- 1 La France, comme le reste du monde, a connu une crise sanitaire de grande ampleur en 2020 et, malgr (...)
- 2 La France a connu plusieurs attentats au début des années 2010 : la série d’attentats du 11 au 19 m (...)
1Les conditions d’entrée des jeunes sur le marché du travail ont été aggravées par la crise de 20081, entraînant une hausse du taux de chômage, en particulier parmi les jeunes (Labadie, 2012 ; Lefresne, 2012 ; Barret et al., 2014 ; di Paola et al., 2018). Même si les travaux existants semblent indiquer que la crise n’a pas affecté les trajectoires des jeunes sur le long terme (Gaini et al., 2013), la comparaison des inégalités de trajectoires entre jeunes de différentes origines permet d’appréhender dans quelle mesure une conjoncture défavorable participe à recomposer les trajectoires d’insertion des jeunes, accentuant potentiellement les disparités entre descendants d’immigrés et population majoritaire. De surcroît, la génération entrée sur le marché du travail après 2008 arrive dans un contexte social particulier : certains évènements, notamment les attentats survenus à partir de 20102, ont pu jouer en défaveur des descendants d’immigrés de certaines origines lors de leur recherche d’emploi du fait de leur appartenance supposée à l’Islam. En effet, les indicateurs de xénophobie et de racisme étaient en hausse au début des années 2010 (Mayer et al., 2013), et malgré leur baisse à partir de 2013/2014 (Mayer et al., 2018), les personnes musulmanes, ou supposées l’être, ainsi que les Maghrébins, demeurent toujours les minorités les plus stigmatisées.
2Dans cet article, nous étudions et comparons l’évolution des trajectoires d’insertion professionnelle des jeunes descendants d’immigrés, principalement du Maghreb ou d’Europe du Sud à celles des jeunes de la population majoritaire. Pour cela, nous nous intéressons à deux générations de sortants de formation initiale et exploitons les enquêtes Génération 1998 et Génération 2010 à 7 ans du Céreq. Notre analyse a une double dimension : longitudinale, au niveau des individus au sein de chaque Génération de primo-entrants sur le marché du travail ; et temporelle, au niveau des cohortes de sortants (1998 et 2010). En choisissant de comparer ces deux générations, nous comparons d’une part, des jeunes entrés sur le marché du travail dans des cycles économiques aux conjonctures inversées : une conjoncture favorable pour la Génération de sortants en 1998 et une conjoncture défavorable pour la Génération de sortants en 2010. D’autre part, le climat social qui caractérise la période post-attentats de 2010 n’est pas favorable à une baisse des discriminations vis-à-vis d’une partie de jeunes appartenant aux minorités visibles. Ainsi, dans un marché de l’emploi tendu, avec une hausse du taux de chômage et une situation d’augmentation de la xénophobie et de l’intolérance, il est possible que les pratiques de discrimination et d’exclusion à l’embauche soient plus fréquentes. Certains descendants d’immigrés pourraient être davantage touchés par le chômage qui caractérise la situation des jeunes de la Génération 2010 (Lefresne, 2020) et/ou poussés vers les emplois de moins bonne qualité, par exemple les plus instables et/ou les moins bien payés (Brinbaum & Issehnane, 2015). Trouver « un bon emploi » apportant une stabilité et un salaire décent et pouvant permettre un certain niveau de satisfaction (Paugam, 2007) étant devenu de plus en plus difficile, on peut s’attendre à ce que les trajectoires discontinues, au cours desquelles les jeunes alternent périodes de chômage, de reprises d’études et d’emplois en CDD peu rémunérés, soient devenues plus fréquentes.
3Cet article entend répondre à plusieurs questions : comment se caractérisent les trajectoires d’insertion professionnelle des sortants de chaque cohorte durant les sept premières années ? Constate-t-on des écarts entre les groupes considérés ? Comment ont évolué ces écarts sur la période de vingt ans ? Les descendants d’immigrés des origines les plus exposées à la discrimination sont-ils confrontés, après leur sortie de formation en 2010, à un risque accru de trajectoires instables et précaires par rapport à ceux sortis en 1998 ? Les différences de diplômes ou encore d’origine sociale entre les groupes expliquent-elles les écarts observés au niveau des trajectoires ?
4Après un bref état de l’art empirique et théorique sur les inégalités d’insertion professionnelle des jeunes de différentes origines et une présentation de la méthodologie, la troisième partie est dédiée aux résultats descriptifs sur les trajectoires-types d’insertion, suivie des résultats d’analyses multivariées (quatrième partie) puis des conclusions. Nos résultats montrent que les descendants d’immigrés maghrébins sont particulièrement vulnérables au changement de contexte structurel. Ils ont plus souvent des trajectoires de précarité durable, marquées à la fois par des statuts instables et de faibles rémunérations. Les inégalités d’insertion professionnelle entre eux et la population de sortants du groupe majoritaire se sont significativement accentuées d’une cohorte de sortants de formation à l’autre. La montée de la xénophobie au début des années 2010 a renforcé cette vulnérabilité face aux retentissements de la crise sur le marché du travail. Elle se traduit d’ailleurs par une nette augmentation du sentiment de discrimination de la part de ces jeunes.
- 3 L’analyse longitudinale est réalisée à partir de la Génération 2004 à 3 ans et 7 ans, soit en 2007 (...)
5En France, des travaux ont mis en évidence les difficultés rencontrées par les descendants d’immigrés, notamment originaires des pays du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, dans l’accès à l’emploi, en comparaison des jeunes de la population majoritaire de mêmes niveaux de diplômes et caractéristiques sociodémographiques (Brinbaum & Werquin, 1997; Silberman & Fournier, 1999 ; Frickey & Primon, 2002 ; Dupray & Moullet, 2004 ; Meurs et al., 2006 ; Aeberhardt et al., 2010 ; Brinbaum & Guégnard, 2012 ; Brinbaum & Primon, 2013 ; etc. ). Les analyses des trajectoires d’insertion professionnelle montrent de plus que les descendants d’immigrés maghrébins font davantage l’expérience d’un chômage récurrent ou persistant, ou occupent des emplois de moins bonne qualité, alors que l’expérience des descendants d’Europe du Sud est similaire à celle de la population majoritaire de mêmes caractéristiques (Brinbaum & Werquin, 2004 ; Brinbaum & Guégnard, 2012 ; Tucci et al., 2013 ; Brinbaum & Primon, 2013 ; Brinbaum, 2023 ; Tucci & Brinbaum, 2023). En 2011, sept ans après la sortie du système éducatif de la Génération 2004, les jeunes d’origine maghrébine ont une durée d’accès à l’emploi stable plus élevée et occupent davantage des emplois de moindre qualité que les jeunes sans ascendance migratoire et ceux originaires d’Europe du Sud, y compris à caractéristiques comparables ; la crise économique accentue leur désavantage (Brinbaum & Issehnane, 2015).3
6La discrimination à l’embauche est une piste d’interprétation des difficultés rencontrées sur le marché du travail par les descendants d’immigrés de certaines origines. Et, en effet, à partir du milieu des années 2000, des enquêtes de testing ont mis en évidence les discriminations rencontrées par les personnes appartenant aux minorités visibles ou encore étant de confession musulmane, dans la recherche d’emploi (voir par exemple, Adida et al., 2010 ; Chaintreuil et al., 2013 ; Petit et al., 2013 ; Foroni et al., 2016 ; Valfort, 2017 ; Du Parquet & Petit, 2019 ; Arnoult et al., 2021).
