Aurore Chéry, L’intrigant : nouvelles révélations sur Louis xvi, Paris, Flammarion, 2020, 602 p.
Texte intégral
1S’il est une figure de la Révolution française dont les motivations et le comportement n’ont cessé de susciter commentaires et hypothèses, c’est bien Louis xvi. Si d’aucuns y voient un roi malheureux, martyr de la Révolution, d’autres en font un tyran autocrate ou un monarque faible et incapable de s’opposer aux révolutionnaires et à sa femme, Marie-Antoinette. Quelle que soit l’approche considérée, le portrait de Louis xvi est souvent à charge. C’est justement contre cette vision négative du roi qu’Aurore Chéry s’inscrit.
- 1 Évelyne Lever, Louis xvi, Paris, Fayard, 1995 ; Jean de Viguerie, Louis xvi, le roi bienveillant, M (...)
- 2 Citons, depuis 2010 seulement, Michel Biard (dir.) et Philippe Bourdin (dir.), Robespierre, portrai (...)
2Docteure en histoire médiévale, chercheuse associée au laboratoire LARHA et à l’Université Jean Moulin – Lyon III, Aurore Chéry est l’autrice d’une thèse sur l’image de Louis xv et Louis xvi, soutenue en 2015. Spécialiste de l’histoire du xviiie siècle, Aurore Chéry entreprend de revisiter en profondeur la vie de Louis xvi en proposant une nouvelle biographie. L’exercice n’est pas si attendu que cela, tant le roi n’a pas fait l’objet de biographies récentes. En effet, seules quatre biographies lui ont été consacrées depuis la fin des années 1980 par Évelyne Lever, Jean-Christian Petitfils, Jean de Viguerie et Bernard Vincent1. En comparaison avec d’autres figures révolutionnaires, comme Robespierre2, Louis xvi ne semble pas être au cœur des dernières productions biographiques. C’est donc une figure familière, si familière qu’il nous semble tout savoir de lui, et à la fois méconnue qu’entend décrypter Aurore Chéry. Suivant un plan chronologique, l’autrice dresse un portrait de Louis xvi original, qui éclaire bien des zones d’ombres de la vie du souverain.
- 3 Aurore Chery, L’intrigant : nouvelles révélations sur Louis xvi, Paris, Flammarion, 2020, p. 239.
3Aurore Chéry prend le contre-pied de l’historiographie traditionnelle à propos des rapports entretenus par Louis xvi et Marie-Antoinette. Souhaitant en finir avec la vulgate selon laquelle Louis xvi aimait son épouse et, de ce fait, n’avait pas eu de maîtresse, l’autrice montre que le roi détestait son épouse. La raison de cette mauvaise entente est politique : Louis xvi répugne à épouser une archiduchesse autrichienne car il refuse le renversement d’alliance initié par Louis xv. L’Autriche demeure, à ses yeux, un adversaire et non pas un allié. Ce faisant, Aurore Chéry relit toute l’histoire matrimoniale de Louis xvi et Marie-Antoinette selon ce prisme. La difficulté à avoir un enfant n’est plus la résultante d’une infertilité ou d’un problème physique du roi, mais bien la conséquence de son refus de partager la couche de son épouse. C’est seulement sous la contrainte de l’Autriche, par le biais de menaces diplomatiques, que le souverain est obligé de concevoir deux enfants (Marie-Thérèse et Louis-Joseph) avec son épouse. L’autrice pousse l’aversion de Louis xvi envers son épouse jusqu’à conclure que le roi a sciemment organisé l’adultère de Marie-Antoinette avec Axel de Fersen. Louis-Charles, duc de Normandie, futur Louis xvii, serait ainsi le fruit de cette liaison et non le fils du roi3.
4L’ouvrage a ainsi le mérite de replacer les unions et relations matrimoniales dans le jeu diplomatique européen et les rapports de forces entre puissances. L’utilisation des correspondances diplomatiques permet de donner un écho certain aux questions familiales. Aurore Chéry rappelle ici l’importance politique des unions entre membres de familles princières, royales ou impériales. Si les rapports du couple royal Louis xvi/Marie-Antoinette sont depuis longtemps scrutés avec attention, les réinscrire dans le contexte plus vaste des enjeux européens est bienvenu. En outre, l’autrice fait montre d’une connaissance pointue de l’historiographie du règne de Louis xvi et mobilise des sources variées dont certaines sont inédites.
- 4 Ibid., p. 149.
- 5 Ibid.
- 6 Ibid., p. 168.
