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Notes de lecture

Luc Debraine et Olivier Lugon dir., Photographie et Horlogerie

Golion, Infolio éditions, 2022, 154 pages
Julie Meyer
Référence(s) :

Luc Debraine et Olivier Lugon dir., Photographie et Horlogerie, Golion, Infolio éditions, 2022, 154 pages

Texte intégral

1L’ouvrage collectif co-dirigé par le conservateur Luc Debraine et l’historien de la photographie Olivier Lugon est publié à l’occasion de l’exposition éponyme tenue au Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey. Il est le résultat de recherches menées en 2020 dans le cadre d’un séminaire associant des étudiants en histoire et esthétique du cinéma et en histoire de l’art de l’Université de Lausanne et du Centre des Sciences historiques de la culture. Enrichi de nombreuses illustrations, de schémas techniques, de vues en éclaté et d’affiches publicitaires, il vise à retracer les relations qui existent entre l’appareil photographique et l’horloge, tous deux considérés comme des machines centrales dans la modernité occidentale, révélatrices du besoin de contrôler l’espace et le temps d’une société qui va de plus en plus vite.

2Le livre s’ouvre sur la reproduction d’un daguerréotype exécuté par un opérateur anonyme. L’image donne à voir un homme et une petite fille qui se tiennent devant le mur d’horloges d’un commerce de montres à gousset. Cette vue, placée en introduction du livre, révèle le lien entre l’art du temps et la mesure de celui-ci. Le philosophe et sémiologue Roland Barthes est convoqué par les deux directeurs de l’ouvrage pour définir la photographie comme une « horloge à voir ».

3À travers une série d’études de cas, le livre retrace les innovations techniques apportées par les entreprises horlogères dans le domaine de la photographie ainsi que le rôle de l’image technique dans la commercialisation des montres. Les auteurs dessinent la branche helvétique de la généalogie des appareils en révélant son lien étroit avec l’industrie horlogère. Celle-ci a mobilisé sa technique de pointe pour s’engager dans des collaborations tout au long du xxe siècle. C’est en particulier la crise économique de 1929 qui l’a forcé à diversifier sa production. Parmi les nombreux secteurs d’activité, les manufactures participent au développement de l’armement, à la fabrication de pièces pour l’aviation et l’automobile ou s’engagent dans le domaine médical. Mais la photographie est peut-être le marché où le savoir-faire des horlogers a été mobilisé le plus brillamment. La convergence technologique des instruments que sont la montre et l’appareil photographique engage la Suisse dans des inventions marquantes qui auront des répercussions tout au long de l’histoire du médium.

4Une des innovations les plus importantes décrite par l’ouvrage est la miniaturisation des appareils. Les techniques de production des montres sont sollicitées par les ingénieurs pour réduire les pièces et développer ainsi des boîtiers de tailles de plus en plus réduites. La compagnie Compass Camera Ltd sollicite la manufacture LeCoultre & Cie pour réaliser un appareil photographique miniature. Fruit de cette collaboration, le Compass (1937) s’appuie sur le pouvoir symbolique de la branche horlogère suisse pour être vendu comme une montre. Il se présente comme un bijou technologique rivalisant avec la préciosité de la Rolex dans sa mécanique de précision. Du fait de sa portabilité, le Compass s’inscrit dans la volonté de rendre l’appareil photographique accessible aux amateurs, mais la complexité de son usage en fait un échec commercial.

5Le Steineck A-B-C (Arm/Band/Camera) est commercialisé à partir de 1948 et reprend le design de la montre bracelet pour proposer un usage clandestin. Les minuscules négatifs sont poinçonnés dans un film 35 mm et placés sur un disque rotatif. Après lui, l’appareil Tessina (1957), signé également par l’ingénieur Rudolph Steineck et fabriqué en Suisse, est le plus petit appareil reflex. Les affiches publicitaires le décrivent comme pouvant se dissimuler dans un paquet de cigarettes. Il se porte au poignet et sera employé par les services d’espionnage de la Stasi ainsi que dans l’affaire du Watergate en 1972. Mais les auteurs rappellent qu’il faudra attendre le Smartphone pour que soient associés les dispositifs de l’horloge et de la photographie en un même objet.

6Outre la description de l’apport horloger à la fabrication des appareils, l’ouvrage ouvre une parenthèse sur le rôle de la photographie dans les stratégies commerciales des montres suisses pendant l’entre-deux-guerres. En effet, le trio formé par l’homme d’affaire César de Trey, l’horloger Jacques-David Le Coultre et le photographe Gaston de Jongh a été un moteur dans les campagnes publicitaires des années 1930. Fondateur de l’agence de communication Spécialités horlogères SA, César de Trey s’entoure d’une équipe visionnaire et pressent l’aspect novateur de l’emploi de la photographie pour assurer la promotion des montres. Le photographe et théoricien Gaston de Jongh puise dans une esthétique inspirée par la Nouvelle Photographie marquée par des figures de référence comme Edward Steichen et Albert Renger-Patzsch. Il met en image les montres Reverso et Ermeto ainsi que le projecteur Paillard Bolex bifilms. Cette collaboration permet à l’entreprise LeCoultre & Cie de traverser la crise économique en récoltant des bénéfices.