- 4 La théorie de l’assimilation segmentée (TAS) développée dans le contexte des États-Unis a une appro (...)
- 5 Notons ici que, dans la TAS, cette mobilité sociale descendante s’accompagne d’une assimilation cul (...)
7La question du devenir des descendants d’immigrés dans un contexte socio-économique dégradé est centrale dans la sociologie de l’immigration, à partir du début des années 1990 aux États-Unis. D’une part, dans la thèse du « déclin de la seconde génération » (Gans, 1992) et la théorie de l’assimilation segmentée (Portes & Zhou, 1993 ; Portes et al., 2009)4, les changements de l’économie et la structure davantage segmentée du marché du travail (hausse du chômage, disparition de certaines branches) sont considérés comme des obstacles externes à la mobilité sociale ascendante intra et intergénérationnelle. Pour les groupes les plus soumis aux préjugés et aux discriminations, ethnoraciales notamment, les auteurs de ces travaux avaient une vision pessimiste de leur devenir. Les descendants d’immigrés de certaines origines risquaient d’être pris dans une mobilité sociale descendante, caractérisée par des positions professionnelles instables, dévalorisées, peu rémunérées, voire un chômage durable et un risque élevé de pauvreté.5 D’autre part, une thèse davantage optimiste (Alba & Nee, 2003 ; Alba 2008), connue sous le nom de la théorie de la néo-assimilation, prédit une atténuation des frontières ethnoraciales au fil du temps et une meilleure insertion pour les descendants d’immigrés caractérisée par davantage de diversité ethnoraciale dans les niveaux intermédiaires du marché du travail.
8Si les travaux en France attestent des difficultés rencontrées par certains jeunes sur le marché du travail à un moment donné, l’évolution des trajectoires d’insertion professionnelle de jeunes de différentes origines est rarement analysée sur une période relativement longue. Les questions qui découlent de la thèse de l’assimilation segmentée (TAS), en l’adaptant au contexte français et à la période que nous étudions dans cet article, sont donc les suivantes : observe-t-on, en raison des évolutions du marché du travail liées à la crise de 2008 et du contexte social marqué par une montée de la xénophobie après les attentats, un enlisement durable des descendants d’immigrés originaires du Maghreb ou d’autres pays d’Afrique en France dans des trajectoires d’insertion professionnelle instables et précaires économiquement ? Comment ont évolué leurs trajectoires par rapport à celles des jeunes dont les parents sont d’origine française ou européenne ?
- 6 Les effectifs de l’enquête Génération 1998 à 7 ans sont plus élevés que ceux de Génération 2010 à 7 (...)
9S’intéresser à l’évolution des trajectoires d’insertion professionnelle sur une longue période permet de mettre en évidence la dynamique des inégalités et de la relier au changement de contexte social et structurel, sans pouvoir affirmer toutefois qu’il y a un lien de cause à effet. Dans cette perspective, nous avons exploité les enquêtes Génération du Céreq menées sur des jeunes sortis de formation initiale, tous niveaux confondus, en 1998 et 2010, suivis pendant sept ans. Elles fournissent des informations longitudinales sur les individus à partir d’un calendrier mensuel rempli à chaque enquête (3, 5 et 7 ans après la sortie de formation initiale)6.
- 7 En raison de la taille limitée des échantillons observés sur sept ans, les données des enquêtes Gén (...)
10Les descendants d’immigrés sont définis ici comme étant nés en France et ayant au moins un parent immigré, c’est-à-dire né à l’étranger avec une nationalité étrangère. Les enquêtes Génération exploitées permettent d’identifier les descendants d’immigrés, mais comportent des limites. Ainsi, les enquêtes répétées à sept ans sont réduites et ne permettent pas d’étudier la diversité de cette population en termes d’origines migratoires compte tenu de la faiblesse des effectifs pour certaines populations. Nous centrons par conséquent nos analyses sur les deux groupes les plus importants : les descendants d’immigrés du Maghreb et d’Europe du Sud.7
11Il est important de noter ici que les descendants d’immigrés identifiables dans les enquêtes Génération 1998 et 2010 ont réalisé leur insertion professionnelle dans des contextes socio-économiques différents. Nous constatons également des changements de la structure de leur origine sociale. Les données montrent que 9 % des jeunes descendants d’immigrés d’Europe du Sud sortants en 1998 avaient au moins un parent cadre, mais que cela concerne 26 % de la Génération de sortants en 2010. En revanche, il y a peu d’évolution pour les descendants d’immigrés du Maghreb et on note même une légère augmentation des jeunes issus de familles d’ouvriers (Tucci & Brinbaum, 2023). Par ailleurs, il convient de garder en tête le fait que les descendants d’immigrés de chaque cohorte de sortants ne renvoient pas aux mêmes courants migratoires. Ainsi, la cohorte de descendants d’immigrés sortis en 1998 renvoie à une immigration davantage ouvrière et moins qualifiée que la cohorte de sortants en 2010.
- 8 Sous R, nous avons utilisé les packages Traminer et WeightedCluster (Gabadinho et al., 2011 ; Stude (...)
12Une des contributions de cet article est de tirer parti de la richesse des données de ces enquêtes sur le plan longitudinal pour étudier l’évolution des inégalités en lien avec l’origine géographique sur une période de vingt ans. Pour cela, nous appliquons la méthode d’analyse de séquences par appariement optimal (Lesnard & Saint Pol, 2006 ; Aisenbrey & Fasang, 2010). Cette méthode consiste à reconstruire les parcours individuels (séquences) considérés comme une succession d’états, mois par mois, à comparer les différents parcours entre les individus et évaluer leurs similarités et leurs différences. Suite à cette analyse de séquences, nous avons appliqué la méthode de classification hiérarchique (algorithme de Ward) qui permet de regrouper des types de parcours identiques ou similaires.8 Nous avons réalisé les analyses séparément pour chaque Génération de sortants afin de mettre en évidence les différences dans la structuration et la nature des trajectoires et ne pas noyer les évolutions entre les deux générations de sortants dans une vision agrégée des trajectoires.
