Relayer l’urgence : réflexions autour d’une expérience pédagogique de sciences politiques en dialogue avec les études cinématographiques
Résumés
Cet article propose de réfléchir aux approches pédagogiques du Master d’Expérimentation en Arts Politiques (SPEAP) fondé en 2010. Au fil d’un entretien avec Jean-Michel Frodon ainsi que par l’analyse critique du film Léviathan, il s’agit de questionner les manières dont le médium audiovisuel est à même de relayer l’urgence écologique.
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Introduction
- 1 Bruno Latour, [En ligne], URL: http://blogs.sciences-po.fr/speap/presentation/pourquoi-speap/, [con (...)
1Divers mouvements de pédagogie critique ouvrent au dialogue entre spécialités afin d’habiter le monde en ayant soin de ses maillages d’interrelations. Invitation à l’attention et aux soubresauts enthousiastes de l’apprentissage, ce « faire sens » savoureux inquiète cependant une érudition disciplinée et disciplinaire. Tandis que les préoccupations relatives aux bouleversements écologiques se font chaque jour plus pressantes, cet article s’intéresse à la proposition pédagogique du Master Expérimentation en Arts Politiques (SPEAP) fondé par Bruno Latour. Dans cette formation, qui a vu le jour en 2010, « les pratiques artistiques jouent, au même titre que les méthodes scientifiques, un rôle essentiel dans l’analyse conjointe de problèmes de société, avec, en ligne de mire, un objectif : la prise d’une décision politique1 ».
- 2 Le site internet de présentation de SPEAP renvoie ainsi vers « An Attempt at a “Compositionist Mani (...)
- 3 Ibid.
- 4 Gilles Clément, Abécédaire, Paris, Sens & Tonka, 2014.
2Revendiquant un nouvel -isme, ce Master est adossé au « Manifeste compositionniste2 » rédigé par Latour. Ce texte, et le terme autour duquel il gravite, défendent une tentative de faire travailler ensemble les disciplines (sans éluder leur hétérogénéité), de s’ouvrir à l’expérimentation et de nourrir le goût de la controverse. Cela, afin de reprendre et de revivifier le débat autour de « la grande question politique : dans quel monde souhaitons-nous vivre3 ? ». Du latin componere, qui évoque l’assemblage, la combinaison d’éléments distincts, le verbe composer résonne avec le geste artistique, celui du compost ou encore l’entrée « Faire avec » de l’Abécédaire de Gilles Clément. Pour ce jardinier et paysagiste, faire avec, c’est une « économie de bons sens. Faire avec la nature consiste à ne pas dépenser d’énergie contraire, inutile et polluante. Faire avec l’autre, c’est construire un projet sur la combinaison des différences4 ». Le passage par la métaphore horticole rend manifeste les implications en termes de soin, de lenteur, d’attention et de précaution sous-jacentes à la démarche compositionniste.
- 5 Se croisent des disciplines telles que la philosophie, l'anthropologie, l'histoire de l’art, la soc (...)
- 6 Jean-Michel Frodon, « Le Cinéma pour méthode et moyen de recherche », dans Cinéma à l'universit (...)
- 7 Ibid.
3Afin de donner voix aux multiples chemins d’élaboration des savoirs, cette formation aujourd’hui placée sous la direction scientifique de Frédérique Aït Touati est animée par une équipe enseignante pluridisciplinaire et fait appel à de nombreux intervenants5. Présent dès l’origine du projet SPEAP, Jean-Michel Frodon, critique de cinéma et journaliste, en est l’un des enseignants. Il y encourage les réflexions avec et par la matière audiovisuelle qui « vise à outiller les élèves pour de meilleures prises sur le monde réel6 ». En tant que représentation, un film informe des rapports entre les sujets et les réalités sociales dans lesquelles ils s’inscrivent ; il renvoie à un système symbolique et référentiel. Si le cinéma relève « de la sensibilisation à des modalités de rapports aux autres, au réel, au savoir, à l’histoire et à la géographie, aux techniques7 », alors faire avec le cinéma dans un Master en science politique peut conduire à d’autres « faire sens ». L’enjeu du déplacement des modes de représentation et de perception relatifs aux bouleversements écologiques est nodal, car modifier un regard sur le monde agit sur la réalité́ sociale perçue.
- 8 Ibid.
4Dans le champ cinématographique, où sont portés à se côtoyer une multitude d’éléments, la dimension de composition suggère cependant une méfiance quant aux injonctions de vitesse corollaires à l’urgence. Le « faire avec » au cinéma induit un travail consciencieux sur la combinaison des différences, des points de vue. Depuis les années 1970, la question de la pratique du cinéma à l’Université (et ce notamment dans les formations en anthropologie, sociologie, géographie ou histoire) suscite de vifs débats. Si elle constitue toujours un objet de lutte, les méthodes audiovisuelles participent dès les années 2000 de nombreux cursus académiques. Cette démocratisation se trouve favorisée par le développement des techniques et outils numériques. Nous appuierons la présente réflexion sur un entretien mené avec Jean-Michel Frodon en juin 2021, son article « Le Cinéma pour méthode et moyen de recherche », ainsi que des publications émanant d’autres responsables et intervenants du Master SPEAP. Parmi eux, l’anthropologue Lucien Castaing-Taylor, dont les recherches avec et par le film à l’Université de Harvard ont nourri le dialogue et la pratique à SPEAP8.
- 9 Jean-Michel Frodon précise que « Castaing Taylor intervient régulièrement à SPEAP, essentiellement (...)
5Afin d’articuler notre réflexion aux sources non seulement écrites mais aussi audiovisuelles, nous proposerons une analyse du film Léviathan de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel9. En effet, si ce film a fait l’objet d’une semaine intensive de formation à SPEAP, il est aussi révélateur d’un certain nombre d’enjeux posés par la crise écologique à la représentation audiovisuelle. Il s’agit donc de mettre ce film à l’épreuve de notre analyse filmique, méthode par ailleurs centrale en études cinématographiques. Fortement liée à la tradition herméneutique, tout en reposant sur les particularités du médium audiovisuel, cet exercice entend partir de l’observation des images et des sons dans une optique d’interprétation poétique, tout en l’inscrivant dans une perspective poïétique, c’est-à-dire en accordant également une attention aux conditions situées du film (historiques, matérielles, de production...).
6Cette hybridité des sources nous paraît à même de rendre compte de l’approche pédagogique de SPEAP qui, sans avoir l’objectif de former de futurs cinéastes, souhaite
- 10 Ibid.
permettre de comprendre combien ce qui est intelligible de la mise en scène d’un film est utile pour comprendre les mises en scène du réel auxquelles la politique, le commerce, la communication et les médias confrontent en permanence tout un chacun10 .
- 11 Serge Le Péron, Frédéric Sojcher, Cinéma à l'université : le regard et le geste, op. cit.
