Photographie et publicité chez Jean Moral et Marcel Arthaud (années 1920-1940)
Résumés
Durant l’entre-deux-guerres, la photographie investit massivement la presse et la publicité. La période est à l’audace et il y a autant de types de pratique qu’il y a de photographes. Parmi eux, deux exemples marquants mais ô combien opposés : quand Jean Moral réemploie astucieusement ses clichés de vacances avec sa compagne et ses anciens reportages pour répondre aux commandes publicitaires, Marcel Arthaud multiplie les collaborations tout en s’impliquant dans la réflexion sur le médium et son application dans la publicité.
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Mots-clés :
publicité, mode, Paris, couleur, reproduction photomécanique, graphisme, presse, illustrationKeywords:
advertising, fashion, Paris, color, photomechanical reproduction, graphic design, press, drawingPlan
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1Les années 1920-1930 voient l’essor considérable de l’utilisation de la photographie dans de nombreux domaines. La presse, et en particulier les magazines, l’utilisent déjà bien volontiers depuis la fin du xixe siècle. Les « avantages » de la photographie pour la communication sont évidents : documenter ou illustrer, témoigner et partager un point de vue, pourquoi pas distiller un message. La maîtrise et la baisse des coûts de l’héliogravure modifient profondément la fabrication d’un magazine et la conception de sa mise en page. Une grande liberté devient possible pour la composition des doubles pages. Les magazines existants l’utilisent de plus en plus – L’Illustration – et d’autres nouvellement créés font reposer leur programme éditorial quasi exclusivement sur la photographie – Jazz, Vu, Marianne, etc.
- 1 Waldemar George, « Photographie, vision du monde », Arts et Métier Graphiques, n° 16, 15 mars 1930, (...)
- 2 Le fonds André Steiner est conservé par le musée Nicéphore Niépce, numéro d’inventaire MNN 2012.168
2Entre les deux guerres, la réclame, elle aussi, s’appuie de plus en plus sur la photographie. Dans le premier numéro d’Arts et Métiers Graphiques entièrement consacré au médium inventé par Nicéphore Niépce, Waldemar George écrit : « L’avenir immédiat de la publicité appartient à la photographie1 ». De fait, George constate l’évidence : la photographie placarde les murs, elle inonde les magazines, et même, parfois, elle s’expose. Et le métier de photographe change. L’accroissement du nombre de titres offre des débouchés nouveaux et crée des vocations. Le praticien de quartier n’est plus seul, les agences – Keystone, Rol – et les grands studios – comme Nadar ou Séeberger – non plus. De nombreux photographes indépendants émergent. Certains sont chassés d’Europe de l’Est par la montée des fascismes. Ils apportent un œil neuf, d’autres traditions visuelles, du matériel différent. Par exemple, le photographe d’origine hongroise André Steiner émigre dans un premier temps à Berlin, puis à Vienne où il devient l’assistant de Joseph Maria Eder et se voit confier un des premiers Leica, avant de s’installer à Paris2.
3Les collections du musée Nicéphore Niépce abritent les fonds de deux photographes de la période : Jean Moral, une figure de la photographie de mode de l’époque et Marcel Arthaud, graphiste-illustrateur-inventeur. Parmi les différents fonds de photographes conservés par le musée, ceux de Arthaud et Moral s’opposent en de nombreux points. Ils témoignent de la diversité des parcours des photographes de l’entre-deux-guerres, de la richesse des approches esthétiques et de leurs différences d’intérêts.
Jean Moral ou l’art du « recyclage3 »
- 3 Le fonds Jean Moral a été acquis en plusieurs fois par le musée Nicéphore Niépce (MNN 2015.72, MNN (...)
- 4 1906, Marchiennes - 1999, Montreux, Suisse.
4On sait peu de choses des vingt premières années de Jean Moral4, ni de ses études et de son parcours. Fils de Raymond Moral et de Pauline Laville, Jean Moral naît le 7 juin 1906 dans le nord de la France. Après le décès de son père durant la Première Guerre mondiale, il est déclaré pupille de la nation le 27 février 1920. Deux ans après son arrivée à Paris, il est recruté en 1927 comme dessinateur de publicité par le studio Ullmann, puis par le studio Tolmer en 1928 en tant que graphiste et dessinateur. Ce passage dans la maison Tolmer est capital. La maison familiale fermée depuis quinze ans a été reprise par Alfred Tolmer, maître-imprimeur et publiciste. Jean Moral y entre au moment où Tolmer déménage son atelier dans un bâtiment du xviie siècle, le prestigieux hôtel Le Charron au 15 quai de Bourbon sur l’île Saint-Louis.
5Les activités de Tolmer sont tournées vers les métiers du luxe – parfums, fourrures, automobiles, haute couture – et les grands magasins – Le Printemps, Le Bon Marché, Les Magasins du Louvre. Soucieux de diversifier son offre et de proposer les formes les plus innovantes – cartonnages, catalogues, publicités… –, Tolmer s’adjoint les services de la fine fleur de la jeunesse artistique de son temps. La photographie a toute sa place dans son dispositif et Jean Moral va côtoyer des photographes – Louis Caillaud, Pierre Boucher –, des graphistes – Alexey Brodovitch, futur directeur artistique d’Harper’s Bazaar – et des dessinateurs – Benito, Édy-Legrand, Pierre Boucher, André Hellé… Le cartonnage, marque de fabrique de la Maison Tolmer, et la qualité de ses façonnages font le bonheur des commanditaires qui peuvent ainsi offrir à leurs clients des écrins aux formes novatrices, ornées de motifs décoratifs audacieux.
- 5 Publié dans un premier temps en France à compte d’auteur, puis par l’éditeur londonien Studio Ltd.
- 6 The art of lay-out has found publicity the means of satisfying even the most adventurous of its amb (...)
