cependant, ce dernier constat mériterait également d’être nuancé, ou à tout le moins une certaine prudence doit être de mise lors de l’établissement de telles mesures. Nous pouvons en effet nous poser la question de la discrimination envers les travailleurs moins éduqués que peut apporter ce type de mesures. Les demandeurs d’emploi possédant des niveaux d’éducation plus faibles pourraient souffrir de l’émergence de tels résultats. Une attention particulière doit donc être apportée à ces travailleurs, via notamment les cellules de reconversion ou tout autre organisme de formation, afin de leur permettre d’éviter cette potentielle discrimination à l’embauche en leur offrant des compétences supplémentaires, utiles aux entreprises de manière générale, celles en difficulté d’autant plus. L’accompagnement des travailleurs jouera de ce fait un rôle clé de la réussite de ces mesures d’éducation.

41Notre étude souffre finalement de certaines limites. Ainsi, par exemple, nous utilisons la valeur ajoutée comme mesure de performance économique, et inférons une amélioration de cette performance économique à une plus grande chance de survie. Cependant, d’autres facteurs peuvent interférer dans la relation, et il aurait été intéressant, s’ils avaient été disponibles dans notre base de données, de les prendre en compte. Il faut donc être prudent dans l’interprétation qui peut être faite des résultats. De plus, même si notre échantillon est représentatif du panorama belge, il faut garder à l’esprit que, si de tels leviers peuvent effectivement aider les entreprises de manière générale, une analyse au cas par cas demeurera le meilleur modèle de prévision.

42Enfin, en termes de perspectives futures, cette étude ouvre la porte à d’autres investigations. Ainsi, il serait intéressant de confronter nos résultats avec d’autres pays limitrophes afin de voir si un levier identifié pour un pays peut, dans une optique de politique commune, être généralisé à un groupe de pays. Aussi, il pourrait être intéressant de réitérer notre analyse dans un futur proche afin de déterminer si les risques liés notamment à la discrimination à l’embauche des travailleurs possédant un niveau d’éducation moins élevé se matérialisent ou si les entreprises et les politiques en place parviennent à pallier ce risque.

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Notes

1 Comme le souligne Marchesnay (1991), il n’y a pas « la » PME mais il existe une grande diversité de types de PME. De ce fait, les définitions quantitatives de celles-ci peuvent varier d’un pays à l’autre. Par exemple, pour des pays tels que la France (jusqu’en 2008), l’Allemagne ou les États-Unis, une entreprise sera considérée comme une PME tant qu’elle ne dépasse pas plus de 500 travailleurs (Filion, 2007). La définition européenne (Commission européenne, 2006, p.1) quant à elle souligne que « la catégorisation des PME est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan n’excède pas 43 millions d’euros ». La définition belge de la PME, utilisée dans le cadre du présent article, se trouve être plus restrictive et définit une PME comme une entreprise dotée de la personnalité juridique qui, durant son dernier et avant-dernier exercice comptable clôturé, ne dépasse pas plus d’un de ces critères : (i) moyenne annuelle du nombre de travailleurs occupés : 50, (ii) chiffre d’affaires (hors TVA) : 7 300 000 EUR, et (iii) total du bilan : 3 650 000 EUR, le tout étant conditionnel à une moyenne du personnel occupé ne pouvant dépasser 100 travailleurs.

2 Correspondant à la différence entre la valeur totale de la production et la valeur totale des consommations intermédiaires qu'a exigée cette production

3 Comme les salaires ou la satisfaction au travail, l’hypothèse sous-jacente à ces mesures étant qu’un salaire supérieur implique une performance plus élevée de la part des travailleurs dans le premier cas, et qu’un travailleur satisfait sera plus performant dans le second.

4 Il existe évidemment d’autres facteurs influençant la valeur de marché, la performance d’une entreprise (le capital investi par exemple ou encore le secteur d’activités, Ngobo et Stephany, 2001). Cependant, cette étude se focalise sur les facteurs propres à la composition de la main d’œuvre de l’entreprise pouvant influencer sa performance.

5 En effet, la littérature a pu démontrer que le statut des travailleurs (i.e. ouvriers vs employés) pouvait avoir un impact sur la valeur ajoutée de l’entreprise (Mahy et al., 2018), de même que le statut temporaire (Giuliano et al., 2017), la taille de l’entreprise (Leroy, 2001) ou encore le secteur industriel (Leclair et Roux, 2007 ; Giuliano et al., 2017).

6 Ces figures nous permettent donc une représentation visuelle de la dispersion des entreprises en fonction de chacun des ratios étudiés. Le groupe d’entreprises considéré comme à haut risque de faillite est formé des 25 % d’entre elles situées sous la démarcation de chaque figure.

7 La méthode des moments généralisés (GMM) permet également de contrôler pour le biais d’endogénéité. Cependant, cette méthode s’avère être de plus en plus souvent critiquée dans la littérature comme étant une méthode de type « boîte noire » aux contours parfois obscurs.

8 Les statistiques descriptives de ces deux sous-échantillons ainsi formés, présentées à l’Annexe 1, montrent en termes de caractéristiques de la main d’œuvre que, bien que l’échantillon risqué présente en moyenne des proportions légèrement plus importantes de travailleurs féminins, hautement éduqués et temporaires d’une part, et légèrement moins importante de travailleurs ouvriers d’autre part, ces deux sous-échantillons peuvent être considérés comme comparables en termes de caractéristiques principales de la main-d’œuvre.

9 Au vu des différents biais que présente l’estimateur MCO, seuls les résultats concernant la méthode HT sont présentés ici. Ceux concernant l’estimateur MCO sont cependant disponibles à la demande.

10 Notons que des tests de comparaison de moyennes ont été réalisés. Ces résultats, disponibles à la demande, suggèrent que les coefficients sont statistiquement différents les uns des autres.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Loredana Cultrera, Romina Giuliano et Guillaume Vermeylen, « Capital humain, pratiques de diversité et performance économique : le risque de faillite des entreprises interagit-il ? »Finance Contrôle Stratégie [En ligne], 23-4 | 2020, mis en ligne le 02 décembre 2020, consulté le 17 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/fcs/6487 ; DOI : https://doi.org/10.4000/fcs.6487

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Auteurs

Loredana Cultrera

Warocqué School of Business and Economics, University of Mons, Belgium humanOrg Research Center

Romina Giuliano

Warocqué School of Business and Economics, University of Mons, Belgium humanOrg Research Center

Guillaume Vermeylen

Warocqué School of Business and Economics, University of Mons, Belgium humanOrg, DULBEA and CEB Research Centers

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Droits d’auteur

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