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Dossier

Être affecté : politique, éthique et esthétique d’une exposition ethno-photographique

Cécile Cuny

Résumés

Jeanne Favret-Saada désigne les réactions involontaires de l’enquêtrice lorsqu’elle est « prise » dans les systèmes de relations qu’elle entreprend de connaître par le fait d’« être affecté ». Cet article transpose cette catégorie à l’analyse d’une exposition photographique présentant des itinéraires réalisés avec des ouvriers et ouvrières de la logistique en France et en Allemagne. « Être affecté » entrecroise alors des questions politiques, éthiques et esthétiques qui relient personnes photographiées, photographes, enquêteurs et spectateurs de l’exposition.

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Texte intégral

  • 1 Stéphane Beaud, Florence Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, « Guides Repèr (...)
  • 2 Daniel Céfaï dir., L’Enquête de terrain, op. cit., p. 482-483.
  • 3 Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, « Poche », 1977.
  • 4 Jeanne Favret-Saada, « Être affecté », in Jeanne Favret-Saada, Désorceler, Paris, Éditions de l’Oli (...)
  • 5 Ibid.

1L’ethnographie est un type d’enquête fondé sur l’immersion de longue durée de l’ethnographe au sein d’un groupe social plus ou moins fermé, dont il s’agit de restituer les pratiques et représentations du monde. Ce modèle d’enquête est devenu la norme de l’anthropologie européenne et américaine entre 1900 et 1960 selon des trajectoires variables d’un pays à l’autre1. En France, elle jouit d’une reconnaissance importante parmi les sociologues depuis les années 1970, notamment au sein de la recherche urbaine où les croisements disciplinaires ont été importants2. « Être affecté » est une catégorie forgée par Jeanne Favret-Saada, anthropologue française qui a mené au tournant des années 1960-1970 une investigation sur la sorcellerie dans le bocage normand3. Cette catégorie renvoie aux réactions émotionnelles et involontaires de l’ethnographe lorsqu’elle se trouve « prise » dans les systèmes de relations qu’elle entreprend de connaître4. Selon Jeanne Favret-Saada, ces réactions échappent en premier lieu à son entendement puisqu’elles ne sont que très rarement représentées dans les écrits et analyses ultérieurs, alors qu’elles constituent le cœur de son savoir5.

  • 6 Donna Haraway, « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial (...)
  • 7 Helen Longino, Science as Social Knowledge. Values and Objectivity in Scientific Inquiry, Princeton (...)

2Chez Jeanne Favret-Saada, « être affecté » se rapporte à l’expérience de l’ethnographe et vise à faire de sa subjectivité non pas un obstacle à la connaissance scientifique, mais le fondement de celle-ci. Les débats sur les « savoirs situés6 » ou sur le rôle des convictions éthiques et politiques des savants dans la formulation de leurs hypothèses de recherche ont approfondi cette question en abordant la science comme une activité éminemment collective reliée aux enjeux sociaux, éthiques et politiques de son temps7. Ces débats invitent à étendre la catégorie de Jeanne Favret-Saada à d’autres « sujets » de la connaissance que l’ethnographe, comme les personnes enquêtées, les autres membres du collectif de recherche impliqués ou non sur le terrain, et les publics auxquels les sciences sociales destinent leurs résultats, et à d’autres expériences immersives à même d’induire un savoir que le terrain ethnographique, comme la lecture d’un livre, la participation à une conférence ou la visite d’une exposition. Que signifie dans ce cadre élargi le fait d’« être affecté » par les systèmes de relations qu’il s’agit de connaître ?

  • 8 En France, cette reconnaissance est mieux établie en anthropologie qu’en sociologie ; la sociologie (...)
  • 9 Daniel Palmer, Photography and collaboration. From Conceptual Art to crowdsourcing, Londres/New Yor (...)
  • 10 Albert Piette, « La photographie comme mode de connaissance anthropologique », Terrain, no 18, 1992 (...)
  • 11 Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile/Gallimard/ (...)
  • 12 Margaret Olin, « Roland Barthes’s “Mistaken” Identification », in Margaret Olin, Touching Photograp (...)

3J’envisagerai cette question à partir d’une exposition photographique issue d’un projet collectif d’ethnographie visuelle en France et en Allemagne. Si la photographie est inégalement reconnue comme un mode de connaissance au sein des sciences sociales françaises et internationales8, elle revêt des spécificités sociales et sémiotiques qui en font un objet pertinent pour l’investigation. Il s’agit en effet d’une pratique collaborative, mettant en relation un sujet photographiant avec des sujets photographiés, des spectateurs et d’autres personnes ou entités intervenant dans la fabrication et la circulation des images9. S’appuyant sur la sémiotique de Charles Pierce, Albert Piette a également souligné la « puissance de désignation10 » que la photographie doit à son statut d’indice et qui porte l’anthropologue à débusquer, dans les détails fixés à sa surface, les signes qui passent inaperçus dans le flux continu de la perception en mouvement ou les référents restés dans le hors-champ. Dans une veine similaire, Roland Barthes distingue le studium (soit le sens que le spectateur d’une photographie identifie à partir de sa culture) du punctum, « ce hasard qui, [dans une photographie], me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)11 ». Comme le montre Margaret Olin12, ce « hasard » renvoie en fait à d’autres images qui se sont sédimentées dans la mémoire du spectateur Roland Barthes et convoquent sa propre histoire. Comme le suggérait déjà Jeanne Favret-Saada, « être affecté » relie ainsi les spectateurs à la part « non-représentée » du savoir dans une photographie. Je voudrais montrer comment ce « non-représenté » vers lequel pointe le fait d’« être affecté » entrecroise les problèmes politiques, éthiques et esthétiques qui se posent au sujet du savoir. Travailler à partir de notre affectation permet alors de les formuler et de les reconnaître. En ce sens, « être affecté » fonctionne comme un révélateur des enjeux politiques, éthiques et esthétiques impliqués dans tout savoir.