7La voie vers cette compréhension passe par des réflexions théoriques mais aussi par des expérimentations pratiques, ce qui reste relativement délicat aujourd’hui au sein des universités françaises, où cette articulation est encore sujette à controverse11. Toutes deux chercheuses en études cinématographiques avec des approches résolument pluridisciplinaires, nous aborderons dans cette contribution la problématique de la représentation et la place du cinéma comme lieu d’expression et mode de saisie des turbulences socio-environnementales. De quelles manières l’expérience cinématographique peut-elle sensibiliser, inviter aux débats et aux remous de la pensée ? En quoi cette formation SPEAP y contribue-t-elle ?
1. Représentations et puissances de métamorphose
1.a. Art et politique
- 12 Pour une présentation détaillée de SPEAP : Franck Leibovici, Valérie Pihet « Pour une école des art (...)
8Co-commissaire des expositions Iconoclash. Beyond the Images Wars in Sciences, Religion and Art (ZKM, 2002) puis Making Things Public (ZKM, 2005), Bruno Latour associe ces manifestations à la germination de la formation SPEAP12. En effet, ces deux projets sont l’occasion de réflexions collectives autour de la notion de représentation. La question « sommes-nous bien représentés ? », la problématique de la médiation, se déclinent et circulent entre les domaines scientifiques, politiques et artistiques.
- 13 Évoquant l'exposition Making Things Public, Valérie Pihet précise qu'il « s’agissait de faire resse (...)
- 14 Bruno Latour, Sur le culte moderne des dieux faitiches suivi de Iconoclash, Paris, La Découverte / (...)
9Au gré de ces expériences13, ces rencontres d’images et de méthodes de figuration, le constat d’une crise des représentations (à la fois politique, scientifique et artistique) prend corps. Dans son introduction au catalogue de l’exposition Iconoclash, Bruno Latour exprime son désir « [d’]attirer l’attention vers la faiblesse et la fragilité des médiateurs qui nous permettent de prier, de savoir, de voter, de nous rassembler14 ». Selon lui, les sciences, qu’elles soient dites « exactes » ou « humaines et sociales », participent et alimentent un désarroi général. Certains symptômes – confiance érodée, crise de légitimité ou confusion des modes de représentation – mettent au défi notre créativité. Ce désir d’émulation collective, aiguillonnant scientifiques et artistes, était au cœur des expositions du centre d’art et médias de Karlsruhe (ZKM).
- 15 Franck Leibovici, Valérie Pihet, « Pour une école des arts politiques ? », op. cit.
- 16 Ibid.
10Le Master SPEAP est présenté comme une continuité des rencontres, des collaborations inédites et fructueuses suscitées par ces événements15. Il découle, ainsi, de la conviction que « partout les techniques de représentation sont nécessaires si l’on veut s’accorder sur les “choses”16 ». La politique y est conçue comme un art et non comme une science.
- 17 Ibid.
- 18 Entretien avec Jean-Michel Frodon (Toulouse, Juin 2021).
11L’appellation « expérimentation, arts et politiques » du Master insiste sur le caractère déterminant des méthodes de représentation. Car, depuis l’Antiquité, la politique a été pensée comme un art en relation constante avec ses autres modes d’expression (musique, mise en scène, rhétorique, etc.)17. Proposant une lecture cinématographique du geste politique, Frodon l’appréhende comme « quelque chose qui a à voir avec des sensibilités, des conceptions de formes et d’agencements18 ». Programmatique, Latour explique pour sa part :
- 19 Bruno Latour, « From Realpolitik to Dingpolitik or How to Make Things Public », dans Making Things (...)
Les arts politiques doivent hésiter, tâtonner, expérimenter, reprendre, toujours recommencer, rafraîchir continûment leur travail de composition. [...] il va falloir recommencer. Il n’y a rien qu’on puisse transporter tel quel d’une situation à l’autre ; à chaque fois, il va falloir ajuster et pas appliquer, découvrir et pas déduire, spécifier et pas normer, décrire – avant tout décrire. Ce sont des arts justement, des artifices, des astuces, des compétences, des artisanats, des pratiques – pas des sciences19.
- 20 Jean Vigo, Pierre Lherminier, Jean Vigo, œuvre de cinéma : films, scénarios, projets de films, te (...)
12Déniant l’appellation de science au champ politique, le sociologue l’envisage comme un art, un art complet à même de produire des enquêtes et des œuvres, à même de donner à partager un « point de vue documenté », selon la formule de Jean Vigo20. La création du Master SPEAP répond ainsi à une volonté d’ouvrir des voies de remédiation à la crise des représentations.
- 21 Jean-Michel Frodon, L'art du cinéma dans le monde contemporain à l'âge du numérique et de la mondia (...)
- 22 Jean-Michel Frodon, «The War of Images, or the Bâmiyân Paradox», dans Iconoclash: Beyond the Image: (...)
- 23 Site de l’association [En ligne], URL : http://lexception.rezo.net/rubrique6.html [consulté le 20 j (...)
13Dans cette démarche, le potentiel du cinéma est immense car il est à la fois un lieu offert à l’enquête (les films comme sources) et un mode de mise en partage (les outils audiovisuels). En s’inscrivant dans une longue lignée de penseurs du cinéma tels que Walter Benjamin, Siegfried Kracauer, Marc Ferro, Jacques Rancière ou Edgar Morin, Jean-Michel Frodon note que les « caractéristiques particulières [de cet art] le mettent en situation d’alimenter une réflexion critique sur le monde contemporain et ses systèmes de représentation spécifiques21 ». Dans les années 2000, l’historien et critique collabore à l’exposition Iconoclash22 et anime « l’Exception23 », un groupe de réflexion sur l’image à l’Institut d’études politiques de Paris. Les séminaires de cette association réunissent des praticiens du cinéma (tels que Olivier Assayas, Claire Denis ou Nicolas Philibert) et des théoriciens (comme Marie-José Mondzain, Sylvie Lindeperg, Emmanuel Ethis ou encore Bernard Stiegler). Les débats et publications qui en résultent permettent une articulation des approches et une mise en dialogue des disciplines. Cette initiative montre bien que le cinéma « fait penser », engage et stimule des dynamiques réflexives collectives.
- 24 Marc Ferro, Cinéma et Histoire, Paris, Denoël et Gonthier, 1977.
- 25 Jean-Michel Frodon, Le cinéma français de la nouvelle vague à nos jours, Paris, Cahiers du cinéma, (...)
- 26 Entretien avec Jean-Michel Frodon, « Le cinéma m'intéresse parce qu’il aide à réfléchir le monde da (...)