6Fort de sa renommée, confiant dans ses principes, Alfred Tolmer s’autorise, en 1931, la publication de Mise en page. The Theory and Practice of Lay-Out, ouvrage théorique qui fera date5. Richement illustré, composé de plusieurs papiers différents, intégré à un emboîtage soigné, Mise en page démontre tout le savoir-faire de l’éditeur-imprimeur-cartonneur et l’ambition qui porte sa maison. La publicité est un des fils rouges de l’ouvrage et bénéficie d’un chapitre dédié : « L’avènement de la publicité ». Tolmer y proclame que la mise en page et les techniques d’impression moderne vont résolument bouleverser la manière de faire de la publicité : « l’art de la mise en page a trouvé dans la publicité les moyens de satisfaire les ambitions les plus aventurières6 ». La photographie est très largement représentée dans cet ouvrage et Jean Moral en est un des contributeurs.
7Ces débuts au sein d’une entreprise prestigieuse, à la pointe du graphisme, de la publicité et de l’utilisation de la photographie, cet apprentissage au contact des entreprises du luxe parisien, au cœur d’un quartier en constant bouillonnement artistique et intellectuel ont forcément une influence sur le jeune Jean Moral. Même si, à regarder sa production complète, on ne peut que constater qu’il ne fera jamais la chasse au cachet publicitaire. Au-delà de l’inspiration et de l’effervescence qui l’entourent, Moral se familiarise avec les contraintes de la mise en page et les codes de la publicité, consolide son réseau professionnel et bénéficie de la grande confiance accordée par son employeur aux artistes qu’il emploie. Il réalise ses premiers clichés au format 6 x 6 avec un Rolleiflex, en déambulant dans Paris, à la recherche d’anecdotes, de visages, de situations. Somme toute, ces clichés sont plutôt anodins et communs, mais Moral exerce et entraîne son regard, prend conseil auprès de ses compères de la Maison Tolmer, ose des angles de vue différents... Bref, il s’amuse et apprend.
8L’année 1928 est assurément celle où la vie de Jean Moral bascule. Il fait la connaissance de Juliette Bastide, dont il tombe amoureux et qu’il épouse en 1931. Il partage avec Juliette le goût de la vie au grand air, du sport, du naturisme, de la montagne et des bains de mer. De façon compulsive, Moral va multiplier les clichés de sa compagne. Désormais, Juliette sera sur toutes ses photographies, que ce soit sur les plages de Lacanau, dans les Alpes suisses et autrichiennes, à Paris... Tout en variant les points de vue, il n’a de cesse de capter son sourire et le naturel de leur mode de vie, libre et intense.
Jean Moral, « Nu sur la plage », in Paris Magazine, n° 36, août 1934, similigravure

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
9Jean Moral publie ses premières photographies dans Paris Magazine. On y trouve les clichés réalisés lors de ses déambulations parisiennes, mais ce sont les portraits de Juliette à Lacanau qui retiennent l’attention. Au cœur de cette revue légère où se côtoient textes érotiques, prémices des romans-photos et photographies en pleine page de l’avant-garde photographique – Germaine Krull, Erwin Blumenfeld, Pierre Boucher, René Zuber… –, le sourire de Juliette, nue et libre, rayonne.
Jean Moral, Publicité pour Rolleiflex, in Paris Magazine, n° 34, juin 1934, similigravure

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
10C’est aussi dans Paris Magazine que sont publiées les rares publicités illustrées par Jean Moral. Et Juliette est, là encore, omniprésente. Moral excelle dans le remploi de clichés réalisés dans un contexte privé. Ses commanditaires se comptent sur les doigts d’une seule main : les appareils photographiques Rolleiflex, l’antiseptique Gyraldose des laboratoires Châtelain ou les Fèves de Fuca. Pour chacune de ces publicités, c’est le visage ou le corps de Juliette qui « vendent » le produit. La publicité pour Rolleiflex est déclinée en autant de variations, semble-t-il, qu’il y a de photographies de Juliette par Moral… Il arrive même que des variantes de Juliette vues dans les pages rédactionnelles se retrouvent dans les publicités d’un même numéro.
Jean Moral, Publicité pour les Fèves de Fuca, in Paris Magazine, n° 52, décembre 1935, similigravure

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
11La publicité pour les Fèves de Fuca est symptomatique de cette réutilisation de photographies « intimes » : la photographie originale a été retravaillée pour isoler la silhouette de Juliette nue, les bras levés, au bord de la mer. Le contrejour a été renforcé, si bien qu’il devient impossible d’identifier l’épouse du photographe. Mais les lecteurs de Paris Magazine ne s’y trompent pas : on ne peut que reconnaître à la fois la modèle et l’auteur, le cliché et d’autres photographies du « reportage » ayant été publiés au fil des mois par le magazine. Jean Moral accompagnera d’ailleurs longtemps les usagers de la célèbre plante qui fait maigrir : des tickets de pesée reproduisant cette publicité seront fournis aux acheteurs des fameuses Fèves, jusque dans les années 1950 !
12Entre 1932 et 1939, Paris Magazine est une source régulière de revenus pour Jean Moral. Quasiment tous les mois, il publie jusqu’à dix photographies dans un même numéro. Entre 1932 et 1933, il participe activement à la renommée du magazine avec deux clichés en une, et figure sept fois au sein de la quatrième de couverture qui tient lieu de sommaire. Cet emplacement lui est très favorable, d’autant que ses photographies sont valorisées par une colorisation spectaculaire. Et toujours, Juliette tient le premier rôle.
- 7 Entretien de l’auteur avec la fille de Jean Moral et Juliette Bastide, juillet 2018.
13Pour les couvertures et les quatrièmes de couverture, Jean Moral alterne entre remplois et commandes. Les planches contact de l’auteur montrent la complicité du photographe avec sa modèle amusée, qu’il met en scène dans des situations rocambolesques, en lien avec le numéro à venir : Juliette à la chasse, Juliette l’ingénue perdue en forêt, Juliette la catherinette. Mieux, elle sera le visage des offres d’abonnement de Paris Magazine, mise en scène avec les briquets et autres montres offertes aux futurs abonnés. Dans les années 1930, grâce à ce magazine, la notoriété de Juliette est telle qu’aux sports d’hiver, elle se fait apostropher sur les remonte-pentes : « C’est vous la jolie jeune femme de Paris Magazine !7 »
Jean Moral, Études pour la publicité des abonnements à Paris Magazine, vers 1932-1935, planche contact sur papier au gélatino-bromure d’argent

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
- 8 Page de sommaire, Plaisir de France, août 1938, reprise telle quelle comme publicité dans L’Illustr (...)
