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Quand l’humanitaire reproduit de profondes inégalités de carrière

Le cas des agent·es d’entretien d’organisations internationales au Cameroun
When humanitarian work reproduces profound career inequalities. The case of maintenance workers of international organizations in Cameroon
Wenn humanitäre Hilfe zu einem starken Karrieregefälle führ. Der Fall des Reinigungspersonals internationaler Organisationen in Kamerun
Cuando el trabajo humanitario reproduce profundas desigualdades de carrera. El caso del personal de limpieza de las organizaciones internacionales en Camerún
Jean Émile Mba, Éveline Keuya et Janyck Beaulieu
p. 69-93

Résumés

Cet article aborde la question des inégalités de carrière des agent·es d’entretien qui occupent une position peu qualifiée au sein des organisations humanitaires internationales au Cameroun. Il soulève une problématique novatrice qui s’intéresse à l’analyse de ces inégalités dans un champ qui pourtant prône l’égalité, l’équité et le développement humain. Mobilisant des théories éthiques du care et de la segmentation du marché du travail, il montre comment ces agent·es, en particulier les femmes, sont victimes de fortes inégalités de carrière, à la fois en raison des normes genrées associées au travail de soin, ainsi que du caractère hybride de leur métier : entre un travail domestique et un service d’entretien des bureaux. Cette hybridation s’accompagne de limitations d’accès à la formation et à la mobilité professionnelle, elles-mêmes adossées au faible niveau d’éducation de ce personnel d’entretien dans un secteur humanitaire devenu très professionnalisé.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Selon le Plan de réponse humanitaire Cameroun de 2023, p. 2.

1Le Cameroun traverse une triple crise humanitaire prolongée. D’abord, celle provoquée par la secte islamique Boko-Haram depuis 2013, au Nigeria, avec ses répercussions dans la Région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Ensuite, celle issue du conflit politico-militaire en République Centrafricaine (RCA) depuis 2013 également, engendrant de forts besoins humanitaires dans les Régions de l’Est, de l'Adamaoua et du Nord du Cameroun. Enfin, la crise sécessionniste dans les Régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest depuis 2016. À ces crises s’ajoutent les conflits intercommunautaires à l’intérieur du pays, aux interférences intra et extraterritoriales (Mba et Ngueuta Nouffeussie, 2022). L’ensemble de ces turbulences aura provoqué des mobilités forcées d’environ 371 000 réfugié·es et 805 000 personnes déplacées en interne, selon les chiffres les plus récents1. C’est dans ce contexte qu’il convient d’inscrire l’action des organisations internationales. Certain·es, internationalistes, essayent d’opposer les organisations internationales – stricto sensu – qui ont pour membres les États à une autre catégorie d’organisations qui présentent un certain caractère international, les organisations non gouvernementales (ONG) (Colliard et Dubois, 1995, p. 169). D’autres, en revanche, classent plutôt les organisations internationales en trois catégories : les organisations inter-gouvernementales composées des États, puis les ONG composées d’acteurs de la société civile et, enfin, les BINGO (Bussiness International Non Gouvernemental Organizations) créées par les entreprises du secteur privé (Smouts, Battistella et Vennesson, 2006, p. 404). Seules les deux premières catégories intéressent cette recherche, dans laquelle le terme « organisations internationales » renvoie à la fois aux organisations inter-gouvernementales (agences du système des Nations unies) et aux ONG internationales (ONGI). Il s'agit de deux catégories d’acteurs internationaux qui s’emploient à fournir une assistance humanitaire aux populations affectées par les crises sécuritaires ou des catastrophes naturelles au Cameroun. Elles seront donc légitimement désignées dans le cadre de cette recherche comme des organisations humanitaires internationales.

  • 2 Voir le Décret N° 2019/3179/PM du 02 septembre 2019 portant reconnaissance du statut de zone économ (...)

2Ces crises ont entraîné une polarisation du marché du travail avec une concentration de l’emploi aux deux extrémités des qualifications : les emplois les plus qualifiés et les peu qualifiés. D’un côté, on assiste à l’essor de nouveaux expert·es humanitaires (expatrié·es, cadres nationaux, etc.) dont le niveau de qualification peut schématiquement être appréhendé par l’élévation du diplôme et de la rémunération. De l’autre côté, à une montée des travailleur·es peu qualifié·es (chauffeur·es, agent·es communautaires, agent·es de sécurité, agent·es d’entretien, etc.) très souvent issu·es des régions en crise. Cette augmentation de la proportion des « emplois du haut » et des « emplois du bas », au détriment des « emplois du milieu », rend parfaitement compte de la polarisation de l’emploi. Entre inflation des profils qualifiés recherchés par les acteurs humanitaires et accroissement des emplois précaires exercés par des personnes qui auraient tout perdu à cause de la crise, on observe une érosion des emplois moyens dans certaines de ces régions, déjà reconnues comme économiquement sinistrées2. S’il est vrai que la concentration de l’emploi aux deux extrémités des qualifications est un phénomène difficile à mesurer, il faut néanmoins reconnaître que cette « courbe en U » de la polarisation « fait craindre une montée des inégalités et une panne de la mobilité sociale » (Jolly et Dherbécourt, 2020, p. 73) au sein des organisations humanitaires au Cameroun.

3L’objectif de cet article est de révéler comment le personnel d’entretien connaît des dynamiques de carrières sans formation ni promotion. À l’aune de ce fil conducteur et en mobilisant des théories éthiques du care et de la segmentation du marché du travail, cet article s’intéresse à un sujet rarement abordé dans la littérature existante. Il analyse la contradiction entre des organisations qui prônent pourtant la défense des droits humains, la lutte contre les inégalités au sens large et leurs pratiques vis-à-vis de leurs salarié·es en emplois peu qualifiés. La réflexion met l’accent sur la question de la domesticité : la dualité de l’activité de ce personnel entre le travail à domicile et dans les bureaux des organisations renforçant leur vulnérabilité.

4Ainsi, l’article procède tout d’abord à une construction de l’objet de recherche (revue de la littérature, éclairage conceptuel, encadrement théorique et méthodologique), avant de déboucher sur la présentation des résultats. Il montre notamment comment le métier d’agent·e d’entretien relève d’un phénomène d’hybridation : entre travail dans les bureaux et en « Guest house » (domicile privé).

1 Une problématique déjà abordée, mais de façon lacunaire

  • 3 L’expression au pluriel « les Suds » est de plus en plus utilisée afin de marquer la diversité de s (...)

5La question des inégalités dans le champ humanitaire n’est pas nouvelle en soi. Une première approche a consisté à s’intéresser aux relations entre « aidants et aidés » (Ferrero, 2017), par essence déséquilibrées. Dans ce contexte, l’approche éthique d’inspiration biomédicale s’est largement emparée de la question ces dernières années, explorant les relations asymétriques entre populations « bénéficiaires » et acteur·ices humanitaires (Mattei, 2015). Des recherches révèlent comment de nombreuses organisations humanitaires ont dû affronter des controverses internes ou bien des scandales publics liés à des accusations de racisme, de violences sexuelles (Verlin et Martin, 2021 ; Durach et Noyer, 2021), voire à des pratiques néocoloniales soulevant la question des rapports de pouvoir. On peut également considérer ces situations sous l’angle d’une relation de subordination entre les expatrié·es et leurs employé·es domestiques (Claeys et Richard-Ferroudji, 2021). Une perspective qu’adopte Alizée Delpierre dans ses travaux consacrés aux « domestiques chez les grandes fortunes » (2022 ; 2022), en montrant comment les aristocrates français emploient le personnel domestique pour, d’une part, faire le ménage, cuisiner et, d’autre part, les conduire lors de leurs déplacements en mission et sur le lieu de travail. Une analyse qui révèle une forme d’hybridation particulièrement inspirante pour ce travail, afin de mettre en évidence les différents usages sociaux de la domesticité, mais qui peut également être transposée dans les Suds3, où les droits des travailleur·es domestiques demeurent fragiles (Delpierre et Malarmey, 2021).

6Dans le contexte humanitaire, certaines recherches ont exploré les inégalités de traitement entre expatrié·es (Fresia, 2009) et personnel national, en termes d’écart salarial (Strempel, 2016 ; Farah, 2020). Si ces travaux ont le mérite d’aborder les questions des inégalités sociales, économiques et de carrière dans certaines aires géographiques, la problématique spécifique des inégalités de carrière dont font l'objet les agent·es d’entretien travaillant au sein des organisations humanitaires internationales est occultée, notamment en contexte camerounais. Par inégalités de carrière, l’on fait référence aux disparités et aux déséquilibres de traitement et de trajectoires professionnelles entre les travailleur·ses qualifié·es et peu qualifié·es dans le champ humanitaire.