Encadré. États considérés dans l’analyse de séquences et méthode d’appariement
Pour réaliser l’analyse de séquences, nous avons construit une variable d’état mensuel prenant en compte le statut d’emploi, le type de contrat (CDI, CDD, contrat aidé, intérim) ainsi que le niveau de salaire. Il est rare en effet que les deux dimensions centrales de la précarité dans l’emploi soient considérées conjointement dans les analyses : le caractère instable de l’emploi et le caractère insuffisant des revenus salariaux (Tucci et al., 2013 ; Brinbaum & Issehnane, 2015 ; Gutiérrez-Barbarrusa, 2016 ; Mora, 2018). C’est ce que nous proposons de faire dans cette contribution. En croisant le type de contrat et le salaire, nous aboutissons à une variable d’état détaillée permettant d’appréhender les différentes strates du marché du travail par la combinaison des niveaux de précarités statutaire et financière. Nous avons recours au salaire médian annuel des hommes (INSEE) pour chaque année de 1998 à 2005 (Génération 1998) et de 2010 à 2017 (Génération 2010). Trois intervalles ont été fixés pour classer le niveau de salaire : inférieur à 60 %, entre 60 et 99 % et supérieur ou égal à 100 % du salaire médian. Les indépendants sont, en revanche, regroupés dans une même catégorie. La variable servant de base à l’analyse de séquences comporte neuf modalités représentant les états suivants :
1 = inactif : « INACTIVITÉ ».
2 = chômage : « CHÔMAGE ».
3 = contrat précaire et <60 % du revenu médian de la période : « TRÈS PRÉCAIRE ».
4 = contrat précaire et 60 à moins de 100 % du revenu médian de la période : « PRÉCAIRE ».
5 = contrat stable et <60 % du revenu médian de la période : « STABLE BAS REVENUS ».
6 = contrat stable et 60 à 100 % du revenu médian de la période ou contrat précaire et revenu >=100 % du revenu médian : « STABLE MOYENS REVENUS ».
7 = stable et revenus >=100 % du revenu médian : « STABLE HAUTS REVENUS ».
8 = indépendant : « INDÉPENDANT ».
9 = études / reprise d’études / formation : « ÉTUDES ».
Les individus ont des parcours d’insertion professionnelle très divers et l’analyse de séquences réalisée à partir des modalités de cette variable d’état mensuel permet de comparer la manière dont ces états sont ordonnés. Certains parcours peuvent, par exemple, être proches et nécessiter de substituer un état par un autre pour être identiques à d’autres séquences. Chaque opération de substitution réalisée sur une séquence a un coût correspondant à l’inverse des chances de transition d’un état à l’autre (par exemple, les chances de transition du chômage à l’emploi ou encore du chômage à la reprise d’études). Ces chances de transition sont calculées sur l’ensemble de l’échantillon pour la période considérée. La modification effectuée au final sur la séquence est celle dont le coût est le plus faible. Par exemple, la séquence d’une personne qui a toujours été salariée en CDI, mis à part un seul mois où elle a été au chômage, sera modifiée de telle sorte que ce mois de chômage sera transformé en mois salarié en CDI. Cette transformation aura un coût plus élevé qu’une transformation de tous les mois en CDI en mois de chômage. Outre la substitution, d’autres opérations sont possibles, comme la suppression ou l’insertion d’états. Nous ne les appliquons pas ici, car ces opérations ont tendance à déformer « la structure temporelle des séquences comparées » (Lesnard & Saint Pol, 2006).
13Les résultats descriptifs issus de ces analyses et des deux classifications sont présentés dans la partie 3. Dans la partie 4, nous présentons les résultats d’analyses multivariées. Ces modèles nous permettent de contrôler les effets de structure, en tenant compte de différentes variables. Nous estimons la probabilité d’une trajectoire discontinue et (très) précaire au moyen d’une régression logistique. Pour ces analyses, nous avons empilé les deux enquêtes et estimé deux modèles emboîtés. Le premier modèle (M1) contient l’origine, le sexe, la Génération de sortants, le niveau de diplôme, l’origine sociale (la plus haute PCS des parents), la présence d’enfants trois ans après la sortie de la formation initiale et la région de l’établissement de sortie de formation. Le second modèle (M2) teste l’effet des interactions entre l’origine et la Génération de sortants. Les effets d’interactions permettent de vérifier si l’effet de l’origine varie selon la Génération de sortants de formation initiale sur la variable à expliquer.
14D’une enquête à l’autre, le niveau de diplôme a légèrement augmenté pour tous les groupes. La part de sortants non diplômés a baissé entre les deux générations, en particulier pour les descendants d’immigrés du Maghreb et d’Europe du Sud (tableau 1).
Tableau 1. Niveau de diplôme atteint selon la Génération et l’origine (en %)
Lecture : 23,2 % des descendants d’immigrés d’Europe du Sud de la Génération de sortants 1998 sont sans diplôme contre 17,7 % de sortants de la population majoritaire. La ligne « Total » renvoie à l’ensemble de la Génération de sortants à 7 ans et comprend des jeunes d’autres origines que celles indiquées ici.
Champ : ensemble des sortants de chaque Génération.
Source : enquêtes Génération 1998 et 2010 à 7 ans du Céreq.
15Les moins diplômés, ayant au plus un diplôme du secondaire, sortis pendant la crise, apparaissent les plus fragiles, plus encore lorsqu’ils sont d’origine maghrébine : 46 % sont au chômage en 2013 et 28,5 % en 2017 (figure 1).
Figure 1. Taux de chômage à 3 et 7 ans pour les jeunes ayant au plus un diplôme du secondaire, selon la Génération et l’origine
Lecture : trois ans après leur sortie de formation initiale, les jeunes de la population majoritaire et de la Génération 1998, qui ont au plus un diplôme du secondaire, ont un taux de chômage de 7,4 % contre 16 % chez les descendants d’immigrés du Maghreb de la même cohorte de sortants.
Champ : sortants de chaque Génération ayant au plus un diplôme du secondaire.
Source : enquêtes Génération 1998 et 2010 à 7 ans du Céreq.
Figure 2. Taux de chômage à 3 et 7 ans pour les diplômés du supérieur, selon la Génération et l’origine
Champ : Sortants de chaque Génération, diplômés du supérieur.