- 9 VU, n° 299, 6 décembre 1933, p. 1808 (MNN 2007.237.299), publicité pour le numéro hors-série Femmes(...)
- 10 Vive Paris, n° 7 (3e année), janvier 1940, Le Magazine de Paris, n° 2 à 5 (2e année), août à décemb (...)
14Toujours adepte du remploi, Jean Moral sait placer à la fois ses photographies personnelles dans de nombreux journaux et celles commandées par un magazine auprès d’autres titres. C’est presque une marque de fabrique. Le visage heureux de Juliette, ses jambes ou même… l’empreinte de ses pieds au bord de la plage font le bonheur de Plaisir de France8 ou de VU9. Revues similaires à Paris Magazine, et publiées à la fin des années 1930, Vive Paris et le Magazine de Paris offrent visiblement les mêmes cadeaux à leurs abonnés que Paris Magazine10 : la photographie du visage rayonnant de Juliette accompagné d’une montre et d’un briquet est identique.
- 11 Les couvertures sont réalisées à partir d’huiles sur toile de Cassandre réalisées pour l’occasion, (...)
- 12 Man Ray a bénéficié dès 1924 d’une des premières monographies consacrées à un photographe : Georges (...)
- 13 Carmel Snow le « débauche » du service photographique de Vogue qu’il dirigeait depuis 1926.
15Les clichés de Paris faits par Moral et la liberté affichée de Juliette sur ses photographies attirent l’attention de Carmel Snow, qui a pris les commandes d’Harper’s Bazaar en 1932. Transfuge du concurrent Vogue, Carmel Snow crée une nouvelle dynamique au sein d’Harper’s Bazaar. L’arrivée de la journaliste Diana Vreeland en 1936 bouleverse la ligne éditoriale et Alexey Brodovitch, recruté en 1934 au poste de directeur artistique, en révolutionne la maquette. Les peintures d’inspiration surréaliste de Cassandre11 en couverture rompent avec la tradition des magazines de mode et créent le trouble. Surtout, la photographie y devient prépondérante et des grandes figures du médium comme Man Ray12 ou George Hoyningen-Huene13 sont sollicitées.
16Paris et la mode française sont au cœur de la stratégie de Carmel Snow. Paris fascine les américains et la mode parisienne est en plein renouveau. Les modèles dessinés par les couturiers autorisent la femme à une plus grande liberté de mouvements. Ils sont faits pour la rue et plus seulement pour les salons. Jean Moral sera le photographe de cette modernité. Les consignes de Carmel Snow sont claires : il faut voir les modèles ET Paris. Les reportages de Jean Moral pour Harper’s Bazaar sont des cartes postales de Paris envoyées aux américains.
17Seul photographe français sous contrat annuel avec Harper’s Bazaar, Jean Moral doit fournir suffisamment de photographies pour en avoir au moins cent publiées par an. Ce faisant, sous l’impulsion de Carmel Snow et magnifiées par les mises en page de Brodovitch, les vues de Moral deviennent les plus grandes promotrices de Paris et de la mode française aux États‑Unis. Autant que les couturiers, Moral façonne l’image de la parisienne auprès des lecteurs d’Harper’s Bazaar. Elle sera souriante, libre, urbaine, chic, moderne. Et Paris s’impose comme la capitale de la mode, toujours en toile de fond des photographies.
18Harper’s Bazaar envoie aussi Jean Moral aux quatre coins de l’Europe. Il s’agit d’ouvrir au lectorat américain de nouveaux horizons : l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre et… le paquebot Normandie. Les efforts de la France pour faire de son nouveau paquebot le symbole de la puissance et du bon goût français sont considérables. Normandie bénéficie d’une intense campagne de promotion soutenue par toute la presse de l’époque, illustrée ou non. Consciente de l’enjeu – le luxe français ne sera plus qu’à quatre jours de New York –, Carmel Snow finance Jean Moral pour qu’il visite le chantier naval à Saint‑Nazaire et surtout effectue le voyage inaugural, le 29 mai 1935. Aux limites du publi‑reportage, Moral livre des photographies à la gloire du savoir-faire et du chic français. Il s’amuse avec ses modèles, joue des lignes du bateau – les cheminées, les grandes lettres sur le pont – et de la démesure de son architecture. Avec Normandie, la mode parisienne et le luxe français viennent aux américains toujours plus vite ! C’est autant un reportage à la gloire de la mode et du luxe que de Normandie, bref, à la gloire de la France.
- 14 MNN 2013.12.1.1 à 42.
- 15 La photographie de couverture du n° 25 (MNN 2013.12.1.23) est également publiée dans le hors-série (...)
19Conjointement à ses premiers pas dans Harper’s Bazaar, Jean Moral publie en 1935 des photographies dans le magazine Diversion14. Ce dernier est édité par les laboratoires Longuet, sur le modèle d’Art et Médecine et de La Revue du Médecin des Laboratoires Debat. Diversion est une revue publicitaire réservée au milieu médical, imprimée en héliogravure sur un papier de qualité. Elle alterne éléments rédactionnels, dessins et photographies, le tout servant de prétexte aux publicités pour les laboratoires Longuet dispersées dans la revue, sous la forme d’inserts glissés astucieusement permettant aux médecins de commander directement les médicaments. Chaque numéro est thématique : Bruges, la Grèce, l’Espagne, New York, Londres, la mer, la montagne… Maître ès remploi, Jean Moral profite des voyages financés par Harper’s Bazaar, de ses vacances à la montagne, de camping avec Juliette ou ses amis pour rapporter des photographies qui vont « nourrir » ses contributions à sept numéros de Diversion sur la quarantaine éditée. Juliette fait la une du numéro 35 consacré au sport. Les vacances du couple à la montagne illustrent quasiment l’intégralité du numéro 25 sur les sports d’hiver15. Les voyages pour Harper’s en Espagne et Londres sont repris dans les numéros 12 et 15 de Diversion. Le voyage à New York à bord de Normandie se retrouve dans le numéro 17 de Diversion dédié à « La femme américaine ».