  • 13 L’exposition a également été présentée du 13 février au 9 mai 2021 au Centre d’art et de photograph (...)
  • 14 D’après les données de l’enquête Emploi de l’INSEE de 2012 pour la France et du recensement de la p (...)
  • 15 Cécile Cuny, Hortense Soichet, « Une ethnographie visuelle des mondes ouvriers de la logistique », (...)
  • 16 Ces itinéraires consistent à mener un entretien au cours d’un déplacement à pied ou en voiture, la (...)

4J’examinerai plus particulièrement trois installations présentant les itinéraires photographiques réalisés avec des ouvriers et ouvrières de la logistique au sein de l’exposition « On n’est pas des robots », présentée à la Maison Robert Doisneau de Gentilly du 19 février au 20 septembre 202013. Cette exposition porte sur une catégorie de travailleurs chargés de contrôler, manutentionner, stocker, préparer et réexpédier les matières premières, produits semi-finis ou finis en provenance de leurs lieux d’extraction ou de production et à destination des chaînes de montage ou des points de vente, des entreprises et des particuliers. Cette catégorie socio-professionnelle représente respectivement 13 % de la main-d’œuvre ouvrière en France, 17 % en Allemagne14. En Europe, les entrepôts dans lesquels le travail de manutention est effectué se situent majoritairement en périphérie des grandes agglomérations. La méthodologie d’ethnographie visuelle mise en place visait à rendre compte des pratiques résidentielles, d’approvisionnement et de loisirs de cette catégorie socio-professionnelle et s’appuyait sur plusieurs protocoles d’enquête organisant les collaborations entre des chercheurs en sciences sociales (Clément Barbier, David Gaborieau, Gwendal Simon et moi-même) et trois photographes (Nathalie Mohadjer, Hortense Soichet et moi-même)15. Au sein de l’exposition à la Maison Robert Doisneau, un étage entier était consacré à trois installations présentant les itinéraires photographiques16 réalisés avec des ouvriers et ouvrières de cinq entrepôts logistiques en Île-de-France et dans la région d’Orléans, en périphérie de Francfort-sur-le-Main et de Kassel en Allemagne.

  • 17 Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers : hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, « Quadrige », (...)

5J’ai occupé les positions de sociologue collaborant aux prises de vue pour la première installation, conçue par la photographe Hortense Soichet, de coordinatrice-spectatrice pour la deuxième, réalisée par la photographe Nathalie Mohadjer en collaboration avec le chercheur Clément Barbier, et de photographe pour la troisième. Ces positions depuis lesquelles je me trouve affectée et analyse les installations rendent tour à tour saillants trois problèmes politiques, éthiques et esthétiques : l’exclusion de certaines séries de photographies de l’exposition ; le « viol d’intimité », soit le « risque [pour la personne photographiée] d’être vue bien au-delà de ce qu’[elle] voulait laisser voir17 » ; les conditions d’expérience des œuvres offertes par l’exposition qui risquent de disperser le regard des spectateurs.

Plan d’accrochage de l’étage de la Maison Robert Doisneau, dédié aux itinéraires photographiques. Exposition « On n’est pas des robots », Gentilly, du 19 février au 20 septembre 2020

Plan d’accrochage de l’étage de la Maison Robert Doisneau, dédié aux itinéraires photographiques. Exposition « On n’est pas des robots », Gentilly, du 19 février au 20 septembre 2020

© Cécile Cuny.

Portraits composés : ce que collaborer veut dire

6L’installation photographique présentée par Hortense Soichet dans le cadre de l’exposition collective « On n’est pas des robots » comprend sept itinéraires qui occupent une salle entière. J’ai été impliquée dans trois de ces itinéraires en tant que sociologue, c’est-à-dire que j’ai rencontré au préalable l’ouvrier et les deux ouvrières concernés lors d’un premier entretien dans une salle de réunion de l’entrepôt où ils travaillaient, puis j’ai organisé chaque itinéraire, à l’occasion duquel ils ont rencontré Hortense Soichet. Ces conditions de collaboration rompent avec les habitudes de travail d’Hortense Soichet, qui développe ses projets photographiques dans le temps long et à travers des rencontres répétées avec les personnes photographiées. Or, dans le cas des itinéraires, cette rencontre se fait par mon intermédiaire et ne dure que quelques heures, soit le temps de l’itinéraire. Hortense Soichet trouve des solutions pratiques et esthétiques à ces problèmes et effectue également des sélections pour l’exposition, qui entrent en tension avec mes propres exigences scientifiques. Ces tensions révèlent certains biais de la démarche d’ethnographie visuelle adoptée.

Itinéraire avec Didier, Maisons-Alfort, 27 septembre 2017. Installation d’Hortense Soichet, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020

Itinéraire avec Didier, Maisons-Alfort, 27 septembre 2017. Installation d’Hortense Soichet, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020

© Hortense Soichet.

7Les conditions de prises de vue durant les itinéraires ne permettent ni repérage ni préparation : sur le lieu du rendez-vous un échange s’instaure, qui progresse au rythme d’un parcours souvent ponctué d’interactions improvisées avec des objets, des proches, des voisins, ou des commerçants. Ces conditions génèrent rapidement de la frustration chez Hortense Soichet. À l’issue de nos trois premiers itinéraires, elle m’écrit :

  • 18 Hortense Soichet, Correspondance électronique du 10 novembre 2017.