Source : Enquêtes Génération 1998 et 2010 à 7 ans du Céreq.
- 9 Les résultats descriptifs par origine et niveau de diplôme pour la cohorte 2010 doivent être interp (...)
16En revanche, pour les diplômés du supérieur, l’écart élevé, trois ans après la sortie, entre descendants d’immigrés du Maghreb et la population majoritaire (+7 points de pourcentage) se réduit fortement à sept ans (+2 points de pourcentage), ce qui pourrait être interprété comme une plus grande vulnérabilité à la sortie du système éducatif dans un contexte économique difficile (figure 2).9 Ainsi, les descendants du Maghreb qui ont au plus un diplôme du secondaire ont plus de mal à rattraper la population majoritaire au fil du temps que les diplômés du supérieur. Ceci pourrait être le signe d’un enlisement des jeunes d’origine maghrébine dans des trajectoires chaotiques.
17L’analyse de séquences nous permet d’analyser précisément ces trajectoires. La classification hiérarchique a fait émerger, pour chaque Génération, sept trajectoires-types. Certaines d’entre elles sont similaires d’une Génération à l’autre (tableaux 2 et 3, et annexes 1 et 2).
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Le type 1 de la Génération 1998 regroupe les trajectoires d’insertion vers des emplois stables à hauts revenus. Ce type correspond au type 2 pour la Génération 2010 et s’intitule « Stable hauts revenus ».
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Le type 2 de la Génération 1998 regroupe les jeunes qui transitent rapidement à la sortie de formation initiale vers des emplois stables à revenus moyens. Ce type correspond au type 1 pour la Génération 2010 et s’intitule « Stable moyens revenus ».
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Le type 3 de la Génération 1998 correspond à des trajectoires marquées par des transitions vers des emplois précaires au niveau statutaire et des revenus moyens. Il correspond au type 5 pour la Génération 2010 et est nommée « Précaire ».
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Le type 4 de la Génération 1998 regroupe les trajectoires avec un passage rapide vers le statut d’indépendant après une période de chômage ou d’emploi précaire. Nous l’appelons « Vers statut d’indépendant ». Ce type de trajectoire correspond au type 3 pour la Génération 2010, à la différence que pour cette Génération, il y avait une phase d’emploi stable avec des revenus moyens avant l’entrée dans l’emploi non salarié.
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Le type 5 de la Génération 1998 regroupe les trajectoires caractérisées par l’emploi précaire et l’emploi stable à revenu moyen, avec une transition vers ces emplois stables à revenu moyen. Il s’intitule « Précaire > stable moyens revenus ». Cette trajectoire n’a pas d’équivalent pour la Génération de sortants en 2010, ce qui indique que l’insertion dans l’emploi précaire a tendance à se pérenniser pour cette Génération de 2010 (visible à la seule classe 5 comptant 68 mois d’emploi précaire) alors que l’emploi précaire peut déboucher sur des emplois de meilleure qualité, pour la Génération de sortants 1998.
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Le type 6 de la Génération 1998 représente des trajectoires discontinues caractérisées par une expérience du chômage importante sur toute la période. Nous l’appelons « Discontinue avec chômage ». Il correspond à la trajectoire-type 4 de la Génération 2010, mais pour cette Génération, la part de chômage sur la période est légèrement plus élevée. Cette période compte également plus souvent des reprises d’études ou des retours en formation, mais beaucoup moins de temps passé en inactivité. Par ailleurs, en 2010, cette trajectoire discontinue passe plus rarement par de l’emploi stable à revenus bas qu’en 1998. En effet, pour la Génération 2010 c’est l’emploi très précaire qui vient un petit peu plus souvent entrecouper les périodes de chômage.
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Le type 7 de la Génération 1998 regroupe les jeunes qui ont des trajectoires marquées par des emplois très précaires, donc des statuts souvent instables et des revenus très faibles. Elle correspond à la trajectoire-type 6 pour la Génération 2010 et porte le nom « Chômage et emploi très précaire ».
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Enfin, le type 7 de la Génération en 2010 n’existait pas en 1998. Il regroupe les jeunes qui entrent dans des emplois stables à bas revenus (inférieur à 60 % du salaire médian), après une période de chômage (pour une partie), des transitions vers l’emploi stable à revenus moyens vers la fin de la période et des phases courtes d’emploi caractérisé par des statuts non salariés. Cette trajectoire-type s’intitule « Stable bas revenus ».
Tableau 2. Génération 1998, distribution des mois dans chaque état selon la trajectoire (%)
Lecture : dans la trajectoire stable à hauts revenus, les individus passent 69 % des 7 premières années suivant la sortie de formation initiale en emploi stable avec des hauts revenus. Les totaux peuvent différer de 100 % en raison d’arrondis.
Note : la colonne grisée indique la trajectoire présente uniquement dans l’enquête considérée. Les numéros des types de trajectoires correspondent à ceux présentés dans le graphique en annexe 1.
Champ : ensemble des sortants de la Génération 1998 à 7 ans. N= 15 508.
Source : enquête Génération 1998 à 7 ans du Céreq.
Tableau 3. Génération 2010, distribution des mois dans chaque état selon la trajectoire (%)
Lecture : dans la trajectoire précaire, les individus passent 68 % des 7 premières années suivant la sortie de formation initiale en emploi précaire. Les totaux peuvent différer de 100 % en raison d’arrondis.
Note : la colonne grisée indique la trajectoire présente uniquement dans l’enquête considérée. Les numéros des types de trajectoires correspondent à ceux présentés dans le graphique en annexe 2.
Champ : ensemble des sortants de la Génération 2010 à 7 ans. N = 8 417.
Source : enquête Génération 2010 à 7 ans du Céreq.
18Entre les deux cohortes de sortants, on note tout d’abord une forte baisse de la part des jeunes qui ont une trajectoire avec un emploi stable à hauts revenus (de 18 % à 8,2 %, tableau 4). La part des trajectoires avec une entrée dans l’emploi non salarié a quant à elle doublé (de 3,1 % à 6,6 %). C’est le cas également des trajectoires discontinues caractérisées par le chômage, l’inactivité et, pour la Génération 2010 en particulier, par de la reprise d’études ou la poursuite de formations, et de l’emploi très précaire. La part des trajectoires discontinues alternant chômage et emploi très précaire a presque doublé elle aussi, passant de 6,3 % à 14 %, et ce malgré une augmentation de la part des diplômés du supérieur et une baisse des non-diplômés d’une cohorte de sortants à l’autre.