20À partir de 1933, Jean Moral cesse quasiment toute nouvelle contribution publicitaire, la photographie de mode et son contrat avec Harper’s Bazaar constituant son principal revenu. En 1938, il collabore régulièrement avec Match, propriété de Jean Prouvost. Cet industriel du textile et patron de presse qui a racheté en 1938 le supplément hebdomadaire de l’Intransigeant, Match L’Intran, a fait de cette revue consacrée au sport un magazine d’actualité, sur le modèle de Life, entièrement photographique. Jean Moral publie dans quatorze numéros entre le 29 septembre 1938 et le 15 juin 1939.
- 16 Planches contacts de Jean Moral, MNN 2016.85.2.1 à 26.
- 17 Match, n° 42, 20 avril 1939, p. 17-29, quarante photographies publiées.
21Et il retrouve pour l’occasion Normandie. Le 25 mars 1939, Moral embarque sur le paquebot. Son voyage est financé par la Compagnie Générale Transatlantique (CGT). Pour ce reportage, il s’équipe de son fidèle Rolleiflex ainsi que d’un Leica. Il va réaliser près de mille clichés : 113 au Leica et 832 au Rolleiflex16. Moral effectue un reportage dense, frontal, méthodique, très loin de son style habituel, enlevé et léger. Là encore, cette expérience s’apparente à du publi‑reportage, le propriétaire du paquebot payant le voyage. Quatre ans après l’inauguration de Normandie et alors que la guerre approche, il faut maintenir l’intérêt autour du fleuron du savoir-faire français et rassurer la population. Tout va bien, Normandie est une mécanique à la fois métallique et humaine toujours bien huilée, l’élégance et l’oisiveté sont au rendez-vous, la guerre est encore loin17!
Marcel Arthaud, la couleur au service de la publicité18
- 18 Le fonds Marcel Arthaud est composé de quinze mille négatifs sur verre et sur support souple, dix m (...)
22Pour Marcel Arthaud, point de compagne-muse, peu de fioritures et de sensualité, pas de photographies personnelles que l’on retrouverait publiées. Rigueur et efficacité sont les maîtres-mots. Tout est différent chez cet auteur que rien ne prédestinait à la photographie. Né à Romans dans la Drôme le 28 mai 1898, ce fils de pharmacien voit ses années de lycée interrompues par la première guerre mondiale. Au front, il se lie d’amitié avec un graveur prénommé Joël, qui l’encourage à le rejoindre à Paris. Là, il obtient son baccalauréat et débute des études de médecine qu’il arrête rapidement, son père ne pouvant soutenir financièrement sa vie d’étudiant parisien. Dès lors, Marcel Arthaud collabore avec Aristide Maillol et son neveu Gaspard pour la fabrication de papier et la gravure sur bois. Il apprend auprès de Gaspard Maillol les rudiments de la xylogravure et se familiarise avec l’édition. Fort de cet enseignement, Arthaud s’installe à son compte dans le 14e arrondissement comme dessinateur-illustrateur au milieu des années 1920.
23L’éditeur Dunod et la filiale française de Columbia sont rapidement ses clients principaux mais il diversifie ses commandes. Il réalise des publicités pour les machines à coudre Singer, les phares Besnard (1926), l’affiche d’Hispano-Suza suite à la traversée de l’Atlantique Sud par Costes et Le Brix (1927), la campagne pour le lancement du parfum Passionnément de Lucien Lelong (1930), les produits de beauté Cutex ou la maquette de la brochure pour les Presses typographiques en blanc perfectionnées Planeta de DSL. Sa composition pour la brochure publicitaire des encres Lorilleux est remarquée par Art et Métiers Graphiques dans le chapitre « Actualités Graphiques » du numéro 17 publié en mai 1930.
24Pour Columbia, Marcel Arthaud produit des bois gravés et la maquette de nombreuses brochures et autres livrets accompagnant les concerts ou les enregistrements. Il livre également quelques coups d’éclat, notamment les annonces publicitaires pour le lancement du supplément de L’Intransigeant, l’hebdomadaire sportif Match L’Intran. Créé par Léon Bailby en 1926, ce nouveau magazine sera quasi exclusivement illustré de photographie. Pourtant c’est bien une gravure sur bois au motif dynamique et à la typographie audacieuse qui en fait la promotion. Et jusqu’au rachat par Jean Prouvost, Marcel Arthaud y publiera régulièrement des caricatures.
25Tout au long des années 1920, Marcel Arthaud accompagne la production de livres, de revues et de livrets, de leur conception à leur fabrication – impression, reliure, façonnage – pour le compte d’éditeurs ou de maisons de disques. Il est le graphiste attitré de Columbia Revue, la revue officielle de la maison de disque. Lorsqu’il conçoit un document, il incorpore à sa maquette ses propres bois gravés ainsi que des photographies d’autres auteurs car lui-même n’est pas encore photographe. Le fonds Marcel Arthaud conservé par le musée Nicéphore Niépce contient autant de ses clichés que ceux d’autres photographes comme Rosen, le studio Harcourt, Boris Lipnitzki, le studio Manuel, Piaz ou Georges Saad.
- 19 OV2 : la signification de l’acronyme reste inconnue à ce jour. Arthaud nomme ainsi l’appareil avec (...)
- 20 MNN 2003.82.1 à 54.
- 21 Années 1923 à 1925 et 1929, MNN 2009.114.1 et MNN 2014.14.1 à 4.
- 22 MNN 2010.25.25.
- 23 Le musée Nicéphore Niépce conserve ce qu’il reste des archives de Ducos du Hauron, soit 330 pièces (...)