Je ne suis pas du tout satisfaite du résultat. […] Ça fait vraiment photo souvenir. C’est trop rapide pour moi, je n’arrive pas à m’y retrouver, à comprendre ce que je peux en tirer et à assumer ces images. Du coup, je pense retourner sur les lieux des itinéraires en utilisant mon moyen format pour m’intéresser plus précisément à l’environnement familier de chacun des enquêtés (extérieurs traversés, intérieurs et portrait d’eux). L’idée est de partir des lieux où ils nous ont conduites (éventuellement élargir à d’autres lieux du quartier si ça me permet de mieux parler de leur rapport à ce territoire) et que la série se poursuive avec des images de leur domicile ainsi qu’un portrait de la personne18.

  • 19 Hortense Soichet, « “C’était pour sortir de la maison” », in Hortense Soichet, Hier on est sorties (...)

8La démarche adoptée par Hortense Soichet consiste ainsi à réinterpréter les itinéraires en les rapprochant des « pratiques partagées » qu’elle développe dans d’autres projets photographiques : « Le terme de partage évoque le “faire” et implique qu’un espace-temps est commun mais qu’on peut faire séparément19. » Les itinéraires sont d’abord définis par la personne photographiée, qui coconstruit une première image à travers les lieux traversés, les récits qu’elle y inscrit, la manière de se présenter et d’impliquer d’autres personnes pendant l’ensemble du parcours. Ils sont ensuite réinterprétés par la photographe, à travers une première sélection d’images, éventuellement complétées ou remplacées par de nouvelles prises de vue. Ce travail de composition se poursuit avec les spectateurs devant les installations de l’exposition : la disposition en grilles les invite à mettre en relation les images disposées sur une même ligne ou dans une même colonne, sans imposer de sens de lecture. Les formats des tirages (30 x 30 cm et 20 x 20 cm dans l’exemple cité) introduisent une hiérarchie qui renforce certains rapprochements (par exemple, entre le portrait de Didier et les deux vues de Maisons-Alfort dans l’exemple cité) ou certains contrastes (entre la vue des quais et celle des arbres). Les photographies sont accompagnées d’une note biographique de quelques lignes, que j’ai rédigée, et d’un extrait d’entretien dans lequel les personnes rendent compte de leur parcours professionnel dans la logistique.

  • 20 Données Beschäftigungsstatistik, Bundesagentur für Arbeit, 2015.
  • 21 Danièle Kergoat, Les Ouvrières, Paris, Le Sycomore, 1982.
  • 22 La notion de race, employée sans guillemets, au singulier et dans un sens critique, ne signifie pas (...)
  • 23 Un dédommagement de 20 euros par entretien ou itinéraire a été proposé et accepté dans les trois ca (...)
  • 24 Joëlle Deniot, Ethnologie du décor ouvrier : le bel ordinaire, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 53.

9Ces choix, qui expriment l’exigence artistique d’Hortense Soichet, ont cependant conduit à exclure de l’exposition trois autres itinéraires menés avec des ouvrières avec lesquelles il n’a pas été possible de poursuivre le travail au-delà du premier itinéraire. On remarque que cette exclusion reproduit les inégalités de genre à l’œuvre dans le secteur logistique. L’INSEE dénombre en effet 82 % d’hommes dans la logistique, toute catégorie socio-professionnelle confondue. En Allemagne, la part des salariés masculins dans les emplois logistiques est inférieure de 10 points (72 %) au chiffre français, sans que cela ne modifie l’image majoritairement masculine du secteur20. La centaine d’entretiens en entrepôts réalisés préalablement aux itinéraires photographiques a par ailleurs confirmé les résultats de Danièle Kergoat au sujet des ouvrières de l’industrie française dans les années 1970 : celles-ci sont confinées aux tâches les plus disqualifiées et exposées à des formes de pénibilités moins visibles et moins reconnues que leurs homologues masculins21. Selon Danièle Kergoat, la situation des ouvrières s’explique par leur position sociale, à l’intersection de rapports de classe, de genre et de race – à l’époque l’autrice ne mentionne pas ces derniers rapports, mais des travaux plus récents m’invitent à le faire22. Ces rapports sont également à l’origine de la sous-représentation des ouvrières dans le secteur logistique et de leur indisponibilité relative pour les itinéraires photographiques : contrairement à Hortense Soichet et moi-même – deux femmes blanches, artiste et intellectuelle indépendantes financièrement et autonomes dans l’organisation de leur travail, à même de rémunérer d’autres femmes pour garder leurs enfants et de négocier un partage plus équilibré des tâches ménagères au sein de leurs foyers – les ouvrières rencontrées ont la charge de leurs enfants ou de leurs conjoints invalides, disposent de rémunérations faibles et irrégulières qui les rendent dépendantes de leurs conjoints ou d’autres membres de leur famille pour leur subsistance et l’accès à un ensemble de services. De ce fait, « collaborer » à un entretien ou à un travail photographique au-delà de quelques heures n’a rien d’évident pour elles et les dédommagements ou aménagements que nous avions prévus se sont avérés insuffisants23. Leur exclusion de l’exposition révèle ainsi les biais d’un dispositif qui reste pensé pour des ouvrières occupant des positions proches du groupe « majoritaire » (individus jeunes, valides, célibataires et sans enfants à charge) et qui reproduit de ce fait une représentation des ouvriers et ouvrières de la logistique aveugle aux effets de certaines assignations de genre et de race. Durant les itinéraires, l’accès à la vie privée de certains ouvriers et ouvrières, en particulier aux intérieurs de leurs logements, constitue une autre situation révélatrice des rapports de pouvoir qui structurent leur collaboration avec des chercheurs et des photographes. Elle confronte les spectateurs des photographies – dont je fais cette fois partie – à ce que Joëlle Deniot désigne comme « les limites morales, historiques de l’indiscrétion24 ».