19Dans l’ensemble, les jeunes sont donc de plus en plus nombreux à avoir des trajectoires discontinues et marquées par des emplois instables et faiblement rémunérés, signalant une forte précarisation des parcours d’insertion déjà constatée par ailleurs, notamment parmi les non-diplômés (Lefresne, 2020 ; Primon, 2018 ; Brinbaum & Primon, 2013). Nous montrons ici que cette précarisation concerne cependant en particulier les descendants d’immigrés maghrébins. Pour ce groupe, on constate un déplacement des trajectoires d’emploi précaire (Génération 1998 : 24,7 %, Génération 2010 : 11,1 %, cf. tableau 4) vers les trajectoires encore plus précaires comprenant des périodes de chômage (Génération 1998 : 7,7 %, Génération 2010 : 20,7 %), et ce malgré une baisse de la part des non-diplômés dans ce groupe d’origine d’une enquête Génération à l’autre, plus importante pour ce groupe que pour la population majoritaire (Maghreb 1998 : 32 % de non-diplômés, 2010 : 25 % ; France 1998 : 18 %, 2010 : 15 %, cf. tableau 1). Si l’on considère les jeunes non-diplômés du supérieur, la part des descendants d’immigrés maghrébins dans cette trajectoire fortement précarisée a augmenté de 17 points de pourcentage d’une Génération de sortants à l’autre (+10 points de pourcentage pour les jeunes de la population majoritaire).
Tableau 4. Distribution des sept types de trajectoires par origine, Génération 1998 et 2010 à 7 ans
Lecture : 18,4 % des sortants de la Génération 1998 ont une trajectoire stable à hauts revenus. Les totaux peuvent différer de 100 % en raison d’arrondis.
Champ : ensemble des sortants. Valeurs en italique : n<30 dans la cellule.
Source : enquêtes Génération 1998 et 2010 à 7 ans du Céreq.
- 10 Notons ici que les effectifs par groupe d’origine sont relativement faibles dans cette classe de tr (...)
20La part des jeunes avec des trajectoires d’entrée dans l’emploi non salarié a augmenté pour tous les groupes, le plus fortement pour les jeunes de la population majoritaire et les descendants d’immigrés d’Europe du Sud.10 La moins forte fréquence des trajectoires stables à hauts revenus concerne les trois groupes d’origine. Les sortants appartenant à la population majoritaire partent de plus haut et sont les plus touchés par cette baisse, ce qui participe finalement à niveler les inégalités en haut de la hiérarchie des trajectoires.
21Pour chaque cohorte de sortants, nous avons regroupé les trajectoires très précaires caractérisées par des épisodes de chômage, les trajectoires discontinues avec chômage et également pour la Génération 2010, les trajectoires stables caractérisées par des revenus bas (moins de 60 % du revenu médian), dans une classe de trajectoires que nous appellerons « Trajectoires discontinues et/ou précaires ».
22Une analyse du profil sociologique de la cohorte de sortants en 2010 montre que les jeunes d’origine maghrébine qui relèvent de ce type de trajectoires sont légèrement plus souvent non diplômés et que, lorsqu’ils sont diplômés, ils ont plus souvent un baccalauréat comparativement à la population majoritaire (tableau 5).
Tableau 5. Caractéristiques des sortants en 2010 relevant de la classe de trajectoires discontinues et précaires par rapport à l’ensemble des autres trajectoires
Lecture : 33,4 % des descendants d’immigrés maghrébins de la Génération de sortants 2010 qui ont une trajectoire discontinue et/ou précaire n’ont pas de diplôme. Les totaux peuvent différer de 100 % en raison d’arrondis.
Champ : ensemble des sortants.
Source : enquête Génération 2010 à 7 ans du Céreq.
23En revanche, les jeunes de la population majoritaire ayant une trajectoire précaire et/ou discontinue sont plus souvent titulaires d’un CAP/BEP. En termes d’origine sociale, on peut ici souligner une plus forte représentation des jeunes dont le père est ouvrier parmi les jeunes d’origine maghrébine : ceci concerne la moitié d’entre eux contre un peu moins du tiers de la population majoritaire. Toutefois, la part des jeunes d’origine maghrébine dont le père est ouvrier ne varie pas selon le type de trajectoires alors que c’est le cas pour les jeunes de la population majoritaire. Ainsi, il y a une plus grande homogénéité de la classe sociale d’origine dans les deux types de trajectoires parmi les jeunes d’origine maghrébine que parmi les jeunes de la population majoritaire. Les différences entre les deux groupes d’origine sont donc davantage liées à des écarts de niveaux et types de diplômes et à des conditions résidentielles plus souvent défavorables liées à la résidence en zone urbaine sensible (ZUS). En effet, les jeunes d’origine maghrébine qui ont une trajectoire discontinue et/ou précaire résidaient nettement plus souvent en ZUS à leur sortie de formation. La ségrégation urbaine et sociale a en effet un impact non seulement sur l’accès à l’emploi (Gobillon & Selod, 2007 ; Couppié & Gasquet, 2009 ; Personnaz, et al., 2024) mais aussi sur les parcours des jeunes, plus souvent semés d’embûches – chômage, emplois en CDD – lorsqu’ils sont descendants d’immigrés du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne et sur leurs expériences de discrimination (Brinbaum & Guégnard, 2015 ; Brinbaum, 2023). Elle entraîne une stigmatisation qui se traduit par davantage de discriminations comme cela a été confirmé par les enquêtes de testing (L’Horty et al., 2011).
24L’analyse multivariée permet de tester l’effet de la Génération de sortants sur l’insertion professionnelle en tenant compte des disparités entre groupes d’origine pour les deux générations, notamment en termes de diplôme atteint ou d’origine sociale. En effet, malgré l’augmentation du niveau de diplôme parmi les descendants d’immigrés d’une cohorte de sortants à l’autre, ces derniers, quelle que soit leur origine (à des degrés variables) sont plus souvent non diplômés et moins souvent diplômés du supérieur long que les sortants de la population majoritaire. Il y a aussi des différences entre les groupes en termes d’origine sociale qu’il faut prendre en compte, car si l’origine sociale influe indirectement sur l’insertion via le diplôme, elle agit indirectement aussi sur cette dernière par le fait des opportunités et des stratégies différentes de recherche d’emploi.
- 11 En effet, la comparaison des résultats d’un modèle à l’autre, entre générations, est problématique, (...)