7Cette recherche vise donc à rendre compte de ces inégalités à l’aune d’une approche s’inscrivant dans les travaux classiques des sociologues de l’École de Chicago, notamment ceux d’Everett Cherrington Hughes (1962). L’auteur propose de conceptualiser les enjeux nominaux des métiers, notamment sa formule du « sale boulot » – « dirty work » en anglais – par rapprochement au métier d’agent·e d’entretien. Il postule qu’un travail est composé d’activités honorables et moins honorables, donc « peu qualifiées », nommées « sale boulot ». Au cours des interactions, les individus chercheront sans cesse à déléguer à d’autres leur part de « sale boulot ». Dominique Lhuilier dresse le même constat lorsqu’elle estime que « dans ce qu’on appelle le monde du travail, il est des professions prestigieuses, valorisées, et d’autres méconnues ou dévaluées. Mais il y a aussi, à l’intérieur de chaque métier ou fonction, des activités sources de plaisir et de gratification, et d’autres considérées comme indues ou ingrates » (Lhuilier, 2005, p. 73). Pour l’autrice, « il s’agit essentiellement de professionnels qui œuvrent dans des champs où se conjuguent méconnaissance, rejet et déni. Le plus souvent des poches d’oubli » (p. 74). Une perspective qui semble correspondre à la présente démonstration.

8Aux appellations diversifiées (janitor ; cleaner ; cuisinier ; hygiéniste ; jardinier, etc.) selon les organisations, le travail d’agent·e d’entretien est considéré comme un emploi peu qualifié (aux salaires, niveaux d’études et compétences situés « au bas de l’échelle » ), appartenant à la catégorie plus large des « métiers du care » (Molinier, 2015), au même titre que les aides-soignant·es, auxiliaires de vie, aides à domicile, nounous, agent·es de sécurité, etc. Pour Pascale Molinier (Ibid., p. 188) « le care désigne des activités dévalorisées, invisibles et sous-payées, réalisées à domicile ou en institution par des femmes en majorité ». Le terme agent·e d’entretien dans cette recherche s’arrime au concept de « domesticité ». Nous sommes bien conscient·es de l’embarras et de la difficulté que suscite l’usage de ce terme, qui peut prêter à l’équivoque et paraître impropre au champ humanitaire.

9Il s’agit d’une ambiguïté qui nécessite d’être levée d’emblée, afin de dissiper tout malentendu. A priori, il pourrait sembler inapproprié de parler de « domesticité » pour désigner les travailleurs et travailleuses rompu·es aux tâches de ménage au sein des organisations humanitaires internationales. Voilà pourquoi ces organisations elles-mêmes, conscientes de ce malaise, préfèrent l’usage de certains anglicismes tels que « janitor ; cleaner ; cooker » ou des appellations mélioratives comme « technicien·nes de surface, agent·es d’entretien ; hygiénistes », pour écarter toute sensation de malaise que procure la seule évocation du terme « travailleur ou travailleuse domestique » en contexte humanitaire car renvoyant étymologiquement à serviteur·se.

  • 4 Décret N° 68-DF-253 du 10 Juillet 1968 fixant les conditions générales d’emploi des domestiques et (...)
  • 5 Voir la Convention (n° 189), sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011, https://www.i (...)
  • 6 Arrêté n° 39/MTPS/IMT du 26 novembre 1984 fixant les mesures générales d’hygiène et de sécurité sur (...)

10Les cadres juridiques camerounais4 de régulation de cette profession eux-mêmes limitent l’usage de la catégorie « travailleur domestique » ou « employé de maison » à la sphère purement privée. Le texte définit le « domestique ou l’employé de maison, comme tout travailleur embauché au service du foyer et occupé d’une façon continue aux travaux de la maison » (art. 1). Ce caractère privé de la profession est repris dans la Convention internationale (n° 189) de 2011 sur les travailleuses et travailleurs domestiques, qui dispose en son article 1 que « l’expression travail domestique désigne le travail effectué au sein de ou pour un ou plusieurs ménages5 ». Mais, ni le cadre juridique camerounais issu du décret présidentiel du 10 juillet 1968 « fixant les conditions générales d’emploi des domestiques et employés de maison », ni la Convention de l’Organisation internationale du Travail (OIT) de 2011 sur les travailleuses et travailleurs domestiques, n’autorisent le travail domestique dans un lieu autre que les ménages. L’hybridation qui se dégage dans leur travail en contexte camerounais est donc peut-être favorisée par l’inexistence d’un cadre légal spécifique au travail de nettoyage en entreprise au Cameroun. Seul existe l'arrêté « fixant les mesures générales d’hygiène et de sécurité sur les lieux de travail6 ». Mais il fixe uniquement les règles générales de base en matière d’hygiène et de sécurité sur les lieux de travail visant une protection aussi efficace que possible de la santé des travailleur·ses, sans pour autant traiter spécifiquement de la question du travail de nettoyage en entreprise.

11Le personnel d'organisations humanitaires effectuant des tâches d’entretien ou de ménage au sein de celles-ci ne pourraient être assimilé·es aux travailleur·ses domestiques, du moins si l’on se limite à l’énonciation juridique du concept de domesticité, explorée plus haut, qui circonscrit le travail domestique à la sphère du ménage. Le concept de domesticité est également capitalisé dans bon nombre de travaux dans les Suds (Borgeaud Garciandía, Guimarães, Hirata, 2020), qui réduisent eux aussi la domesticité à une catégorie professionnelle d’aide à domicile, généralement caricaturée autour des expressions de « boys ou travailleurs de maison » (Deslaurier, 2019) ou encore de « petites bonnes » (Jacquemin, 2012 ; Le Petitcorps, 2019 ; Destremau et Lautier, 2002), en prenant le cas des travailleuses domestiques au Sénégal (Gassama, 2005 ; 2018).

12Or, à y regarder de plus près, ce personnel humanitaire d’un autre genre occupe une position professionnelle hybride et inégalitaire, si l’on inscrit les domesticités dans leur contemporanéité. Hybride pour faire référence à la combinaison de deux espaces de travail : dans les domiciles privés, ou « guest-house », du personnel humanitaire expatrié et dans les bureaux des organisations humanitaires. Inégalitaire, au regard des écarts de traitement professionnel entre les personnels peu qualifiés et qualifiés, mais aussi en vertu du déséquilibre de pouvoir (« imbalance of power ») au sein de l’organisation (Sani et Issoufou, 2018). Rendre compte des relations asymétriques entre les humanitaires qualifié·es et leur personnel de ménage, le plus souvent des femmes, impose de recourir aux théories éthiques du care et de la segmentation du marché du travail, avant de présenter la méthodologie.

2 Entre les théories du care et de la segmentation du marché du travail

13Le secteur de l’humanitaire, dans sa course vers la professionnalisation, est devenu un environnement compétitif où seule la qualification garantit l’insertion et le maintien des individus. Anne Le Naëlou (2004) explique, dans un travail de recherche, que les ONG de solidarité internationale vont de plus en plus au-delà de leur identité originelle pour embrasser un processus de professionnalisation bien plus complexe qui se traduirait par « une compétitivité accrue, des méthodologies affinées et sophistiquées, l’instauration de la salarisation et de la régulation du temps de travail, une expertise sectorielle performante » (p. 729).

  • 7 Rapport disponible sur : https://www.bioforce.org/wp-content/uploads/2021/01/sohp2020-fr.pdf
  • 8 Plaidoyer (représenter une organisation et défendre ses intérêts auprès des pouvoirs publics, des m (...)
  • 9 Coordination et gestion de camp. Education. Sécurité alimentaire et moyens de subsistance. Santé. A (...)
  • 10 La redevabilité envers les populations affectées est une démarche d’inclusion qui vise à encourager (...)

14Cette situation est perceptible au Cameroun à travers l’émergence de nouveaux métiers humanitaires de plus en plus techniques, pointus et spécialisés : c’est le cas des expert·es en suivi-évaluation ; des profils spécialisés en technologies de l’information ; des ingénieur·es ; des responsables en sauvegarde, en qualité et conformité ; en sécurité et accès humanitaire, etc., autant de nouveaux métiers qui exigent une expertise qualifiée. Un récent rapport7 présente les résultats d’une étude menée par l’Institut Bioforce pour dresser l’état des lieux de 24 métiers humanitaires identifiés en 2020 (The State of Humanitarian Professions, SOHP). Il s’agit des métiers fonctionnels8 (consistant à fournir des services utiles à un large éventail d’interventions humanitaires, permettant la réalisation efficace de projets) et des métiers thématiques9 (qui fournissent des services liés à un thème ou à un type d’intervention spécifique). Le rapport de terrain explique que « certains domaines professionnels semblent disposer d’opportunités de professionnalisation significatives » (p. 29), notamment les métiers de suivi, évaluation, redevabilité10 et apprentissage et les métiers de gestionnaires de projets/programmes, avec des formations certifiées à la clé. Les professionnel·les disposant de ces compétences sont des atouts précieux pour les organisations qui cherchent à gagner la confiance des bailleurs. Le programme Project Management for Development Professionals (PMDPRo) a commencé à introduire des formations et des certifications dans le travail humanitaire. Le rapport indique également que « de nouveaux domaines professionnels semblent se professionnaliser plus rapidement » (p .29), notamment les métiers de transferts monétaires ; des technologies de l’information et de la communication ; les métiers de la protection de l’enfance, de lutte contre les violences sexuelles et celles liées aux genre ; les métiers de la logistique où des efforts significatifs ont été entrepris afin d’en garantir la qualité par des pratiques coordonnées d’apprentissage et de certification.

