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Notes de lecture

Anne-Sophie Aguilar et Éléonore Challine dir., L’Enseigne. Une histoire visuelle et matérielle (xixe-xxe siècles)

Paris, Citadelles & Mazenod, 2020, 208 pages
Anne-Céline Callens
Référence(s) :

Anne-Sophie Aguilar et Éléonore Challine dir., L’Enseigne. Une histoire visuelle et matérielle (xixe-xxe siècles), Paris, Citadelles & Mazenod, 2020, 208 pages

Texte intégral

1L’enseigne est ce qui fait signe. À la fois indice de reconnaissance et marqueur temporel, elle constitue un miroir des mœurs, de l’esprit du temps et une trace des mutations socioprofessionnelles. Comme l’affiche, elle rythme l’espace urbain : avec elle, la ville s’apparente à un espace de lecture permanent. Malgré son importance pour la culture visuelle, elle demeure encore peu étudiée. Des recherches sur le sujet ont été amorcées pour la période contemporaine. Mais l’ouvrage dirigé par Anne-Sophie et Éléonore Chaline qui se focalise sur la seconde moitié du xixe siècle et la première moitié du xxe siècle, vient combler un manque. Durant cette période, les enseignes connaissent d’importantes mutations : les tableaux peints disparaissent progressivement au profit des noms de marques sous forme de lettres lumineuses.

2L’ouvrage de format 19 x 26 cm, agrémenté d’une couverture rigide, est de belle facture. Les deux cent huit pages qui le composent sont richement illustrées. Sur la couverture, le titre inscrit à la verticale en lettres capitales basculées sur un mors jaune qui contraste avec la photographie noir et blanc présente sur sa droite matérialise une enseigne illuminée dans la nuit. Les deux directrices de l’ouvrage retracent la double histoire de cet objet populaire : la surimpression d’enseignes lumineuses réalisée par François Kollar en 1931, qui apparaît en couverture, symbolise l’histoire visuelle tandis qu’une enseigne de coiffeur du xixe siècle faite de fer doré et d’une queue de crin noir, présentée en quatrième de couverture, en illustre l’histoire matérielle.

3Le livre s’ouvre sur la photographie « L’Éclipse » prise par Eugène Atget en 1912. Dans cette dernière, le regard est tout d’abord absorbé par la foule attirée par l’événement en cours, présente au premier plan ; on ne remarque qu’ensuite les immeubles agrémentés de nombreuses enseignes à l’arrière-plan. Si cette photographie illustre l’abondance de ces éléments de mobilier urbain, elle fait également prendre conscience du fait qu’ils sont devenus des objets du quotidien que l’on ne remarque plus. Face à la photographie d’Atget figure une affiche publicitaire pour les phares de la Bastille de la fin du xxe siècle sur laquelle apparaît cette fois-ci en bonne place ce grand magasin habillé de ses nombreuses enseignes. L’ouvrage reconstitue ainsi des investigations qui ont permis d’identifier des enseignes photographiées ou de retrouver des illustrations d’époque d’enseignes aujourd’hui conservées par les musées afin de les resituer dans leur contexte d’utilisation.

4Le livre est divisé en sept chapitres auxquels ont contribué onze auteurs ‒ historiens, historiens de l’art, de la photographie, du cinéma, des livres et des médias, du patrimoine et des musées, mais aussi conservateurs et restaurateurs ‒, cette diversité permettant une approche plurielle. Le texte de Laurent Cuvelier renseigne sur la réglementation de la signalétique liée à l’affichage des enseignes entre le xviie et le xxe siècle. Bertrand Tillier traite de la peinture d’enseignes, tantôt considérée comme une activité dégradée et tantôt reconnue pour sa proximité avec les arts. Jérémie Cerman aborde des liens que ces objets publicitaires ont entretenu avec l’Art nouveau et l’Art déco, ainsi que de leurs parentés avec les domaines de la décoration et de l’architecture moderne.

