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Entretien(s)

« Publicité déguisée ? À propos de La Revue du médecin et d’Art et Médecine »

Entretien avec Hervé Degand
Anne-Céline Callens et Hervé Degand

Texte intégral

Anne-Céline Callens : La Revue du médecin et Art et Médecine sont deux revues mensuelles de très belle facture, publiées en alternance entre 1929 et 1939. Leur format habituel est de 31,2 x 24 cm (à l’exception de quelques numéros pour lesquels le format passe à 36,5 x 27 cm). Un soin tout particulier est apporté à la mise en page qui comprend un grand nombre de photographies et à la qualité de l’impression. Leur diffusion était pourtant très ciblée et confidentielle.

Hervé Degand : Ces revues étaient éditées par les laboratoires Debat, dont les archives ont aujourd’hui disparu, ce qui complique grandement les recherches sur le sujet. Un prix de vente est affiché sur les pages de sommaire : il passe de 6 francs par numéro en 1929 à 10 francs et 1936, puis diminue à 5 francs pour la saison 1936-1937. La revue est aussi proposée en abonnement annuel. Mais on ne connaît pas le nombre de tirages et on suppose en effet que la revue n’était pas vraiment commercialisée et qu’elle était envoyée gratuitement aux médecins et clients du laboratoire qui devaient la conserver dans leurs bibliothèques ou salons de réception (plutôt que dans des salles d’attente compte tenu de la qualité d’impression). Paul‑Louis Couchoud, rédacteur en chef de la revue, en annonce clairement le projet dans son éditorial du tout premier numéro de 1929 :

La revue du médecin n’est pas une revue proprement médicale ni un journal professionnel. Elle veut être, à l’usage du médecin, un organe de culture générale et de curiosité choisie. Le médecin, dans la vie réelle, n’est pas que médecin. Il est honnête homme. Il lit. […] Il sait acheter un objet de goût, un tableau, un disque. Il dispose et orne sa maison. Il ordonne son jardin […] Physiologique, il sait manger. Praticien, il comprend les techniques. Automobiliste par nécessité, il aime le sport et le voyage […].

La revue flatte ainsi le médecin, qui est son principal lecteur, en le décrivant comme un homme cultivé et à l’écoute de la modernité.

A-CC : Quels types d’article la composent et comment se structure-t-elle ?

HD : Plusieurs pages de publicité richement illustrées, la plupart du temps pour les produits du laboratoire Debat, précèdent le sommaire. Les différents articles et rubriques traitent ensuite de nombreux sujets qui n’ont aucun lien avec la médecine : des régions de la France, des loisirs, de la culture, de la nature… Dans le numéro de juin 1934 par exemple, il y a une publicité pour les Annales de thérapie biologique éditées par les laboratoires Debat, puis sept pages de publi‑reportage sur les bienfaits du Pancrinol produit par le laboratoire, illustré notamment par Nora Dumas et André Kertész. Après le sommaire, on trouve un essai d’Abel Bonnard, de l’Académie française, sur « La ville et l’univers » illustré par Brassaï, un texte de Raymond Eschollier sur le Salon de 1934, un reportage sur la Manufacture de Sèvres d’Eugène Marsan illustré par René Zuber et un article sur les solarisations de Maurice Tabard avant les rubriques culturelles récurrentes (sur la musique, le théâtre et la lecture). Le sommaire entend ainsi satisfaire tous les centres d’intérêt que peut cultiver un médecin.

Double page intérieure d’Art et Médecine, « Sèvres en France », article d’Eugène Marsan illustré par des photographies de René Zuber, juin 1934, p. 26-27

Double page intérieure d’Art et Médecine, « Sèvres en France », article d’Eugène Marsan illustré par des photographies de René Zuber, juin 1934, p. 26-27

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.