Portraits kaléidoscopes : l’exposition publique de moments privés

10Au sein de l’exposition à la Maison Robert Doisneau, Nathalie Mohadjer a présenté quatre itinéraires réalisés dans la périphérie de Francfort-sur-le-Main avec Clément Barbier. Comme cela a été le cas des itinéraires réalisés en France par Hortense Soichet, Nathalie Mohadjer n’a pas limité ses prises de vue au seul moment des itinéraires. Ces derniers lui ont offert l’occasion d’être introduite auprès des personnes avec lesquelles Clément Barbier avait réalisé un premier entretien en entrepôt, puis les relations se sont poursuivies par d’autres rendez-vous. Toutefois, le statut « privé » ou « professionnel » de ces rendez-vous n’était pas toujours très clair pour les enquêtés et les enquêteurs, de sorte que la clarification de cette question des limites du photographiable et du non-photographiable est devenue l’enjeu de certaines relations, révélant les rapports de pouvoir qui les structuraient.

Franziska, Francfort-Höchst, 2017-2018. Installation de Nathalie Mohadjer, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020

Franziska, Francfort-Höchst, 2017-2018. Installation de Nathalie Mohadjer, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020

© Nathalie Mohadjer.

11L’itinéraire avec Franziska a lieu un jour d’octobre 2017 dans le quartier de Höchst, qui s’est développé au xixe siècle à l’ouest de Francfort autour d’un grand site de l’industrie chimique, encore partiellement en activité aujourd’hui. Au moment de l’itinéraire, Franziska y réside depuis une dizaine d’années. Les prises de vue se poursuivent quelques mois plus tard lors d’un deuxième rendez-vous au domicile de Franziska, en présence de Clément Barbier. Afin de pouvoir s’adapter à des conditions de prises de vue parfois difficiles (intérieurs mal éclairés, logements exigus), Nathalie Mohadjer travaille avec un appareil argentique de format 24 x 36 muni d’un flash. L’usage du flash associé à un type de négatif aux couleurs saturées rehausse les tons, accentue les contrastes et homogénéise l’éclairage des sujets dans ses images. Leur esthétique passe aussi par le recours systématique à un cadrage vertical, une habitude acquise par Nathalie Mohadjer lors de ses reportages pour la presse illustrée et qui, pour l’exposition, lui permet de présenter photographies et textes dans une grille de 4 cadres (de 20 x 30 cm) sur 4, commune à tous les ensembles construits à partir des itinéraires.

12Dans la grille présentant l’itinéraire avec Franziska, les deux premières lignes sont composées d’images issues de l’itinéraire d’octobre 2017. Se succèdent sur ces deux lignes des vues de paysages, d’édifices et de sculptures du patrimoine historique et culturel de Höchst. Franziska est habillée d’un T-shirt aux motifs fleuris qui rappellent ceux des environnements dans lesquels elle se fait photographier : la silhouette arrondie du paysage arboré des bords du Main ou les formes et les couleurs d’un buisson de roses blanches. La première ligne de la grille se conclut par un extrait d’entretien où Franziska exprime sa sensibilité pour les conditions matérielles de production des objets ou des édifices qui composent son environnement quotidien. À cet intérêt pour les formes, les couleurs et la matérialité des choses font écho des vues en gros plan dans la dernière ligne de la grille, réalisées par Nathalie Mohadjer dans l’intérieur de Franziska, lors de la rencontre organisée quelques mois après l’itinéraire. Une boule en verre, les montants et la tablette d’une fenêtre en plexiglas blanc, des ours en peluche orange, un plan de travail stratifié, la poignée en plastique orange d’une casserole, un panier à fruits en osier, le revêtement en inox d’un lave-vaisselle, le tissu orange translucide d’un rideau brodé dialoguent d’une image à l’autre ou à l’intérieur d’une même photographie.

13Néanmoins, l’attitude de Franziska sur les deux portraits réalisés en intérieur est radicalement différente de celle que l’on observe dans les vues des deux lignes précédentes de la grille. Son visage est fermé, elle paraît presque apeurée dans la photographie où elle pose avec un gros ours en peluche qu’elle serre contre elle comme si elle cherchait à se protéger. Sur le dernier portrait, elle apparaît assise, isolée au centre d’une grande banquette, semblant attendre, indifférente au regard et à l’activité de l’opératrice. Les notes de Clément Barbier indiquent que cette deuxième séance de prises de vue a été improvisée :

  • 25 Clément Barbier, Notes de terrain du 25 avril 2018.

[Lors d’un coup de fil quelques jours après la séance photo chez elle, Franziska] me dit qu’elle n’avait pas vraiment compris qu’il s’agissait là de faire des photos […] et qu’elle s’est sentie un peu prisonnière de notre démarche. Elle pensait au départ qu’elle nous invitait à manger, c’est tout. Et alors quand tout s’est enchaîné, elle s’est un peu retrouvée avec une drôle de sensation une fois que nous étions partis. C’est pour ça qu’elle m’a rappelé le vendredi soir, pour qu’on se revoie « juste comme ça ». Je commence par m’excuser auprès d’elle de ne pas avoir été clair […]. Je poursuis en lui expliquant que je ne sais pas comment être dans cette enquête, toujours partagé entre une posture où je serais moi-même et la posture professionnelle qui m’amène à récolter des informations, permettre la prise de photos… [De son côté, Franziska] regrette d’avoir tant parlé, sur son enfance, de choses choquantes. […] Elle enchaîne ensuite en me disant qu’elle était un peu déçue par les photos. Ne pas avoir pu se préparer pour la dernière session l’a particulièrement agacée. Elle aurait pu se faire belle et se faire à l’idée si on avait été plus clair avec elle25.