15Si l’on poursuit la réflexion dans le sens inverse, on réalise davantage encore que le même scénario se produit pour les métiers dits peu qualifiés. L’inflation généralisée des « emplois d’en bas » s'illustre sur le terrain, où celles et ceux qui exécutent le « sale boulot » sont généralement les travailleur·ses sociaux, les volontaires communautaires, les mobilisateur·ices communautaires, les chauffeur·ses (bien que majoritairement masculins), gardiens, ou encore les agent·es d’entretien, etc. Face à cette polarisation, les emplois plus qualifiés créent un environnement professionnel plus concurrentiel, rendant les emplois non qualifiés moins compétitifs. L’hyper-professionnalisation des premiers favorise l’émergence de nouvelles compétences et une concurrence accrue dont la conséquence directe est la dépréciation des profils non qualifiés, notamment les agent·es d’entretien. La segmentation du marché du travail qui en découle favorise des inégalités dont sont victimes les employé·es peu qualifié·es mais aussi les fluctuations du marché de l’emploi dues à la réduction des effectifs quand les financements s’amenuisent.

  • 11 Information disponible dans le journal tri-hebdomadaire régional du Nord Cameroun, L'Oeil du Sahel, (...)

16Ce personnel provient généralement des zones affectées par les crises humanitaires, lorsqu’il n’est pas issu de la communauté des réfugié·es ou des personnes déplacées internes. Ainsi, très récemment, un journal local, L’œil du Sahel, titrait déjà « Les Nordistes en colère contre les ONG en activités dans le Grand-Nord11 ». Le journal mettait en exergue les frustrations, injustices et discriminations subies par les populations locales de la partie septentrionale du pays qui occupent des emplois non qualifiés au sein des ONG humanitaires par rapport aux Camerounais·es venant des autres régions du pays et qui bénéficient de postes à responsabilités plus élevées au sein de ces ONG. Une situation qui informe sur la segmentation du marché de l’emploi : un marché externe du personnel issu des autres régions aux profils professionnels plus compétitifs, concentrant les emplois les plus stables et aux perspectives de carrière plus intéressantes, et un marché interne constitué des profils locaux des régions affectées par la crise humanitaire, rassemblant les emplois peu qualifiés et moins compétitifs. Il s’agit là d’une segmentation géographique, alors que d’autres travaux, comme ceux d’Hélène Zajdela (1990), analysent la segmentation du marché de l’emploi à l'aune d’autres critères sociaux résumés en définissant la segmentation comme : « la coexistence de deux secteurs, un secteur primaire, caractérisé par de hauts salaires, la stabilité de l’emploi, de bonnes conditions de travail et des possibilités de promotion et un secteur secondaire où les salaires sont faibles, le risque de chômage important, et les promotions inexistantes » (p. 30). Cette segmentation engendre une professionnalisation accrue du premier secteur constitué des profils plus qualifiés, un manque de formation et une panne de la mobilité chez les profils peu qualifiés. En ce sens, l’éthique du care améliore la réflexion sur la vulnérabilité de cette catégorie de personnel peu qualifié, afin de montrer comment cette segmentation a provoqué une sorte de discrimination sociale de telle manière que « les activités consistant à prendre soin au quotidien, le souci des autres, la sollicitude ont été socialement et moralement dévalorisées » (Paperman, 2010, p. 54). D’où les freins à la formation et à la mobilité professionnelle observés chez les agent·es d’entretien.

17Cet ancrage théorico-épistémologique s’accompagne d’un cadre méthodologique (encadré 1 ci-après et annexes 1 et 2 en version électronique de l’article) décrivant les procédés opératoires de collecte et d’analyse des données empiriques. Ensuite, les résultats de la recherche sont présentés en analysant, d’un côté, le phénomène d’hybridation, et de l’autre, les inégalités d’accès à la formation et à la mobilité professionnelle.

Encadré 1. Méthodologie
Cette recherche s’est déroulée entre septembre 2022 et septembre 2023 auprès d’un échantillon d’au moins un ou un·e répondant·e par organisation, dans trois régions (Extrême-Nord ; Adamaoua et Est), où l’on a pu recenser 34 structures humanitaires internationales, soit neuf agences onusiennes(1) et deux organisations relevant du mouvement de la Croix-Rouge(2), mais également 23 ONGI(3) (Organisation non gouvernementale internationale, cf. annexe 1 en version électronique). Ces zones ont été choisies car elles sont les plus affectées par les crises humanitaires.
Les difficultés pour atteindre une cible initialement fixée à un·e répondant·e par organisation, dues au refus de certain·es participant·es craignant de perdre leur travail si elles/ils venaient à s’exprimer sur leur condition, ont fait que seules 18 sur 34 organisations ont pris part à la recherche. À la suite de cela, nous avons fait le choix de questionner plus d’un·e répondant·e par organisation pour finalement atteindre 36 personnes interrogées via les entretiens en face-à-face ou téléphoniques.
Un fichier Excel simplifié a permis d’enregistrer et d’analyser les données pour élaborer les tableaux croisés dynamiques. L’analyse de contenu mobilisant une analyse des co-occurrences a permis d’attribuer aux questions 16(4) et 17(5) du guide d’entretien un quota très élevé. Par ailleurs, l’analyse thématique s’est avérée nécessaire pour classer les données par unité thématique (sexe, âge, niveau d’études, poste à responsabilités, structure et zone de travail).
(1) : The Food and Agriculture Organization (FAO) ; Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) ; Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) ; Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ; Programme Alimentaire Mondial (PAM) ; United Nations Development Programme (UNDP) ; The United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR) ; The United Nations Children’s Fund (UNICEF) ; United Nations Population Fund (UNFPA).
(2) : Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ; Croix-Rouge française (CFR).
(3) : Action Contre la Faim (ACF) ; Agence de Développement Economique et Social (ADES) ; Action Humanitaire Africaine (AHA) ; African Initiatives for Relief and Development (AIRD) ; The Alliance for International Medical Action (ALIMA) ; Cooperative for American Remittances to Europe (CARE) ; Catholic Relief Services (CRS) ; Danish Refugee Council (DRC) ; Fairmed ; Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) ; Good Neighbors Cameroon (GN) ; International Emergency and Development Aid (IEDA) ; International Medical Corps (IMC) ; International NGO Safety Organisation (INSO) ; International SOS (Intersos) ; International Rescue Committee (IRC) ; The Jesuit Refugee Service (JRS) ; The Lutheran World Federation (LWF) ; Médecins Sans Frontières (MSF) ; The Norwegian Refugee Council (NRC) ; Plan International (Plan Int.) ; Première Urgence Internationale (PUI) ; Solidarité Internationale (SI).
(4) : Question n° 16 du guide d’entretien : « Depuis votre recrutement, votre organisation vous a-t-elle formé dans le but d’améliorer votre performance au poste ? Sur quoi se basaient les formations ? ».
(5) : Question n° 17 du guide d’entretien : « Pensez-vous avoir les possibilités d'ascension professionnelle ou de promotion au sein de l'organisation ? ».

3 Le phénomène d’hybridation : entre travail dans les bureaux et en « Guest house »

  • 12 Entretien avec une agente d’entretien d’une organisation, qui a préféré garder l’anonymat, dans la (...)

« Avant, je faisais mon travail d’entretien des bureaux normalement, mais quand je finis, j’aide les expatriés dans la Guest house avec les tâches de ménage et à la fin du mois, ils me donnent même 30 000 frs [soit 50 €, ndr]. Mais ces tâches supplémentaires n’ont rien à y voir avec l’organisation, puisque ce n’est pas écrit dans le contrat. Ce sont les expatriés eux-mêmes qui me motivent à leur propre compte12 ».

18Ce premier verbatim informe sur des arrangements informels entre expatrié·es et agent·es d’entretien. Cette dualité entre travail de bureau et à domicile se noue ainsi autour des relations interpersonnelles parfois subjectives, en dehors de tout cadre légal de la relation d’emploi. Des rapports sociaux qui émergent alors de cette informalité peuvent clairement s’adosser à une relation de domination, entre celles et ceux qui détiennent le pouvoir (les expatrié·es) et les agent·es d’entretien qui travaillent pour eux. On est donc confronté ici à ce que l’on peut appeler la « dualité de la domesticité », formelle et informelle, comme le révèlent les propos ci-après :

  • 13 Agente d’entretien, interview réalisée dans l’Adamaoua.

« Je suis agente d’entretien en même temps que cuisinière (...). Il y a de cela trois ans que je travaille au sein de cette organisation. J’ai fait deux ans comme agente d’entretien, mais je cuisine aussi pour les expatriés. Mais, je reconnais plus mon poste de cleaner, parce que c’est ça qui est dans mon contrat. Comme agente d’entretien, je nettoie les bureaux, la résidence et les alentours, vide les poubelles, etc. En cuisine, je fais les courses et prépare pour les chefs »13.

  • 14 Avis de recrutement : cuisinier/agent d’entretien, pour l’ONG Solidarités Internationales, publié l (...)
  • 15 Idem.
  • 16 Avis de recrutement d’un Agent d’Entretien Cuisinier, pour La Croix-Rouge camerounaise et la Croix- (...)