5S’opposant à l’historiographie traditionnelle sur la question des maîtresses du roi, l’ouvrage accorde à Louis xvi plusieurs maîtresses. D’après Aurore Chéry, Marie-Philippine Noirot, épouse Lambriquet, est de celles-là4. Une fille, nommée Marie-Philippine, comme sa mère, naquit de cet adultère en juillet 17785. Une, en revanche, retient l’attention de l’autrice par l’importance qu’elle aurait eue dans la vie du roi : Françoise Boze, née Clétier. Épouse du peintre Joseph Boze, Françoise devient la maîtresse de Louis xvi au tout début des années 1780. Plus important encore, Françoise Boze ferait partie, tout comme son époux, d’un réseau d’espions au service du roi. Ce réseau est notamment composé de protestants liés au réseau des botanistes en lien avec l’Académie des Sciences6. La relation entre Louis xvi et Françoise Boze s’impose comme l’un des fils directeurs de l’ouvrage, expliquant certaines des décisions du roi et ouvrant la voie à une appréciation en rupture complète, là encore, avec l’historiographie traditionnelle quant à la politique menée par le roi.
- 7 Ibid., p. 359
- 8 Ibid., p. 334 et 350.
- 9 Ibid., p. 409.
- 10 Ibid., p 363.
6Louis xvi n’est plus ici un roi faible, influençable et manipulable. Bien au contraire. Aurore Chéry entend redonner au roi toute son intelligence politique ainsi qu’un sens aigu de la manipulation et de la dissimulation acquis au cours d’une jeunesse difficile. Tous les rapports de forces du règne de Louis xvi sont ainsi bouleversés. Les parlementaires, par exemple, sont présentés comme des alliés du roi dans sa volonté de se libérer de ceux qui, au sein de la Cour, ne partagent pas ses idées politiques, notamment à propos de l’Autriche et la Grande-Bretagne, les deux grands adversaires du roi. Tous utilisent des agents et espions dans une lutte sans merci. Nombreux, parmi ces agents, sont des figures de premier plan de la Révolution : Guillotin7, Brissot, Rabaut-Saint-Etienne, Clavières, Roland et les Girondins sont des partisans de Louis xvi alors que Desmoulins et Sanson servent les intérêts autrichiens8, Danton ceux de la Grande-Bretagne9 et que Marat est un agent double infiltré chez les Cordeliers pour servir Louis10. Louis xvi excellerait ainsi dans l’art de se présenter comme niais ou faible pour mieux, dans l’ombre, mettre en place sa politique.
- 11 Ibid., p. 79.
- 12 Ibid., p. 270.
7Le roi devient alors un « intrigant », pour reprendre le titre de l’ouvrage, particulièrement doué, habitué à une « culture de la dissimulation11 » et à l’origine de nombreux complots. Une grande partie de ceux-ci visent à diminuer l’influence des partisans de l’alliance autrichienne, ou parti autrichien, au sein de la Cour. Ce faisant, la reine, épouse dont le roi ne voulait pas, apparaît comme la cible de plusieurs des intrigues du roi. La fameuse affaire du collier fait partie de ces complots. Or, Louis xvi n’est alors pas parvenu à discréditer Marie-Antoinette autant qu’il l’aurait souhaité. Celle-ci demeure reine et le parti autrichien continue de vouloir dicter au roi sa conduite. Aurore Chéry accorde à cet événement une importance déterminante car Louis xvi, échouant à se débarrasser du parti autrichien, n’aurait alors pas eu d’autre choix que de souhaiter une révolution : » Ce scandale a simplement rendu la Révolution inévitable parce qu’elle est devenue la seule issue qui s’offrait désormais à Louis xvi12. »
- 13 Ibid., p. 312.
- 14 Ibid., p. 313.
8Les chapitres consacrés à l’éducation du prince soulignent l’importance de la pensée de Rousseau chez le futur roi. C’est grâce à cette éducation que Louis xvi serait devenu « républicain », non au sens actuel du terme, mais au sens antique. Le roi aurait ainsi favorisé une révolution qu’il entendait contrôler de bout en bout, dans l’espoir qu’elle aboutisse à un régime républicain permettant paradoxalement de renforcer l’absolutisme13. Dans cette perspective, le régime républicain, en permettant que « les affaires publiques se règlent publiquement » présentait l’avantage de permettre à Louis de se détacher de la tutelle autrichienne14.
- 15 Ibid., p. 335.
- 16 Ibid., p. 339.
9La Révolution est ainsi relue à l’aune de cet objectif politique de Louis xvi et de son opposition à l’Autriche et à la Grande-Bretagne. Le roi est à l’origine de la prise de la Bastille pour laquelle il s’est « appuyé sur un réseau d’hommes de confiance qui [ont] joué les agioteurs15. » Par la suite, il s’attaque à la noblesse, soutien principal de l’Autriche. Pour ce faire, il utilise son réseau d’agents pour diffuser des rumeurs à l’origine de la Grande Peur de l’été 1789. Le but est d’« instaurer un climat de terreur qui inciterait la noblesse à renoncer elle-même à ses privilèges, de crainte d’être livrée à la vindicte populaire16. » Il provoque les journées des 5 et 6 octobre 1789, souhaitant revenir à Paris. Il fait volontairement échouer la fuite à Varennes en 1791 et provoque la prise des Tuileries en août 1792.