25Pour réaliser l’analyse multivariée, nous avons estimé, dans un premier temps, un modèle pour chaque Génération de sortants (deux premières colonnes du tableau 6). Dans ces modèles sont incluses, en plus de l’origine migratoire, plusieurs variables sociodémographiques. Dans un second temps, nous avons empilé les deux enquêtes Génération et estimé un modèle incluant des interactions entre l’origine et la Génération de sortie de formation initiale, afin de tester si, à caractéristiques sociodémographiques équivalentes, les descendants d’immigrés ont plus ou moins de risque de se retrouver dans une trajectoire discontinue et/ou précaire et si ce risque s’est accru pour la Génération de sortie en 2010.11
26Le tableau 6 présente les résultats des analyses sous forme d’effets marginaux (en points de pourcentage) qui représentent l’écart entre la modalité observée et la modalité de référence.
- 12 La taille des échantillons ne permet pas de prendre en compte les diplômes à des niveaux plus fins (...)
27Tout d’abord, parmi toutes les variables, le diplôme est prépondérant : les non-diplômés sont les plus pénalisés (1998 : +19 points de pourcentage, 2010 : +28 points de pourcentage.)12. Les descendants d’immigrés maghrébins ont significativement plus de risque d’avoir une trajectoire discontinue et/ou précaire à diplôme et origine sociale de même niveau, et ce pour les deux générations (1998 : +4 points de pourcentage, 2010 : +14 points de pourcentage). Les descendants d’immigrés d’autres pays d’Afrique ont également plus souvent des trajectoires discontinues et/ou précaires, mais l’écart aux jeunes issus de la population de référence n’est significatif que pour la Génération 2010 (+14 points de pourcentage). Ainsi, pour ces deux groupes – Maghreb et autres pays d’Afrique –, nous constatons une augmentation importante des écarts à la population de référence qui laisse supposer une accentuation des inégalités d’une Génération à l’autre, et ce malgré une amélioration de la structure des diplômes parmi les descendants d’immigrés. En revanche, les descendants d’immigrés d’Europe du Sud ne se distinguent pas significativement des jeunes de la population majoritaire, pour les deux générations, et l’écart reste quasiment stable.
Tableau 6. Analyses multivariées sur la trajectoire discontinue et précaire – effets marginaux (points de pourcentage)
Lecture : la probabilité d’être dans une trajectoire discontinue et/ou précaire pour les descendants d’immigrés maghrébins sortis de formation initiale en 2010 est 14,4 points de pourcentage plus élevée par rapport à la population de référence (France) et ce à diplôme, sexe, origine sociale, région de l’établissement de formation et présence d’enfant(s) à l’enquête à 3 ans contrôlés.
*** p<0.01, ** p<0.05, * p<0.1.
Champ : ensemble des sortants
Source : enquêtes Génération 1998 et 2010 à 7 ans du Céreq.
28Le modèle empilé (troisième colonne), tenant compte des interactions entre chaque origine et la génération, indique que la Génération 2010 a un risque significativement plus élevé d’avoir une trajectoire marquée par une forte précarité statutaire et financière et une discontinuité que la Génération 1998, confirmant la dégradation des parcours d’entrée dans la vie active d’une cohorte de sortants à l’autre (cf. di Paola et al., 2018). De plus, les descendants d’immigrés maghrébins ont un risque accru d’avoir une telle trajectoire par rapport à la population majoritaire et ce risque augmente s’ils appartiennent à la cohorte de sortie de 2010 (effet d’interaction positif et significatif). Autrement dit, les jeunes dont les parents sont originaires du Maghreb appartenant à la cohorte de sortants 2010 ont une probabilité d’avoir une trajectoire discontinue et/ou précaire qui est plus élevée de 8 points de pourcentage que celle de la population majoritaire de la Génération 1998 (+12 points de pourcentage pour les descendants d’immigrés d’autres pays d’Afrique). Ainsi, la hausse de l’entrée dans ces trajectoires instables et/ou financièrement précaires entre 1998 et 2010 est encore accentuée pour les jeunes de ces origines.
29Le graphique des probabilités prédites (figure 3 et tableau 6, modèle empilé) montre qu’il y a bien un effet d’interaction entre la génération et certaines origines : l’écart entre les descendants d’immigrés du Maghreb et d’Afrique hors Maghreb, et les jeunes de la population majoritaire, est beaucoup plus important pour la Génération 2010 que pour la cohorte 1998, et cet écart est aussi uniquement significatif pour la Génération 2010. Ces résultats témoignent d’une aggravation des inégalités de trajectoires plus fortes pour les jeunes de ces origines sortis de formation initiale.
30Nous avons également estimé un modèle incluant une interaction entre le sexe, l’origine et la génération (annexe 3). Les résultats indiquent que les hommes d’origine maghrébine de la Génération 2010 connaissent une plus forte dégradation de leurs parcours d’insertion professionnelle que les femmes de la population majoritaire appartenant à la Génération de sortants de 1998. Cependant les femmes d’origine maghrébine sont les plus pénalisées parmi les groupes d’origine étudiés.
Figure 3a. Effets d’interactions entre l’origine et la génération, probabilités prédites d’avoir une trajectoire professionnelle discontinue et/ou précaire (France/Maghreb)
Note : résultats issus d’une régression logistique tenant compte des variables suivantes : diplôme, sexe, origine sociale, région de l’établissement de formation et présence d’enfant(s) à l’enquête à 3 ans.
Lecture : la probabilité prédite d’être dans une trajectoire discontinue et/ou précaire pour les descendants d’immigrés maghrébins sortis de formation initiale en 2010 est de plus de 50 %, à diplôme, sexe, origine sociale, région et présence d’enfants contrôlés. Cette probabilité s’élève à 39 % pour la population de référence (France), l’écart entre les deux groupes est statistiquement significatif. Pour la Génération 1998 en revanche, l’écart entre les deux groupes (Maghreb : 21 %, France : 18 %) n’est pas significatif. L’interaction est quant à elle significative, car l’augmentation du risque de trajectoire discontinue précaire d’une Génération de sortants à l’autre est plus importante pour les descendants d’immigrés du Maghreb que pour la population de référence (les lignes ne sont pas parallèles).
Champ : ensemble des sortants.
Source : enquêtes Génération 1998 et 2010 à 7 ans du Céreq.
Figure 3b. Effets d’interactions entre l’origine et la génération, probabilités prédites d’avoir une trajectoire professionnelle discontinue et/ou précaire (France/Autre Afrique)
Note : résultats issus d’une régression logistique tenant compte des variables suivantes : diplôme, sexe, origine sociale, région de l’établissement de formation et présence d’enfant(s) à l’enquête à 3 ans.