  • 26 Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers, op. cit., p. 51.
  • 27 Ibid., p. 56.
  • 28 Ariella Azoulay, The Civil Contract of photography, New York, Zone Books, 2008, p. 111. Je traduis.

14On comprend à travers ces lignes que Nathalie Mohadjer et Clément Barbier ont profité d’un repas auquel les a conviés Franziska pour poursuivre le travail photographique engagé quelques mois plus tôt au moment de l’itinéraire. Comme le suggère le chercheur dans ces notes, le « viol d’intimité », soit le fait de photographier un moment que Franziska avait envisagé comme privé et, pour cette raison, exclu de l’enquête, se double d’un « vol social » : l’enquêteur et la photographe tirent une reconnaissance professionnelle de l’exploitation des photographies ou des confidences de Franziska26. Les quatre images issues de cette séance de prise de vue m’impliquent en tant que coordinatrice de la recherche et spectatrice des photographies, tout comme par la suite les spectateurs de l’exposition à la Maison Robert Doisneau, dans ces questionnements éthiques de la démarche. Les gros plans limitent l’exposition publique de l’intérieur de Franziska à quelques objets, tandis que les deux portraits rendent compte de sa résistance aux prises de vue. La capacité critique de Franziska s’exprime dans l’extrait d’entretien de la dernière ligne de la grille, où elle livre une critique acerbe des réformes des aides sociales en Allemagne, qui la concernent et dont elle estime qu’elles ont déterminé ses problèmes d’emplois et ses difficultés financières. À travers les images et les textes sélectionnés, Franziska est donc représentée comme sujet, « vecteur d’une parole et d’une vie symbolique au sens fort27 », c’est-à-dire aussi bien capable d’affirmer un point de vue sur sa situation que de défendre son intimité face au regard intrusif de l’enquêteur et de la photographe. Comme le souligne Ariella Azoulay, la pratique photographique repose sur le paradoxe suivant : « pour exprimer, par les moyens de la photographie, que le statut de citoyen d’un individu photographié est floué ou même inexistant ou suspendu temporairement, il faut exploiter sa vulnérabilité28 ». En exposant publiquement les images de Franziska prises sans son consentement à son domicile, Nathalie Mohadjer et Clément Barbier placent les spectateurs dans la position éthiquement discutable qui a été la leur au moment de réaliser et de sélectionner les photographies. Ce faisant, les spectateurs sont aussi poussés à réfléchir à leur propre position dans les structures de pouvoir dont Franziska subit les effets désormais sous leurs yeux.

Une installation proto-filmique : représenter la parole ouvrière

  • 29 Ariella Azoulay distingue trois types de regards avec lesquels une photographie peut être observée  (...)

15Au sein de l’exposition à la Maison Robert Doisneau, j’ai proposé trois itinéraires en tant que photographe : l’un mené en périphérie de Kassel avec Clément Barbier, et deux autres en périphérie d’Orléans avec Gwendal Simon. L’installation proto-filmique présentée vise à dramatiser certains moments des itinéraires dans lesquels les ouvriers photographiés formulent une critique de leur situation et à inviter les spectateurs à porter sur les images ce qu’Ariella Azoulay appelle un « regard civil29 ».

Itinéraire avec Uwe, Felsberg-Melsungen, 6 décembre 2017. Installation de Cécile Cuny, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020

Itinéraire avec Uwe, Felsberg-Melsungen, 6 décembre 2017. Installation de Cécile Cuny, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020

© Cécile Cuny.

Captures d’écran du diaporama présentant l’itinéraire avec Uwe

Captures d’écran du diaporama présentant l’itinéraire avec Uwe

16Le dispositif retenu pour présenter les itinéraires que j’ai réalisés en tant que photographe prend la forme d’un diaporama de 8 minutes, composé de 69 photographies associées à de courts extraits des enregistrements sonores des itinéraires30. Une bande-son composée de différents enregistrements effectués par Hortense Soichet ou moi-même dans plusieurs entrepôts logistiques visités en France et en Allemagne ponctue le défilement du diaporama par le bruit de machines, de voix ou d’engins de manutention, qui rappellent l’univers de travail des ouvriers photographiés. Il n’est cependant pas attendu des visiteurs qu’ils regardent l’ensemble du diaporama. Des assises sont offertes, mais la salle accueille également l’installation de Nathalie Mohadjer, de sorte que l’attention des spectateurs peut divaguer d’un ensemble à l’autre. La bande-son de mon diaporama accompagne la découverte des itinéraires de Nathalie Mohadjer et d’Hortense Soichet, dans une salle contigüe : elle tend ainsi à relier nos trois propositions regroupées au même étage.

  • 31 Pour Erving Goffman, la dramatisation est une fonction qui consiste à « incorporer à son activité d (...)

17Le concept de dramatisation31 permet de rendre compte des choix de montage effectués pour mon installation. Il s’agit en effet de donner un relief particulier à des signes qui, dans les conditions de visionnage offertes par l’exposition, risquent de passer inaperçus. Le diaporama met en relation deux ordres de récits différents. Le récit photographique rend compte d’un déplacement géographique. Lors de l’itinéraire que Clément Barbier et moi-même menons avec Uwe, ouvrier intérimaire dans un entrepôt logistique de Kassel, l’expérience de ce parcours est restituée par plusieurs photographies prises depuis la voiture qui relient les différentes étapes de l’itinéraire. Ce point de vue est signifié dans les images par des éléments tels que les montants et les arrondis des vitres ou du pare-brise, la silhouette des rétroviseurs, des sièges ou des passagers.

