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Notes de lecture

Damarice Amao et Emmanuelle Kouchner dir., Charlotte Perriand. Comment voulons-nous vivre ? Politique du photomontage

Arles, Actes sud, 2021, 238 pages
Anne-Céline Callens
Référence(s) :

Damarice Amao et Emmanuelle Kouchner dir., Charlotte Perriand. Comment voulons-nous vivre ? Politique du photomontage, Arles, Actes sud, 2021, 238 pages

Texte intégral

1Dans cet ouvrage consacré à la pratique photographique de Charlotte Perriand ‒ comme dans l’exposition éponyme qui s’est tenue au Monoprix d’Arles, dans le cadre des Rencontres internationales de la photographie, du 4 juillet au 26 septembre 2021 et qui s’est poursuivie du 1er avril au 28 août 2022 au Design Museum de Brussels ‒, la commissaire Damarice Amao a choisi de montrer la manière dont la photographie a constitué un outil de prédilection pour l’architecte et designer. Les fresques monumentales réalisées par l’artiste dans les années 1930 avaient été reconstituées en 2010 par le musée Nicéphore Niépce de Chalon‑sur-Saône ‒ et leurs couleurs restituées par Jacques Barsac à partir de la charte de couleurs des CIAM-France, au plus près de la palette des tableaux de Fernand Léger peints à la même époque ‒, à l’occasion d’une série d’expositions sur l’artiste au Museum für Gestaltung de Zurich, au Petit Palais et au musée Nicéphore Niépce. La pratique diversifiée de l’image de Charlotte Perriand a depuis été réexplorée en détail : collecte de photographies, réalisation de reportages, constitution d’une archive, réutilisation, détournement, découpages, collages, photomontages…

2« Comment voulons-nous vivre ? » : cette question extraite des écrits de Charlotte Perriand, qui donne son titre au livre, synthétise le propos du projet. Elle renvoie aux fonctions esthétique, pédagogique et militante de ces photomurals qui vantent les valeurs du monde rural et servent la recherche d’une vie harmonieuse. Mais la richesse de l’ouvrage tient au fait qu’il permet ‒ à travers une illustration riche mêlée à des textes critiques ‒ non seulement de présenter le superbe résultat de cette reconstitution, ses motivations et ses enjeux, mais aussi de lever le voile sur les coulisses de ces fresques murales, de passer derrière les images et d’analyser leurs processus de réalisation. Damarice Amao retrace l’origine des différentes vues et leurs modalités de réutilisation : photographies personnelles, collectées auprès de grands photographes de l’époque, d’agences et de studios, découpées dans les magazines… Cette enquête permet ainsi d’appréhender la manière dont l’artiste a constitué sa collection personnelle d’images et a élaboré sa méthode de travail.

3L’ouvrage se divise en trois parties. La première, intitulée « L’art du photomural », présente les trois grandes réalisations de Charlotte Perriand : La Grande Misère de Paris, première fresque monumentale réalisée à l’occasion de la IIIe Exposition de l’habitation au Salon des arts ménagers de 1936, qui aborde d’un côté le problème de l’habitat et de l’urbanisme dans les grandes villes et propose de l’autre la vision d’une vie meilleure possible grâce à l’accès au plein air et à l’activité physique ; la salle d’attente du ministère de l’Agriculture, véritable manifeste en faveur de la loi sur l’Office du blé adoptée cette même année sous le gouvernement du Front populaire pour protéger les exploitations de la spéculation, confrontant des photographies des désastres du monde rural à des inscriptions sur les avantages de la loi et une projection photographique idéalisée d’une campagne gagnée par le progrès social, économique et technique ; et la structure d’entrée du Pavillon de l’agriculture de l’Exposition Internationale de 1937, ensemble de dix-huit panneaux réalisés en collaboration avec Fernand Léger, qui constitue une synthèse visuelle percutante des mutations du monde rural mêlant slogans, statistiques et photographies agencés sur des fonds de couleurs vives. Les vues d’époque de ces réalisations sont mises en regard de photographies des reconstitutions contemporaines et d’extraits des souvenirs de l’artiste à leur sujet.