A-CC : Ce type de journal d’entreprise semble très développé à cette époque. Il fait l’objet d’une rubrique d’André Kaminker nommée « House-Organ » dans la revue Vendre en 1924, dans laquelle on lit qu’il « s’en crée de nouveaux presque chaque semaine ». Le domaine pharmaceutique bénéficie d’une situation économique confortable qui lui permet de miser sur la publicité et de produire ce type de revue luxueuse. Dans son ouvrage L’Écrivain et la Publicité, Myriam Boucharenc parle notamment des revues Diversion (des Laboratoires Longuet) et Visages du monde (du Dr A.-D. Ronchèse), qui se spécialisent dans les portraits de pays. Elle fait également référence aux nombreuses revues du domaine pharmaceutique relevant du registre humoristique : L’Orientation médicale (lancé en février 1932 par les laboratoires Lobica), Défense de broyer du noir (produit par les Laboratoires Sauba à partir de janvier 1936), Ridendo (édité par l’Office de vulgarisation pharmaceutique de 1933 à 1977). Bien que régis par la loi sur la presse du 29 juillet 1881, les périodiques d’entreprise ne sont pas répertoriés dans les annuaires de la presse, ce qui explique que les plus modestes n’aient pas laissé de traces. Y‑a‑t‑il des imprimés promotionnels produits par ce secteur d’activité équivalents à Art et Médecine à la même période en France ?

HD : Alors que les revues sérieuses usent de la photographie, celles à caractère humoristique sont illustrées uniquement par le dessin et de bien moins bonne qualité. Arts et Médecine se caractérise par sa maquette luxueuse, qui la place sur un pied d’égalité avec les revues publicitaires de très grande qualité de l’époque comme celles de Matford ou Mazda. Du côté du domaine pharmaceutique, nous pouvons également évoquer les laboratoires Laurençon, basés à Villefranche-en-Beaujolais, qui produisent de 1931 à 1939 une petite plaquette publicitaire intitulée Lumières & Beauté, mais d’un format beaucoup plus réduit. Les laboratoires Fluxine, qui ont été fondés par le pharmacien Jean Bonthoux à Villefranche‑sur‑Saône, éditent quant à eux les revues mensuelles Ciels et Sourires de France (1929 à 1940, sous la direction artistique de G.‑L. Arlaud) et Mieux Vivre (1936 à 1939, sous la direction du critique d’art Georges Besson). Les écrivains Tristan Bernard, Paul Léautaud, Colette et Georges Duhamel contribuèrent notamment à Mieux Vivre. Du côté des photographes, on trouve les noms de Laure Albin-Guillot, Brassaï, André Kertesz, Emmanuel Sougez et Ylla. Mais cela reste des productions plus modestes qu’Art et Médecine.

Albert Rudomine, Portrait du Docteur Debat, photographie publiée au sein de l’article « Le portrait et la photographie », La Revue du médecin, no 5, février 1930, p. 32

Albert Rudomine, Portrait du Docteur Debat, photographie publiée au sein de l’article « Le portrait et la photographie », La Revue du médecin, no 5, février 1930, p. 32

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.

A-CC : Le docteur François Debat (1882-1956), qui fonde la revue, est originaire de Charente et s’installe à Paris où il devient docteur en pharmacie en 1908, puis docteur en médecine en 1914. Il se spécialise en dermatologie et devient chef du laboratoire de Dermatologie de l’Hôpital Saint‑Antoine en 1912. Il s’agit d’une figure à la fois emblématique et ambivalente de cette époque.

HD : Il fait partie des personnalités reconnues de son temps : il est promu officier de la Légion d’honneur en 1933 et est élu à l’académie des Beaux-Arts en 1947. Son portrait figura même sur le billet de 20 francs « Science et Travail » de la Banque de France qui est mis en circulation fin 1939. Comme beaucoup d’autres à cette période, il est pétri par les contradictions qui imprègnent la société, entre attachement aux valeurs ancestrales de la France, y compris dans ses aspects coloniaux, et attrait pour la modernité. Il écrit notamment un livre sur New York à la fin des années 1920 et s’intéresse à la manière dont évolue l’industrie pharmaceutique aux États-Unis. Le docteur Debat est mobilisé en 1914, année durant laquelle il commence à publier des ouvrages médicaux. Il fait fortune en fondant, en 1920, les Laboratoires du docteur Debat, dans le xviie arrondissement parisien qui, au-delà des médicaments, se diversifient dans la cosmétologie, notamment avec la production de pommades curatives. Il devient un grand chef d’entreprise à la fibre paternaliste. Il s’engage peu ou prou du côté du Maréchal Pétain durant la guerre : le 22 mars 1941, il dispense une conférence à l’Académie des sciences morales et politiques intitulée « Le réveil économique dans la redressement moral » durant laquelle il encense notamment le Maréchal Pétain. Celui-ci le nomme adjoint au maire de Saint-Cloud en septembre 1941.