  • 32 Sur ce point, voir l’expérience menée dans les années 1970 par Robert Venturi et Denise Scott Brown (...)
  • 33 Cécile Cuny, Notes de terrain des 27 février 2020 et 18 juillet 2020.
  • 34 Ariella Azoulay, The Civil Contract of Photography, op. cit., p. 157.
  • 35 Jacques Rancière, La Mésentente, Paris, Galilée, « La philosophie en effet », 1995, p. 60 et suivan (...)

18Lorsque ces éléments sont absents, d’autres spécificités de la perception visuelle depuis une automobile participent à l’esthétique des images : flous de bouger, images en surimpression dues aux reflets sur les vitres. L’esthétique des photographies se caractérise, dans ce cas, par un ensemble de codes qui rapprochent la perception visuelle depuis une voiture de l’expérience offerte par le cinéma32. Cette proximité est encore renforcée par le montage des photographies en diaporama, l’usage d’une bande noire de sous-titres pour faire apparaître les extraits de textes qui les accompagnent et le recours à une bande-son pour rythmer le défilement. Les paroles, de leur côté, n’entretiennent aucun rapport avec les images. À ce stade, l’interprétation ou la signification donnée aux images importe moins que la manière dont les personnes acceptent ou non de se laisser porter par les éléments sonores et visuels du diaporama. Lors de deux visites de l’exposition, l’une avec mes étudiants de Master 2 d’urbanisme, l’autre avec mes enfants, âgés respectivement de 10 et 13 ans33, les diaporamas ont été regardés dans leur intégralité. Par cette attention, ils ont pris part à ce qu’Ariella Azoulay appelle « la citoyenneté de la photographie » : ils ont prolongé « l’évènement » que constitue l’itinéraire, l’occasion qu’il donne à Uwe de raconter son histoire, en l’inscrivant dans un nouvel espace, celui de l’exposition, activé par les regards des spectateurs34. L’attention de ces derniers à la parole de Uwe n’est pas garantie, de même que leur capacité à le reconnaître comme sujet avec lequel ils entretiennent un rapport d’égalité, partagent un espace commun. Cette reconnaissance correspond au « regard civil » repéré par Ariella Azoulay. Comme l’a théorisé Jacques Rancière, l’ordre social, qui attribue à chacun une place en lien avec une identité sociale, détermine en outre qui peut voir ou ne pas voir, parler ou ne pas parler, être entendu ou ne pas être entendu, être compris ou ne pas être compris. La présentation de la vidéo dans le contexte public d’une exposition devient une épreuve démocratique35.

Captures d’écran du diaporama présentant l’itinéraire avec Uwe

Captures d’écran du diaporama présentant l’itinéraire avec Uwe
  • 36 Ariella Azoulay, Civil Imagination. A Political Ontology of Photography, op. cit., p. 48.

19Une séquence consacrée à l’itinéraire de Uwe, inaugurée par les captures d’écran reproduites ci-dessus, s’avère particulièrement critique. Elle correspond à l’étape de l’itinéraire, où Uwe nous conduit sur l’ancien site de Sonntex, le fabricant de parapluies pour lequel il a travaillé une grande partie de sa carrière, et expose les conditions de son licenciement. Il s’agit de la seule séquence pour laquelle les deux ordres de récit concordent : les paroles d’Uwe commentent les lieux représentés par les photographies. Il s’agit ainsi de signaler aux spectateurs qu’ici (durant l’itinéraire et dans le diaporama), il se passe quelque chose qui réclame leur engagement. Un deuxième niveau d’implication est attendu des spectateurs : tandis que les relations entre la personne photographiée, l’enquêteur et la photographe ont été l’objet des séquences précédentes, il s’agit désormais d’expliciter les enjeux sociaux et politiques sous-jacents à la production des images et à leurs circulations. Pour paraphraser Ariella Azoulay, cette séquence invite les spectateurs à porter un « regard civil » sur les photographies, à leur faire prendre conscience qu’ils partagent un espace commun avec les personnes photographiées, les photographes et toutes les autres personnes qui ont participé à la production, à la conservation et à la circulation des photographies qu’ils regardent36.

  • 37 Stuart Hall, « Signification, représentation, idéologie : Althusser et les débats post-structuralis (...)

20À travers ce parcours qui explore – à partir des positions successives qui ont été les miennes – trois installations présentées dans le cadre d’une exposition ethno-photographique sur les « ouvrières et ouvriers de la logistique », ont été mises en évidence trois manières d’« être affecté » par une photographie. Tout d’abord, pour les membres du collectif de recherche qui sont partie prenante de la situation de prise de vue (comme cela a été mon cas dans le cadre des itinéraires que j’ai réalisés en tant que sociologue avec la photographe Hortense Soichet), c’est assumer des choix de protocoles et d’images, qui excluent une partie des personnes rencontrées de la représentation et, à travers elles, escamotent une part du monde social documenté, ce qui attire l’attention sur les biais de sélection propre à toute enquête et leurs effets politiques (dans l’exemple analysé, la réitération des inégalités de genre à l’œuvre dans la logistique). Ensuite, pour les spectateurs des photographies – dont j’ai fait également partie lorsque j’étais confrontée en tant que coordinatrice aux images des autres membres du collectif de recherche –, c’est être dérangé dans leurs certitudes éthiques par les rapports de pouvoir que révèlent les représentations. Enfin, pour la photographe que j’ai aussi été, c’est imaginer des dispositifs qui mettent les spectateurs en position de reconnaître les personnes photographiées comme des sujets politiques avec lesquels ils partagent un monde commun, matérialisé par l’espace d’exposition. « Être affecté » suppose dans les trois cas de reconnaître dans les photographies les effets des systèmes de domination dans lesquels nous nous trouvons tous pris et qui nous relient aux sujets photographiés. Comme l’exprime Stuart Hall, le fait d’« être affecté » « dévoile […] des liaisons qui, si elles peuvent se faire, ne le doivent pas nécessairement […]37 », car elles supposent un travail d’élicitation de la part non-représentée du savoir à laquelle conduit l’affectation, pour peu qu’attention lui soit prêtée.