10D’aucuns pourraient regretter que le fil directeur de l’ouvrage – redonner à Louis xvi toute son importance politique – conduise parfois à négliger certains acteurs, particulièrement les groupes populaires. Faire de Louis xvi la seule cause de la Révolution revient à occulter le surgissement autonome de groupes politiques qui, justement, entendent jouer un rôle dans le cours de la Révolution. De même, la capacité d’action, d’initiative et de choix des acteurs politiques de la Révolution, ici limitée à leur inscription dans l’opposition entre le roi et l’Autriche et/ou la Grande-Bretagne, est parfois amoindrie au profit de l’importance donnée à la figure royale. L’autonomie de ses acteurs apparaît alors quelque peu sacrifiée lors de l’analyse des rapports de forces révolutionnaires. Reconnaître que tout n’est pas le fait de Louis xvi et que tout n’est pas fait pour ou contre lui, ne lui ôte rien d’une originalité politique que cet ouvrage met judicieusement en lumière.
- 17 Ibid., p. 439-440.
- 18 Ibid., p. 440.
- 19 Ibid., p. 451.
- 20 Ibid., p 461.
- 21 Ibid., p. 462.
11Pris dans sa lutte avec la Grande-Bretagne, progressivement abandonné par les républicains au sein de la Convention, Louis xvi échoue. Son procès est ainsi analysé au prisme de l’opposition entre le roi et les Britanniques. Ces derniers veulent éviter l’extension de la Révolution et placer sur le trône le comte de Provence dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle17. Ils offrent alors la possibilité à Louis xvi, par l’intermédiaire de son avocat, Malesherbes, de partir en Amérique avec Françoise Boze18. Or, un tel choix serait, pour Louis, une acceptation de la fin de la Révolution et de son projet de république, ce que le roi ne peut accepter19. Ce faisant, Louis accepte de mourir pour sauver la Révolution20 et, lorsque le 1er février 1794, la France déclare la guerre à la Grande-Bretagne, c’est « pour venger Louis et poursuivre et propager sa Révolution21. »
Notes
1 Évelyne Lever, Louis xvi, Paris, Fayard, 1995 ; Jean de Viguerie, Louis xvi, le roi bienveillant, Monaco, Éd. du Rocher, 2003 ; Jean-Christian Petitfils, Louis xvi, Paris, Perrin, 2005 ; Bernard Vincent, Louis xvi, Paris, Gallimard, 2006.
2 Citons, depuis 2010 seulement, Michel Biard (dir.) et Philippe Bourdin (dir.), Robespierre, portraits croisés, Paris, Armand Colin, 2012 ; Christine Le Bozec, Danton et Robespierre ; Les deux visages de la Révolution, Paris, Garnier, 2012 ; Marc Belissa et Yannick Bosc, Robespierre, la fabrication d'un mythe, Paris, Ellipses, 2013 ; Hervé Leuwers, Robespierre, Paris, Fayard, 2014 ; Jean-Clément Martin, Robespierre : la fabrication d'un monstre, Paris, Perrin, 2016 ; Marcel Gauchet, Robespierre l'homme qui nous divise le plus, Paris, Gallimard, 2018.
3 Aurore Chery, L’intrigant : nouvelles révélations sur Louis xvi, Paris, Flammarion, 2020, p. 239.
4 Ibid., p. 149.
5 Ibid.
6 Ibid., p. 168.
7 Ibid., p. 359
8 Ibid., p. 334 et 350.
9 Ibid., p. 409.
10 Ibid., p 363.
11 Ibid., p. 79.
12 Ibid., p. 270.
13 Ibid., p. 312.
14 Ibid., p. 313.
15 Ibid., p. 335.
16 Ibid., p. 339.
17 Ibid., p. 439-440.
18 Ibid., p. 440.
19 Ibid., p. 451.
20 Ibid., p 461.
21 Ibid., p. 462.
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Référence électronique
Guillaume Debat, « Aurore Chéry, L’intrigant : nouvelles révélations sur Louis xvi, Paris, Flammarion, 2020, 602 p. », Les Cahiers de Framespa [En ligne], 38 | 2021, mis en ligne le 25 octobre 2021, consulté le 12 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/framespa/12134 ; DOI : https://doi.org/10.4000/framespa.12134
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