26Conscient des limites de la reproduction des photographies en couleurs mais persuadé de l’intérêt pour ses compositions d’intégrer ce type d’illustrations, Marcel Arthaud débute en 1931 des recherches autour de l’OV219 et d’un procédé trichrome. Durant les années 1920 et 1930, les revues d’imprimeurs, telles Art et Métiers Graphiques20 ou le Bulletin officiel de l'Union syndicale et Fédération des syndicats des Maîtres imprimeurs de France21, témoignent de l’enjeu capital que représente l’impression de la photographie en couleurs. Plusieurs procédés sont en concurrence, celui de Draeger étant le plus célèbre, peut-être parce que sa brochure de présentation était la plus spectaculaire22 ! Aucun ne satisfait véritablement Arthaud qui s’associe avec Eugène-Romain Durrieux, horloger de son état, pour mettre au point un système de prise de vue en couleurs, inspiré des principes établis par Louis Ducos du Hauron23.
- 24 Bulletin de la SFP, n° 5, 1869, p. 122 et suivantes. Procès- verbal de l’assemblée générale de la S (...)
- 25 MNN 1983.81.1.
27Ce dernier, inventeur de la photographie en couleurs, était parvenu à ses fins à partir de trois clichés successifs pris à travers trois filtres colorés – rouge, jaune, bleu24. Par la synthèse soustractive des trois positifs tirés sur support transparent Ducos du Hauron obtient une photographie en couleurs. Ces travaux aboutissent à l’invention du mélanochromoscope25 en 1874, appareil qui, à l’aide d’un système astucieux de miroirs permet d’obtenir en une seule prise de vue les trois négatifs filtrés. Arthaud et Durrieux reprennent à leur compte ces principes. L’objectif d’Arthaud est d’abord celui d’un graveur-imprimeur qui souhaite faciliter l’impression des photographies en couleurs dans les magazines, et ce dès la prise de vue pour éviter les retouches des chromistes avant l’étape de la photogravure. Avec ce procédé, les photograveurs disposent déjà des trois couleurs primaires ainsi que d’un tirage de référence.
- 26 Cette conférence est mentionnée par Marcel Arthaud ainsi que par sa succession. L’auteur n’a pas en (...)
- 27 Premier brevet déposé le 27 mars 1933 par Durrieux, Gr. 17, Cl. 3, n° 753.709, « Appareil photograp (...)
- 28 MNN 2020.48.10.
28Marcel Arthaud présente en 1935 le procédé Arthaud/Durrieux, dérivé des principes formalisés par Ducos du Hauron, lors d’une conférence à la Maison de la Chimie sous l’égide de la Société Française de Photographie26. Pour réaliser ses trois négatifs sur verre successivement (contrairement au mélanochromoscope), Arthaud utilise un appareil conçu en deux temps avec Durrieux27. L’intérêt est immédiat. Roger Schall, la Byron Compagny – agence photographique New-Yorkaise – et Marcel Arthaud sont invités par la Compagnie Générale Transatlantique à réaliser des prises de vue de Normandie afin d’illustrer la brochure offerte aux passagers de première classe28.
Marcel Arthaud, « La salle à manger de Normandie », Éditions « Atlantique », 1937, photochromie d’après le procédé OV2

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
29La commande de la Compagnie Générale Transatlantique est très différente de celle de Match et les clichés de Normandie par Marcel Arthaud sont d’un tout autre genre que ceux de Jean Moral. Là où ce dernier documentait consciencieusement le quotidien du paquebot, celui du personnel comme celui des voyageurs, Arthaud photographie un bateau vidé de ses occupants. Il a tout loisir de saisir dans leur ensemble et de magnifier les immenses volumes des espaces intérieurs et les prouesses artisanales, décoratives et artistiques déployées pour faire de Normandie l’étendard du goût et du savoir-faire français.
30Les portes monumentales de six mètres de haut de la Grande Salle à Manger dessinées par Raymond Subes, les panneaux peints par Jean Bouchaud, les bas-reliefs de Raymond Delamarre, le mobilier de Pierre Patout et Maurice Pré, la statue de La Normandie par Léon Georges Baudry, les panneaux en laque d'or de Jean Dunand sur les portes du Grand Salon, les mosaïques de la piscine des clients de première classe réalisées par la manufacture de Sèvres, la salle à manger des enfants décorée par Jean de Brunhoff sur le thème de Babar, les cabines de première classe… Rien n’échappe à l’œil systématique et professionnel de Marcel Arthaud. Ses vues en couleurs de Normandie font autant pour la promotion du paquebot et des artistes qui ont participé à sa décoration que de son procédé. Quel formidable accélérateur pour la notoriété de son invention que de participer à cette brochure prestigieuse !
Marcel Arthaud, Publicité pour le procédé en couleurs OV2, entre 1931 et 1935, photochromie d’après le procédé OV2

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
- 29 MNN 2003.82.30.
31Afin de compléter la visibilité de l’OV2 et de ses photographies, Marcel Arthaud compose une brochure publicitaire qui décrit le procédé et sera illustrée d’un exemple de photographie en couleurs : une assiette d’huitres et un demi-citron. Anecdotique ? Non car rien n’est plus difficile à photographier en couleurs que la nourriture et que toutes les nuances si délicates à saisir de vert et de jaune sont là : Marcel Arthaud a confiance en son procédé et ne craint pas la difficulté. Ce cliché sera publié dans le numéro 30 d’Arts et Métiers Graphiques29. Dans les numéros courants de cette revue éditée par le studio Deberny-Peignot, les sujets traités sont surtout la typographie, la gravure et l’impression. Cette publicité pour un procédé technique y a toute sa place, plutôt que dans Photographie, numéro annuel d’Arts et Métiers Graphiques dédié aux qualités plastiques du médium.
32Même si son procédé est peu aisé à mettre en œuvre – le support verre est en voie de disparition –, Marcel Arthaud insiste dans sa brochure : son invention est la plus à même de garantir une photographie en couleurs de qualité et sa reproduction imprimée la plus fidèle possible. Son procédé lui offre de nouvelles perspectives, publicitaires principalement. 1935 est une année charnière pour Arthaud : il s’investit complètement dans la photographie, qu’il va désormais pratiquer assidument. Il diversifie ses activités grâce à la photographie en couleurs et gagne de nouveaux clients. Les clichés de Normandie ont fait mouche !
