Bien qu’historiquement structurés selon des logiques politiques et organisationnelles propres, les secteurs éducatif, socio-éducatif et social sont depuis plusieurs années traversés par des évolutions comparables et des rapprochements. Celles-ci renvoient à plusieurs reconfigurations. Tout d’abord, la refonte des cursus de formation et des diplômes touche directement ces secteurs, générant des mutations démographiques des emplois (rajeunissement des professionnel·les, changements dans les origines sociales et le genre). La diversification de publics ciblés et la modification des logiques de traitement (d’individualisation et d’activation notamment, Astier et Duvoux, 2006, et au-delà, Dubois, 2021) favorisent la multiplication des problèmes publics dits « nouveaux » et produisent une injonction aux partenariats dans les dispositifs institutionnels dédiés à ces secteurs. De même, sous l’effet de la nouvelle gestion publique (Bellot, Bresson et Jetté, 2013 ; Demazière Lessard et Morrissette, 2013) et du positionnement du monde associatif (Hély, 2013) en tant qu’employeur majoritaire dans ces secteurs (et de ses évolutions internes, Cottin-Marx, 2022), ces espaces de formation et de travail se retrouvent décloisonnés et leurs professionnel·les de plus en plus précarisé·es (Charles, 2021). Dans ce contexte, et majoritairement depuis les années 2000, les problématiques éducatives, sociales et sanitaires débouchent sur un accroissement de dispositifs ciblant les jeunes dits « en difficulté » (Becquet, 2012 ; Brodiez-Dolino, 2015 ; Maroy, 2018 ; Moignard, 2018).

Plusieurs travaux en sciences sociales se sont concentrés sur l’étude des processus de socialisation scolaire et professionnelle (Darmon, 2014 ; Pagis et Quijoux, 2018 ; Demazière, Morrissette et Zune, 2019) ; certains se sont focalisés sur l’élaboration d’une cartographie des frontières du travail social et de l’intervention sociale (Bouquet et Jovelin, 2005 ; Chopart, 2000 ; Ion et Ravon, 2002 ; Ion et Tricart, 1998 ; Beynier, 2002), sur l’identité professionnelle de ces professionnel·les (Molina, 2015 ; Verba, 2014 ; Vilbrod, 1995), sur les processus de professionnalisation / déprofessionnalisation à l’oeuvre (Aballéa, 2014 ; Wittorski, 2008) ou encore sur la socialisation en formation (Iori, 2018).

Ce dossier vise à appréhender les processus de fabrication des professionnel·les travaillant dans le milieu éducatif, socio-éducatif et social auprès d’un public de jeunes « en difficulté » au sens large (enfants, jeunes, familles). Il s’agit de s’intéresser aux différents moments de fabrication – de la formation au travail – , mais aussi aux manières dont les référentiels, les injonctions publiques et les normes d'intervention orientent leur socialisation, conduisant à des ajustements des identités, des postures et des activités. Dans ce dossier, nous attendons des contributions qui proposent une lecture originale de ces dynamiques en privilégiant une approche transversale, à la fois pluri-sectorielle et pluri-professionnelle, permettant de repérer des proximités au niveau des évolutions constatées et de leurs conséquences sur les professionnel·les.

L’ambition de ce dossier pour Formation Emploi est de contribuer à la réflexion sur ce que l’action publique fait concrètement aux professionnel·les et aux professionnalités dans les milieux éducatif, socio-éducatif et social et notamment à comment l’action publique agit sur les publics « en difficultés » que ces agent·es travaillent (enfants, jeunes, familles). Les contributions attendues pourront notamment s’attacher à montrer comment ces différentes réalités contemporaines ont des conséquences directes sur les professionnel·les concerné·es.

