• 1 « Aurélie Pétrel, PVL », commissariat Étienne Hatt, galerie Ceysson & Bénétière, Paris, 5 juin - 24 (...)
• 2 Étienne Hatt, texte de présentation de l'exposition : < https://www.ceyssonbenetiere.com/fr/exhibit (...)
• 3 Aurélie Pétrel, Images jachères, meuble métallique également présenté lors de l'exposition.
• 4 « Le travail d'Aurélie Pétrel porte précisément sur une remise en jeu de la prise de vue dans un co (...)

1La récente exposition d'Aurélie Pétrel à la galerie Ceysson & Bénétière1 avait ceci de désarçonnant, pour qui connaît le travail de l'artiste, qu'elle présentait les Prises de vue latentes (PVL) dans leur état premier, avant les transformations dont elles font habituellement l'objet, et qui forment le cœur du processus de réactivation adopté par Pétrel depuis une vingtaine d'années. Il s'agissait en effet de montrer les PVL « pour elles-mêmes » comme l'écrit Étienne Hatt ‒ dont il faut saluer la pertinence du geste curatorial ‒ et de produire une « exposition de photographies. Ni plus ni moins2 », en accrochant aux murs les tirages qui reposent habituellement dans leur meuble de stockage3 dans l'attente d'un redéploiement éventuel. Autrement dit, de faire d'une « étape préliminaire nécessaire4 », pour reprendre les mots d'Audrey Illouz, l'aboutissement de l'œuvre. La chose peut paraître paradoxale, mais il aura fallu tout ce temps pour que le travail photographique de Pétrel s'offre à nous sous cette forme « brute », classiquement photographique pourrait-on dire, ouvrant par là-même la possibilité d'une analyse des images au plus près, sans que les opérations de transfert, de découpe et/ou de spatialisation dans lesquelles l'artiste excelle, ne viennent détourner l'attention portée à ce que les PVL, tout simplement, représentent.

• 5 On peut penser aux natures mortes inversées telles que les décrit Victor I. Stoichita (Victor I. St (...)

4Cette manière de faire saillir certains éléments, depuis le fond de l'image jusqu'à son premier plan, est un procédé récurrent chez Pétrel. Dans plusieurs des PVL, les découpes visuelles des fenêtres ou autres ouvertures produisent ce renversement notable : plutôt que d'être (seulement) perçues comme des trouées, elles s'ajoutent à l'espace de représentation comme un tableau accroché au mur, laissant penser à un agencement prémédité ou à une signification cachée, à la manière dont certains peintres jouent volontairement sur l’ambiguïté de l'insert5. Plus précisément encore, elles font basculer l'image vers un degré de généralité inédit, qui l'arrache à son contexte (c'est ainsi que l'on passe de telle chambre ou de tel édifice d'un quartier de Tokyo aux concepts de cellule ou de maquette).

• 6 Il s'agit de l'atelier de Michiyo Durt-Morimoto, à Shioya, au Japon.

5Dans la « Prise de vue latente #0051 », les étendues de mer et de ciel qui se détachent à travers les baies de l'atelier d'une vitraliste6 plongé dans le noir, trouvent un écho dans la partie opposée de l'image, où apparaissent de petits rectangles de couleurs juxtaposés, qui ne sont autres que les éléments monochromes d'un saisissant nuancier de verre. Là encore, l'organisation de l'espace produit des effets et des sauts interprétatifs, faisant du nuancier de couleurs une sorte de pendant matriciel du paysage, et de chaque vue l'échantillon possible d'une vaste palette photographique, dans un jeu de mise en abîme cher à l'artiste. Une telle correspondance trouble indéniablement l'approche documentaire, car elle offre au réel tout un potentiel fictionnel qui s'installe progressivement dans l'image. Le morceau d'escalier surgissant du noir de l'atelier, qui se tient devant nous telle une sculpture indéchiffrable, propose un exemple analogue. Il n'y a pas de mise en scène chez Pétrel, pas de composition intentionnelle, et pourtant chaque chose semble répondre à une logique secrète qui la lie aux autres dans l'image.