19Cependant, l’hybridation du travail n’est pas seulement informelle. Dans bon nombre de cas, elle est formellement exprimée dans les contrats de travail ou dans plusieurs avis de recrutement diffusés par les organisations humanitaires, auxquels on a eu accès sur internet. Cet extrait d’un « avis de recrutement : cuisinier/agent d’entretien » stipule que « l’agent d’entretien est chargé de nettoyer le cadre de vie et de travail du personnel de Solidarités Internationales afin de le maintenir propre, sain et agréable. La personne aura principalement les responsabilités suivantes : maintenir, désinfecter, assainir, les bureaux, la Guest-house, les linges, la cuisine, les ustensiles de cuisine et tout équipement ménager régulièrement14 ». L’avis de recrutement précise que le ou la candidate devra « savoir cuisiner (repas multiculturels) sain, varié, et gérer le stock de nourriture et de produits de base pour les locataires de la Guest-house et selon le nombre de personnes fixé et le planning défini15 ». Le même type d’hybridation ressort de l’avis de recrutement d’un « agent d’entretien-cuisinier » de la Croix-Rouge camerounaise et de la Croix-Rouge française, qui stipule que : « l’agent d’entretien cuisinier·ère est chargé·e de : la gestion de la propreté des bureaux ; gestion de la cuisine des domiciles des délégués16 ». Des avis de recrutement à caractère hybride comme ceux-ci sont légion, mais ne sont pas systématiquement publiés en ligne. Plusieurs organisations peuvent également proposer une alternance de leurs agent·es d’entretien entre une période au bureau et une autre en « Guest-house ». L’anglicisme « Guest-house » fait ici référence au lieu d’habitation des expatrié·es ou du personnel en mission. Généralement, elles se trouvent dans le même bâtiment que les bureaux, renforçant encore davantage le caractère hybride du travail des agent·es d’entretien.

  • 17 Avis de recrutement : Un(e) cuisinier(e) / Agent d’entretien, pour Médecins sans Frontières (MSF) S (...)

20Mais lorsqu’elle est séparée des bureaux, on assiste alors à la formation de deux équipes : une pour la Guest-house et une autre pour les bureaux. Ces cas sont rares et diminuent les risques de vulnérabilité auxquels sont exposés les agent·es d’entretien, comme chez Médecins Sans Frontières (MSF), où la division du travail entre le domicile et le bureau est respectée, comme on peut l’observer dans cet avis de recrutement : « Préparer les repas du personnel MSF et exécuter le ménage, le nettoyage et le rangement, conformément aux normes d’hygiène et aux règles de sécurité, et de manière à assurer les besoins nutritionnels de tous17 », où un·e agent·e d’entretien assure uniquement le ménage à domicile.

21Tout va donc dépendre de la configuration du bureau. S’il intègre la « Guest-house », l’hybridation du travail se systématise, mais s’il en est éloigné, la division du travail s’opère.

22Cette forme de division du travail est largement utilisée au sein des agences du système des Nations unies qui ont la particularité de recruter les sociétés prestataires de services, qui à leur tour recrutent des agent·es d’entretien ou des cuisinier·es. C’est le cas de leur partenaire « Nettoyage Industriel du Cameroun » (NICAM)18, qui ne fait que du nettoyage de bureaux, et de l’ » Établissement Repress » qui s’occupe uniquement du bien-être du personnel en « Guest-house », comme l’illustrent les propos de l’un des cuisiniers responsable d’établissement :

  • 19 Entretien avec le cuisinier d’un établissement affilié à une société camerounaise prestataire des N (...)

« Je suis prestataire des Nations unies, propriétaire d’une société qui fait dans la restauration. Je m’occupe de nourrir et de veiller au bien-être du personnel des Nations unies, 24/24, 7j/719 ».

  • 20 Voir le site internet de la structure pour plus d’informations.

23C’est aussi le cas du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) qui travaille avec « Gic-Multiservice Cameroun »20 sur l’ensemble du territoire national. Cette entreprise camerounaise offre des services de nettoyage de bureaux et de restauration. Selon un cadre de cette structure :

  • 21 Entretien avec un membre du personnel de la Gic-Multiservice Cameroun.

« Bien qu’il y ait une division du travail entre la restauration du personnel des Nations unies et l’entretien des bureaux, cela dépend des sites. Dans les sites de grande taille, les bureaux sont séparés de la « Guest-house », alors, il y a des équipes spécialement consacrées à la Guest et d’autres pour les bureaux. Mais pour les petits sites avec des petits effectifs, la « Guest-house » est incorporée dans le même bâtiment ou bureau ou dans la même concession. Dans ce contexte, on n’a pas besoin d’une main-d’œuvre abondante. Le/La même agent·e d’entretien des bureaux s’occupe alors en même temps du ménage de la Guest21 ».

24Travailler avec ces sociétés de prestation permet aux agences onusiennes de réduire certains coûts salariaux, patronaux et de bénéficier d'autres avantages professionnels. En transférant les risques à ces sociétés, les agences du système des Nations unies évitent d’aligner les grilles salariales de leur personnel de ménage sur celles du système onusien qui imposent des charges salariales et patronales conformes aux standards des Nations unies (salaires très élevés ; couverture santé ; scolarisation des enfants ; congés de maternité rémunérés, etc.) Les prestataires, quant à eux, se conforment au Code du travail22 camerounais et généralement appliquent à leurs employé·es une rémunération qui dépasse rarement le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) fixé à 43 969 F CFA (67 euros).

25Ces prestataires ne respectent pas très souvent leurs obligations d’employeurs, notamment liées à la sécurité sociale (affiliation à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) ; jouissance des congés etc.) selon l’analyse de Valenti Ngouyamsa et de Trésor Fobasso Guedjo (2020).

26Si les agences des Nations unies optent pour une approche de sous-traitance avec des sociétés prestataires de services, plusieurs ONG internationales préfèrent recruter leur propre personnel d’entretien. Dans un cas comme dans l’autre, ces agent·es d’entretien sont exposé·es à des formes multiples de vulnérabilité (une vulnérabilité à laquelle la plupart des théories du care font référence) et bénéficient d’opportunités limitées en termes de carrière au sein de ces organisations.

4 Un personnel d’entretien vulnérabilisé

27Les données empiriques collectées montrent que la majorité des agent·es d’entretien occupe une position hybride dans les organisations humanitaires au Cameroun. Cette dualité professionnelle public-domestique semble donc justifier l’application du concept de « domesticité » au champ humanitaire. En effet, il y a une vingtaine d’années, la domesticité était qualifiée, par certains auteur·ices (Destremau et Lautier, op. cit.,), de « catégorie négligée par la recherche », qui regrettaient le manque de travaux portant sur la question. Aujourd’hui, le traitement scientifique des situations de domesticité en tant qu’objet de recherche s’est accru, notamment en Afrique subsaharienne (Destremau et Lautier, 2005 ; Ngouyamsa et Fobasso Guedjo, 2020), où la domesticité est principalement liée à la polarisation du marché du travail génératrice d’emplois peu qualifiés, à travers une segmentation des secteurs. Les agent·es d’entretien, en termes de perception sociale, sont davantage considéré·es comme des travailleur·ses domestiques que comme des professionnel·les à part entière.

28Le lien entre l’hybridation du métier et la vulnérabilité se traduit parfois par une violence sexuelle prenant la forme de harcèlement, lorsqu’elle ne tourne pas à la maltraitance, comme l’illustre ces propos :

  • 23 Entretien avec une agente d’entretien, interviewée dans la Région de l’Est.

« Ma seule frustration, c’est avec mes chef·es, surtout pour nous qui travaillons comme femmes agentes d’entretien. Tu sais, à cette position, la relation femme-homme ne tient pas, l’homme veut toujours te mater, toujours insatisfait du travail que tu fais et exiger de toi tout ce qu’il veut, capricieux, des attouchements par-ci, par-là [...]. Quand une femme mariée se retrouve dans de pareilles situations, on se demande s’il faut satisfaire aux envies du chef ou pas. Ce sont des décisions difficiles à prendre, ne sachant pas comment tu seras vue après. C’est moins harcelant quand le patron est inférieur d’âge que toi ou quand c’est une femme23 ».

29Si ce propos traduit les actes de harcèlement dont sont victimes les femmes agentes d’entretien, leur double rôle au bureau et au sein des domiciles peut aussi se traduire en termes de pluralité de tâches d’agent·e d’entretien, où l’hybridation est l’une des sources de pénibilité du travail :

  • 24 Entretien avec une agente d’entretien, interviewée dans l’Adamaoua.

« Pour être sûre que toute l’enceinte et les bureaux sont propres avant 8h pour accueillir le personnel. Dès que je finis entre 9h et 10h, je vais directement à la résidence des expatrié·es et là je commence par faire le marché, ensuite le ménage (nettoyage du sol, de la cour et la vaisselle), pour ensuite préparer et terminer par la lessive. Je rentre très souvent après l’heure et très fatiguée...24 ».

30Ces propos trouvent sans doute une explication dans l’étude d’Arnaud Dandoy (2017) qui explore les relations inégalitaires et paradoxales qui se développent entre les « humanitaires et leurs femmes de ménage », en violation des considérations éthiques. La dépendance mutuelle entre les humanitaires et leur femme de ménage renforce cette relation de domination masquée qui alimente les tensions et les frustrations. Le personnel domestique, aux yeux de certain·es humanitaires, se situerait en bas de l’échelle des valeurs sociales, parmi toutes les tâches à accomplir dans un métier donné qui sont jugées serviles, fastidieuses, voire dégradantes, et ne procurent aucun prestige social, exposant ceux et celles qui les réalisent au mépris des autres collègues, comme l'illustrent ces propos :

  • 25 Entretien réalisé le 31-12-22 à Meiganga avec une agente d’entretien à AHA.