Couvertures de la revue entre 1929 et 1939

Couvertures de la revue entre 1929 et 1939

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.

A-CC : La revue change successivement de nom puisqu’elle commence sous l’intitulé La Revue du médecin d’octobre 1929 à juillet 1930, devient Art et Médecine en octobre 1930 jusqu’en juin 1936, rebascule sur le titre La Revue du médecin jusqu’en 1938 pour finir sous le nom Art et Médecine entre octobre 1938 et juin 1939. Quels autres changements s’opèrent au niveau du contenu et de la forme au fil des années ?

HD : La revue fonctionne par saisonnalité, avec 9 à 10 numéros par année scolaire, entre septembre/octobre et juin/juillet. Le contenu demeure similaire, mais l’identité visuelle de la couverture change à chaque saison. Un portrait peint ou sculpté de femme y figure la plupart du temps. Il y a une montée en puissance progressive au fil des années en termes de nombre de pages (la revue oscille en moyenne entre 40 et 60 pages) et d’illustrations ; ces dernières prennent progressivement le dessus sur le texte. Le contenu éditorial se détache d’un contexte publicitaire direct : il s’éloigne des préoccupations médicales pour devenir plus généraliste. Mais la visée promotionnelle demeure inchangée. La photographie apparaît en couverture à partir d’octobre 1931 mais se contente de reproduire des œuvres sculptées et peintes. Elle s’impose véritablement en couverture à la saison 1936-1937 lors du retour à La Revue du médecin. Mais c’est aussi à ce moment que la qualité de la revue commence à diminuer du fait d’un contexte économique qui se complique : les procédés d’impression sont moins soignés et la pagination se réduit. Il est ainsi écrit en début de numéro :

Nous avons créé il y a 7 ans Art et Médecine pour établir un contact régulier entre le Corps Médical et nos laboratoires. Pendant cette longue période, nous avons essayé, chaque année, d’améliorer la qualité de cette publication pour la rendre plus digne de ses lecteurs. Mais, avec les hausses de l’impression et du papier et les charges nouvelles qui frappent l’industrie, cette revue deviendrait trop coûteuse. Nous estimons devoir ne pas la continuer sous cette forme luxueuse, que certains avaient même reprochée en période de prospérité. Aussi avons-nous décidé de remplacer Art et Médecine par ce périodique illustré, tiré à l’aide de procédés plus économiques, mais dont la présentation originale, vivante et impartiale saura, nous le souhaitons, vous intéresser.

Le numéro d’octobre 1938, qui fête les 25 années d’existence des laboratoires Debat, constitue une exception : il comprend 68 pages, entièrement consacrées à l’activité des laboratoires, illustrées par des reportages de René Zuber et Emeric Feher, pour lesquelles on retrouve la qualité d’impression des grandes années. Certaines planches photographiques sont tirées en couleur.

Double page intérieure, article d’Henri Delorière, « Les maîtres de la photo : Marc Réal », La Revue du médecin, no 10, juillet 1930, p. 34-35

Double page intérieure, article d’Henri Delorière, « Les maîtres de la photo : Marc Réal », La Revue du médecin, no 10, juillet 1930, p. 34-35

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.

A-CC : Nombreux sont les photographes avant-gardistes des années 1930 à contribuer à la revue, ce qui en fait un objet d’étude particulièrement intéressant pour l’histoire de la photographie. Outre René Zuber et Emeric Feher, nous pouvons citer Brassaï, André Kertész, François Kollar, Germaine Krull, Man Ray, Roger Schall ou encore Emmanuel Sougez. La Revue du médecin et Art et Médecine constituent ainsi de véritables vitrines de la Nouvelle Vision photographique.