• 7 Howard S. Becker, Les Mondes de l'art, 1982, Paris, Flammarion, 2010.

6Ce qui est vrai pour les objets, les éléments d'architecture et toutes les images incluses dans l'image, l'est aussi pour les corps. Pétrel parvient dans le même temps à restituer des actions précises et à leur conférer un aspect scénographié qui rend indistincte la frontière entre document et fiction. « Prise de vue latente #0012 », par exemple, correspond à une séance en extérieur, lors de la résidence de l'artiste à Shanghai en 2010, alors que des hommes et des femmes réceptionnent des œuvres destinées aux galeries du quartier de Moganshan. Fidèle à une pratique qui tend à suivre l'ensemble de la chaîne de production de l'art, avec un regard porté sur ses coulisses et ses temps intermédiaires, Pétrel photographie l'activité d'un ancien quartier industriel reconverti en lieu pour marchands d'art, quelques mois avant l'ouverture de l'Exposition universelle de Shanghai. L'image, en ce sens, relève d'une démarche photographique qui n'est pas indifférente aux « mondes de l'art » décrits par Howard Becker7, et notamment à leurs dimensions économiques et géopolitiques.

• 8 L'exemple le plus frappant, à cet égard, est sans doute celui de la fameuse photographie de presse (...)

7Pour autant, elle est aussi bien plus et autre chose que cela, et cette impression tient essentiellement au sentiment (erroné) de composition qui se dégage de la scène. Qu'il s'agisse des personnes accompagnant le déchargement, bras tendus vers le grand caisson de bois autour duquel s'organisent les mouvements, ou de l'espace délimité par les larges bandes bleues du mur, le camion ouvert ou les cartons au sol, chaque détail et chaque geste paraissent obéir à une forme d'arrangement quasi-chorégraphique. En soi, le phénomène perceptif n'est pas nouveau ; c'est l'une des qualités premières de l'acte photographique que de saisir et de fixer des figures, jouant de façon plus ou moins prégnante sur des rapports d'équilibre et de tension avec le fond et les éléments alentour. Mais il y a ici une ambiguïté particulière, qui tient à la perception des individus en tant qu'ensemble : leurs silhouettes déclinées et concentrées autour de la caisse de transport produisent une fresque visuelle que l'on croirait décidée au millimètre près. C'est en cela peut-être que l'on pourrait parler de « tableau », non pas au sens de la « forme-tableau » telle que définie par Jean-François Chevrier, mais au sens historique d'une rémanence de certains motifs représentés au cours des siècles par les sculpteurs et les peintres, et plus largement par tous les arts du geste, et qui semblent se rejouer presque anachroniquement dans l'image photographique par les emplacements de mains et les postures de corps8.

• 9 Séance de prises de vue dans les fonds des collections Multiples et FMRA au Centre national édition (...)
• 10 Séance de prises de vue dans les réserves de la collection du FRAC Centre-Val de Loire, carte blanc (...)

8Il se trouve que chez Pétrel, ce sont souvent les gestes visant à prendre soin des œuvres (emballer, déballer, déposer, déplacer, etc.) qui sont sources d'images. Le triptyque formé momentanément pour l'accrochage des PVL à la galerie Ceysson & Bénétière, suivant une vision des corps plus resserrée que dans l'exemple précédent, illustre autrement un tel attrait. Les deux premières images ont été faites au CNEAI=9, la troisième au FRAC Centre-Val de Loire10, à l'occasion de résidences successives. À chaque fois, l'artiste a choisi de photographier des œuvres depuis un point de vue interne aux lieux, à partir de son expérience des collections mais aussi en collaborant avec les équipes en place, et en les impliquant directement dans la prise de vue.

• 11 L'artiste a proposé à chacun des membres de l'équipe du FRAC de choisir une œuvre qu'il aimait, san (...)