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Notes

1 Stéphane Beaud, Florence Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, « Guides Repères », 1997, p. 306-314 ; Daniel Céfaï dir., L’Enquête de terrain, Paris, La Découverte, « Recherches », 2003, p. 15-50 ; James Clifford, « On Ethnographic Authority », Representations, volume 1, no 2, 1983, p. 118-146.

2 Daniel Céfaï dir., L’Enquête de terrain, op. cit., p. 482-483.

3 Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, « Poche », 1977.

4 Jeanne Favret-Saada, « Être affecté », in Jeanne Favret-Saada, Désorceler, Paris, Éditions de l’Olivier, « penser/rêver », 2009, p. 145-161.

5 Ibid.

6 Donna Haraway, « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective », Feminist Studies, volume 14, no 3, 1988, p. 575-599.

7 Helen Longino, Science as Social Knowledge. Values and Objectivity in Scientific Inquiry, Princeton, Princeton University Press, 1990.

8 En France, cette reconnaissance est mieux établie en anthropologie qu’en sociologie ; la sociologie visuelle est par ailleurs mieux valorisée aux États-Unis : Pierre-Marie Chauvin, Fabien Reix, « Sociologies visuelles. Histoires et pistes de recherche », L’Année sociologique, volume 65, no 1, 2015, p. 15-41.

9 Daniel Palmer, Photography and collaboration. From Conceptual Art to crowdsourcing, Londres/New York, Bloomsbury, 2017, p. 18.

10 Albert Piette, « La photographie comme mode de connaissance anthropologique », Terrain, no 18, 1992, p. 129-136.

11 Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile/Gallimard/Seuil, « Cahiers du cinéma », 1980, p. 49.

12 Margaret Olin, « Roland Barthes’s “Mistaken” Identification », in Margaret Olin, Touching Photographs, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2012, p. 50-69.

13 L’exposition a également été présentée du 13 février au 9 mai 2021 au Centre d’art et de photographie de Lectoure, du 11 juin au 24 juillet 2021 dans le cadre du festival « Fictions documentaires », organisé par le Graph-CMI à Carcassonne, du 30 septembre au 3 décembre 2022 au Bleu du Ciel à Lyon et du 20 octobre au 19 novembre 2023 à la Quinzaine Photographique Nantaise. Elle est coproduite par le laboratoire d’Urbanisme de l’Université Gustave Eiffel, la Maison Robert Doisneau de Gentilly et le Graph-CMI de Carcassonne. Un livre éponyme a été publié aux Éditions Créaphis en 2020. Selon l’espace disponible et sa configuration, les installations varient sensiblement d’un lieu à l’autre. Pour des raisons de place, mon analyse portera uniquement sur les installations proposées à la Maison Robert Doisneau. Pour une visite virtuelle de l’exposition présentée à Lectoure, voir : < https://my.matterport.com/show/?m=nBbgwKiDdhe > (consulté le 12 décembre 2023).

14 D’après les données de l’enquête Emploi de l’INSEE de 2012 pour la France et du recensement de la population de 2011 pour l’Allemagne. Les ouvriers et ouvrières de la logistique sont repérés à partir des nomenclatures des Professions et Catégories Socioprofessionnelles pour la France et de la Classification des Métiers de 2010 (Klassifikation der Berufe) pour l’Allemagne. Pour plus de détails à ce sujet, voir Cécile Cuny, Hortense Soichet, Nathalie Mohadjer, « La méthode des itinéraires photographiques : une ethnographie visuelle des mondes ouvriers de la logistique », EchoGéo, no 59, 2022 : < http://journals.openedition.org/echogeo/22938 > (consulté le 8 novembre 2022).

15 Cécile Cuny, Hortense Soichet, « Une ethnographie visuelle des mondes ouvriers de la logistique », in Cécile Cuny dir., On n’est pas des robots. Ouvrières et ouvriers de la logistique, Grâne, Créaphis, « Foto », 2020, p. 5-15.

16 Ces itinéraires consistent à mener un entretien au cours d’un déplacement à pied ou en voiture, la personne interviewée servant de guide au sociologue et au photographe. Voir Cécile Cuny, Hortense Soichet, Nathalie Mohadjer, « La méthode des itinéraires photographiques : une ethnographie visuelle des mondes ouvriers de la logistique », art. cit.

17 Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers : hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, « Quadrige », 1990, p. 51.

18 Hortense Soichet, Correspondance électronique du 10 novembre 2017.

19 Hortense Soichet, « “C’était pour sortir de la maison” », in Hortense Soichet, Hier on est sorties faire des photos, Grâne, Créaphis, 2022, p. 95.