Marcel Arthaud, Publicité pour Lotusédine, Laboratoires Gérard Fosse, vers 1939, photochromie d’après le procédé OV2

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
- 30 Les publications du Club de la Publicité font partie du fonds Arthaud et ont été intégralement dépo (...)
33Il réalise notamment les couvertures en couleurs des albums de mode édités par François Tedesco, Tricots pour tous et ses numéros hors-séries. Le Printemps, les Papeteries de la Seine, les pépinières Simon Louis frères et Cie, les laboratoires pharmaceutiques Roger Fosse – pour la Lotusedine –, les fils élastiques Lastex et la bière La Meuse se laissent séduire par le procédé OV2. En 1937, sa composition pour le lancement du parfum Impromptu de Lucien Lelong est cette fois-ci photographique. Marcel Arthaud est alors pleinement impliqué dans les réflexions autour de la publicité. Il adhère au Club de la Publicité en 1935 et participe activement à la vie de cette association. Il contribue très régulièrement à sa revue, la Gazette du Club de la Publicité pour laquelle il documente en photographie les activités du Club30.
- 31 Photo-Illustration, n° 33, juin 1938.
34Marcel Arthaud a placé plusieurs reportages de décoration en couleurs dans L’Illustration et Plaisirs de France. C’est peut-être à cette occasion qu’il a rencontré Emmanuel Sougez, qui a créé en 1926 le service photographique de l’Illustration qu’il dirige depuis. Adepte d’une straight photography à la française, une photographie « pure », Emmanuel Sougez fonde Le Rectangle en 1937 où il défend une photographie française, artistique et professionnelle. Le manifeste de ce regroupement de photographes est publié en juin 1938 dans Photo-Illustration, Revue Internationale de Documentation Photographique31 éditée par Paul Montel, à l’occasion de la première exposition du groupe dans la galerie du photographe François Tuefferd, Le Chasseur d’Images.
- 32 Le fond Marcel Arthaud contient sa correspondance avec les membres du Rectangle, non inventorié.
- 33 Conférence non datée, texte tapuscrit et annoté trouvé dans le fonds Marcel Arthaud conservé au mus (...)
35Marcel Arthaud fait partie des treize membres fondateurs du Rectangle, qui se proclame Association de Photographes Illustrateurs et Publicitaires. Elle est composée de Pierre Adam, Serge Boiron, Louis Caillaud, Yvonne Chevalier, André Garban, Pierre Jahan, Henri Lacheroy, Gaston Paris, Philippe Pottier, Jean Roubier, René Servant, Emmanuel Sougez et Marcel Arthaud. Ce dernier assure successivement la vice-présidence puis la présidence durant la guerre. Il conçoit le logo du regroupement ainsi que son papier à en-tête32. C’est à l’abri de la figure tutélaire de Sougez et sous l’égide du Rectangle que Marcel Arthaud est invité à la fin des années 1930 à présenter sa vision du rôle de la photographie dans l’affiche publicitaire33.
- 34 Affiche ou agrandissement ? ; conditions à réaliser par l’affiche ; caractéristiques de la photo ; (...)
- 35 Souligné dans le texte.
36Sa conférence commence ainsi : « Mes amis Sougez et Auvillain doivent avoir juré ma perte, ou bien machiné une machiavélique gageure, car sachant mon minimum de disposition à l’art oratoire, ils m’ont tout de même demandé de vous parler ce soir d’un des sujets dont il est le plus ardu de parler : LA PHOTOGRAPHIE DANS L’AFFICHE. » Composée de neuf chapitres34, la conférence de Marcel Arthaud reprend les préoccupations qui furent les siennes tout au long de sa carrière, à savoir les qualités artistiques de la photographie, l’utilisation envisagée, la maîtrise technique, la cohabitation image/message textuel, le soin apporté à l’impression sous le contrôle d’un tirage de référence. Il encourage ses auditeurs, probablement photographes, à tenir compte des contraintes particulières liées à ce médium : « […] cet emploi [de la photographie…] est plus affaire d’affichiste que de photographe, ou, si vous préférez, doit être pratiqué avec un esprit d’affichiste plutôt qu’avec un œil de photographe35 ».
37Il rappelle que dans l’affiche, la photographie est « morne » et que s’opère le « triomphe de la demi-teinte ». Pour lui, les photographies destinées aux affiches doivent être « exagérées » : « Ne craignez pas de vous approcher à la limite de la caricature ». Pour les natures mortes, il conseille de rechercher « l’angle le plus curieux, tout en veillant à ce qu’il reste toujours compréhensible sans effort ». Il encourage à « rechercher les effets qui dessinent bien et accentuent les reliefs » et affirme que la « qualité photographique » n’est pas nécessaire. Enfin, il insiste sur le suivi de la production de l’affiche jusque chez l’imprimeur.
38Il engage ses auditeurs à « préférer la production manuelle au crayon litho qui, ayant peu de possibilités dans les gris, est obligé de travailler en contraste, et a le gros avantage de noirs absolument francs », au détriment des procédés photomécaniques qui ont le défaut d’« ajouter (des demi-teintes) avec un voile gris général qui est une catastrophe ». Sur cinq pages, Marcel Arthaud adresse à la postérité un vade-mecum pour les photographes désireux d’illustrer des affiches, nourri par sa propre pratique d’illustrateur, de photographe et de graphiste. Ce document témoigne des réflexions des praticiens de l’entre-deux-guerres, des préoccupations d’une corporation dont les débouchés évoluent. Publicistes et industriels voient rapidement l’intérêt d’intégrer la photographie pour vendre leurs produits.
- 36 Comme il se définit lui-même, et dans ce sens, sur son papier à en-tête.