9Les pièces photographiées au CNEAI=, à savoir une édition de Francis Alÿs et une autre de Christian Marclay, sont ainsi cadrées non pas isolément ou pendant l'exposition, mais dans les mains de personnes qui les présentent à l'objectif, tandis qu'au FRAC ce sont les bras du responsable du fonds qui sont saisis au travail, au moment décisif de la sortie de l'œuvre hors de sa boîte de conservation. Suivant des degrés divers, les trois œuvres choisies (par Pétrel pour le CNEAI=, par les salariés pour le FRAC11) se trouvent de ce fait plus ou moins dévoilées ou occultées par les gestes qui leur sont appliqués : pour l'une, c'est la transparence du papier entre les doigts d'une main qui laisse deviner un cliché caractéristique des marches d'Alÿs (encore une image dans l'image) ; pour l'autre, seuls les versos bleus des grandes cartes conçues par Marclay sont donnés voir, déplaçant l'attention vers les silhouettes et les mains qui les encadrent (un peu comme si l'on assistait à un curieux tour de magie) ; pour la dernière enfin, ce sont les gants blancs et les bandes tatouées des avant-bras de l'homme qui captent le regard, aux dépends de la pièce tenue entre ses mains (comme si c'était au fond les rayures noires qui faisaient œuvre). Sur la base de ce basculement de perception qui éclipse partiellement les objets d'art pour leur préférer une gestuelle et une corporéité environnantes, le rapprochement des trois photographies crée une circulation et une amplification des effets de sens, entremêlant la fascination exercée par les corps et l'envie du spectateur d'en savoir davantage sur les œuvres. L'imagination se voit dès lors puissamment mobilisée, produisant toutes sortes de projections face au langage silencieux des mains et des images. Sans aller jusqu'à la fiction proprement dite, une sensation d'irréalité émane des situations photographiées, qui transfigure aussi bien les œuvres que les corps qui les soulèvent ou les soutiennent.

• 12 Ce qu'Aurélie Pétrel appelle avec Fabien Vallos « l'épreuve de l'activation » : Aurélie Pétrel, Fab (...)

10Parmi les corps approchés par Pétrel, les « dormeurs » tiennent une place tout à fait particulière, en quelque sorte méta-photographique, dans le sens où l'état de sommeil dans lequel ils se trouvent rejoue à sa façon le principe de latence décidé par l'artiste. Un peu comme les passagers en transit dormant sur un banc à l'aéroport de Beijing, ses photographies sont, de fait, placées au repos, dans l'attente d'un réveil à venir12. Le sommeil est donc en toute logique un état auquel l'artiste est sensible, puisqu'il est proche de ses propres images mises en réserve, et parce qu'il est lui-même producteur d'images mentales.

• 13 Ibid., p. 55. « L'expérience de la consultation de centaines de tirages est avant tout une expérien (...)
• 14 Édouard Levé, « Rêves reconstitués », in Reconstitutions, Paris, Éditions Phileas Fogg, 2003.
• 15 L'on sait par ailleurs, comme le confirment les propos du duo qu'Aurélie Pétrel forme avec Vincent (...)

11Dans un tel contexte, et face à « l'expérience de l'épuisement13 » qu'induit la latence, les prises de vue d’Aurélie Pétrel doivent bénéficier d'une pause, laisser passer du temps (c'est pourquoi les légendes des PVL indiquent toujours deux dates, celle de la saisie et celle du tirage), pour qu'advienne une forme de dérive, un mouvement aléatoire de la mémoire proche de la mécanique des songes. D'ailleurs, l'atmosphère onirique qui se dégage parfois de certaines PVL, telles que celle du quartier de Moganshan précédemment évoquée, pourrait faire passer les images pour des reconstitutions de rêve (dans un même ordre d'idée, on pense aux tentatives d'Édouard Levé14 ou encore aux propos de Jeff Wall lorsqu'il dit « rêver » certaines situations observées avant de les mettre en scène15).

• 16 « Aurélie Pétrel questionne la mutation de l’image, son potentiel de fractalisation, non seulemen (...)

