Delpech Viviane (coord.), « Thermalisme, montagne et politique », Cahier d’Histoire Immédiate, n° 54, automne 2020, 149 p.
Texte intégral
1Ce numéro 54 de la revue Cahier d’histoire immédiate regroupe dix articles et un compte-rendu de lecture. Sept de ces articles composent le dossier thématique consacré aux liens entre thermalisme, montagne et politique tandis que les trois derniers relèvent des varias proposés par des doctorants.
2Le dossier fait écho à la journée d’étude organisée à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour le 31 janvier 2020, sous la direction conjointe de Viviane Delpech et de Laurent Jalabert. Deux des trois axes développés à l’occasion de cette journée ont été rassemblés dans la publication : décisions politiques, développement et valorisation des stations thermales et de montagne, d’une part, et les figures politiques en villégiature thermale et montagnarde, d’autre part.
3La journée d’étude et la publication qui en résulte s’inscrivent dans le programme de recherche TCV-PYR (Thermalisme, Culture et Villégiature dans les Pyrénées) qui s’est déroulé entre 2017 et 2021. Soutenu par des fonds européens FEDER, ce programme interdisciplinaire associe les trois universités du nord de la chaîne : celle de Pau, avec les laboratoires ITEM (Identités, territoires, expressions, mobilités) et LIUPPA (Laboratoire informatique de l’UPPA), celle de Toulouse – Jean Jaurès avec les laboratoires FRAMESPA (France, Amérique, Espagne – Sociétés, pouvoirs et acteurs) et GEODE (Géographie de l’Environnement) et l’Université de Perpignan via son laboratoire CRESEM (Centre de Recherches sur les Sociétés et Environnement en Méditerranées). En lien avec les services de l’Inventaire général du patrimoine des Régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, il a consisté en un inventaire systématique du patrimoine, matériel et immatériel, du thermalisme et de la villégiature dans le massif pyrénéen français.
4Ce travail minutieux, station par station, permet de nourrir des thématiques d’étude à l’échelle du massif et peut être interrogé selon plusieurs prismes ce qui a été fait lors de divers séminaires, journées d’études et colloques organisés par les trois universités partenaires. Ce mode opératoire a contribué à considérablement renouveler la connaissance du patrimoine culturel thermal pyrénéen et c’est dans cette optique que politique, thermalisme et montagne ont été questionnés les uns à l’aune des autres dans une réflexion inédite.
5Dominique Jarrassé détaille dans un premier temps les réseaux du thermalisme, qu’ils soient historiques, régionaux, européens jusqu’à la candidature au patrimoine mondial. Le propos, axé sur les réseaux de patrimonialisation couplé au développement touristiques des différents partenaires politiques, vient apporter un contrepoint à l’étude des réseaux de la villégiature qui avait donné lieu au numéro 4 de la revue numérique In Situ en 2004 et en détaillait les réseaux économiques, les infrastructures ainsi que les dimensions sociales et culturelles. L’article dévoile la genèse de la candidature auprès de l’Unesco et fournit des éléments de contexte sur l’inscription obtenue en juillet 2021.
6Ce sont les appropriations de l’espace naturel pyrénéen et leurs acteurs que détaille Steve Hagimont, montrant la primauté des autorités centrales (intendants puis préfets) et municipales sur les initiatives privées. En termes d’aménagement, le débat oppose également les pouvoirs locaux aux investisseurs extérieurs. Les enjeux changent au xxe siècle, lors des débats sur la préservation des paysages face à l’industrie hydro-électriques et à l’occasion des investissements dans les stations d’hiver, mais l’on retrouve des logiques d’actions contradictoires selon l’autorité qui les porte, les moyens qu’elle possède et l’audience qu’elle vise.
7L’entrepreneur Adrien Barthélémy a fortement marqué le thermalisme dans la seconde moitié du xxe siècle avec la création de la Chaîne thermale du soleil en 1963. Laetitia Deloustal détaille la synthèse qu’il a su effectuer entre thermalisme social, reformulation d’un nouveau mode de thermalisme mondain et réussite économique. La dimension paysagère et l’approche de santé par l’alimentation sont d’autres marques impulsées par la famille Barthélémy. L’étude de la station de Molitg-les-Bains permet de croiser l’histoire de l’entreprise à ses réalisations dans sa station fétiche.
8Les trois contributions suivantes s’attachent aux figures politiques en villégiature thermale ou montagnarde dans trois contextes différents : la cour de Navarre au xvie siècle (Dénès Harai), le couple impérial sous le Second Empire (Viviane Delpech) et le monde politique de la Ve République (Laurent Jalabert). En cure en Bigorre ou Béarn, le séjour de la famille de Navarre s’apparente à de vraies cures d’État où, accompagnée de la cour, du parti protestant et des conseillers, elle produit des actes de gouvernement et d’administration à la portée à la fois locale, régionale et diplomatique. Le thermalisme de l’époque moderne a donné lieu à bien moins de publications que les périodes ultérieures et l’article en propose ici un jalon essentiel.
9Le couple impérial a laissé de nombreuses traces matérielles de ses séjours thermaux. Leur passage influence la renommée et l’aménagement des sites visités. Dans les Pyrénées, les vestiges en sont nombreux, que ce soit dans les toponymes, dans l’onomastique ou dans les équipements qui permettent d’en améliorer l’accès tant pour les hôtes étrangers que pour les populations locales. Infrastructures routières et ouvrages d’art s’accordent à la politique de désenclavement rural du Second Empire. Les réalisations impériales recomposent également le paysage, créant de nouveaux sites pittoresques ou de nouvelles promenades. Les fondations et le mécénat pratiqués par le couple impérial ne doivent pas masquer la dimension de caprice de certaines créations peu adaptées au contexte local.