HD : Au départ, la revue s’attache les services de Kertész qui publie un total de 254 photographies dans la revue. Celui-ci réalise notamment des reportages en Bretagne et en Corse à la demande du docteur Debat. René Zuber reprend le flambeau en 1933 et fait lui aussi des déplacements spécifiquement pour la revue dans laquelle 251 de ses vues sont publiées. Roger Schall, qui commence à travailler pour la revue en 1932, a également une place importante avec 267 photographies publiées : il est le photographe d’une France mondaine qui colle parfaitement à l’esprit de la publication et est également très marqué à droite. Mais beaucoup d’autres photographes ont collaboré avec la revue, bien que de manière moins suivie. Les numéros ne sont pas nécessairement thématiques et il arrive fréquemment que l’on pioche dans les stocks des agences et des photographes indépendants : on trouve des tirages des photographes d’Alliance Photo ‒ Denise Bellon, Pierre Boucher, Émeric Feher ‒ auxquels Zuber a ouvert la porte, mais aussi de Robert Capa, Gaston Paris et Jean Roubier. Il n’y a pas de chronique photographique permanente mais des focus sont parfois réalisés sur la pratique d’un photographe (c’est le cas d’Yvonne Chevalier, de Marc Réal et de Pierre Boucher) ou sur le médium lui-même (« La photographie est-elle un art ? » en 1930, « À propos de la solarisation » en 1934). S’il ne s’agit pas d’une revue photographique à proprement parler, la qualité des images, de la mise en page et de l’impression est vraiment saisissante. La revue est un véritable support de diffusion et de mise en valeur de la modernité photographique.

A-CC : Les textes livrent en revanche une toute autre vision, même s’ils sont dus aux meilleures plumes de l’époque (que l’on retrouve dans d’autres parutions). Tout comme les photographes, une pléiade d’écrivains collabore à la revue : Abel Bonnard, Francis Carco, Gaston Chérau, Jean Cocteau, Colette, Georges Duhamel, Luc Durtain, Raymond Escholier, Élie Faure, Jean Giono, Gabriel Hanotaux, Joseph Kessel, Hervé Lauwick, Pierre Mac Orlan, François Mauriac, André Maurois, Paul Morand, Pierre Scize, Jean et Jérôme Tharaud, André Thérive…

HD : Les auteurs sont aussi très nombreux et leur notoriété ajoute au prestige de la revue. Plusieurs sont des académiciens. Certains tiennent des rubriques culturelles récurrentes : Émile Vuillermoz sur la « Discophilie », Henri Delorière sur « Le théâtre à Paris », Pierre Dominique sur les « Lectures » et René de Laromiguière sur les « Les médecins littérateurs ». Ce qui frappe en lisant la revue aujourd’hui, c’est le décalage entre le texte et l’image, le double discours de ces plumes conservatrices, qui font la promotion d’une France éternelle et coloniale, et des photographes qui pour la plupart sont dans la mouvance de l’EAER (Association des écrivains et artistes révolutionnaires). Mais cette ambivalence entre modernité et conservation est celle du docteur Debat et d’une partie du lectorat : ce public bourgeois et conservateur, aussi éclairé soit-il, n’est pas des plus révolutionnaires.

Inserts publicitaires de Roger de Valerio glissés au fil des pages de la revue Art et Médecine de février 1934

Inserts publicitaires de Roger de Valerio glissés au fil des pages de la revue Art et Médecine de février 1934

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.

A-CC : Ce qui est intéressant également, c’est que certains de ces écrivains ont, tout comme les photographes, mis leur talent au service de la publicité à cette période. Par ailleurs, dans la revue, la publicité est à la fois dessinée et photographique. Du côté du dessin, on trouve le nom de Roger de Valerio ; du côté de la photographie ceux de René Zuber, André Vigneau et Regis Lebrun.