14Aussi, alors qu’à ses prémices le projet de Master SPEAP n’a pas d’axe cinéma, Jean-Michel Frodon défend au sein du comité de réflexion la portée heuristique de l’expression cinématographique. Rejoignant les écrits pionniers de Marc Ferro24, il affirme : « Le cinéma ne “reflète” pas la société en pleine évolution, il en fait partie25 ». Aussi, l’analyse critique de ses formes, de ses récits, de ses systèmes de production donne à penser le monde contemporain. C’est donc une approche réflexive avec les moyens du cinéma que Jean-Michel Frodon défend comme pédagogue26.
1.b. Le cinéma comme source : faire penser
- 27 Ibid.
- 28 Jean-Michel Frodon précise qu’il s’agit pour les élèves « de se rendre sensibles aux enjeux de cadr (...)
15L’exercice de l’analyse filmique apparaît en cohérence avec une démarche de formation par l’enquête. En effet, voir des films constitue un « entraînement à l’attention, aux procédures qui permettent de décrire, de raconter des histoires, de comprendre des choses en les rythmant, en les montant27 », précise Jean-Michel Frodon. Cette capacité à muscler l’attention et à saisir des agencements est loin d’être anecdotique, « cela peut servir à observer des situations non cinématographiques28 ». L’attention semble un état favorable au tissage de relations et à la mise en rapport d’éléments. Encourager cette disposition constitue un argument pédagogique car :
- 29 Joëlle Zask, « Le courage de l’expérience », dans Black Mountain College. Art, démocratie, utopie, (...)
Grâce à l’attention, le sujet se décentre. [...] il laisse venir les perceptions et leur fait bon accueil. Il favorise ce flottement propice à l’irruption du nouveau. Sans se focaliser, il tient toutes ses facultés en éveil et les met en contact les unes avec les autres29.
16Par ces explications, Joëlle Zask défend l’exercice de l’attention comme méthode au service de la découverte. Elle introduit aussi, avec le verbe « focaliser », l’une des notions centrales de l’analyse filmique, celle du point de vue.
- 30 Nous empruntons la formule à l’ouvrage d’Émilie Hache, Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une (...)
- 31 Entretien avec Jean-Michel Frodon, op. cit.
17En effet, l’expérience cinématographique renvoie au partage de regard et d’espaces spatio-sensoriels. Qui regarde ? D’où et pourquoi ? Quel supplément de sens cela implique-t-il ? Voir un film, c’est chercher à élucider les formes d’un nouveau monde, les éprouver. Les récits cinématographiques sont imprégnés de nos habitudes, de nos traditions, de « ce à quoi nous tenons30 ». Leur visionnage est alors une occasion de croiser les points de vue, l’occasion d’un éveil à l’altérité. Allant croissante, la distribution d’une grande variété de films venus d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine ouvre un « immense répertoire de formes. [Certaines œuvres nous proposent] d’autres accès au monde, à la durée, à l’espace, à la place des êtres humains dans le cosmos, à des questions de profondeur, de narrations31 ».
18Sillonner les filmographies d’Hou Hsiao-hsien, d’Apichatpong Weerasethakul, d’Hong Sang-soo, de Souleymane Cissé ou encore de Lisandro Alonso, nous met en obligation de penser en dehors de nos cadres de référence habituels (ceux de la pensée occidentale, des philosophes grecs et de la tradition biblique). Selon Jean-Michel Frodon, la diffusion de telles œuvres a
- 32 Ibid.
amené des « ressources » dans le champ cinématographique permettant de nouvelles façons d’écrire le monde, d’habiter le monde et d’entrer en relation avec lui. Elles déplacent nos habitudes, nos schémas mentaux et peuvent, donc, nous aider à réinterroger comment nous avons habité cette planète32.
- 33 Ultime entretien de Pasolini à l'occasion de la sortie de son film Salò o le 120 giornate di Sodoma(...)
19Aller à la découverte de ces films porte à goûter le plaisir de la surprise, le plaisir du scandale selon l’acception pasolinienne. Dans la bouche de ce cinéaste, le scandale (suivant l’étymologie latine scandalum, « ce sur quoi on trébuche ») constitue une épreuve sensible, un réveil soudain et parfois douloureux, à d’autres voies de compréhension du monde33.
- 34 Alain Bergala, L'hypothèse cinéma : petit traité de transmission du cinéma à l'école et aille (...)
- 35 Émilie Hache, Ce à quoi nous tenons, op. cit., p. 54.
20Dans le cadre pédagogique, l’expérience spectatorielle est associée à la production d’une analyse critique. Si l’on suit la proposition d’Alain Bergala34, l’analyse ne se réduit pas à une description minutieuse de la structure, de la composition ou de la logique des couleurs en présence, elle est aussi une enquête sur les traces du geste de création. Cet exercice engage à se mettre à la place du cinéaste, à recréer imaginairement une situation, à envisager d’autres choix de mise en scène ; cela, afin de mesurer leur portée sémantique, esthétique. La pratique de cette analyse encourage l’émulation réflexive et l’élan spéculatif. Le processus d’identification avec l’auteur du film donne à ressentir que « l’on peut partager le même monde [sans partager] un monde identique35 ». Ce type d’analyse est déjà, en soi, une forme d’expérience créative.
1.c. Le cinéma comme mode d’expérimentation : formes et métamorphoses
21Si nous revenons sur l’intitulé du Master, un autre terme est mis en exergue, celui d’expérimentation. De fait, la pédagogie défendue à SPEAP s’inscrit dans la lignée des auteurs pragmatistes étasuniens (John Dewey, William James ou Charles S. Peirce) qui valorisent l’enquête et l’expérimentation pour répondre à des problèmes pratiques.
- 36 John Dewey, L’Art comme expérience, Paris, Gallimard, 2010 [1934].
- 37 Lucien Castaing-Taylor, « Hell Roaring Creek. Into-the-jug (geworfen) », Les actes de colloques du (...)
- 38 La deuxième partie de l'année universitaire est centrée sur un travail collectif tentant de répondr (...)
22Intervenant invité, Lucien Castaing-Taylor, chercheur engagé dans une démarche d’anthropologie visuelle, revendique également l’héritage de Dewey. Suivant sa lecture, L’art comme expérience36 ouvre à une phénoménologie de l’expérience esthétique et atteste du rôle fondateur des arts dans l’existence humaine37. La référence à Dewey imprègne les pratiques pédagogiques de ce Master où l’expérimentation permet d’interagir, de s’impliquer corporellement afin de répondre à une commande38. Jean-Michel Frodon explique que :
- 39 Jean-Michel Frodon, « Le Cinéma pour méthode et moyen de recherche », op. cit.
Le travail d’enquête utilisant de multiples méthodes auxquelles se livrent les élèves repose sur l’hypothèse que, dans un très grand nombre de cas, l’insolubilité des problèmes tient aux représentations qu’on en a. La recherche vise donc moins à résoudre le problème à la place de ceux qui y sont confrontés que de proposer aux commanditaires de ces recherches d’autres manières de percevoir leur propre situation39.