12On pourrait aussi faire un parallèle entre la géométrie variable des rêves, dans laquelle les espaces se modifient à loisir sans que cela paraisse incongru, et les choix photographiques « pluri-perceptifs16 » de Pétrel, qui adopte sciemment différentes distances et différents points de vue pour saisir ses dormeurs. À l'aéroport de Beijing, l'artiste s'est positionnée dans la continuité des bancs fleuris, dans la longueur de la zone d'embarquement, à distance et hauteur relatives des deux corps allongées. Ceux-ci se détachent du reste de l'image en raison de l'impression de petitesse produite par le point de vue, en particulier s'agissant du corps de l'homme sur lequel la mise au point a été faite, et dont la vue en raccourci paraît presque uccellesque. Les zones floues et colorées de la bordure végétale, créant une correspondance entre les fleurs et le pull rouge de la femme assoupie, conduisent également le regard vers ces corps dont la présence contraste avec la froideur du lieu. Figures insolites, comme hors du temps et presque intruses, elles sont le point de bascule qui contredit la neutralité informative de l'image.

• 17 Voir Aurélie Pétrel, Philippe Adam, Les Légumes verts, Lyon, Le bleu du ciel éditions, 2010.

14Si la pratique photographique de l'artiste relève d'abord de l'enquête et de l'enregistrement de situations données, son attrait pour la mise en scène n'en est pas moins important. En attestent notamment les « installations à protocole de réactivations » et les « pièces photo-scéniques » élaborées en collaboration avec le metteur en scène Vincent Roumagnac. De même, le caractère artificiel de certains objets du réel suscite son intérêt. Lors de l'exposition chez Ceysson & Bénétière, la présence dans un coin élevé de la galerie de quatre photographies de trompe-l’œil culinaires (figues, fraises, viande et œuf au plat) réalisées par l'artiste lors de déplacements en Asie17, pouvait être comprise comme l'insertion d'une forme de fiction décalée à l'intérieur d'un ensemble photographique de facture réaliste, l’ambiguïté visuelle des aliments de cire introduisant un doute quant à la véracité des images environnantes.

• 18 Philippe Dubois, « De l’image-trace à l’image-fiction », Études photographiques, 34 | Printemps 201 (...)
• 19 Jeff Wall, « The Destroyed Room », 1978, caisson lumineux, 159 x 234 cm.

15Ces photographies de faux plats n'étaient cependant pas les seules à venir troubler l'impression générale d'une pratique à visée documentaire ; la prise de vue de l'explosion d'une cuisine lors d'un tournage de cinéma en Belgique (« Prise de vue latente #0164 ») éclairait également les rapports établis par Pétrel entre fiction et document. Évitant soigneusement toute catégorisation photographique, l'artiste a plutôt recours à un principe de « vases communicants » entre mise en scène et expérience du réel. De fait, à l'intérieur du studio de cinéma – autrement dit d'un espace producteur de fictions – la déflagration, dont la puissance du souffle est parfaitement restituée à l'image, a bien eu lieu (ou « a bien été », pour parler en termes barthiens). Pas de séparation claire donc entre « image-trace » et « image-fiction » telles que définies par Philippe Dubois18, mais une imbrication de l'une dans l'autre, et inversement. Il est intéressant de relever à cet égard que le motif même de l'explosion, qui est aussi celui de la destruction (comment ne pas faire ici mention de l'œuvre inaugurale de Jeff Wall « The Destroyed Room19 »), rejoint tout un pan de la pratique de reportage de l'artiste, en particulier lorsque celle-ci s'est rendue à Fukushima après le séisme dévastateur de 2011, rapportant de son voyage des photographies d'architectures et d'infrastructures marquées par la catastrophe. Plusieurs de ces images exposées à la galerie ont ceci d'étonnant que, tout en remplissant pleinement leur fonction de témoignage et d'archivage du temps présent, elles offrent simultanément des caractéristiques formelles telles qu'une dimension quasi-fictionnelle semble les habiter.

• 20 Jacques Rancière, Le Travail des images. Conversations avec Andrea Soto Calderón, Dijon, Les presse (...)
• 21 Andrea Soto Calderòn, in ibid., p. 22.
• 22 Pieter Bruegel L'Ancien, « La Chute d'Icare », vers 1558 et « Chasseurs dans la neige », 1565. Si l (...)