7L’ouvrage reprend son fil en étudiant un autre événement notable dans le développement de l’ingénierie des appareils photographiques : l’invention des retardateurs. Il retrace les différentes techniques mobilisées par les ingénieurs pour arriver à automatiser les prises de vue. Si les mèches à combustion existent depuis le xixe siècle avec les cerfs-volants photographiques d’Arthur Batut, c’est au xxe siècle que les inventeurs cherchent des moyens de retarder la prise de vue. Ils mettent en place des dispositifs à écoulement et parallèlement, développent des systèmes mécaniques. Qu’ils soient internes ou externes aux boîtiers, les déclencheurs automatiques permettent de contrôler le moment de la prise de vue mais aussi d’accéder à des temps de pose inférieurs à la seconde. Plusieurs horlogers helvétiques s’attèlent à concevoir ces pièces indispensables à la précision des appareils photographiques. Parmi eux, on compte Arnolg Hofrichter, Jacques Zurflüh et l’entreprise Müller & Vaucher (Recta).

8Empruntant ses rouages aux engrenages des montres, le déclenchement automatisé est aussi développé pour la fabrication de l’appareil photographique pour pigeons voyageurs breveté par Adrian Michel en 1936. Destiné à l’usage militaire, il a pour but de libérer le corps de l’opérateur du dispositif de prise de vue pour effectuer des repérages en temps de guerre. L’oiseau survolant le territoire à surveiller porte un dispositif produisant une photographie toutes les 30 ou 15 secondes, selon la version de l’appareil. Même si la production des minuscules boîtiers photographiques se réduit à une centaine d’exemplaires, la prouesse technique de la prise de vue automatisée est développée dans le cadre de la programmation pour la photographie aérienne. Préfigurant la photographie au drone, l’appareil photographique pour pigeons Michel déploie une vision du monde dont l’humain ne peut disposer.

9Dès son invention, la photographie a tenté de saisir la fugacité de l’instant qui passe. L’enjeu de l’horloge a été de mesurer le temps qui s’écoule. Il existe donc une homologie entre ces deux appareils clefs de la révolution industrielle. Depuis la chambre photographique de Nicéphore Niépce nécessitant un temps de pose de plusieurs heures, les inventeurs n’ont cessé de chercher à enregistrer des instants de plus en plus brefs, nécessitant une précision du déclenchement. Mais c’est l’image appliquée au sport qui a incité les innovations techniques permettant de réduire la durée de la prise de vue, en cherchant de nouvelles formes visuelles pour scinder les gestes des sportifs.

10De la chronophotographie utilisée par Eadweard Muybridge pour décomposer les mouvements d’un cheval au galop en 1878 jusqu’aux images instantanées réalisées par John C. Hemment en 1890 sur un hippodrome, l’ingénierie imagine des solutions technico-visuelles pour remédier à la difficulté de départager les compétiteurs. Avec l’invention du photofinish, ce n’est plus l’instant qui est capturé, mais la durée du passage de la ligne d’arrivée par des compétiteurs au coude à coude. Inspiré par les techniques de la photographie panoramique, le photofinish dilate le temps et l’espace pour inscrire les corps des sprinters sur une image unique, départageant les athlètes arrivés à des centièmes de seconde d’écart. Dans ce domaine de compétence, ce sont les entreprises horlogères Seiko, Omega et Longines qui se disputent la vedette. Malgré la déformation des corps et l’étirement spatial de la ligne d’arrivée, le photofinish est prisé pour son objectivité. L’image s’est substituée au chronomètre et est considérée par les arbitres sportifs comme une preuve où le temps de chaque coureur est inscrit visuellement sur une même photographie. Plus que jamais, l’image fait foi.

11Alors que plusieurs des appareils analysés dans les différents textes se sont révélés être des échecs commerciaux, ils ont néanmoins contribué au développement technique de la photographie. Le livre décrit bien le transfert de compétences de l’industrie horlogère suisse vers les innovations photographiques. On aurait cependant apprécié une conclusion en fin d’ouvrage afin d’ouvrir des perspectives sur la place ou l’absence de l’horlogerie dans les dispositifs numériques.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Julie Meyer, « Luc Debraine et Olivier Lugon dir., Photographie et Horlogerie »Focales [En ligne], 7 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/focales/2539 ; DOI : https://doi.org/10.4000/focales.2539

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