- 40 Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ? Paris, Seuil, 1999.
- 41 Donna Haraway, « SF: Science Fiction, Speculative Fabulation, String Figures, So Far », Conférence (...)
23L’expérimentation semble ici associée à d’autres modes de faire sens. Réaliser un film, c’est mettre en relation des images et des sons. Intermédiaires, les représentations cinématographiques sont cet entre-deux où, par le jeu, la feintise ludique40, nous envisageons des possibles, explorons des lieux et des rapports autres. Passionnée de science-fiction, Donna Haraway explique qu’elle évalue ses récits à « comment ils peuvent nous apprendre à être affectés, à combien ils ouvrent à des éléments inattendus de nos corps et ce dans le monde actuel qui est à la fois vivant et sensuel41 ». Comme dans l’achoppement, cher à Pasolini, il s’agit ici de produire des rencontres étonnantes, un éveil perceptif.
- 42 Jean-Louis Comolli, Voir et pouvoir : l'innocence perdue : cinéma, télévision, fiction, document (...)
- 43 Le « faire sens » que nous évoquons ici renvoie à l’approche proposée par David Abram dans Comment (...)
- 44 Corinne Maury, Habiter le monde, éloge du poétique dans le cinéma du réel, Crisnée Belgique, Y (...)
24Les choix formels opérés dans l’expression audiovisuelle, qu’ils soient en conformité ou en rupture avec les codes ou modèles dominants de l’industrie cinématographique, ouvrent à une pensée pratique. Car, comme le synthétise Jean-Louis Comolli, « les manières de faire sont des formes de pensée42 ». Déterminer une valeur de cadre, une durée, le rythme d’une séquence participe d’un maillage de sens. Ainsi, les premiers plans de La Forêt de Mogari de Naomi Kawase (2007), qui montrent longuement dans des plans fixes saisis à taille humaine une étendue sylvestre animée par les ressacs du vent, témoignent d’une attention aux messages spatio-sensoriels. Le regard de la cinéaste prend la mesure d’une autre façon de « faire sens43 » avec le monde plus qu’humain, de faire sens avec et dans la relation aux lieux. L’œuvre de Kawase présente un monde mystérieux où l’agir n’est pas une prérogative humaine44.
25L’écart, voire la résistance, à une certaine uniformisation esthétique et narrative peut apparaître comme un geste à résonance politique, comme une recherche d’alternative. De fait, l’expérimentation participe d’un goût de l’essai. Cette tentative, si elle touche aux récits, doit également questionner leurs formes car les choix stylistiques contribuent à la portée sémantique de l’œuvre. Haraway pose une question déterminante :
- 45 Donna Haraway, « Sympoïèse, SF, Embrouilles multi-spécifiques », dans Gestes spéculatifs, Isabelle (...)
Comment pouvons-nous penser dans des temps d’urgence sans les mythes complaisants et auto-réalisateurs d’apocalypse, alors que chaque fibre de notre être est entrelacée à, complice de, la toile des processus qui doivent, d’une manière ou d’une autre, être reconfigurés45 ?
- 46 Dork Zabunyan, « À quoi servent les images de la catastrophe écologique ? », AOC, 31/10/2019, https (...)
- 47 Entretien avec Jean-Michel Frodon, op. cit.
26Dans le champ cinématographique, l’urgence (du latin urgere, « qui presse ») est étroitement liée à un modèle narratif dominant, aux images de destruction dont regorgent les films catastrophe mainstream et à une compression temporelle extrême. Cette urgence spectaculaire produit de la sidération, voire l’habituation aux images, ce qui contrecarre leur effet de choc initial, comme l’ont montré des auteurs comme Dork Zabunyan ou encore Yannick Rumpala46. Jean-Michel Frodon explique en ce sens que « ce qui est spectaculaire est piégé, car contraint d’utiliser les codes qui appartiennent au monde qui a produit cette catastrophe47 ». Ce pacte urgence/spectaculaire conduit à l’aporie et non au scandale pasolinien. Tempo accéléré et images de sublimes catastrophes servent formellement ce que, par ailleurs, les dialogues peuvent dénoncer.
- 48 Ce cinéaste invite par ses récits et choix de mise en scène à des décentrements (urbanocentrisme, h (...)
- 49 Serge Kaganski, « Alain Guiraudie : Pas de repos pour les braves », Les Inrockuptibles, 12/11/2003.
- 50 Ibid.
27Penser dans l’urgence, c’est alors, peut-être, faire le choix radical d’un temps non nécessairement rentable, d’un récit qui contrevient à la fois aux règles de la dramaturgie classique et à la valorisation dans la société capitaliste de la maîtrise du temps. Ainsi, le cinéaste Alain Guiraudie48 aime à désamorcer la tension dramatique pour proposer aux spectateurs de « sousquer » (de l’occitan “soscar”) avec ses personnages, c’est-à-dire de ne rien faire, de s’ennuyer, de méditer, d’hésiter49. Dans Pas de repos pour les braves (2003), ces épisodes de latence songeuse sont pour le cinéaste une manière de « défendre le droit à ne pas être dans un rapport de rentabilité permanente50 ».
28Le récit cinématographique avec ses reconfigurations spatio-temporelles, ses interactions incessantes recèle une force performative. La narration qui fait trébucher, qui éveille les sens, ouvre aux métamorphoses. Agissants, certains films lézardent nos a priori, ébranlent nos modèles perceptifs et donnent à éprouver notre implication dans le monde plus-qu’humain. Pour conclure ses réflexions autour de l’écologie des sens, David Abram souligne d’ailleurs
- 51 Thierry Drumm, « Réintensifier les expériences animistes. David Abram et l’écologie des sens », Éco (...)
la nécessité de redéployer d’autres récits, de relayer et d’expérimenter des histoires et des manières de raconter qui soient telles qu’elles prennent soin des rapports vibrants, intenses, vitaux qui nous lient aux êtres et aux choses51.
29Ce sont ces tentatives, avec leur fragilité inhérente, qui nourrissent les propositions pédagogiques du Master SPEAP.
2. Expérimenter et penser avec Léviathan
30Afin de poursuivre ces considérations et les ancrer dans la matérialité du film, nous proposons dans cette nouvelle partie une étude de Léviathan de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel (2012, 87’). Ce film permet de pointer plusieurs problèmes que soulève l’éventuelle capacité de ce médium à relayer l’urgence climatique, tout en proposant une perspective artistique qui invite le spectateur à investir sa posture réceptive.
- 52 Site web du SEL, notre traduction, [En ligne] URL : http://sel.fas.harvard.edu/ [consulté le 27 nov (...)