39Parallèlement à ses recherches autour de la photographie en couleurs et à son implication au sein du collectif Le Rectangle, Marcel Arthaud poursuit son activité d’illustrateur-photographe36. Son principal client est Pathé Marconi, société fondée en 1936, fruit de la fusion de la Compagnie française du gramophone avec la Compagnie générale des machines parlantes Pathé frères. Dans l’opération, Pathé Marconi a racheté la filiale française de Columbia dont Marcel Arthaud était un des principaux contributeurs. Pour Pathé-Marconi, Arthaud photographie les coulisses des enregistrements de disque et bénéficie d’un accès privilégié aux compositeurs et aux interprètes. Muni d’une imposante documentation photographique en lien avec la musique, il fait une promotion intense de son commanditaire. Les livrets accompagnant les disques, la couverture du catalogue annuel des dernières sorties de la firme, les plaquettes distribuées lors des concerts : le rôle et l’impact de Marcel Arthaud sur l’image de Pathé Marconi sont essentiels.
40Pendant la guerre, Arthaud met en page Disques, revue de toutes les nouveautés discographiques. C’est l’occasion pour lui de placer ses clichés et de mettre en avant les enregistrements de Pathé Marconi. Dans le numéro 59 d’octobre 1943 de ce magazine est publié un article consacré à l’enregistrement de Jeanne d’Arc au bûcher, l’oratorio de Paul Claudel et Arthur Honegger. Dans ces trois pages, Marcel Arthaud place un bois gravé et une photographie au milieu d’autres clichés documentaires de l’enregistrement. La célèbre usine de Chatou est photographiée dans ses moindres détails en 1942 : toutes les étapes de la fabrication du disque, dans l’usine la plus moderne de France, sont documentées consciencieusement. C’est ce reportage emblématique qui servira à installer Pathé Marconi comme le leader français de la production de disques à la fin du conflit.
41Le contrat de Jean Moral avec Harper’s Bazaar fut un rêve de photographe : cent clichés garantis publiés par an, des périodes de production courtes, des années rythmées par les saisons de mode, des voyages payés pendant lesquels il peut nourrir sa photothèque personnelle en plus de répondre aux commandes du magazine. Amoureux, séducteur et malin, il use et abuse de son art du remploi afin de pouvoir donner libre-court à son amour de la montagne, de la mer et de Juliette, compagne, muse et modèle.
42Face à Jean Moral, Marcel Arthaud paraît sage, travailleur. L’abondante correspondance qui accompagne le fonds montre qu’il n’a de cesse de réfléchir à sa pratique. Aucun temps mort dans sa réflexion, le produit final devant refléter au mieux l’intention. En tant que président du Rectangle, son implication et son rôle furent essentiels quand il s’agit de faire incorporer les photographes à la section professionnelle des artistes du livre.
- 37 Malgré son implication sur ces sujets en 1944-1945, comme en témoignent les archives manuscrites et (...)
43Le 16 juin 1945, membre de la Société des Photographes Illustrateurs, Arthaud est invité avec Laure Albin Guillot et René-Jacques à participer à la Commission chargée de collaborer avec le Syndicat de la propriété artistique concernant le droit d’auteur des photographes. Ainsi, avant d’accompagner la 1re Armée et le général De Lattre de Tassigny de Paris à Berlin, Marcel Arthaud participe-t-il à la rédaction d’un modèle de contrat d’auteur qui normaliserait les relations entre le photographe et son client37. Il est certain que la période est complexe, que le médium change vite et que la concurrence est féroce alors que la photographie gagne en diffusion et en visibilité.
44La modernité, une forme d’insouciance et le trouble des années 1920 et 1930 génèrent des parcours hétéroclites et parfois confus qui font la richesse de la photographie d’alors. Les régimes politiques, les patrons de presse, les publicistes prennent conscience de son impact et de sa possible influence. Les photographes déclenchent tous azimuts, répondent à toutes les commandes, courent le cachet. L’atmosphère autour de la photographie est foisonnante, d’une créativité contagieuse. On ne compte plus les nouveaux magazines, les nouveaux photographes, les innovations techniques, les audaces esthétiques. Au cœur de cette effervescence, chacun exerce selon son caractère et ses centres d’intérêt : Jean Moral et Marcel Artaud en constituent deux exemples signifiants aux trajectoires et aux pratiques distinctes.
Notes
1 Waldemar George, « Photographie, vision du monde », Arts et Métier Graphiques, n° 16, 15 mars 1930, p. 146.
2 Le fonds André Steiner est conservé par le musée Nicéphore Niépce, numéro d’inventaire MNN 2012.168.
3 Le fonds Jean Moral a été acquis en plusieurs fois par le musée Nicéphore Niépce (MNN 2015.72, MNN 2016.84 et 2016.85, MNN 2017.100 et MNN 2017.101, MNN2018.58 et MNN 2018.59). Il est composé de dix mille phototypes (tirages, contacts 6 x 6, planches contacts dont la moitié fut classée et légendée par Moral, négatifs, justificatifs de publication).
4 1906, Marchiennes - 1999, Montreux, Suisse.
5 Publié dans un premier temps en France à compte d’auteur, puis par l’éditeur londonien Studio Ltd.
6 The art of lay-out has found publicity the means of satisfying even the most adventurous of its ambitions (traduction de l’auteur), Alfred Tolmer, Mise en page. The Theory and Practice of Lay-Out, London, The Studio Ltd, 1931, non paginé.
7 Entretien de l’auteur avec la fille de Jean Moral et Juliette Bastide, juillet 2018.
8 Page de sommaire, Plaisir de France, août 1938, reprise telle quelle comme publicité dans L’Illustration, n° 4979, 6 août 1938.
9 VU, n° 299, 6 décembre 1933, p. 1808 (MNN 2007.237.299), publicité pour le numéro hors-série Femmes (9 décembre 1933), photographie extraite d’un reportage pour Harper’s Bazaar consacré à la villa de l’architecte et dessinateur de mode Reinaldo Luza à Cap Formentor (avec qui Moral co-signe ses premières photographies pour Harper’s Bazaar), publié en juillet 1933.
10 Vive Paris, n° 7 (3e année), janvier 1940, Le Magazine de Paris, n° 2 à 5 (2e année), août à décembre 1939.
11 Les couvertures sont réalisées à partir d’huiles sur toile de Cassandre réalisées pour l’occasion, que Brodovitch complétait ensuite avec des éléments graphiques.