Lecture : la probabilité prédite d’être dans une trajectoire discontinue et/ou précaire pour les descendants d’immigrés maghrébins sortis de formation initiale en 2010 est de plus de 50 %, à diplôme, sexe, origine sociale, région et présence d’enfants contrôlés. Cette probabilité s’élève à 39 % pour la population de référence (France), l’écart entre les deux groupes est statistiquement significatif. Pour la Génération 1998 en revanche, l’écart entre les deux groupes (Maghreb : 21 %, France : 18 %) n’est pas significatif. L’interaction est quant à elle significative, car l’augmentation du risque de trajectoire discontinue précaire d’une Génération de sortants à l’autre est plus importante pour les descendants d’immigrés du Maghreb que pour la population de référence (les lignes ne sont pas parallèles).
Champ : ensemble des sortants.
Source : enquêtes Génération 1998 et 2010 à 7 ans du Céreq.
Figure 3c. Effets d’interactions entre l’origine et la génération, probabilités prédites d’avoir une trajectoire professionnelle discontinue et/ou précaire (France/Europe du Sud)
Note : résultats issus d’une régression logistique tenant compte des variables suivantes : diplôme, sexe, origine sociale, région de l’établissement de formation et présence d’enfant(s) à l’enquête à 3 ans.
Lecture : la probabilité prédite d’être dans une trajectoire discontinue et/ou précaire pour les descendants d’immigrés maghrébins sortis de formation initiale en 2010 est de plus de 50 %, à diplôme, sexe, origine sociale, région et présence d’enfants contrôlés. Cette probabilité s’élève à 39 % pour la population de référence (France), l’écart entre les deux groupes est statistiquement significatif. Pour la Génération 1998 en revanche, l’écart entre les deux groupes (Maghreb : 21 %, France : 18 %) n’est pas significatif. L’interaction est quant à elle significative, car l’augmentation du risque de trajectoire discontinue précaire d’une Génération de sortants à l’autre est plus importante pour les descendants d’immigrés du Maghreb que pour la population de référence (les lignes ne sont pas parallèles).
Champ : ensemble des sortants.
Source : enquêtes Génération 1998 et 2010 à 7 ans du Céreq.
31Pour les jeunes d’origine d’Europe du Sud, nous observons également une augmentation de la probabilité d’avoir une trajectoire discontinue et/ou précaire d’une cohorte de sortants à l’autre, une augmentation cependant similaire à celle de la population majoritaire (les lignes sont quasiment parallèles). Leur situation s’est donc également dégradée, mais cette dégradation n’a pas entraîné un écart à la population majoritaire, contrairement à ce que nous observons pour les jeunes d’origine africaine d’une cohorte à l’autre.
- 13 La question posée est la suivante : « Dans votre parcours professionnel depuis 2010, estimez‐vous a (...)
32S’il est difficile d’établir un lien direct entre les différences observées entre les origines et la discrimination à l’embauche, ou dans l’accès à des emplois stables et de qualité, ou a fortiori entre la dégradation constatée des trajectoires d’insertion professionnelle et l’évolution des discriminations en raison du contexte social et économique, les enquêtes Génération nous permettent toutefois de comparer l’évolution d’une cohorte de sortants à l’autre, de l’expérience ressentie de discrimination, à l’embauche uniquement, durant les trois premières années suivant la sortie de formation initiale13. Tous les motifs supposés de discrimination ressentie sont ici pris en compte (genre, origine sociale, origine, couleur de peau, etc.).
33Alors que le taux de chômage a sensiblement augmenté entre les deux générations et que l’on a observé une forte précarisation des trajectoires d’insertion en termes de statut et de revenu, particulièrement accentuée pour les jeunes d’origine maghrébine, le sentiment de discrimination à l’embauche a aussi fortement augmenté entre les deux enquêtes pour tous les groupes. Il est passé de 16 % à 34 % parmi les descendants d’immigrés maghrébins, atteignant ainsi un niveau particulièrement élevé (figure 4).
Figure 4. Sentiment d’avoir subi de la discrimination durant les trois premières années du parcours professionnel
Lecture : 34,2 % des descendants du Maghreb de la Génération 2010 ont le sentiment d’avoir subi de la discrimination (tous motifs confondus) durant les trois premières années du parcours professionnel.
Source : Enquêtes Génération 1998 en 2001 et 2010 en 2013 du Céreq.
- 14 Le modèle M3 renvoie au modèle avec interactions dont les résultats sont présentés dans le tableau (...)
- 15 De même, les jeunes qui ont des trajectoires précaires et éloignées de l’emploi déclarent plus souv (...)
34Cette discrimination est attribuée par ces derniers principalement à leurs origines – nom puis couleur de peau ou religion et, dans une moindre mesure, au lieu de résidence (Brinbaum, 2021). Nous avons introduit la variable de ressenti des discriminations à l’embauche (mesurée à 3 ans) dans le modèle M314. En effet, déclarer des discriminations augmente le risque de suivre une trajectoire discontinue et précaire sur les sept premières années qui suivent la sortie de formation, à génération, origine sociale, diplôme et autres caractéristiques sociodémographiques maintenus constants15. À l’inverse, cela diminue les chances de connaître une trajectoire caractérisée par des emplois stables et très bien rémunérés. Les déclarations de discriminations sont corrélées aux trajectoires et renvoient à des expériences objectives de précarité, d’instabilité qui peuvent être liées à des discriminations.
35Une autre piste d’explication est la distribution différente dans les filières et spécialités de formation (Brinbaum & Kieffer, 2009 ; Brinbaum, 2019 ; Tucci et al., 2023), renvoyant à des inégalités horizontales (type de baccalauréat par exemple) et à des orientations contrariées qui ont des conséquences sur les opportunités d’emploi et les trajectoires d’insertion professionnelle (Brinbaum & Guégnard, 2012 ; Brinbaum, 2023) dans un marché du travail sous tension et dégradé au moment de l’insertion de la cohorte de sortants en 2010.
36La crise financière et économique de 2008 a fragilisé l’insertion professionnelle des jeunes, notamment des moins diplômés. Dans cet article, nous mobilisons les données de deux enquêtes Génération du Céreq afin d’analyser l’entrée sur le marché du travail des jeunes de différentes origines appartenant à deux cohortes de sortants de formation initiale (1998 et 2010) sur une durée de sept ans. Ce dispositif nous permet de mesurer les écarts entre différents groupes d’origine et la population majoritaire et leur évolution d’une cohorte à l’autre, et donc l’évolution des inégalités d’origine sur vingt ans.
37Tout d’abord, nos résultats mettent en évidence une forte augmentation des trajectoires discontinues au cours desquelles les jeunes alternent chômage, inactivité, et emplois très précaires en termes de contrats, et de revenus : leur part passe de 11 % à 21 % d’une cohorte de sortants à l’autre. Ce type de trajectoire s’est d’ailleurs précarisé au fil du temps : les jeunes de la cohorte 1998 accédaient plus souvent à des emplois stables à bas revenus alors que ceux de la cohorte 2010 cumulaient les emplois instables peu rémunérés. La part des trajectoires d’insertion en dents de scie et caractérisées par de l’emploi très précaire passe, quant à elle, de 6 % à 14 %.