20 Données Beschäftigungsstatistik, Bundesagentur für Arbeit, 2015.

21 Danièle Kergoat, Les Ouvrières, Paris, Le Sycomore, 1982.

22 La notion de race, employée sans guillemets, au singulier et dans un sens critique, ne signifie pas que les races auraient une consistance biologique, mais qu’elles sont constituées socialement par des relations et des discours racialisant. Voir Sarah Mazouz, Race, Paris, Anamosa, 2020.

23 Un dédommagement de 20 euros par entretien ou itinéraire a été proposé et accepté dans les trois cas ; l’un des itinéraires s’est fait avec les enfants de l’une des ouvrières.

24 Joëlle Deniot, Ethnologie du décor ouvrier : le bel ordinaire, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 53.

25 Clément Barbier, Notes de terrain du 25 avril 2018.

26 Olivier Schwartz, Le Monde privé des ouvriers, op. cit., p. 51.

27 Ibid., p. 56.

28 Ariella Azoulay, The Civil Contract of photography, New York, Zone Books, 2008, p. 111. Je traduis.

29 Ariella Azoulay distingue trois types de regards avec lesquels une photographie peut être observée : le « regard d’orientation » interprète l’image à partir des informations disponibles sur les sujets photographiés et leurs conditions de vie ; le « regard expert » s’intéresse aux caractéristiques techniques et esthétiques de l’image (cadrage, exposition, angle de vue, photographie en couleur ou en noir et blanc, taille du tirage, type d’encadrement) ; le « regard civil » s’appuie sur les éléments des regards précédents pour en dépasser les limites. Il s’agit alors d’imaginer les relations entre les personnes photographiées et le photographe, les enjeux sociaux et politiques qui sous-tendent la production de l’image et sa diffusion, ainsi que les raisons de cette production. Voir Ariella Azoulay, Civil Imagination. A Political Ontology of Photography, Londres, Verso Books, 2012, p. 120-121.

30 Un extrait de 3 minutes peut être visionné à partir du lien suivant : < https://cecilecuny.wordpress.com/kassel/ > (consulté le 12 décembre 2023).

31 Pour Erving Goffman, la dramatisation est une fonction qui consiste à « incorporer à son activité des signes qui donnent un éclat ou un relief dramatiques à des faits qui, autrement, pourraient passer inaperçus ou ne pas être compris » dans le cours ordinaire de l’expérience : Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne. La Présentation de soi, [1956], Paris, Éditions de Minuit, « Sens commun », 1973, p. 36.

32 Sur ce point, voir l’expérience menée dans les années 1970 par Robert Venturi et Denise Scott Brown à Las Vegas : Robert Venturi, Denise Scott Brown, Steven Izenour, Learning from Las Vegas, Cambridge Mass., MIT Press, 1972. Je m’appuie également sur le commentaire que Martino Stierli fait de ce travail. Voir Martino Stierli, Las Vegas im Rückspiegel. Die Stadt in Theorie, Fotografie und Film, Zurich, GTA Verlag, 2010, p. 151.

33 Cécile Cuny, Notes de terrain des 27 février 2020 et 18 juillet 2020.

34 Ariella Azoulay, The Civil Contract of Photography, op. cit., p. 157.

35 Jacques Rancière, La Mésentente, Paris, Galilée, « La philosophie en effet », 1995, p. 60 et suivantes.

36 Ariella Azoulay, Civil Imagination. A Political Ontology of Photography, op. cit., p. 48.

37 Stuart Hall, « Signification, représentation, idéologie : Althusser et les débats post-structuralistes », Raisons politiques, [1985], volume 48, no 4, 2012 p. 138.

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Table des illustrations

Titre Plan d’accrochage de l’étage de la Maison Robert Doisneau, dédié aux itinéraires photographiques. Exposition « On n’est pas des robots », Gentilly, du 19 février au 20 septembre 2020
Crédits © Cécile Cuny.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/3415/img-1.jpg
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Titre Itinéraire avec Didier, Maisons-Alfort, 27 septembre 2017. Installation d’Hortense Soichet, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020
Crédits © Hortense Soichet.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/3415/img-2.jpg
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Titre Franziska, Francfort-Höchst, 2017-2018. Installation de Nathalie Mohadjer, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020
Crédits © Nathalie Mohadjer.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/3415/img-3.jpg
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Titre Itinéraire avec Uwe, Felsberg-Melsungen, 6 décembre 2017. Installation de Cécile Cuny, Maison Robert Doisneau, Gentilly, 22 février 2020
Crédits © Cécile Cuny.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/3415/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 285k
Titre Captures d’écran du diaporama présentant l’itinéraire avec Uwe
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/3415/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 204k
Crédits © Cécile Cuny.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/3415/img-6.jpg
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Titre Captures d’écran du diaporama présentant l’itinéraire avec Uwe
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/3415/img-7.jpg
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Crédits © Cécile Cuny.
URL http://journals.openedition.org/focales/docannexe/image/3415/img-8.jpg
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Pour citer cet article

Référence électronique

Cécile Cuny, « Être affecté : politique, éthique et esthétique d’une exposition ethno-photographique »Focales [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 12 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/focales/3415 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11r5b

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Auteur

Cécile Cuny

Cécile Cuny est photographe et sociologue, maîtresse de conférences HDR à l’École d’Urbanisme de Paris et au Laboratoire d’urbanisme de l’Université Gustave Eiffel. Son travail porte sur l’espace ouvrier, l’urbanisme participatif et les collaborations entre arts visuels et études urbaines. Il emprunte des formes diverses selon les contextes de collaboration. Il a intégré les collections du Musée Carnavalet et donné lieu à plusieurs expositions en France. Cécile Cuny a dirigé l’ouvrage collectif On n’est pas des robots (Grâne, Créaphis, 2020).

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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