17Un dernier cas mérite à ce propos d'être convoqué, qui n'est autre que celui de la toute première Prise de vue latente, œuvre inaugurale et programmatique qui a posé, dès sa présentation au sein de l'École Nationale des Beaux-Arts de Lyon en 2006, les fondements du « travail des images20 » de Pétrel en tant qu'« opérateurs de différence21 ». La scène se déroule au Canada, dans le petit village québecois de Tadoussac, site touristique réputé pour l'observation des bélugas. La blancheur du tapis de neige, de la maison située sur le côté et des flocons flottant dans l'air, occupe une large part de l'image ; sur ce fond aveuglant, se détachent un pick-up rouge et trois silhouettes emmitouflées, suivant une disposition énigmatique qui crée un ballet de corps en action, sans que des visages ou des intentions explicites ne soient lisibles. On trouve là déjà plusieurs des caractéristiques du style de Pétrel, qui se manifestent à la fois à travers les jeux de couleurs (la petite touche de rouge de la visière de l'homme à gauche qui rappelle le véhicule qui lui fait face, le blouson vert de l'individu qui s'éloigne, contrastant avec le noir et blanc de l'ensemble), la perte de repère et d'échelle (la difficulté à saisir les distances entre les personnes et les dimensions de la bâtisse avoisinante) et la chorégraphie des corps dans l'espace (la saillance des gestes, l'étrangeté des postures). Le cadrage lui-même contribue à construire un espace de représentation singulier, ne laissant aucune issue au regard du fait des fenêtres et portes closes et de l'horizon bouché. À force de circuler dans l'image en quête du moindre indice permettant de mieux comprendre ce à quoi il fait face, l'œil s'accoutume néanmoins et en vient à distinguer le tout petit mat d'un bateau en arrière-plan, indiquant la présence de l'eau à proximité. Là encore, la manière dont la scène semble volontairement composée alors qu'elle est prise sur le vif, connecte l'image à tout un potentiel fictionnel ou narratif (on pense par exemple à Bruegel, à La Chute d'Icare comme aux Chasseurs dans la neige22). Cela a déjà été dit, la photographie n'est ni une mise en scène ni la reconstitution d'une situation observée, mais elle rassemble suffisamment d'éléments évocateurs pour que le processus imaginatif s'y engouffre.

• 23 Si le contexte et le cadrage de la scène diffèrent, le caractère suspendu du mouvement des corps n' (...)
• 24 Andrea Soto Calderòn, in Jacques Rancière, Le Travail des images. Conversations avec Andrea Soto Ca (...)
• 25 Jacques Rancière, Les Bords de la fiction, Paris, Seuil, 2017.
• 26 Jonathan Crary, 24/7. Le Capitalisme à l'assaut du sommeil, Paris, La Découverte, « Zones », 2014, (...)

18Dans un mouvement symétriquement opposé à celui établi par la tradition du « Near Documentary », même si d'apparence l'écart est étonnamment réduit23, Pétrel construit finalement ce que l'on pourrait appeler une photographie « Near Fiction », où le concept clé de latence peut aussi s'appliquer aux images dans leur première version, de telle sorte que soient libérés leur devenir fictionnel, ou encore leur « puissance flottante24 ». Tout près de la fiction (« aux bords » de celle-ci dirait Rancière25), les photographies de l'artiste parviennent à aiguiser notre regard, à le rendre perméable aux images dans l'image, aux gestes énigmatiques qui accompagnent les mouvements des corps individuels et collectifs, et à la quiétude de celles et ceux qui dorment. Comme l'avance Jonathan Crary, « l'expérience moderne du sommeil inclut aussi […] l'intervalle qui précède le sommeil […]. Au cours de ce temps suspendu, on recouvre des capacités perceptives qui sont neutralisées ou négligées la journée. On récupère involontairement une sensitivité, une capacité à réagir à des sensations à la fois internes et externes dans une durée non quantifiée26 ». Il semble que c'est précisément à ce même état paradoxal de conscience, à la fois altérée et amplifiée, que conduisent magistralement les œuvres ni seulement documentaires, ni tout à fait fictionnelles, d'Aurélie Pétrel.