38Ensuite, l’insertion professionnelle des jeunes descendants d’immigrés maghrébins arrivés sur le marché du travail en période de crise économique et dans un climat social tendu dans la période post-attentats est d’autant plus difficile. Nos analyses mettent clairement en évidence, d’une cohorte à l’autre, une exacerbation des inégalités entre jeunes de différentes origines dont pâtissent les descendants d’immigrés maghrébins et d’autres pays d’Afrique.
39Outre l’expérience de périodes longues de chômage qui affectent les trajectoires, c’est surtout le caractère discontinu de ces dernières et les faibles revenus qui sont mis en évidence par nos résultats, avec des allers-retours dans l’emploi très précaire, cumulant des contrats de courte durée et des salaires relativement faibles. La tendance à accéder à des emplois précaires, mais mieux rémunérés ou encore à des emplois stables s’est relativement affaiblie pour les descendants d’immigrés d’Afrique d’une cohorte de sortants de formation initiale à l’autre. Les femmes d’origine maghrébine sont les plus désavantagées en termes de trajectoires, notamment celles sorties de formation en 2010. Ce constat atteste de la « double vulnérabilité » des jeunes femmes d’origine maghrébine, sur le marché du travail (Meurs & Pailhé, 2008 ; Petit et al., 2013). Toutefois, l’aggravation d’une cohorte de sortants à l’autre est la plus importante pour les hommes de cette origine. Il serait important de pouvoir investiguer plus en profondeur les formes que prennent les trajectoires des femmes en fonction des origines, à court et moyen terme, car les mécanismes à la source des inégalités de parcours professionnels peuvent être différents. Ceci nécessite d’avoir accès à des données disposant d’effectifs suffisamment importants. Des analyses sur les données de Génération 2010 du Céreq à 3 ans montrent que les femmes d’origine maghrébine sont surreprésentées dans la trajectoire-type d’inactivité durable et que ce sont les femmes non diplômées avec enfants les plus concernées. Elles le sont aussi dans les trajectoires de sortie d’emploi et de retour à la formation (Brinbaum, 2023).
40Des analyses approfondies à partir de Génération 2010 à 7 ans pourraient prendre en compte les caractéristiques des premiers emplois occupés, dont les secteurs d’emploi, afin d’étudier la manière dont ils influencent la suite du parcours professionnel. Les réseaux, mais aussi les intermédiaires de l’emploi, jouent un rôle clé en début de carrière et, pour les descendants d’immigrés, participent à un accès inégal à l’emploi et à leur maintien dans certains segments du marché du travail caractérisés par de l’emploi précaire (Brinbaum, 2018). Après la crise, des dispositifs dédiés à l’emploi des jeunes (Emplois d’avenir, Garantie jeunes) ont été mis en place. Pour certains, ils ont été un tremplin vers un emploi stable et pour d’autres ils ont pu participer à les maintenir dans des emplois précaires. Croiser des données quantitatives et qualitatives permettrait d’investiguer davantage les raisons de ce maintien dans des trajectoires instables et précaires, caractérisées par de faibles rémunérations : ces raisons peuvent être structurelles (effets des dispositifs publics) et contextuelles (lieu de résidence), mais aussi le produit de logiques individuelles différentes dans les choix professionnels ou lors de la recherche d’emploi, par exemple. On peut aussi supposer que les pratiques de recrutement tendent à être plus discriminatoires en période de crise économique (plutôt qu’en période de plein emploi).
41Si la crise n’a pas favorisé l’émergence d’une génération sacrifiée (Peugny & Van de Velde, 2008) et si les jeunes ont, dans l’ensemble, pu rattraper les effets d’une entrée sur le marché du travail dans des conditions défavorables (Gaini et al., 2013 ; Barret et al., 2014), l’aggravation des inégalités de trajectoires que nous constatons laisse de côté, en marge du marché du travail et de ces segments les plus valorisés et stables, un certain nombre de jeunes, en particulier ceux appartenant aux minorités visibles, tout particulièrement les non diplômés ou faiblement qualifiés. Ainsi, nos résultats témoignent de la vulnérabilité qui caractérise certaines catégories de jeunes : ceux qui risquent le plus de subir des formes de discriminations en lien avec leur couleur de peau, leur origine ou encore leur appartenance religieuse supposée. Ces critères ethnoraciaux ancrés dans le contexte social renforcent la vulnérabilité et, selon la théorie de l’assimilation segmentée, peuvent conduire à une assimilation descendante (downward assimilation, Portes & Zhou, 1993) caractérisée par une forte précarisation des parcours d’insertion, en termes d’accès à l’emploi, mais aussi en termes de stabilité et de pauvreté économique. Si nous ne pouvons pas conclure à une assimilation descendante des jeunes les plus stigmatisés qui se retrouvent dans des trajectoires discontinues et précaires, il n’est pas exclu que ceux qui résident encore en ZUS rencontrent davantage de difficultés à se stabiliser professionnellement et à sortir de cette précarité. Ces conditions rendent difficiles la décohabitation, la recherche d’un logement, la mise en couple, l’accès à l’autonomie, etc. et peuvent favoriser la frustration ou encore la disqualification sociale (Paugam, 2007 ; 2012) d’un certain nombre de descendants d’immigrés d’Afrique qui aspiraient à une meilleure situation que celle de leurs parents.
42Sans pouvoir lier de manière causale cette aggravation des inégalités entre les jeunes issus des minorités visibles et la population majoritaire sur la période à la dégradation des contextes social et économique, cet article vient à nouveau confirmer l’existence d’une ligne de démarcation sociale entre descendants d’immigrés d’Afrique et population majoritaire. Compte tenu de la récurrence des crises économiques, des politiques publiques ambitieuses qui viseraient à sensibiliser la population aux questions de stéréotypes, de racisme et de discriminations semblent particulièrement importantes afin d’éviter un durcissement des inégalités ethnoraciales. Les données de panel, comme celles issues des enquêtes Génération sur une période longue de sept ans, présentent certaines limites lorsqu’il s’agit d’étudier les descendants d’immigrés en raison des effectifs restreints et de la difficulté de mener des analyses selon le genre ou le niveau de diplôme. Cependant, elles constituent une source précieuse pour analyser la dynamique des inégalités. De plus, la répétition des enquêtes par cohortes de ce type offre une perspective temporelle essentielle pour mieux comprendre l’évolution de ces inégalités.