10Les figures politiques de la Ve République ont utilisé ces lieux de villégiature pour servir leur communication ou à l’occasion de moments diplomatiques. L’article détaille comment certains dirigeants ont pu utiliser les sports d’hiver pour mettre en valeur une image jeune, sportive et décontractée et incarner modernité et dynamisme. Le choix de la station de destination n’est pas anodin selon le parti politique et les valeurs qu’il veut défendre. Le cadre montagneux offre également une mise à distance, propice à la mise en scène du recul qu’y trouverait l’homme sage, mais la montagne, notamment lors des Jeux Olympiques d’hiver, ne s’avère qu’une toile de fond politique. Emmanuel Macron, avec son ancrage pyrénéen, se distingue de ses prédécesseurs mais y trouve également une communication opportune.
11L’ensemble de ces réflexions croisées sur les enjeux politiques autour des eaux minérales et des sites de montagne, trouve un écho dans le séminaire « Thermalisme et politique, xviie-xixe siècle » organisé par l’Université de Paris et l’Université Clermont Auvergne au premier semestre 2021. Il a centré la réflexion sur l’époque moderne, sur un territoire allant de l’Europe de l’Ouest aux colonies. Le prisme de la montagne, avec les questions d’enclavement et d’accès ou celles de concurrence ou de complémentarité des ressources naturelles, sous-tend la problématique dressée dans ce dossier spécial des Cahiers d’histoire immédiate, et en procure la spécificité. La focale mise sur les Pyrénées pourrait être davantage déployée pour confronter les analyses à d’autres territoires de montagne.
12Les varias permettent d’approcher le travail en cours de trois doctorants. Leurs contributions s’inscrivent dans l’histoire contemporaine immédiate, cochant le propos d’origine de la revue.
13Alexandre Millet, dont la thèse s’intitule « Les prisonniers de guerre français du camp de Rawa-Ruska : histoire et mémoire (1940-2019) », est doctorant à l’Université d’Angers au laboratoire TEMOS (Temps, Mondes, Sociétés). Son article se penche sur les internés du Stalag 325 de Rawa-Ruska et sur la passation mémorielle avec leurs descendants. Il décrit d’abord ce que fut ce Stalag, qui accueillit à partir de 1942 des prisonniers de guerre français récalcitrants. Il détaille ensuite la transmission de cette expérience au sein de trois familles, sur plusieurs générations, qu’il met en perspective avec les orientations successives de l’Amicale nationale. Le balancement entre récit collectif porté par l’association, histoires individuelles et travail de l’historien est étudié dans le cadre de la construction de politiques mémorielles.
14Bryan Muller, doctorant en histoire contemporaine au CRULH (Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire) de l’Université de Lorraine, a pour sujet de recherche : « Radicalité idéologique et politique de la lutte anti et contre-subversive des années 68. Discours et pratiques militantes du gaullisme d’ordre et de ses réseaux (SAC, CDR, UNI, CFT) de 1968 à 1981 ». Il propose ici de se pencher sur deux associations para-politiques : l’association nationale des secrétaires parlementaires et collaborateurs de ministres (ANSPCM) et son succédané gaulliste des Alpes-Maritimes, l’association nationale des amis des collaborateurs de ministres et secrétaires parlementaires (ANACMSP), créée en 1972 et mise en sourdine dès l’année suivante. L’auteur replace cette histoire éphémère dans le contexte des scandales politico-judiciaires qui touchent les gaullistes dans les années 1970, alors même que les ambitions d’épuration apparaissent et que la justice se montre plus inquisitrice.
15Affilié au laboratoire ITEM de l’Université de Pau, Nicolas Falxa mène une thèse consacrée aux « élus régionaux de Nouvelle Aquitaine. Approche prosopographique (de 1986 à nos jours) ». Il propose ici d’analyser la naissance de la cave coopérative des vins d’Irouléguy au début des années 1950 après la création en 1945 d’un Syndicat de défense. L’auteur détaille le processus de création, le rôle joué par certains acteurs déterminants et les premières difficultés qu’eut à surmonter la cave. Il resitue cette création dans le contexte de polyculture de montagne du vignoble qui en explique la configuration. Le propos aurait pu développer davantage les liens entre ces créations et l’obtention des appellations.
16Le compte-rendu qui clôt la revue offre un retour sur son fondateur en 1991, Jean-François Soulet. Ce dernier a publié en 2019 « Mon histoire » qui retrace son parcours. Guy Pervillé s’attarde sur l’évocation du Groupe de recherche en histoire immédiate, également fondé par l’universitaire en 1989. Si le groupe de recherche n’existe plus formellement, la pérennisation des Cahiers d’histoire immédiate en prolonge l’esprit.
Pour citer cet article
Référence électronique
Alice de la Taille, « Delpech Viviane (coord.), « Thermalisme, montagne et politique », Cahier d’Histoire Immédiate, n° 54, automne 2020, 149 p. », Les Cahiers de Framespa [En ligne], 38 | 2021, mis en ligne le 25 octobre 2021, consulté le 21 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/framespa/12118 ; DOI : https://doi.org/10.4000/framespa.12118
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page