31Castaing-Taylor et Paravel sont tous deux membres du Sensory Ethnography Lab (SEL) de Harvard. Ce laboratoire d’expérimentation en anthropologie visuelle recourt à différents moyens d’expression pour « explorer les esthétiques et l’ontologie du monde naturel et non-naturel », tout en « encourageant une attention portée aux nombreuses dimensions du monde, animées et inanimées, qui se révèlent difficiles – pour ne pas dire impossibles – à traduire en mots52 ». Pour Léviathan, ils embarquent sur un chalutier de pêche des côtes de New Bedford, ville du sud de Boston historiquement liée à la chasse à la baleine. Le choix de ce titre, comme les extraits du livre de Job placés en ouverture, ancrent cette œuvre dans l’ombre du monstre mythique ainsi que dans l’allégorie politique produite par Thomas Hobbes. Ce Léviathan, qui peuple nos imaginaires, invite à un foisonnement d’interprétations. Comme le suggère le nom du laboratoire ainsi que ses préoccupations de recherche, ce film, une de leurs productions, propose une expérience sensorielle du quotidien en mer. Le film s’apparente à une plongée littérale et figurée dans l’industrie contemporaine de la pêche : constitué de prises de vues qui adoptent des perspectives inhabituelles et une bande-son quasi-exempte de parole, il en livre un portrait désanthropocentré et monstrueux, définitivement politique.
2.a. Une esthétique de l’écart : désanthropocentrer
32Le vent souffle doucement, se transforme en bourrasques et se double d’une agitation houleuse, écoulement et reflux d’eau. Une lumière dans le noir fait jaillir des bribes de couleur aux formes abstraites, l’eau ruisselle, nous voyons des chaînes. Des cliquetis métalliques et un bourdonnement de moteur s’ajoutent au tumulte aquatique. Une caisse s’élève des profondeurs et l’on aperçoit une figure humaine. Ciré jaune, gants bleus, eau verte. La caméra, subjective, suit les mouvements d’un homme que l’on ne voit que par instants, elle se déplace en fonction du travail, sans se soucier du cadrage qui se fait aléatoire. (fig 1)

Eaux troubles et renversement d’horizon.
Droits de reproduction : capture d’écran, Léviathan, Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, 83’
- 53 En réalité, seuls quatre plans du film sont enregistrés alors que la caméra se trouve sur pied ou a (...)
33La première séquence du film annonce l’adoption d’un point de vue (ou, plus précisément, de points de vue) qui déjoue les attentes habituelles de ce qui se donne à voir. Si, à l’inverse de ce que l’on pourrait croire, les caméras sont pour la plupart bien arrimées à des humains53, les objectifs se trouvent à des hauteurs non-conventionnelles, au niveau de la poitrine, des pieds ou encore au-dessus de la tête, évitant pour la plupart la hauteur des épaules ou des yeux. Ce décalage par rapport à la vision cinématographique prépondérante nous ancre dans une remise en question du regard anthropocentré. Ce déplacement du point de vue anthropomorphe est renforcé par les focales des caméras GoPro qui, proches du fish-eye, proposent de manière presque inhérente un passage vers le point de vue des poissons.
34Une vue en contre-plongée zénithale, tournée vers le ciel : des gouttes d’eau tombent droit sur l’objectif. La caméra se trouve sur le sol de la cale à poissons, les poissons balancés dans le va-et-vient de l’eau, immobiles, à l’exception d’un qui frétille tandis que les goélands raillent. Bourdonnement du moteur et tumulte aquatique. Une tête de poisson heurte le mur de la cale et, pendant que d’autres, emportées par l’eau, retombent dans la mer, nous restons à sa hauteur. Nous nous rapprochons d’elle, une tête de poisson attendant de retomber vers les profondeurs marines, à moins de ne servir de repas aux goélands ou aux fous de Bassan. Nous rejoignons plus loin leur position, volons parmi eux au-dessus du navire, plongeons avec eux dans les vagues, entreprenons avec l’un d’eux une chasse infructueuse sur le pont. (fig. 2)
Figure 2

Chasser à hauteur d’oiseau.
Droits de reproduction : capture d’écran, Léviathan, Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, 83’
- 54 Par ailleurs, le générique cite 20 espèces d’animaux ayant participé au film, de l’étoile de mer co (...)
- 55 Remarquons que si l’approche proposée ici se démarque des productions filmiques dominantes, il s’ag (...)
35Le film nous confère ainsi une position à hauteur d’animal, non pas une vision animale, mais un décalage qui marque un premier degré d’écart à l’anthropocentrisme dans la représentation54. Un second degré, mécanique cette fois, s’ajoute à ce parti pris. L’œil de la caméra se donne comme un relais de l’œil humain, non pas comme super-œil mais en assumant d’abord une posture de machine-enregistrante, comme en témoignent les longs plan-séquences qui composent la majeure partie du film. Cet œil permet dans une certaine mesure de proposer un regard zoomorphe, même si l’impression laissée par ce relais audiovisuel n’est pas celle d’une identification présomptueuse à l’altérité animale – nous ne devenons pas poisson ou oiseau, mais notre imagination effleure la différence d’un ailleurs un bref instant. Ce faisant, les cinéastes affirment leur volonté de questionner les formes filmiques, les conventions documentaires et se tournent vers une pratique croisant film de recherche, documentaire et cinéma expérimental55.
36Le corps du navire s’affirme dans les eaux menaçantes et noires. Sa masse lourde et imposante est augmentée d’extensions tentaculaires, filets, chaînes et cordages. Son grondement continu présage sa faim insatiable, la domination qu’il s’efforce de maintenir sur les flots d’un océan trouble et déchaîné. Les hommes s’affairent sur le pont, soulèvent des tuyaux, soulagent les chaînes guidées par les enrouleurs du chalutier, laissant l’impression d’une symbiose dans laquelle on ne saurait plus très bien dire si c’est la machine qui est auxiliaire à l’homme ou l’inverse. Ainsi, un troisième règne, mécanique et technique, émerge, face à une force élémentaire de la nature dont les profondeurs hostiles bordent le huis-clos du chalutier. (fig 3)
Figure 3

Une symbiose homme-machine.
Droits de reproduction : capture d’écran, Léviathan, Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, 83’
- 56 Les plans sont en moyenne très longs, nous n’en comptons qu’une trentaine pour 80 minutes de film.
- 57 James Bridle, « Through Non-Human Eyes », novembre 2016, [En ligne] URL : https://unthinking.photog (...)