« Ce que je connais comme frustration, c’est le manque de considération, par mes collègues, du travail que je fais. Pour eux, mon travail n’est pas important. Pendant que tu nettoies le sol, par exemple, quelqu’un passe dessus avec de la boue. Certains souvent pensent comme tu es ménagère, tu es moins que rien qui doit obéir à tout le monde25 ».

31C'est précisément contre ces préjugés et ces stéréotypes à l’égard des métiers du care que s’insurge Carol Gilligan. Dans la perspective du care, la vulnérabilité est indissociable des relations de pouvoir et de domination s'adossant à des lignes hiérarchiques à plusieurs niveaux. Bien que les agent·es d’entretien soient sous la supervision directe des logisticien·es qui assurent leur encadrement et évaluent leur travail, de fait, ils et elles reçoivent les ordres de tout le personnel, y compris des expatrié·es. Très souvent, ces agent·es sont confronté·es à des injoinctions contradictoires renforçant leur vulnérabilité. Des injonctions qui sont elles-mêmes adossées aux perceptions socialement construites des métiers du care. Ces perceptions sociales collectivement partagées et péjoratives à l’égard des agent·es d’entretien alimentent probablement d’autres formes d’inégalités salariales et des abus professionnels, comme le révèlent ces propos :

  • 26 Entretien avec un agent d’entretien à Maroua.

« C’est la société [grande société de nettoyage camerounaise] qui nous a recruté. Nous nous occupons seulement des bureaux. On fait le nettoyage, l’entretien des bureaux. Mais le salaire est tellement bas, 45 000 francs CFA mensuellement [soit 68,60 €, ndr] qu’on nous paie à la main. On ne voit pas nos contrats physiquement, c’est seulement par la bouche qu’on nous dit que le contrat est signé. Les agences des Nations unies nous motivent pour des tâches supplémentaires que nous faisons26 ».

32Ce verbatim illustre les formes de vulnérabilité auxquelles sont soumis·es les agent·es d’entretien, notamment leur exposition à l'insécurité sociale. Il s’agit ici des groupes ne bénéficiant pas de systèmes de protection sociale. Ces travailleur·ses employé·es par cette société ne bénéficient pas de l’assurance maladie ni des cotisations à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS).

33C’est justement à l’occasion de cette hybridation que plusieurs subissent des actes de harcèlement au travail. Ces violences à la fois sexuelles, sexistes, verbales et psychologiques s’inscrivent dans la dimension genrée des emplois en question. Certains travaux ont montré comment la sexualité des humanitaires femmes est très souvent constituée en objet d’échange pour faciliter leurs carrières (Westendorf, 2021). En 2021, un article est paru dans la revue Alternatives Humanitaires, sur l’« Exploitation et abus sexuels dans les organisations humanitaires au Cameroun » (Mba, 2021). Il s’agit d’une enquête menée de novembre 2020 à janvier 2021 auprès de 400 professionnels humanitaires (300 femmes et 100 hommes). Il ressort que 70 % des répondant·es (humanitaires et bénéficiaires de l’aide) déclarent avoir été exploité·es et abusé·s sexuellement par le personnel humanitaire (expatrié·es y compris), les 30 % restant affirmant avoir repoussé les avances répétitives des cadres (Mba, 2021, p. 95).

34Ces logiques du « sexe transactionnel » dans les opérations humanitaires ne génèrent pas seulement de la violence sexuelle, mais également des formes de discrimination sexiste et d’exclusion sociale (Haddad et BouChabke, 2022).

35Carol Gilligan, dans son ouvrage, Une voix différente (1982), s’insurge contre ce qu’elle qualifie de normes de discriminations sexistes et patriarcales, issues des conclusions de l’étude de Lawrence Kohlberg (1981), qui indiquaient que les femmes avaient une certaine « faiblesse morale » et qu’elles obtenaient systématiquement des scores plus bas que les hommes. Ce qui l’amène à développer une éthique du care. Elle s’élève contre le fait que le care, entendu comme la « capacité à prendre soin d’autrui », apparaît toujours associé au féminin à partir des assignations genrées, en termes de distribution de rôles sociaux et de diffusion des préjugés. La reproduction de telles assignations genrées, à travers les assignations majoritaires des femmes aux tâches et aux métiers du care, contribue à la perpétuation des inégalités sociales que les organisations humanitaires prétendent combattre.

36On peut donc identifier un lien de causalité entre le traitement défavorable que subissent les salarié·es et la féminisation des postes d’agent·es d’entretien. Les statistiques montrent que la majorité de ce personnel d’entretien est constituée de femmes. On constate alors que les organisations humanitaires semblent, d’un côté, reproduire les ordres et assignations genrés (Mba et al., 2024) qu’elles prétendent combattre, alors que de l’autre côté, leur personnel de sécurité est majoritairement constitué d’hommes. Ces assignations genrées offusquent Gilligan (op. cit.) lorsqu’elle estime que le care est toujours associé au féminin et que c’est en cela qu’il est dévalorisé. Ces ordres genrés semblent donc légitimer les actes de harcèlement sexuel et de discrimination sexiste dont les femmes agentes d’entretien font l’objet, en plus de cantonner les femmes à la sphère professionnelle du care, et ultimement ici à une forme de domesticité. Des violences qui seraient souvent perpétrées par le personnel expatrié de ces organisations, obligeant généralement leurs victimes à garder le silence.

37Une situation qui s'apparente à celle analysée par Priscilla Claeys et Audrey Richard-Ferroudji (2021) qui explorent les relations entre expatrié·es et employé·es domestiques en Inde, où les expatrié·es se trouvent dans une position sociale dominante et asymétrique vis-à-vis de leurs employé·es de maison. Ce travail concorde avec d’autres travaux issus des Suds qui explorent le processus de victimisation et de violation des droits des personnes exerçant des métiers peu qualifiés (Delpierre, 2019 ; Delpierre et Malarmey, 2021).

5 Inégalités d’accès à la formation et à la mobilité professionnelle

  • 27 Entretien avec une employée agente d'entretien.

« La formation des agent·es d’entretien n’est pas une préoccupation dans les ONG humanitaires. La priorité en termes de formation revient en premier au programme et ensuite au support, c’est-à-dire aux gens des projets, logistique, finance et ressources humaines. Pour nous autres, nous sommes juste formés sur le code de conduite, afin de savoir comment se conformer au règlement de l’organisation27 ».

38Ces propos traduisent l’essence même du fil conducteur de cette recherche, qui vise à montrer que le personnel d’entretien ne bénéficie pas des mêmes opportunités de carrières que les personnels dits qualifiés. Ces inégalités de carrières reproduisent de profondes inégalités professionnelles entres les travailleur·ses humanitaires dit·es qualifié·es et ceux et celles qui le seraient moins. Les premier·es forment généralement une catégorie de salarié·es constituée d’expert·es locaux·les et internationaux·les (expatrié·es) au traitement professionnel très différencié. Elles et ils sont généralement issu·es de l’université, des grandes écoles et des instituts internationaux à vocation humanitaire quand les second·es ont rarement atteint le niveau du baccalauréat. Cette situation est caractéristique de la segmentation du marché du travail en deux groupes de travailleur·ses aux caractéristiques et compétences spécifiques. Ces segments peuvent être déterminés par des facteurs tels que l’éducation, l’accès à la formation, l’expérience professionnelle, ou encore la mobilité géographique.

Graphique 1. Niveau d’éducation des enquêté·es

Graphique 1. Niveau d’éducation des enquêté·es

Lecture : Le graphique montre que la majorité (18/35) des agent·es d’entretien sont titulaires d’un Brevet d’études du premier cycle (BEPC), soit l’équivalent du Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) dont deux sont titulaires. Le Baccalauréat (2) et le Probatoire (1) représentent les diplômes les plus élevés alors que trois détiennent le Certificat d’études primaires (CEP).

Source : Auteur·es (2023).

39L’analyse selon le niveau d’instruction permet de distinguer plusieurs groupes
(cf. graphique 1). Ainsi, dix-huit sont titulaires d’un Brevet d’études du premier cycle (BEPC), deux possèdent le Certificat d’aptitude professionnelle (CAP), l’équivalent du BEPC dans l’enseignement technique au Cameroun. Certain·es d’entre elles et eux n’ont pas franchi le seuil du BEPC ou du CAP et se sont arrêté·es en classe de 5e, 4e, et 3e, alors que deux sont titulaires d’un Certificat d’études primaires (CEP). La prédominance du faible niveau d’instruction peut s’expliquer par le fait que le métier d’agent·es d’entretien ne requiert pas de qualifications spéciales. En conclusion, aucun·e des agent·es d’entretien n’est titulaire d’un diplôme universitaire. Ce qui constitue certainement une barrière pour accéder à la formation continue et aux fonctions de cadres au sein des organisations internationales, dans un contexte où la sélection s’opère très souvent sur la base du diplôme. En général, la formation continue est d’autant plus importante que la formation initiale l’est. Mais l’absence de telles formations compromet très souvent la possibilité des agent·es d’entretien d’être compétitifs·ves par rapport aux employé·es qualifié·es ayant suivi des cursus continus à l’université.

