Sandrine Ferret, La Photographie document en action. Expériences et histoires
Sandrine Ferret, La Photographie document en action. Expériences et histoires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Arts contemporains », 2022, 212 pages
Texte intégral
1À l’heure où circulent en masse les images et les informations, tandis que le smartphone remplace au quotidien le boîtier photographique, Sandrine Ferret choisit de consacrer un livre à ce qui a fait (et continue à faire) à la fois toute la force et l’ambigüité de la photographie : sa fonction de document. Cette fonction peut prendre des formes multiples et s’avérer trompeuse. En effet, les modalités spécifiques selon lesquelles la photographie produit avec peu d’efforts une image détaillée du réel a fait reconnaître, dès son invention, son utilité au service de l’art et de la science, souvent avec une trop grande confiance dans sa neutralité objective. Si, après de nombreux débats, la photographie a trouvé une place dans le monde de l’art, il est de plus en plus acquis que la pratique documentaire en fait aussi partie.
2C’est toutefois un angle plus original que choisit d’explorer Sandrine Ferret puisqu’elle analyse, dans le champ de l’art, le document en tant qu’« action », non seulement au moment de la prise de vue, mais aussi au moment de la réception qui fait nécessairement intervenir un discours, explicite ou implicite, duquel émerge un sens. Cela permet à l’auteur de traiter conjointement la dimension esthétique et la dimension politique de la photographie document, en révélant la façon dont elle a pu être tantôt instrumentalisée au service de différentes idéologies, tantôt dépolitisée au profit d’une conception moderne de l’art pour l’art.
3L’ordre chronologique, qui se concilie avec un découpage en trois chapitres dialectiques, présente efficacement la propension de certains photographes contemporains à prendre acte des enjeux socio-politiques qui ont traversé l’histoire du médium, pour se positionner en fonction de ces derniers, de manière à éviter les pièges, à défaire les illusions, à assumer ses limites en les rendant visibles, pour finalement tirer parti de ses spécificités.
4Le premier chapitre ‒ « Faire acte d’image » ‒ se penche conjointement sur « l’acte photographique », théorisé dans les années 1990, qui caractérise la rencontre du photographe avec son sujet, et « l’acte d’image », tel qu’envisagé par Horst Bredekamp, qui concerne l’expérience du spectateur lors de la réception de l’image. Sandrine Ferret explore alors la notion d’« instant décisif » qui s’installe après-guerre au service d’idéologies distinctes, permettant d’une part à la presse libérale de mythifier le photographe capable de saisir une réalité objective dans le flux des évènements et, de l’autre, au réalisme soviétique de glorifier la figure de l’ouvrier.
5Le deuxième chapitre, « Dé-faire l’acte d’image », s’intéresse aux tendances qui s’opposèrent ensuite à cet « instant décisif » au profit d’une réaffirmation de la subjectivité artistique et au détriment parfois de l’engagement de la photographie qui se trouve dépolitisée par le formalisme. Le format « tableau » lui permet d’accéder aux galeries et aux musées, mais se présente en rupture avec l’art des années 1960 qui cherchait justement à s’en émanciper, privilégiant l’expérience aux formes instituées.
6Le troisième chapitre décrit la synthèse de ces deux mouvements antagoniques que proposent en quelque sorte certains artistes contemporains, soucieux d’assumer, sans les opposer, subjectivité et documentation, en les conciliant dans des œuvres qui joignent le témoignage à l’archive, pour tenter – avec plus ou moins de succès – de conjurer les écueils de la monstration, du voyeurisme et de l’instrumentalisation.
7En introduction, l’auteur justifie l’absence de reproductions photographiques dans l’ouvrage, d’une manière qui ne convainc pas. La disponibilité des images sur Internet est invoquée, mais aussi la volonté de ne pas « laisser croire qu’une seule photographie peut documenter une situation ». Mais le lecteur est certainement capable d’apprécier les reproductions pour ce qu’elles sont : des évocations des images originales, nécessairement différentes ou incomplètes, les échantillons d’une série d’une tout autre qualité.
8Il aurait, par ailleurs, été utile de définir et d’historiciser, dès le début de l’ouvrage, les termes de « document » et de « documentaire » – qui sont parfois utilisés indistinctement, alors qu’à d’autres moments l’auteur prétend que « le document récuse le documentaire ». Une claire distinction aurait été nécessaire non pas pour figer les catégories, mais pour tenter de faire comprendre les enjeux complexes que soulèvent ces termes. Dans une certaine mesure, toute photographie peut être potentiellement considérée comme un document « du fait qu’elle renoue avec la réalité de son temps » et qu’elle peut être utilisée a posteriori pour les renseignements qu’elle apporte sur son époque. Aux antipodes de cela, selon Walker Evans, le « style documentaire » ne fait que s’inspirer de la forme du véritable document (comme les clichés d’une scène de crime utilisée par la police) pour faire de l’art (défini par son inutilité). Quant aux artistes d’aujourd’hui, ils se plaisent souvent à jouer de l’indétermination entre le registre du document et celui de la fiction, comme le montre Sandrine Ferret.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jonathan Tichit, « Sandrine Ferret, La Photographie document en action. Expériences et histoires », Focales [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 07 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/focales/3844 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11r5l
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