5Anne-Sophie Aguilar et Éléonore Challine retracent l’évolution et la professionnalisation de la fabrique de l’enseigne au cours du xixe siècle ; le passage de l’artisanat à l’industrie se combine à une course à l’innovation et à une diversification des corps de métiers impliqués. Une typologie des enseignes est également dressée : sculptées, en ferronnerie, peintes, sur calicot, parlantes, lumineuses, sous forme de statues et automates, lettres en bois, verre ou métal… Ces différents objets constituent un véritable laboratoire de formes propice aux représentations photographiques, cinématographiques (Christophe Gauthier et Marion Polirsztok), littéraires et picturales (Philippe Artières). Plusieurs focus plus resserrés ‒ sur l’enseigne de l’Orme de Saint‑Gervais, la collection d’enseignes du musée de l’Hospice Comtesse de Lille ou encore la salle des enseignes du musée Carnaval en 1914 (Marie-Laure Deschamps) ‒ cadencent également l’ouvrage.

6On s’intéressera plus particulièrement au chapitre VII, dédié aux « enseignes dans l’œil de l’objectif ». Prises sous l’angle de la documentation et de l’inventaire, ces images constituent des traces permettant d’écrire l’histoire de boutiques et enseignes disparues. Les premiers daguerréotypes de vues urbaines donnent ainsi à voir d’anciennes enseignes qui constituaient des éléments de mobilier urbain. Elles apparaissent également dans les photographies du Paris en chantier commandées à Charles Marville dans les années 1860. Dès la fin du xixe siècle, les enseignes s’autonomisent en tant que motifs et deviennent un sujet d’attention photographique. Les vues d’enseignes et devantures d’Eugène Atget et Charles Kansiaux manifestent une volonté de lutte contre la disparition, la photographie se faisant outil de conservation, trace, archive. En 1945, Georges Henri Rivière et Michèle Riquet initient une enquête dans le cadre de laquelle Pierre Soulier réalise une campagne photographique sur les décors des vieilles boutiques en voie d’extinction.

7Grâce aux innovations de prise de vue, l’enseigne devient objet de prouesses techniques. Le développement du magnésium et de la sensibilité des plaques de verre rend possible la photographie de nuit. Le photographe amateur Gabriel Loppé est le premier à relever le défi : il enregistre les enseignes lumineuses qui se développent à la fin du xixe siècle grâce à des temps de pose très longs combinés à l’éclairage des rues et des bâtiments. Léon Gimpel profite quant à lui du développement des autochromes pour réaliser des vues nocturnes en couleur dans les années 1920. Ces images constituent autant un objet de promotion du néon inventé par Georges Claude que du procédé photographique lui‑même.

8Avec la modernité, l’enseigne électrique devient prétexte à l’expression formelle. Les surimpressions prises par Man Ray, Roger Schall et François Kollar durant l’entre-deux-guerres constituent des explorations visuelles du motif et de la ville moderne en mouvement. Brassaï, Ilse Bing et Germaine Krull portent un regard nouveau sur ces objets ‒ motif isolé, photographié de nuit, à contre-jour, en plongée ou contre‑plongée… ‒ dans le but de déceler une part de féérie au sein de l’ordinaire. Certaines de ces images nourrissent la presse, en atteste le Figaro artistique illustré de mars 1931 consacré aux enseignes.

9Parmi toutes les représentations d’enseignes, les cartes postales ont particulièrement contribué à leur patrimonialisation. Claire Betelu aborde le rôle des musées dans la collecte, la conservation et la restauration de ces objets, mais aussi dans leur documentation. Pour Nathalie Cerezales, il y a là muséification : les enseignes quittent leur fonction publicitaire pour devenir objets de collection et d’exposition. Différents fonds d’enseignes sont aujourd’hui conservés dans les musées Le Secq des Tournelles, Carnavalet, des Arts et Traditions Populaires, des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, mais aussi dans des collections privées. L’enseigne autrefois photographiée est ainsi devenue objet d’art, d’histoire et d’ethnologie.

10Pour conclure, la richesse des exemples et de l’iconographie se croise à un propos clair et pertinent à même d’intéresser des lecteurs de tous bords. En conjuguant les approches, Anne‑Sophie Aguilar et Éléonore Challine font redécouvrir un objet ordinaire et parfois méprisé, dont la prise en compte est indispensable à la compréhension de l’histoire commerciale et visuelle.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne-Céline Callens, « Anne-Sophie Aguilar et Éléonore Challine dir., L’Enseigne. Une histoire visuelle et matérielle (xixe-xxe siècles) »Focales [En ligne], 6 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 23 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/focales/1484 ; DOI : https://doi.org/10.4000/focales.1484

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Auteur

Anne-Céline Callens

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