40Des statistiques issues de cette recherche révèlent que le niveau de diplôme des agent·es d’entretien ne dépasse généralement pas le BEPC, comme l’illustre le graphique 1, en particulier pour les femmes. Ce qui semble corroborer l’analyse de Kohlberg (op. cit.), selon laquelle les femmes étaient supposées obtenir des « scores plus bas ». Une analyse battue en brèche par Gilligan (op. cit.) qui s’insurge contre ce qu’elle qualifie de normes de discriminations sexistes et patriarcales. En somme, ce faible niveau éducatif des travailleur·ses domestiques les vulnérabilise grandement. La majorité des femmes impliquées dans les activités domestiques ne fait que reproduire ces ordres genrés et les inégalités de pouvoir qui sous-tendent l’action humanitaire contemporaine.

41La prédominance des femmes dans les métiers domestiques, dans le monde en général, et au Cameroun en particulier, obéit à la construction des ordres genrés, notamment aux assignations des femmes dans les métiers dits féminins et des hommes dans les métiers dits masculins, tel qu’essaient de le démontrer Jean Émile Mba, Janyck Beaulieu et Axel Pueugue Simo dans un très récent article intitulé « Reproduction des ordres genrés dans les programmes de formations professionnelles des personnes réfugiées nigérianes au Cameroun », paru en avril 2024 dans La nouvelle revue - Éducation et société inclusives. Les auteurs et autrice soulevaient déjà la question de la reproduction des ordres genrés au sein des programmes de formation professionnelle proposés par les organisations humanitaires aux personnes réfugiées nigérianes du camp de Minawao au Cameroun. Elle et ils faisaient déjà le constat que « ces ordres se matérialisent tant par des assignations des jeunes gens dans les filières dites traditionnellement féminines ou masculines que par des exclusions éducatives auxquelles ils sont confrontés ».

  • 28 Entretien réalisé avec une agente d’entretien.

42Aussi, il est rare, voire impossible, qu’un personnel d’entretien accède à des postes supérieurs. L’analyse des réponses à la question 17 du guide d’entretien (« Pensez-vous avoir des possibilités d’ascension professionnelle ou de promotion au sein de l’organisation ? ») témoigne de ce phénomène de stagnation des agent·es d’entretien interrogé·es. C’est le cas de cette employée qui affirme que : « Chez nous, ça n’existe pas. Moi, par exemple, on ne m’a jamais nommée. Mais plutôt on te fait occuper deux postes pour le même salaire28 ».

43Cependant, comme elles et ils travaillent généralement au sein de départements logistiques qui assurent leur supervision, on les voit très souvent exercer des fonctions en lien avec leur département, même si ces activités ne ressortent pas dans leur description de poste, à savoir : gérer les courriels ; faire de la manutention ; stocker des articles dans les magasins ; donner des orientations sur la gestion des véhicules ; veillez à leur sortie ; faire des petits dépannages du matériel de bureau (imprimantes, photocopieuses, ventilateurs, etc.). Ces tâches ne sont pas reconnues malgré le fait que la valorisation des compétences mobilisées dans ces emplois pourrait offrir des opportunités de carrière verticale au personnel d’entretien, au-delà même de l’humanitaire.

44De la même manière, les tâches de nettoyage et de préparation des repas semblent perçues par le personnel d’entretien comme créatrices d’une meilleure employabilité hors de l’humanitaire, par exemple en créant son propre restaurant. Cela pourrait permettre, d’une certaine façon, de fuir certains rapports de domination que ces agent·es subissent. Se mettre à son propre compte apparaît alors comme un « segment spécifique » du marché du travail où leurs compétences pourraient être valorisées. Et ce, en raison de l’accumulation d’un « capital », certes dévalorisé par rapport à d’autres, mais valorisable dans ce segment, même si on peut encore s’interroger sur la « transférabilité » en entreprise ou en auto-emploi des tâches réalisées pour les organisations humanitaires.

45Dès lors, si ce personnel bénéficiait d’un renforcement des capacités, au moins en matière de logistique et/ou d’administration, elles et ils pourraient occuper des postes dans leur département, à l’instar des emplois de magasinier·es, chauffeur·es, assistant·es achats, logisticien·nes, réceptionnistes, etc. Ces postes pourraient représenter des débouchés pour le personnel d’entretien. Leur carrière pourrait également relever d’opportunités de mobilité professionnelle en dehors du champ humanitaire, notamment dans les entreprises privées à but lucratif. Dans ce cas, ce personnel pourrait éventuellement avoir une marge de manœuvre afin de dynamiser sa carrière professionnelle.

  • 29 Décret n° 68/DF du 10 Juillet 11968 fixant les conditions générales d’emploi des domestiques et emp (...)

46Or, dans le contexte camerounais, la loi actuelle fixant « les conditions générales d’emploi des domestiques et employés de maison29 » n’oblige pas les employeurs à favoriser les conditions d’apprentissage de leurs employé·es domestiques. Les seules dispositions juridiques en matière d’obligation d’apprentissage et d’appui à la formation des employeurs vis-à-vis de leurs employé·es sont dans le Code du travail camerounais qui dispose, en son chapitre trois, article 45, que « le contrat d’apprentissage est celui par lequel un chef d’établissement industriel, commercial ou agricole ou un artisan s’oblige à donner ou à faire donner une formation professionnelle méthodique et complète à une personne et par lequel celle-ci s’oblige, en retour, à se conformer aux instructions qu’elle recevra et à exécuter les ouvrages qui lui seront confiés en vue de son apprentissage ». Cependant, cette disposition semble concerner uniquement les entreprises industrielles, commerciales ou agricoles et ne s’applique en rien aux organisations à but non lucratif, comme les organisations humanitaires, si ce n’est le code de conduite, comme évoqué plus haut. Ces éléments sur les politiques de personnel et de formation permettent de comprendre les choix opérés et leurs justifications par les responsables de ces organisations, pour lesquels il n’existe aucune obligation juridique de dispenser une formation professionnelle à leur personnel d’entretien.

  • 30 Entretien avec un cuisinier employé par les Nations unies.

47Ce choix se justifie également par le fait que les Nations unies ont confié la gestion de leurs agent·es d’entretien à des entreprises locales prestataires de services qui estiment que « ce n’est pas aux Nations unies de former notre personnel ou de leur donner des promotions. C’est à nous d’envoyer nos agent·es de restauration pour faire des recyclages et des formations. C’est aussi à nous de les motiver en termes d’augmentation de salaire30 ». Ce discours des responsables de ces prestataires de services apparaît plus défensif que concret.

48À cela, il faut ajouter que les règles juridiques qui organisent le travail domestique au Cameroun sont peu protectrices à l'égard des personnes qui exercent dans ce secteur d’activités. La désuétude de ces textes explique sans doute cette situation. Ce décret, datant de 1968, fixant les conditions d’emploi des domestiques et employé·es de maison, est resté inchangé et apparaît par conséquent dépassé. En 2019, le Bureau International du Travail et le Groupement Inter-patronal du Cameroun (GICAM) ont entrepris un examen de l’environnement juridique du travail domestique au Cameroun. Il visait à proposer aux autorités en charge du travail et de la sécurité sociale une révision des dispositions législatives et règlementaires organisant le travail domestique, et leur prise en compte dans le Code du travail, mais sans véritable avancée à ce jour. En procédant à l’analyse critique des différents articles du décret susmentionné, on y relève des incohérences, tant au niveau du contenu que dans la formulation sémantique, qui les rendent aujourd’hui obsolètes et en décalage avec les réalités du terrain. Parmi les articles incriminés, citons l’article 3, qui brille par son ambigüité sur la forme du contrat de travail, preuve sans doute que le législateur était hésitant quant à la réponse à donner à la question de savoir s’il faut ou non imposer l’écrit. Sur le terrain, on constate que la plupart des contrats sont verbaux (revoir notamment le propos de la note 20), ce qui engendre nombre de dérives.

49Bien que les ONG et agences onusiennes respectent la nécessité de l’écrit, nombreux sont les travailleur·ses domestiques qui se plaignent des horaires de travail (y compris les temps de repos journaliers et hebdomadaires) imprévisibles et variables au gré de l’organisation et des expatrié·es.

50Cette situation des agent·es d’entretien dans les organisations humanitaires est plus ou moins comparable aux parcours de jeunes gardiens domestiques originaires de la Région de l’Extrême-Nord, à Yaoundé, qu’analysent Gérard Amougou, Estelle Vérine, Salla Bezanga et Victorine Oyane Ossah (2021) dans une recherche presque similaire ou celle de la situation des ouvriers de grands chantiers chinois au Cameroun (Amougou, Kernen, et Nkot, 2022).