4La seconde partie, intitulée « Regards critiques », rassemble les textes de plusieurs auteurs. Jacques Barsac parle de la « femme d’image » qu’était Charlotte Perriand en retraçant ses multiples usages de la photographie, de ses vues d’« art brut » à ses photomontages géants, en passant par son activité de collectionneuse et archiviste. Sébastien Gokalp aborde l’engagement politique de l’artiste qui adhère à la section architecture de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). Il analyse la manière dont sa réflexion architecturale s’est enrichie d’une quête sociétale et d’engagements politiques. Damarice Amao revient sur la collection de clichés hétéroclites constituée par l’artiste dans les années 1930, redécouverte dans son atelier dans les années 2000 et conservée aujourd’hui dans les archives familiales, qui comprend près de cinq cents tirages, une centaine de négatifs sur plaques de verre et des reproductions découpées dans les imprimés de l’époque. Excepté les photographies réalisées par Perriand, ces images proviennent d’agences (Wide World Photo New York Times, Le Jour et General Picture) et de photographes indépendants : Emmanuel Sougez, Laure Albin Guillot, François Kollar, Nora Dumas, Jean Roubier, Ergy Landau ainsi que les membres de l’Alliance Photo.

5Cette collection constitue une source de réflexion précieuse pour analyser la méthode de travail de Charlotte Perriand : d’un côté, le médium lui permet de porter un regard critique sur le monde ; il en va ainsi de ses photographies des habitations à bon marché et des îlots insalubres de Paris réalisées pour l’exposition de l’habitation ; certains tirages présents en plusieurs formats et annotés pour signaler des retouches et des recadrages à effectuer attestent des différentes phases d’editing des photomontages monumentaux. De l’autre côté, la photographie constitue un outil pour ses différents projets d’habitat, d’aménagement intérieur et d’urbanisme : outre les études, statistiques et l’observation directe, la photographie supplante progressivement le dessin pour permettre à l’architecte de visualiser les problèmes sociaux, économiques et environnementaux ainsi que les solutions envisagées.

6Près de cent-trente tirages de cette collection sont dus aux membres de l’Alliance Photo ‒ Denise Bellon, Pierre Boucher, Emeric Feher, Jean Moral, Emeric Feher, Pierre Verger et René Zuber ‒ qui sont les auteurs de reportages sur les sujets sociaux de l’époque. Athina Alvarez aborde le militantisme de gauche que Charlotte Perriand partage avec les membres de ce réseau. Alors que ces photographes sont reconnus comme auteurs, l’architecte anonymise et détourne leurs images. Max Bonhomme revient sur la pratique de mise en page photographique initiée dans la presse, développée ensuite à une plus grande échelle et montre que les fresques de Charlotte Perriand s’apparentent à la tradition de l’agit-prop soviétique, tout en esthétisant le message par une efficacité visuelle. Dans un texte philosophique, Emanuele Coccia parle d’une « vision futuriste de l’agriculture » dont le caractère invisible et composite fait un motif à première vue peu propice à la représentation. Les photomontages de vues d’agriculture se font en réalité outils de connaissance car ils permettent de produire du sens grâce à l’absence de limites posées et au jeu de l’imagination.

7La troisième partie de l’ouvrage intitulée « Une soif d’images » constitue une belle galerie de photographies. Sont d’abord présentés les différents clichés utilisés dans les trois photomontages monumentaux de Charlotte Perriand : ses propres photographies se combinent à des images d’anonymes, d’agences et d’opérateurs indépendants. Un focus est ensuite fait sur les photographies du monde rural, en particulier sur le travail de Nora Dumas qui se distingue en cette période où les photographes se passionnent pour le monde urbain et la modernité. L’accent est ensuite mis sur le reportage de François Kollar réalisé pour La France travaille dont Charlotte Perriand reprend certaines images auxquelles elle donne une nouvelle dimension politique et sociale. Le livre se termine par une présentation de la pratique photographique amateure de l’architecte, qui documente les typologies d’architecture et les motifs vernaculaires pour nourrir ses projets d’habitats, et de sa collection d’images composée en grande partie de photographies d’agence ayant servi à illustrer ses photomontages monumentaux.

8Charlotte Perriand disait que l’« on fait dire ce que l’on veut à la photographie, en la coupant, la découpant, la triturant ; c’est un mode d’expression réaliste accessible, compréhensible, efficace ». Les réflexions de l’artiste résonnent plus que jamais dans la société occidentale de l’après confinement, avide d’un retour à la nature et aux choses essentielles, qui s’interroge notamment sur l’importance de l’éducation aux médias et les impacts liés au changement climatique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne-Céline Callens, « Damarice Amao et Emmanuelle Kouchner dir., Charlotte Perriand. Comment voulons-nous vivre ? Politique du photomontage »Focales [En ligne], 7 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 24 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/focales/2474 ; DOI : https://doi.org/10.4000/focales.2474

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Auteur

Anne-Céline Callens

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