37De l’assemblage de sons et d’images que proposent les réalisateurs surgit alors une perspective hybride, le spectateur se trouvant tantôt du côté des uns, tantôt du côté des autres. Ces choix de montage et les manières d’utiliser les caméras nous permettent d’accéder, en tant que spectateurs, à un degré de vision vraisemblablement plus-qu’humain. Cet aspect stylistique, qualifié d’« immersif » par nombre de critiques à la sortie du film, serait ce qui nous permet d’accéder à une vision écosystémique, dans laquelle l’océan, ultime personnage du film, trouve une place d’importance capitale. Pour James Bridle, en effet, l’utilisation de la caméra en tant qu’observateur endurant56 « produit le fort sentiment que la caméra est autre chose qu’une extension de l’œil : il s’agit d’un capteur, un moniteur, une machine pour être avec, et dans le monde57 ». Plus loin dans son article, l’auteur souligne la nécessité de l’engagement « avec l’altérité non-humaine de la machine » dans les productions artistiques contemporaines. Il s’agit de s’éveiller à une nouvelle conscience des relations non plus de domination mais de composition entre ces différents règnes, dans une approche cosmopolitique.
2.b. Imaginaires du monstre
38Si Léviathan offre l’opportunité de nous saisir d’une sorte de rapprochement avec le non-humain, voire d’accéder à une vision plus-qu’humaine, il n’y a pas d’ambiguïté quant aux relations qu’il tisse entre ces règnes et entre les différents niveaux d’humanité qu’il contient. L’idéal d’une cohabitation idyllique serait en effet hors sujet, dans un contexte aux ramifications multiples, investi d’autant de puissance que de violence. C’est, au contraire, à s’y méprendre, en ce sens que Haraway nous invite à « habiter le ventre du monstre », dans lequel elle estime que nous nous trouvons actuellement :
- 58 Benedikte Zitouni, « Explorer le Chthulucène dans les interstices de l'Anthropocène » op. cit., p (...)
“Nous sommes dans le ventre du monstre”, ne cesse de répéter Haraway. C’est là, dans ce ventre, en terres dévastées, à une époque marquée par l’urgence, qu’il faut réapprendre à expérimenter et à réhabiliter58.
- 59 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (coords.), « Léviathan », Dictionnaire des symboles, Paris, Edit (...)
39Léviathan, de manière relativement directe, nous renvoie au monstrueux. Le film fait surgir le monstre, nommé mais toujours invisible, qu’est la créature mythologique qui lui prête son nom. Ce choix de titre oriente la réception du film, et son effet semble d’autant plus évocateur que le film ne comporte presque aucune parole. Les marins sont privés de leur voix et le logos, ce verbe propre à la rationalité humaine depuis l’Antiquité, s’en trouve alors mis à mal. La figure millénaire du Léviathan est celle d’un terrible et énorme serpent ou dragon marin qui s’annonce comme un symbole du chaos, inspire crainte et effroi. Vivant dans les fonds marins, où ses mouvements sont à l’origine des vagues en surface, il est capable d’engloutir momentanément le soleil, voire de provoquer l’apocalypse59. L’obscurité régnante du film contribue largement à son ambiance cauchemardesque. Nous sommes plongés dans la nuit durant la majeure partie du film – un seul passage en lumière du jour figure en son milieu – et les ténèbres ajoutent à la difficulté de s’orienter, déjà induite par l’abstraction et l’absence de schéma narratif traditionnel.
- 60 Donna Haraway, « Anthropocene vs. Worldings in the Chthulucene », conférence donnée au colloque Os (...)
40Nous sommes pris dans un maelström filmique, confrontés à un nœud où s’enchevêtrent les règnes, embarqués comme les marins dans le mouvement incontrôlable et imprévisible de la mer. Si Haraway estime que « [l]orsque les camps sont trop bien définis et délimités [...] nous arrêtons alors d’habiter dans le ventre du monstre60 », c’est, entre autres, cette prolifération de points de vue qui nous confronte à un débordement, un élargissement des limites classiques. Le choix esthétique influence en ce sens directement cette mise en scène de la transgression de la notion d’espèce.
41Le monstre, surnaturel, remplit alors ici le rôle d’avertissement que son étymologie lui accorde : la contiguïté entre la vocation du monstre à attirer l’attention et celle du cinéma à « faire voir » est manifeste. Lorsque Maurice Bloch écrit que le film ethnographique ne « parle pas de lui-même », Castaing-Taylor lui rétorque :
- 61 Christopher Pavsek, « Leviathan and the Experience of Sensory Ethnography », Visual Anthropology Re (...)
Et si le film ne parlait pas du tout ? Et si le film ne constituait pas simplement un discours sur le monde mais en (re)présentait aussi l’expérience ? Et si le film montrait, au lieu de parler ? Et si le film ne faisait pas que décrire mais aussi dépeindre ? Et si le film ne proposait alors pas uniquement des ‘descriptions maigres’ mais aussi des ‘représentations épaisses61’ ?
- 62 Lucien Castaing-Taylor, « Hell Roaring Creek. Into-the-jug (geworfen) », op. cit.
- 63 Ibid.
- 64 Christopher Pavsek, « Iconophobia », op. cit.
42Castaing-Taylor se positionne ici contre ce qu’il qualifie d’anthropologie dominante et son cinéma-vérité emblématique, qu’il estime paresseux et laxiste, relevant d’une esthétique prétendument observationnelle mais à ses yeux aveugle et insensible62. Il précise ainsi sa volonté de réconcilier l’anthropologie et l’art : « au contraire de nos collègues anthropologues, SEL se soucie, non pas d’analyser, mais de produire activement de l’expérience esthétique sans nous laisser avec l’illusion de ″comprendre″ l’expérience quotidienne63 ». Comme le souligne Christopher Pavsek, lui et Paravel développent dans ce film une sorte de logophobie à la place de l’iconophobie dénoncée par Castaing-Taylor chez les anthropologues64. Et pourrait-on dire alors que, dans Léviathan, les réalisateurs procèdent à la mise en œuvre de ce questionnement, qu’ils cherchent à (re)présenter une expérience, à utiliser le film pour montrer, afin de dépeindre ce que pourrait être une « représentation épaisse » ?
43En l’occurrence, tout cela donne à penser que le monstre et ce qui est montré ici se confondent. Les cinéastes convoquent l’imaginaire du monstre pour montrer une réalité qui nous dépasse. Le film tente en ce sens de donner à voir une époque prise dans la complexité des phénomènes de mondialisation, dont les réseaux et interconnections semblent refuser le déplacement d’aucune des mailles d’un filet qui garantit notre incapacité à agir face au dérèglement climatique, notamment.
- 65 Frédéric Picco, « Le complexe de l’Hydre dans le Livre VIII des Fables de La Fontaine », Éclats de (...)
- 66 H.P. Lovecraft, Contes et Légendes - Les Mythes de Cthulhu, Trad. de l’américain par Claude Gilbert (...)