12 Man Ray a bénéficié dès 1924 d’une des premières monographies consacrées à un photographe : Georges Ribemont-Dessaigne, Man Ray, Paris, Gallimard, 1924 (MNN 2020.48.1).
13 Carmel Snow le « débauche » du service photographique de Vogue qu’il dirigeait depuis 1926.
14 MNN 2013.12.1.1 à 42.
15 La photographie de couverture du n° 25 (MNN 2013.12.1.23) est également publiée dans le hors-série de Noël de VU (« Le Triomphe de la neige ») en décembre 1935 (MNN 2007.237.403.2).
16 Planches contacts de Jean Moral, MNN 2016.85.2.1 à 26.
17 Match, n° 42, 20 avril 1939, p. 17-29, quarante photographies publiées.
18 Le fonds Marcel Arthaud est composé de quinze mille négatifs sur verre et sur support souple, dix mille contacts 6 x 6, quatre mille cinq cents tirages, des archives manuscrites et tapuscrites, maquettes d’ouvrages et justificatifs de publication. Le fonds comprend également environ deux mille tirages d’autres photographes, constituant une photothèque dans laquelle il puise pour les intégrer à ses compositions graphiques.
19 OV2 : la signification de l’acronyme reste inconnue à ce jour. Arthaud nomme ainsi l’appareil avec lequel il réalise ses photographies en couleurs.
20 MNN 2003.82.1 à 54.
21 Années 1923 à 1925 et 1929, MNN 2009.114.1 et MNN 2014.14.1 à 4.
22 MNN 2010.25.25.
23 Le musée Nicéphore Niépce conserve ce qu’il reste des archives de Ducos du Hauron, soit 330 pièces (négatifs, essais sur gélatine, archives manuscrites, dessins) acquises en 2002. Auparavant, le musée avait acquis en 1979 douze héliochromies finalisées dont un double de l’épreuve soumise à la Société Française de Photographie en 1869 (MNN 1979.46, MNN 2002.60 et MNN 2002.65).
24 Bulletin de la SFP, n° 5, 1869, p. 122 et suivantes. Procès- verbal de l’assemblée générale de la SFP sous la présidence de Balard, membre de l’Institut. Compte rendu par Alphonse Davanne de la première communication sur l’héliochromie adressée par Ducos du Hauron à la SFP le 7 mai 1869.
25 MNN 1983.81.1.
26 Cette conférence est mentionnée par Marcel Arthaud ainsi que par sa succession. L’auteur n’a pas encore trouvé trace de cette intervention malgré ses recherches.
27 Premier brevet déposé le 27 mars 1933 par Durrieux, Gr. 17, Cl. 3, n° 753.709, « Appareil photographique particulièrement destiné à la réalisation de vues en couleurs par les procédés bichrome et trichrome » ; second brevet déposé par Durrieux et Arthaud le 22 mars 1935, Gr. 17, Cl. 3, n° 799.705, « Perfectionnements aux appareils photographiques ».
28 MNN 2020.48.10.
29 MNN 2003.82.30.
30 Les publications du Club de la Publicité font partie du fonds Arthaud et ont été intégralement dépouillées.
31 Photo-Illustration, n° 33, juin 1938.
32 Le fond Marcel Arthaud contient sa correspondance avec les membres du Rectangle, non inventorié.
33 Conférence non datée, texte tapuscrit et annoté trouvé dans le fonds Marcel Arthaud conservé au musée Nicéphore Niépce. Les références citées dans le texte permettent de situer cette conférence entre 1937 et 1940.
34 Affiche ou agrandissement ? ; conditions à réaliser par l’affiche ; caractéristiques de la photo ; possibilité de la photo ; conditions d’emploi ; technique (À la prise de vue ; Pour les natures mortes ; En ce qui concerne l’éclairage) ; qualité de l’image ; tirage ; reproduction.
35 Souligné dans le texte.
36 Comme il se définit lui-même, et dans ce sens, sur son papier à en-tête.
37 Malgré son implication sur ces sujets en 1944-1945, comme en témoignent les archives manuscrites et tapuscrites qui accompagnent le fonds, Marcel Arthaud abandonne presque toute relation avec ses amitiés d’avant-guerre. Il revient à Paris en 1949 et s’installe comme photographe de quartier.
Haut de pageTable des illustrations
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Titre | Jean Moral, « Nu sur la plage », in Paris Magazine, n° 36, août 1934, similigravure |
Crédits | © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône. |
URL | http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2221/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 298k |
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Titre | Jean Moral, Publicité pour Rolleiflex, in Paris Magazine, n° 34, juin 1934, similigravure |
Crédits | © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône. |
URL | http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2221/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 87k |
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Titre | Jean Moral, Publicité pour les Fèves de Fuca, in Paris Magazine, n° 52, décembre 1935, similigravure |
Crédits | © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône. |
URL | http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2221/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 88k |
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Titre | Jean Moral, Études pour la publicité des abonnements à Paris Magazine, vers 1932-1935, planche contact sur papier au gélatino-bromure d’argent |
Crédits | © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône. |
URL | http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2221/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 66k |
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Titre | Marcel Arthaud, « La salle à manger de Normandie », Éditions « Atlantique », 1937, photochromie d’après le procédé OV2 |
Crédits | © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône. |
URL | http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2221/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 372k |
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Titre | Marcel Arthaud, Publicité pour le procédé en couleurs OV2, entre 1931 et 1935, photochromie d’après le procédé OV2 |
Crédits | © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône. |
URL | http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2221/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 79k |
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Titre | Marcel Arthaud, Publicité pour Lotusédine, Laboratoires Gérard Fosse, vers 1939, photochromie d’après le procédé OV2 |
Crédits | © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône. |
URL | http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2221/img-7.jpg |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Sylvain Besson, « Photographie et publicité chez Jean Moral et Marcel Arthaud (années 1920-1940) », Focales [En ligne], 7 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 14 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/focales/2221 ; DOI : https://doi.org/10.4000/focales.2221
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