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Recensions

Esteban Castañer Muñoz, Laurent Jalabert et Nicolas Meynen (dirs.), Thermalisme et patrimoines dans les zones de montagne en Europe du xviiie au xxie siècle, Pau, Presses de l’Université de Pau et des pays de l’Adour, 2020, 166 p.

Dominique Jarrassé

Texte intégral

1Le thermalisme vient d’entrer, selon l’expression consacrée, au « Patrimoine mondial ». Une série de onze stations, sous la dénomination The Great Spa Towns of Europe, a reçu, le 24 juillet 2021, le label Unesco prioritairement comme phénomène culturel « qui s’est développé du début du xviiie siècle aux années 1930 » : l’usage des eaux a donné naissance à des villes d’un type original caractérisées par des ensembles de bâtiments de soin et de villégiature inscrits dans un « environnement thérapeutique et récréatif soigneusement géré dans un paysage pittoresque ». Il est intéressant de noter que, si ce sont des « grandes » villes d’eaux, Bath, Baden-Baden, Karlovy Vary (Carlsbad), Spa ou Vichy… qui constituent cette série, la définition retenue est valable pour toutes les stations thermales. En ne retenant que les stations ayant accédé à la notoriété internationale, cette inscription ne restitue pas une réalité bien plus complexe et diverse : l’existence de milliers de « villes d’eaux » qui, même si parfois elles n’ont de réputation que locale et sont minuscules, illustrent un développement de cette culture thermale dans des cadres variés, particulièrement en montagne.

2Ces disparités d’évolution sont très sensibles dans les nombreux travaux réalisés dans le cadre du programme de recherche européen TCV-PYR mené par les universités de Pau, Perpignan et Toulouse, ainsi que par les services régionaux de l’Inventaire de Nouvelle Aquitaine et d’Occitanie. Le colloque Thermalisme et patrimoines dans les zones de montagne en Europe du xviiie au xxie siècle a pour spécificité de mettre en perspective comparative les Pyrénées, objet central de l’étude globale, avec d’autres massifs montagneux, sous l’angle de l’impact du thermalisme dans le développement paysager et économique des territoires de montagne, la morphologie des stations thermales et l’évolution des activités médicales et ludiques. La périodisation retenue n’est pas seulement celle que mettent en lumière The Great Spa Towns of Europe, c’est-à-dire du lancement du thermalisme mondain en lien avec la sensibilité romantique et la découverte des montagnes jusqu’aux années 1930 en passant évidemment par l’âge d’or du xixe siècle qui voit le phénomène thermal se répandre dans toute l’Europe et même dans les colonies, elle englobe les mutations actuelles déterminées par la crise du thermalisme médical et l’émergence de pratiques nouvelles. Elle se penche sur l’avenir de ces territoires.

3De ce fait, le patrimoine, tant naturel que culturel, mais aussi immatériel est au cœur des études – le titre use avec justesse d’un pluriel pour évoquer ces « patrimoines » –tant dans son élaboration que dans sa préservation. Car la ville thermale se caractérise par un souci constant d’adaptation à l’évolution des pratiques thérapeutiques et des activités de villégiature ; or celles-ci suivent, les unes comme les autres, des modes et des modèles régionaux, nationaux et internationaux qui se traduisent dans les aménagements urbains et paysagers, dans l’architecture des bâtiments-phares comme l’établissement thermal, le casino ou le grand hôtel, et enfin à travers les activités de villégiature. Ainsi, dans les stations d’une certaine importance, les bâtiments sont-ils fréquemment reconstruits et les espaces publics réaménagés : en conséquence leur patrimonialisation s’avère complexe.

4L’ouvrage aborde la question du patrimoine thermal montagnard selon plusieurs axes, l’évolution historique, l’architecture et l’urbanisme, le lien avec la nature ou encore les pratiques ludiques, également selon des méthodes diverses, de l’approche monographique à des tentatives de typologie globale, enfin en fonction d’une répartition géographique, les Pyrénées étant l’objet de sept contributions et les six autres évoquant les Alpes, le Massif central, la Cantabrie et la Bohême. C’est évidemment insuffisant pour établir une véritable perspective comparative, d’autant que la plupart des chapitres non-pyrénéens ne sont pas des synthèses, mais des cas, parfois éclairants comme celui d’une petite station comme Las Caldas de Besaya qui illustre l’impact crucial des voies de communication en montagne. Située dans un défilé bien desservi qui a d’abord favorisé son épanouissement, la station aujourd’hui est fragilisée par l’excès des transports qui l’emprunte.