44En définitive, pour le temps du film, nous nous imaginons devenir hydre, ce monstre à têtes multiples et noueuses. Prise en tant que figure esthétique, l’hydre peut être rapprochée de Léviathan, suivant la lecture qu’en propose Fabien Picco avec son complexe de l’hydre : « elle s’empare de la fable dans l’organisation formelle de celle-ci, en fait un monstre pour dire la monstruosité de la nature humaine65 ». La pêche permet alors de déployer une métaphore stratifiée et filée de la condition actuelle, dans l’émergence des pensées de l’« anthropocène », qui serait plus justement nommée ici « chtulhucène » suivant la proposition de Haraway, notamment en référence à l’entité cosmique imaginée par H.P. Lovecraft66.
45L’écran se remplit d’êtres difformes aux tailles disproportionnées. Leur altérité n’en devient que plus évidente dans ces échelles et, visqueux et globuleux, ces êtres se voient reconfigurés par les pêcheurs les dépeçant. Le sang inonde l’écran comme il inonde le pont, et les débris, viscères et têtes, détritus rejetés, tombent en cascade et teintent les eaux d’un rouge profond. Les cirés des pêcheurs, leurs visages sont tâchés de sang et ils s’arment d’extensions macabres, crochets et couteaux. (fig. 4)
Figure 4

Légende : Figures acéphales dépeçant une raie.
Droits de reproduction : capture d’écran, Léviathan, Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, 83’
46Le film devient ainsi un complexe monstrueux au-delà des images et sons qui nous ancrent dans un univers glauque et parfois horrifique, avec ses proliférations de sens et la stratification de ses niveaux d’interprétation.
2.c. Tâtonner : une expérience politique
47Nous avons insisté sur l’introduction d’une vision plus-qu’humaine au sein de l’œuvre. Mais comment la praxis et l’imaginaire collectif participent-ils à l’élaboration des sens libérés par le film, et de quelles manières en questionnent-ils la part politique ? La forme définitive d’une œuvre filmique ne saurait être réduite à l’intention originelle du créateur. Comme tout objet en formation, elle dépend de variables imprévisibles lorsqu’elle se confronte à la matérialité du réel. Nous avons mis en évidence les manières dont la forme et l’esthétique de Léviathan participent à l’évocation d’un état de conscience plus-qu’humain voire monstrueux, mais cette reconfiguration vers une approche cosmopolitique trouve ses origines dans une proximité à notre échelle.
- 67 Entretien avec les réalisateurs, Bomb Magazine, op. cit.
48Le recours au protocole de vision désincarnée découle d’un double choix induit par les conditions de tournage, initialement conçu de manière plus classique. Après avoir perdu plusieurs caméras conventionnelles en mer et après avoir visionné les images captées par leur biais, en mer comme à terre, les cinéastes décident de repenser le traitement de leur sujet67. Portés sans doute par leur affiliation avec le film ethnographique, ils décident d’instaurer un autre rapport avec les marins. Ils leur confient des caméras légères GoPro, réduisant l’emprise du filmeur sur les filmés, mais sans toutefois exiger d’eux une intention. Les marins endossent un rôle actant, mais n’en deviennent pas pour autant acteurs : leurs corps deviennent des corps de substitution auxquels les caméras sont fixées, au même titre que lorsqu’elles sont sur des perches ou sur le chalutier. Un élément hasardeux qui influence des prises de vues « aveugles » s’introduit, tout en permettant de transmettre la connaissance gestuelle d’un métier dans la fabrication même des plans. Le film porte en ce sens notre attention sur une autre réalité directe que celle, perceptive, dont nous avons discuté : une réalité à une échelle plus proche de notre humanité, celle de la condition des pêcheurs avec qui le film est tourné.
- 68 Notre traduction, à partir de la 70e minute du film.
49Après la découpe sanguinolente, le nettoyage et le décorticage des coquillages, vient le temps du repos. L’homme est face à nous, sur une banquette, les yeux rivés au-dessus de nous, sur ce que nous devinons être une télévision. Sa lumière s’anime sur le mur et ses enceintes crachent des ritournelles de journal télévisé. Ce qui aurait pu constituer un horizon tout autre que celui du huis-clos du chalutier n’est pourtant qu’une illusion de sortie. Nous attrapons des bribes du commentaire, seuls mots intelligibles du film : « encore une nuit lugubre » ; « l’équipage en a ras le bol » ; « dans un instant : une météo intense, l’épuisement et la fraternité... », entrecoupés de publicités pour l’élimination des déchets toxiques et contre la fatigue68.
50Ces éléments permettent de montrer en quoi le film s’intéresse d’abord aux relations de proximité qui s’établissent dans des parcours de vie singuliers. En même temps, il ouvre sur la considération d’un métier éreintant, sans éluder la problématique de la pêche intensive qui est à inscrire dans la question plus grande de la consommation et de l’épuisement des ressources naturelles. Nous avons par ailleurs montré comment le film participe à inclure les règnes non-humains et contribue en ce sens à introduire une portée cosmopolitique. Si cela ne constitue pas une nouveauté dans le langage cinématographique, cela demeure un parti pris fort. Cette approche permet une mise à jour des possibilités du cinéma direct, la portabilité des caméras libère le regard en impliquant des corps filmant. La stratification de sens s’établit alors comme symptôme esthétique d’une prise de conscience que relaie le film, celle des crises de représentation face à une machine-monde qui pousse à réévaluer ce que nous pouvons imaginer comme nouveau contrat social.
- 69 Jean-Marc Roy, « L'anthropocène, la modernité de l'apocalypse et le contrat social », dans Nature e (...)
51Habiter le ventre de ce monstre implique en effet de vivre avec le trouble, c’est-à-dire d’admettre la violence et la complexité des rapports afin de pouvoir chercher d’autres modalités que la guerre pour instaurer nos alliances. Et si Léviathan évoque une origine mythologique, il constitue tout autant une référence incontournable dans l’histoire de la philosophie politique. Le projet de modernité auquel participe le Léviathan de Thomas Hobbes proposait un dépassement de la violence dans l’établissement du contrat social. Mais le contrat social d’alors impliquait une sortie de l’état de nature qui creuse l’opposition entre l’homme et une nature qui aujourd’hui fait à nouveau « irruption », nous appelant à reconsidérer la place que la société néo-libérale contemporaine, héritière de la modernité, y accorde69. C’est ce projet politique que le film dessine en creux. Léviathan, nous l’avons dit, appartient à une époque dans laquelle la crise écologique est assimilée à une apocalypse contemporaine. Il rend alors sensible un nouvel âge, géologique et conceptuel, dans lequel nous devrons imaginer et tisser de nouvelles alliances.
52Conclusion
- 70 Entretien avec Jean-Michel Frodon, op. cit.
- 71 Ilya Prigogine, Isabelle Stengers, La nouvelle alliance. Métamorphose de la science, Paris, Gallima (...)