Conclusion

51Comment expliquer que le personnel d’entretien des organisations humanitaires soit soumis aux dynamiques de carrière très inégales par rapport aux autres collègues humanitaires, dans un secteur qui prône pourtant l’égalité et l’équité ? L’article parvient à des résultats tangibles au Cameroun, selon lesquels les agent·es d’entretien, en particulier les femmes, sont victimes d’importantes inégalités de carrière qui sont renforcées par le caractère hybride de leur métier, entre un « travail domestique » et un « service d’entretien des bureaux ». Cette hybridation s’accompagne d'inégalités d’accès à la formation et à la mobilité professionnelle, d’autant que ces agent·es d’entretien possèdent un faible niveau d’éducation initial, dans un secteur humanitaire devenu hyper-professionnalisant. Cependant, ces inégalités ne trouvent pas seulement leur cause dans l’hybridation, mais également dans les formes d’exclusion de ces agent·es des dispositifs de formations professionnelles offertes dans l'emploi. À cela s’ajoute une montée en flèche des emplois très qualifiés face au désintérêt vis-à-vis des emplois peu qualifiés, pourtant de plus en plus nombreux dans un contexte de crise humanitaire. Toutes ces inégalités témoignent d'un marché du travail humanitaire qui serait segmenté en deux parties étanches et inégalitaires. Un premier segment favorise des emplois stables, un second des emplois précaires. Cet article montre donc que les agent·es d’entretien des ONG humanitaires sont « victimes » de ces inégalités. L’article s’appuie essentiellement sur les théories du care, du « sale boulot » et de la segmentation du marché du travail. La « non-qualification » semble ainsi résister aux missions et valeurs organisationnelles a priori les plus nobles. Tels sont les points saillants de l’article qui aborde un sujet relativement méconnu. Rendre compte du phénomène d’hybridation apparaît comme un apport crucial de l’article vis-à-vis de la littérature existante, au-delà des inégalités professionnelles dont les personnels d’entretien font l’objet. Cela fait l’originalité de ce travail par rapport aux recherches antérieures, dans les Suds notamment, qui ont abordé la domesticité uniquement dans le cadre des ménages en interrogeant les relations employé·es-employeur·es.

52La compréhension du paradoxe entre, d’une part, les carrières bloquées de ces salarié·es assigné·es à des tâches peu qualifiées, sans perspectives de promotion par rapport à d’autres salarié·es et, d’autre part, les valeurs éthiques des organisations humanitaires, constitue une valeur ajoutée pour l’étude du champ humanitaire, très souvent peu enclin à la discussion de ses propres pratiques parfois en contradiction avec ses valeurs.

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Le Petitcorps C. (2019), « Dissidence dans le service domestique. L’économie morale de femmes, bonnes à l’île Maurice », Politique africaine, n° 154, pp. 29-48.

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Zajdela H. (1990), « Le dualisme du marché du travail : enjeux et fondements théoriques », Économie & prévision, n° 92-93, pp. 1-2.

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Annexe

Annexe 1. Structure de l’échantillon

Structures touchées par la recherche/nombre de personnes interviewées par structure désagrégée selon le sexe

Région de l’Extrême-Nord

Région de l’Adamaoua

Région de l’Est

Total

Structures

Sigle

F

M

F

M

F

M

F

M

ONG humanitaires internationales

ACF

1

0

0

0

1

0

2

0

ADES

0

1

0

2

0

0

0

3

AHA

0

0

2

0

0

0

2

0

AIRD

0

0

2

0

0

0

2

0

ALIMA

0

0

0

0

0

0

0

0

CARE

0

0

0

0

0

0

0

0

CRS

1

0

0

0

0

0

1

0

DRC

0

0

3

0

1

0

4

0

FAIRMED

0

0

0

0

0

0

0

0

GIZ

0

0

0

0

0

0

0

0

GN

0

0

0

0

0

0

0

0

IEDA

1

0

0

0

0

0

1

0

IMC

1

0

1

0

3

0

5

0

INSO

0

0

0

0

0

0

0

0

INTERSOS

0

0

0

0

0

0

0

0

IRC

1

0

0

0

0

0

1

0

JRS

2

0

0

0

0

0

2

0

LWF

0

0

1

0

1

0

2

0

MSF

2

1

0

0

0

0

2

1

NRC

0

0

0

0

0

0

0

0

PLAN INT.

2

0

0

0

0

0

2

0

PUI

0

0

0

0

0

0

0

0

SI

0

0

0

0

0

0

0

0

Agences du système des Nations unies

FAO

0

0

0

0

0

0

0

0

OCHA

0

0

0

0

0

0

0

0

OIM

0

0

0

0

0

0

0

0

OMS

0

0

0

0

0

0

0

0

PAM

0

0

0

0

0

0

0

0

UNDP

0

0

0

0

0

0

0

0

UNHCR

0

0

2

0

0

0

2

0

UNICEF

0

1

0

0

0

0

0

1

UNFPA

0

1

0

0

0

0

0

1

Mouvement de la Croix-Rouge

CICR

1

0

0

0

0

0

1

0

CRF

1

0

0

0

0

0

0

0

Total

 

13

04

11

02

06

00

30

06

Structures touchées par la recherche/nombre de personnes interviewées par structure désagrégée selon le sexe

Région de l’Extrême-Nord

Région de l’Adamaoua

Région de l’Est

Total

Structures

Sigles

F

M

F

M

F

M

F

M

ACF

1

0

0

0

1

0

2

0

ADES

0

1

0

2

0

0

0

3

AHA

0

0

2

0

0

0

2

0

AIRD

0

0

2

0

0

0

2

0

ALIMA

0

0

0

0

0

0

0

0

CARE

0

0

0

0

0

0

0

0

CRS

1

0

0

0

0

0

1

0

DRC

0

0

3

0

1

0

4

0

FAIRMED

0

0

0

0

0

0

0

0

GIZ

0

0

0

0

0

0

0

0

GN

0

0

0

0

0

0

0

0

IEDA

1

0

0

0

0

0

1

0

IMC

1

0

1

0

3

0

5

0

INSO

0

0

0

0

0

0

0

0

INTERSOS

0

0

0

0

0

0

0

0

IRC

1

0

0

0

0

0

1

0

JRS

2

0

0

0

0

0

2

0

LWF

0

0

1

0

1

0

2

0

MSF

2

1

0

0

0

0

2

1

NRC

0

0

0

0

0

0

0

0

PLAN INT.

2

0

0

0

0

0

2

0

PUI

0

0

0

0

0

0

0

0

SI

0

0

0

0

0

0

0

0

Agences du système des Nations unies

FAO

0

0

0

0

0

0

0

0

OCHA

0

0

0

0

0

0

0

0

OIM

0

0

0

0

0

0

0

0

OMS

0

0

0

0

0

0

0

0

PAM

0

0

0

0

0

0

0

0

UNDP

0

0

0

0

0

0

0

0

UNHCR

0

0

2

0

0

0

2

0

UNICEF

0

1

0

0

0

0

0

1

UNFPA

0

1

0

0

0

0

0

1

Mouvement de la Croix-Rouge

CICR

1

0

0

0

0

0

1

0

CRF

1

0

0

0

0

0

0

0

Total

 

13

04

11

02

06

00

30

06

Les (0) ici présentés indiquent que l’entretien n’a pas eu lieu à cette position, alors que les champs renseignés indiquent le nombre de personnes interrogées par organisation. Les trois régions représentent les limitent géographiques de la recherche. Les lettres (F) et (M) respectivement représentent les féminin et le masculin des personnes interrogées.

Source : Auteur·es (2023).