Les Pyrénées et l’impact du milieu montagnard

5L’étude menée par le groupe GEODE de l’Université de Toulouse est évidemment la plus éclairante sur la morphologie des stations pyrénéennes puisqu’elle en prend en compte quarante-cinq des plus grandes comme Luchon à de simples établissements isolés comme Escouloubre, et esquisse donc une typologie de développement en fonction de la configuration du site. Cependant, il semble que l’analyse des composants des schémas-types d’évolution ne puissent s’appliquer en-dessous d’une certaine taille critique (est-ce pour cela que le nom des stations minuscules n’apparaît pas sur les cartes ?), comme d’ailleurs le terme « villes d’eaux » pourtant générique. Les Pyrénées sont un cadre idéal pour l’examen de cette question centrale dans toute approche des villes d’eaux, l’échelle comme facteur déterminant non seulement une typologie, mais la nature même de l’objet étudié. Les Pyrénées regorgent de petits établissements et illustrent aussi parfaitement l’impact du cadre montagneux sur le devenir des stations : L. Deloustal, pour les stations de l’est du massif, montre comment l’enclavement les a rendues incapables d’entrer en concurrence avec des stations mieux desservies.

6Plusieurs chapitres offrent des approches classiques, privilégiant l’histoire et la construction de villes d’eaux importantes comme Bagnères-de-Bigorre (J.-C. Sanchez) ou la question de l’hébergement (A. de la Taille et A. Comet). Ils montrent comment se met en place un patrimoine monumental souvent malmené au gré des hauts et des bas qu’ont connu bien des stations. Plus originale, la question de la place de la nature dans la ville d’eaux donne lieu à une étude comparée entre les Alpes et les Pyrénées occidentales (É.-A. Pépy), car c’est là un patrimoine ô combien délicat à appréhender et à conserver, alors qu’il est fondamental dans l’image de l’espace thermal.

7En termes d’évolution de l’architecture thermale et de préservation du patrimoine, l’étude proposée par V. Delpech est cruciale : d’une part parce qu’elle aborde la question de l’incessant renouvellement des besoins d’infrastructures thermales qui semble venir s’opposer à l’idée d’une patrimonialisation, et, d’autre part surtout, parce que les exemples étudiés sont les témoins d’un processus qui touche toutes les villes d’eaux d’Europe. L’efficacité du thermalisme ayant été mise en cause face à la médecine moderne et aux médicaments, après une phase où le soutien de la Sécurité sociale lui assura une forme de survie (qui ne fut pas sans conséquence sur le patrimoine, transformation des casinos et salles de machines à sous, des hôtels en meublés ou appartements…), de nombreuses stations thermales optèrent pour deux pratiques à la mode : la médecine de bien-être et le thermoludisme. Bagnères-de-Bigorre (2003), Argelès-Gazost (2011) et les Eaux-Bonnes (commencé en 2014) se sont ainsi dotées d’espaces monumentalisés dévolus à un imaginaire postmoderne parfois débridé : les lamassus de Khorsabad dans le Jardin des Bains d’Argelès ne sont pas sans surprendre dans le piémont pyrénéen… Quant à la bulle des Eaux-Bonnes, exploit technique qui tourne au cauchemar, elle vise aussi à surprendre le touriste et n’a plus de thermal qu’une synecdoque démesurée. Le parc à thèmes déteint sur les villes d’eaux. D’une certaine manière, ce n’est pas complètement nouveau : les thermes du xixe siècle n’hésitaient pas à emprunter leurs fastes aux modèles romains ou orientaux pour séduire le curiste, non sans kitsch. Les villes d’eaux ne seraient-elles pas des lieux d’invention et d’excès ?

  • 1 Sur ce thème a été organisé à Toulouse, le 9 novembre 2018, également dans le cadre du programme TC (...)

8La question de l’authenticité et de la tradition1 est au centre d’une autre étude intéressante sur le patrimoine pyrénéen, cette fois immatériel (M. Lamothe). C’est un aspect assez novateur car les villes d’eaux, un des lieux de naissance du tourisme ne l’oublions pas, ont la réputation d’avoir largement folklorisé les pratiques locales, voire « inventé » des traditions. Or c’est justement l’objet de l’approche de M. Lamothe qui démontre comment des pratiques d’avant le développement du thermalisme et du tourisme ont pu être perpétuées par la demande « commerciale », mais aussi comment certaines, les courses en montagne, ont pu être inventées dans le cadre de l’animation des stations et, dans un second temps, appropriées par les populations. Cela induit une réflexion sur les définitions classiques du patrimoine immatériel et leur caractère souvent figé : des dynamiques d’échange sont justement produites dans ces lieux voués à la confrontation entre « autochtones » et « étrangers ».