HD : Mis à part Zuber, ce ne sont généralement pas les mêmes photographes qui illustrent les reportages et les publicités. Régis Lebrun collabore de manière très régulière avec la revue. Il photographie les produits des laboratoires Debat en studio. Ses vues publicitaires constituent de belles natures mortes. Il expérimente également parfois les jeux d’ombres et le photomontage. La revue est essentiellement vouée à l’auto-promotion des produits du docteur Debat. Mais on trouve aussi des publicités d’autres annonceurs. C’est le cas d’entreprises pharmaceutiques comme les laboratoires Clin, mais aussi de sociétés d’autres secteurs comme Renault, Hotchkiss, les meubles Levitan, la Compagnie Parisienne de Distribution d’Électricité, la SNCF…

Double page intérieure, publicités pour les vaccins des laboratoires Clin et pour le lait Innoxa, La Revue du médecin, no 2, novembre 1929, p. 48-49

Double page intérieure, publicités pour les vaccins des laboratoires Clin et pour le lait Innoxa, La Revue du médecin, no 2, novembre 1929, p. 48-49

© Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.

A-CC : Dans les tous premiers numéros, la publicité n’intervient qu’à la fin. Cela est d’ailleurs reproché à la revue dans un article qui paraît dans Vendre en janvier 1930 ‒ revue créée par Étienne et Léon Damour, également fondateurs de l’agence de publicité Damour pour laquelle travaille René Zuber :

Un journal normal se compose de deux éléments : la rédaction, la publicité ‒ aussi indispensables l’un que l’autre à sa vie harmonieuse. […] Il est bien entendu que cette revue a voulu se présenter aussi magnifiquement que possible et gagner le succès par sa rédaction. Mais, pour cela, son Comité a reporté, comme je l’ai dit, à la fin de la revue toutes les pages de publicité. N’y a-t-il pas là quelque exagération ? Nous sommes habitués à trouver, dans toutes nos revues médicales, des pages de publicités réparties dans le texte, et souvent même imprimées au dos de chaque page de texte, ce qui est peut-être un autre excès. Mais lorsque, dans une revue de belle tenue, se présente une publicité traitée dans le style même de la revue et avec tous les soins dont on l’a entourée ici, il me semble que nul n’en peut vouloir à sa direction de la répartir judicieusement dans le corps même de la brochure. Le rappel de la notoriété, tout en restant suffisamment discret, est ainsi plus efficace, et il ne me paraît pas déplacé que cet effort publicitaire s’associe plus étroitement à la réalisation d’une formule dont la hardiesse mérite un succès que nous lui souhaitons bien sincèrement.

La publicité prend de plus en plus d’ampleur au fil du temps et se diversifie : pleines pages, petits inserts reliés, pouvant être découpés, parfois complètement autonomes et glissés au fil des pages… Cela serait notamment dû à la loi de finances du 29 décembre 1926 qui instaure une taxe sur les spécialités ayant recours à la « publicité-public » et non à la « publicité‑médecin » : les laboratoires ont alors progressivement déplacé leurs annonces dans des parutions spécialisées.

HD : Ce qui apparaît aujourd’hui comme un objet luxueux, tourné vers la délectation de l’esprit, était en réalité une revue publicitaire. Outre les pages à proprement parler vouées à la publicité, dont plusieurs précèdent le sommaire et que l’on trouve également à la fin de chaque numéro, il y avait de nombreux inserts, quasiment toutes les deux ou quatre pages (qui ont la plupart du temps disparu). Ceux-ci prenaient des formes diverses : cartes à découper pour obtenir un échantillon, feuillets volants ou prédécoupés qu’il suffit de retirer, parfois des plaquettes et dépliants entiers… L’apparence des numéros change ainsi au gré des multiples aspects des publicités qui les composent. L’insertion de ces dernières au sein des pages rédactionnelles est étonnante et pas toujours de très bon goût. La superposition de publicités pour des médicaments et des crèmes contre les hémorroïdes ou l’eczéma avec des portraits photographiques ou des reportages manque parfois de subtilité. Il est difficile de savoir comment cela était perçu à l’époque. Lorsque l’on trouve un exemplaire intact, on se rend compte qu’il y avait un véritable effort de nettoyage à faire pour retirer tous ces feuillets promotionnels afin de lire et présenter la revue dans son salon.