Axe 1 - La fabrique des professionnel·les en formation

Tout d’abord, une partie des contributions peuvent cibler les questions de formation. Les institutions (notamment de formation) participent directement à la fabrication des professionnel·les : la socialisation professionnelle s’opère bien avant l’entrée en poste, sous l’effet des processus d’orientation vers des filières générales, professionnelles ou vers des instituts de formation spécifiques, ou bien sous l’effet des processus d’ajustement des contenus de formations qui diffèrent d’un métier à l’autre, voire sont élaborés chemin faisant, comme cela a été le cas des métiers de la ville (Becker, Geer, Hughes et al., 1961 ; Suaud, 1974 ; Jeannot, 2011 ; Jeannot, Goodchild et Paulais, 2008 ; Orange, 2011 ; Bertrand, 2012 ; Darmon, 2013 ; Quéré, 2015). La formation demeure un espace de construction des dispositions professionnelles et des aspirations futures, qu’il s’agisse du travail de l’institution à façonner ses membres ou de la participation des élèves à construire l’institution en développant des perspectives spécifiques (Iori et Tixier, 2021). Comment se structure la formation chez ces professionnel·les dans les différents secteurs ? Quels processus sociaux sont à l’œuvre dans les parcours de formation ? Quelles attentes professionnelles mettent en avant ces institutions dans les différents processus de recrutement ? Les contributions pourront être particulièrement attentives aux dispositions demandées chez les élèves et aux catégories mobilisées par les recruteurs. Ainsi qu’aux processus de validation des acquis de l’expérience ou des formations professionnelles ponctuelles tout le long de la carrière et comment ces dispositifs interviennent dans la construction de ces agent·es. Une attention au croisement des différents secteurs (éducatif, socio-éducatif, social) et des différents publics (enfants, jeunes, familles), sera la bienvenue.

Axe 2 - La fabrique des professionnel·les au travail

Une autre partie des contributions pourrait se concentrer sur le moment au travail afin de saisir les manières dont les professionnel·les sont fabriqué·es une fois en emploi, tant en termes de pratiques professionnelles que de culture professionnelle. Plusieurs recherches se sont concentrées sur l’analyse de la socialisation professionnelle en situation (Demazière, Morrissette et Zune, 2019) afin de saisir les effets des politiques publiques socio-éducatives, médico-sociales et sociales, en particulier les déplacements successifs de registres d’intervention (par exemple le glissement vers les politique d’activation) et les modalités techniques qui en résultent (par exemple de l’accompagnement individuel à l’accompagnement collectif), sur le travail en acte (Becquet, 2021 ; Ravon et Vidal-Naquet, 2018). D’autres études se sont focalisées sur les façons dont ces professionnel·les participent également à fabriquer les politiques publiques et les dispositifs (Lipsky, 1980 ; Siblot, 2006 ; Spire, 2008 ; Dubois, 2001 et 2021 ; Zunigo, 2013) et ce, davantage sous une optique sexuée et genrée (Cardi, 2007 ; Bessin et al., 2008 ; Vuattoux, 2021), ou encore au prisme des rapports sociaux qui structurent les relations professionnelles (Bodin, 2008 ; Serre, 2009 ; Gaspar, 2012). De quelles manières sont reconfigurées leurs pratiques et plus généralement la culture professionnelle des métiers les plus établis ? Dans quelle mesure les injonctions et les cadres d’intervention publique contribuent à l’émergence d’activités ? Quels processus sociaux sont à l’œuvre dans les engagements professionnels auprès des jeunes et dans le façonnement de leurs pratiques ? Comment les injonctions professionnelles affectent les pratiques de leurs agent·es ?

Les contributions pourront également être attentives aux différences chez ces professionnel·les, liées à l’origine sociale, au genre, à la génération et à la race, voire à articuler ces éléments dans une perspective intersectionnelle.

Dans ce dossier de Formation Emploi, nous attendons des propositions issues de disciplines variées se référant aux sciences sociales (sociologie, économie, sciences politiques, sciences de l’éducation) et se situant dans un des deux axes évoqués, basées sur des données empiriques et traitant d’un terrain français, mais aussi dans d’autres contextes francophones et nationaux.

Les articles sont attendus pour le 1 décembre 2023 au plus tard, pour une publication en 2024/2025. Ils sont à envoyer à l’adresse suivante : fe@cereq.fr en précisant dans l’objet appel articles « La fabrique des professionnels ». Les articles devront respecter les normes de la revue et notamment la taille maximale (45 000 signes, 15 pages), cf. notes aux auteurs : https://journals.openedition.org/formationemploi/2611
Vous pouvez contacter si besoin en amont les coordinateur·ices qui assurent le suivi scientifique du dossier et les liens avec le rédacteur en chef et le comité de rédaction de la revue : Valérie Becquet (valerie.becquet@cyu.fr) et Ruggero Iori (ruggero.iori@cyu.fr)