Perspectives comparatistes ?

9La France et l’Europe offrent un très grand nombre de villes d’eaux de montagne ou installées au pied de montagnes : il est donc important de confronter les évolutions et les configurations repérées dans les Pyrénées avec celles d’autres massifs, Alpes, Massif central, Vosges, Forêt-Noire, monts Métallifères, Carpates… Le volume présente le cas de quelques stations, une en Cantabrie évoquée plus haut, une autre dans le Morvan, Saint-Honoré-les-Bains (F. Dufoulon) qui pour être située à moins de 300 mètres de hauteur se donne néanmoins des allures de station « pyrénéenne ». Une présentation des stations savoyardes envisage seulement l’activité musicale (T. Bonjour). Quant à l’évocation du « renouveau thermal dans les monts Métallifères » (M. Magne), elle se révèle plus centrée sur les relations de pouvoir fin xviiie-début xixsiècle entre seigneurs locaux, bourgeoisie et État, rivalisant dans l’aménagement et l’exploitation des eaux, que sur l’impact du cadre montagnard sur la morphologie des stations et la création d’un patrimoine architectural spécifique ; évidemment la comparaison avec cette région comportant des stations aussi importantes que, d’une part Carlsbad (Karlovy Vary), Marienbad (Mariánské Lázně) et Franzensbad (Františkovy Lázně) désormais « patrimoine mondial », et Teplitz d’autre part, serait enrichissante, car si les données topographiques et géophysiques sont proches, les destins ont été assez différents.

10Autre massif qui, semble-t-il, permettrait de nourrir la réflexion sur le patrimoine thermal dans les Pyrénées, le Massif central, qui s’est doté d’une structure promotionnelle, la Route des villes d’eaux du Massif central créée en 1998 (M.-E. Fererol) qui n’est pas tant un « itinéraire culturel » comme les promeut le Conseil de l’Europe qu’un outil de médiation. À l’échelle du massif et à cheval sur plusieurs régions administratives, cette association qui regroupe dix-sept stations s’efforce de concilier une évolution vers les nouvelles pratiques (bien-être, thermoludisme…) et une valorisation d’un patrimoine ancien exceptionnel, préservé en partie à cause de la crise des années 1980. L’expérience repose largement sur l’usage des nouveaux médias et de techniques numériques souvent onéreuses ou complexes. Elle contribue aussi à intégrer toujours plus clairement le thermalisme au tourisme, une évolution qui n’est en rien condamnable, car le plus souvent la préservation du patrimoine passe par sa « mise en tourisme », certes avec parfois en conséquence des formes de dénaturation. Le mérite de cette présentation dans le cadre d’une étude sur thermalisme et patrimoine en zone de montagne est d’introduire, comme les exemples exposés par V. Delpech, à la conscience d’une nécessité de renouvellement, d’innovation, une valeur justement cardinale pour les villes d’eaux au cours des trois derniers siècles de leur histoire, et toujours nécessaire à leur survie.

11Tous ces articles ouvrent une série de perspectives intéressantes en soi, mais ne permettent pas une véritable comparaison éclairant globalement la spécificité des stations thermales de montagne et permettant de cerner des tendances communes dans les patrimoines produits et préservés. Le chantier demeure largement ouvert et devrait prendre une dimension nettement plus internationale.

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Notes

1 Sur ce thème a été organisé à Toulouse, le 9 novembre 2018, également dans le cadre du programme TCV-PYR une journée d’étude très pertinente, Images et imaginaire du tourisme : à la recherche d’une « authenticité » dans les espaces coloniaux et métropolitains (xixe-xxe siècles), sous la direction de Marlène Lespes et Steve Hagimont.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominique Jarrassé, « Esteban Castañer Muñoz, Laurent Jalabert et Nicolas Meynen (dirs.), Thermalisme et patrimoines dans les zones de montagne en Europe du xviiie au xxie siècle, Pau, Presses de l’Université de Pau et des pays de l’Adour, 2020, 166 p. »Les Cahiers de Framespa [En ligne], 38 | 2021, mis en ligne le 25 octobre 2021, consulté le 11 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/framespa/12110 ; DOI : https://doi.org/10.4000/framespa.12110

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