Double page intérieure de la revue Art et Médecine avec encarts publicitaires volant et relié, juin 1934

Double page intérieure de la revue Art et Médecine avec encarts publicitaires volant et relié, juin 1934

© Collection personnelle Hervé Degand.

Sous couvert de distraction, sous l’apparence d’une revue illustrée ne traitant a priori pas de sujets médicaux, il y avait en réalité un véritable enjeu publicitaire ; le lectorat était très ciblé et l’on peut véritablement parler de « publicité déguisée ». Lors de la refonte de la revue en septembre 1936, la présence publicitaire est elle aussi revue à la baisse. Dans un courrier qui accompagne la revue, le docteur Debat indique ainsi :

[…] cette décision nous oblige à diminuer notre budget publicitaire. […] Dans le même esprit d’économie, nous ne vous adresserons dorénavant de circulaires que tout à fait exceptionnellement. Il en sera de même des échantillons envoyés d’office […] En agissant ainsi nous pensons sauvegarder l’intérêt des malades, faciliter l’exercice de votre profession et vous éviter les ennuis d’une publicité devenue parfois indiscrète.

La Revue du médecin et Art et Médecine sont représentatives des revues pluridisciplinaires éditées dans les années 1930 par des industriels aussi soucieux d’assurer la promotion de leurs produits que de valoriser l’image de leur entreprise. Elles furent aussi, par la qualité de leur maquette et de leur impression, un magnifique outil de diffusion et de reconnaissance pour les photographes. Ce modèle de revue artistique destinée au corps médical perdura après la Seconde Guerre mondiale, notamment à travers la revue d’avant-garde Neuf, créée par Robert Delpire en 1950.

 

La collection des 87 numéros des deux revues conservées au Musée Nicephore Niepce a été entièrement numérisée. Les auteurs tiennent à remercier très chaleureusement les équipes du musée, et en particulier Sylvain Besson, pour ce travail qui a grandement facilité leurs recherches. Les revues sont consultables en ligne à l’adresse suivante : < https://collections.museeniepce.com/​fr/​app/​collection/​9/​view >.

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Table des illustrations

Titre Double page intérieure d’Art et Médecine, « Sèvres en France », article d’Eugène Marsan illustré par des photographies de René Zuber, juin 1934, p. 26-27
Crédits © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2591/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 717k
Titre Albert Rudomine, Portrait du Docteur Debat, photographie publiée au sein de l’article « Le portrait et la photographie », La Revue du médecin, no 5, février 1930, p. 32
Crédits © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2591/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 122k
Titre Couvertures de la revue entre 1929 et 1939
Crédits © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2591/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 270k
Titre Double page intérieure, article d’Henri Delorière, « Les maîtres de la photo : Marc Réal », La Revue du médecin, no 10, juillet 1930, p. 34-35
Crédits © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2591/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 271k
Titre Inserts publicitaires de Roger de Valerio glissés au fil des pages de la revue Art et Médecine de février 1934
Crédits © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2591/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 699k
Titre Double page intérieure, publicités pour les vaccins des laboratoires Clin et pour le lait Innoxa, La Revue du médecin, no 2, novembre 1929, p. 48-49
Crédits © Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2591/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 553k
Titre Double page intérieure de la revue Art et Médecine avec encarts publicitaires volant et relié, juin 1934
Crédits © Collection personnelle Hervé Degand.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/2591/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 214k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne-Céline Callens et Hervé Degand, « « Publicité déguisée ? À propos de La Revue du médecin et d’Art et Médecine » »Focales [En ligne], 7 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 27 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/focales/2591 ; DOI : https://doi.org/10.4000/focales.2591

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Auteurs

Anne-Céline Callens

Articles du même auteur

Hervé Degand

Hervé Degand est Chargé de médiation et de documentation au Château royal de Villers‑Cotterêts, future Cité internationale de la langue française. Notamment spécialiste de l’agence Alliance-Photo, il a été co-commissaire, avec Isabelle-Cécile Le Mée, de l’exposition « Le Studio Zuber, 1931-1939 » produite par le Centre des monuments nationaux dans le cadre des rencontres Internationales de la Photographie à Arles en 2007.

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Droits d’auteur

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