Annexe 2 : Tableau de présentation récapitulatif des répondant·es

Sexe

Age

Niveau d’étude

Poste

Organisme

Zone de travail

Femme

23

BEPC

Agent d’entretien-cuisinier

DRC

Meiganga

Femme

23

BEPC

Cooker Cleaner

DRC

Meiganga

Femme

25

BEPC

Agent d’entretien

ADES

Meiganga

Femme

25

4ème

Agent d’entretien

AIRD

Djohong

Femme

25

CEP

Agent d’entretien

JRS

Mokolo

Homme

26

Baccalauréat

Agent d’entretien

ADES

Meiganga

Homme

26

Baccalauréat

Agent d’entretien

UNICEF

Maroua

Femme

27

5ème

Agent d’entretien

LWF

Djohong

Femme

28

BEPC

Agent d’entretien

ACF

Batouri

Femme

28

3ème

Agent d’entretien-cuisinier

AIRD

Meiganga

Femme

28

BEPC

Agent d’entretien

CRF

Maroua

Femme

28

3ème

Agent d’entretien

DRC

Garoua Boulai

Femme

28

BEPC

Prestataire

PLAN

Kousseri

Homme

28

Probatoire

Agent de sécurité

ADES

Mokolo

Femme

29

BEPC

Cuisinière, ménagère

MSF

Kousseri

Homme

29

BEPC

Agent d’entretien

UNFPA

Maroua

Femme

30

BEPC

Agent d’entretien

ACF

Maroua

Femme

30

BEPC

Agent d’entretien

AHA

Meiganga

Femme

30

BEPC

Janitor

CICR

Kousseri

Femme

30

CEP

Agent d’entretien

IEDA

Maroua

Femme

32

BEPC

Agent d’entretien

IRC

Kousseri

Femme

33

BEPC

Agent d’entretien-cuisinier

LWF

Batouri

Femme

33

BEPC

Agent d’entretien

PLAN

Maroua

Femme

33

CAP

Cleaner

UNHCR

Meiganga

Femme

34

CEP

Agent d’entretien

IMC

Mokolo

Femme

35

BEPC

Agent d’entretien

JRS

Koussei

Femme

35

BEPC

Agent d’entretien

MSF

Mokolo

Homme

35

BEPC

Hygiéniste

MSF

Mora

Femme

36

BEPC

Agent d’entretien

DRC

Djohong

Femme

40

BEPC

Agent d’entretien

UNHCR

Djohong

Femme

44

BEPC

Cleaner-Cooker

IMC

Batouri

Femme

45

4ème

Agent d’entretien

AHA

Djohong

Femme

53

CAP

Cleaner Cooker

IMC

Batouri

Femme

53

4ème

Agent d’entretien-cuisinier

IMC

Djohong

Femme

55

4ème

Cleaner

IMC

Garoua Boulai

Sigles : The Food and Agriculture Organization (FAO) ; Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) ; Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) ; Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ; Programme Alimentaire Mondial (PAM) ; United Nations Development Programme (UNDP) ; The United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR) ; The United Nations Children's Fund (UNICEF) ; United Nations Population Fund (UNFPA).Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ; Croix-Rouge française (CFR) ; Action Contre la Faim (ACF) ; Agence de Développement Economique et Social (ADES) ; Action Humanitaire Africaine (AHA) ; African Initiatives for Relief and Development (AIRD)  ; The Alliance for International Medical Action (ALIMA) ; Cooperative for American Remittances to Europe (CARE) ; Catholic Relief Services (CRS) ; Danish Refugee Council (DRC) ; Fairmed ; Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) ; Good Neighbors Cameroon (GN) ; International Emergency and Development Aid (IEDA) ; International Medical Corps (IMC) ; International NGO Safety Organisation (INSO) ; International SOS (Intersos) ; International Rescue Committee (IRC) ; The Jesuit Refugee Service (JRS) ; The Lutheran World Federation (LWF) ; Médecins Sans Frontières (MSF) ; The Norwegian Refugee Council (NRC) ; Plan International (Plan Int.) ; Première Urgence Internationale (PUI) ; Solidarité Internationale (SI).

Source : Auteur·es (2023).

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Notes

1 Selon le Plan de réponse humanitaire Cameroun de 2023, p. 2.

2 Voir le Décret N° 2019/3179/PM du 02 septembre 2019 portant reconnaissance du statut de zone économiquement sinistrée aux Régions de l’Extrême-Nord, du Nord et du Sud-Ouest : https://www.spm.gov.cm/site/sites/default/files/decret_pm_zone_economique_sinistree_1.pdf

3 L’expression au pluriel « les Suds » est de plus en plus utilisée afin de marquer la diversité de situations dans le monde. Il y aurait des Suds socio-économiques dans le nord géographique et des Nords socio-économiques dans le sud géographique. Par exemple, bien que le Canada soit généralement considéré comme faisant partie du Nord global, les peuples autochtones du Canada peuvent être considérés comme faisant partie des Suds en raison de leur situation économique, sociale et politique fortement désavantagée par rapport au reste du pays" (p. 45). Source : Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). (2023). Lexique de la solidarité internationale de l'AQOCI. https://aqoci.qc.ca/wp-content/uploads/2023/09/AQOCI_Lexique_FR_WEB_septembre2023.pdf

4 Décret N° 68-DF-253 du 10 Juillet 1968 fixant les conditions générales d’emploi des domestiques et employés de maison. https://www.minfopra.gov.cm/recueil/REPARATIONS/DECRET %20N %C2 %B0 %2068-DF-253 %20DU %2010 %20JUILLET.pdf

5 Voir la Convention (n° 189), sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011, https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f ?p =NORMLEXPUB :12100 :0 : :NO : :P12100_ILO_CODE :C189

6 Arrêté n° 39/MTPS/IMT du 26 novembre 1984 fixant les mesures générales d’hygiène et de sécurité sur les lieux de travail. https://wwwex.ilo.org/dyn/natlex2/natlex2/files/download/39672/CMR-39672.pdf

7 Rapport disponible sur : https://www.bioforce.org/wp-content/uploads/2021/01/sohp2020-fr.pdf

8 Plaidoyer (représenter une organisation et défendre ses intérêts auprès des pouvoirs publics, des médias et des partenaires). Transferts monétaires. Communication. Relations bailleurs et gestion des subventions ; Gestion financière. Gestion des ressources humaines. Technologies de l’information et de la communication. Gestion de l’information. Coordination inter-agences. Logistique ; Suivi, évaluation, redevabilité et apprentissage (SERA). Gestion de projet. Sûreté et sécurité.

9 Coordination et gestion de camp. Education. Sécurité alimentaire et moyens de subsistance. Santé. Aide juridique. Action contre les mines. Nutrition. Maintien et consolidation de la paix. Protection, diversité et inclusion. Abris, installations et produits non alimentaires. Eau, hygiène et assainissement (EHA).

10 La redevabilité envers les populations affectées est une démarche d’inclusion qui vise à encourager la participation de ces communautés dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des projets humanitaires. Cette approche consiste à permettre à ces populations d’exprimer leurs besoins, de se faire entendre et de prendre part aux décisions qui les concernent.

11 Information disponible dans le journal tri-hebdomadaire régional du Nord Cameroun, L'Oeil du Sahel, n° 1891, du mercredi 10 janvier 2024 : https://www.facebook.com/share/p/eAiT6yg4Xc1gzQhK/ ?mibextid =oFDknk

12 Entretien avec une agente d’entretien d’une organisation, qui a préféré garder l’anonymat, dans la Région de l’Extrême-Nord.

13 Agente d’entretien, interview réalisée dans l’Adamaoua.

14 Avis de recrutement : cuisinier/agent d’entretien, pour l’ONG Solidarités Internationales, publié le 30/07/2023, https://cameroun.minajobs.net/emplois-stage-recrutement/22401/avis-de-recrutement-cuisinier-agent-dentretien-at-solidarites-international-cameroun-ong-humanitaire

15 Idem.

16 Avis de recrutement d’un Agent d’Entretien Cuisinier, pour La Croix-Rouge camerounaise et la Croix-Rouge française, lancé dans le jobinfocamer : https://cm.talent.com/view ?id =00ca7ba45f15&context =jdpRelatedJobs

17 Avis de recrutement : Un(e) cuisinier(e) / Agent d’entretien, pour Médecins sans Frontières (MSF) Suisse pour ses activités à Kousseri, lancé le 15 septembre 2022.

18 Voir le site internet de la structure pour plus d’informations : https://www.nicam-cameroun.com/nettoyage-industriel.php

19 Entretien avec le cuisinier d’un établissement affilié à une société camerounaise prestataire des Nations unies.

20 Voir le site internet de la structure pour plus d’informations.

21 Entretien avec un membre du personnel de la Gic-Multiservice Cameroun.

22 Code du travail du Cameroun - Loi n° 92-007 du 14 août 1992 : https://www.ilo.org/dyn/travail/docs/2197/Cameroun %20- %20Code %20du %20travail.pdf

23 Entretien avec une agente d’entretien, interviewée dans la Région de l’Est.

24 Entretien avec une agente d’entretien, interviewée dans l’Adamaoua.

25 Entretien réalisé le 31-12-22 à Meiganga avec une agente d’entretien à AHA.

26 Entretien avec un agent d’entretien à Maroua.

27 Entretien avec une employée agente d'entretien.

28 Entretien réalisé avec une agente d’entretien.

29 Décret n° 68/DF du 10 Juillet 11968 fixant les conditions générales d’emploi des domestiques et employés de maison, modifié par le décret n° 76 /162 du 22 avril 1976.

30 Entretien avec un cuisinier employé par les Nations unies.

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Table des illustrations

Titre Graphique 1. Niveau d’éducation des enquêté·es
Légende Lecture : Le graphique montre que la majorité (18/35) des agent·es d’entretien sont titulaires d’un Brevet d’études du premier cycle (BEPC), soit l’équivalent du Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) dont deux sont titulaires. Le Baccalauréat (2) et le Probatoire (1) représentent les diplômes les plus élevés alors que trois détiennent le Certificat d’études primaires (CEP).
Crédits Source : Auteur·es (2023).
URL http://journals.openedition.org/formationemploi/docannexe/image/12698/img-1.png
Fichier image/png, 23k
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean Émile Mba, Éveline Keuya et Janyck Beaulieu, « Quand l’humanitaire reproduit de profondes inégalités de carrière »Formation emploi, 166 | 2024, 69-93.

Référence électronique

Jean Émile Mba, Éveline Keuya et Janyck Beaulieu, « Quand l’humanitaire reproduit de profondes inégalités de carrière »Formation emploi [En ligne], 166 | avril-juin, mis en ligne le 01 mai 2024, consulté le 17 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/12698 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11slt

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Auteurs

Jean Émile Mba

Docteur en Science Politique de l’Université de Ngaoundéré au Cameroun. Lauréat 2022-2023 de la bourse de recherche postdoctorale - Transition humanitaire - 
Fondation Croix-Rouge française

Éveline Keuya

Doctorante en Sociologie du développement à l’Université de Dschang (Cameroun) et Consultante en développement communautaire

Janyck Beaulieu

Doctorante en développement international et mondialisation à l’Université d’Ottawa (Canada)

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Droits d’auteur

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