53Intégrer au parcours du Master SPEAP la présentation d’une expérimentation filmique telle que Léviathan est, pour Jean-Michel Frodon, un moyen « [d’]interroger la place de l’être humain dans les récits, de l’être humain comme point de vue70 ». Témoignant d’une démarche de recherche avec les moyens du cinéma, d’un possible écart avec l’anthropocentrisme dominant, ce film est critique. En diffractant, en inquiétant le règne d’un regard supérieur et univoque, le cinéma peut porter le trouble jusque dans les modes de saisie d’une science classique visant « toujours à découvrir la vérité unique du monde, le langage unique qui déchiffre la totalité de la nature71 ».
- 72 Les droits de scolarité s’élèvent pour l’année 2020-2021 à 14 800 euros. Cependant, il existe diver (...)
54Dans le cadre de ce cursus, l’urgence semble relayée par des tentatives de composition « dans le ventre du monstre », dans ces temps de bouleversements écologiques, économiques et sociétaux. Il s’agit alors de composer avec certains paradoxes : une formation en un an qui revendique la nécessité du temps long, un nombre de places réduit et un désir d’ouverture, une inscription onéreuse72 et une posture critique à l’égard des rapports de domination.
- 73 Donna Haraway, Staying with the trouble: Making Kin in the Chthulucene, Durham, Duke University Pre (...)
55Ce Master, en lui-même, se présente avant tout comme un essai, un geste exploratoire afin de trouver des façons de répondre aux problèmes mettant au défi notre quotidien. Parmi les voies de médiation, pensées et élaborées au sein de cette formation, les récits ont un rôle majeur. Donna Haraway note : « Chaque fois qu’une histoire m’aide à me souvenir de ce que je croyais savoir, ou me présente une connaissance nouvelle, un muscle essentiel à l’entretien d’un souci pour l’épanouissement reçoit sa dose d’exercice et d’oxygène73 ».
- 74 Isabelle Stengers, Entretien, Vacarme [En ligne], URL https://vacarme.org/article263.htm [consulté (...)
56Partager, analyser ou créer des formes narratives semble alors toucher à un rapport au soin, à la science des agencements mortifères ou des agencements producteurs de vie évoqués par Isabelle Stengers74. Le déploiement de représentations qui aident à porter attention aux équilibres et à s’accorder constitue un enjeu contemporain. Aussi, il ne s’agit pas de produire de la sidération mais un ondoiement. Cependant, la figuration institutionnalisée de la catastrophe spectaculaire persiste à engloutir le monde dans un grondement sublime sans produire le moindre remous, la moindre nausée.
57Alors, composer avec l’urgence, ce serait peut-être sortir de la corrélation entre l’image d’un détonateur aux chiffres affolés et celle d’une grandiose fin du monde. Et cela pour tenter, au risque de la métamorphose, de tisser d’autres rencontres narratives, de déborder des cadres spatio-temporels prescrits pour s’aventurer vers quelques impertinences créatrices.
Notes
1 Bruno Latour, [En ligne], URL: http://blogs.sciences-po.fr/speap/presentation/pourquoi-speap/, [consulté le 12 octobre 2021].
2 Le site internet de présentation de SPEAP renvoie ainsi vers « An Attempt at a “Compositionist Manifesto” par Bruno Latour », URL: http://blogs.sciences-po.fr/speap/presentation/pourquoi-speap/, [consulté le 12 octobre 2021].
3 Ibid.
4 Gilles Clément, Abécédaire, Paris, Sens & Tonka, 2014.
5 Se croisent des disciplines telles que la philosophie, l'anthropologie, l'histoire de l’art, la sociologie ou encore la linguistique. URL : http://blogs.sciences-po.fr/speap/programme/equipe-pedagogique/ [consulté le 01 avril 2022].
6 Jean-Michel Frodon, « Le Cinéma pour méthode et moyen de recherche », dans Cinéma à l'université : le regard et le geste, Serge Le Péron, Frédéric Sojcher, Bruxelles, Les impressions nouvelles, 2020. p. 404-412. Il est notamment à l'initiative de l’invitation des réalisateurs du film Léviathan, Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel, désormais intervenants réguliers à SPEAP.
7 Ibid.
8 Ibid.
9 Jean-Michel Frodon précise que « Castaing Taylor intervient régulièrement à SPEAP, essentiellement en y organisant des ateliers de tournage et de montage, en compagnie de Véréna Paravel, cinéaste avec laquelle il a réalisé les films Leviathan (2012), Somniloquies (2016) et Caniba (2017) ». Ibid.
10 Ibid.
11 Serge Le Péron, Frédéric Sojcher, Cinéma à l'université : le regard et le geste, op. cit.
12 Pour une présentation détaillée de SPEAP : Franck Leibovici, Valérie Pihet « Pour une école des arts politiques ? », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], #11 | 2011, mis en ligne le 01 décembre 2013. URL : http://journals.openedition.org/traces/5286 [consulté le 27 août 2021].
13 Évoquant l'exposition Making Things Public, Valérie Pihet précise qu'il « s’agissait de faire ressentir au public par les œuvres et les installations la simulation d’un problème impossible à représenter sans ces dernières. L’exposition était conçue comme une « assemblée d’assemblées », permettant au visiteur de comparer des techniques de représentation propres à différents types d’assemblées, religieuses, économiques, politiques, animales, scientifiques, etc. ». Ibid.
Pour plus d’informations sur ces expositions : http://www.iconoclash.de/ et https://zkm.de/en/exhibition/2005/03/making-things-public.
14 Bruno Latour, Sur le culte moderne des dieux faitiches suivi de Iconoclash, Paris, La Découverte / Les empêcheurs de penser en rond, 2009. p. 194.
15 Franck Leibovici, Valérie Pihet, « Pour une école des arts politiques ? », op. cit.
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Entretien avec Jean-Michel Frodon (Toulouse, Juin 2021).
19 Bruno Latour, « From Realpolitik to Dingpolitik or How to Make Things Public », dans Making Things Public. Atmospheres of Democracy, Bruno Latour, Peter Weibel, Karlsruhe, MIT Press, 2010, p. 14-43.
20 Jean Vigo, Pierre Lherminier, Jean Vigo, œuvre de cinéma : films, scénarios, projets de films, textes sur le cinéma, Paris, Cinémathèque française Lherminier, 1985, p. 65-67.
21 Jean-Michel Frodon, L'art du cinéma dans le monde contemporain à l'âge du numérique et de la mondialisation, Paris, Cahiers du cinéma, 2006, p. 47.
22 Jean-Michel Frodon, «The War of Images, or the Bâmiyân Paradox», dans Iconoclash: Beyond the Image: Wars in Science, Religion and Art, Bruno Latour, Peter Weibel, Cambridge, MIT Press, 2002, p. 221-223.
23 Site de l’association [En ligne], URL : http://lexception.rezo.net/rubrique6.html [consulté le 20 juin 2021].
24 Marc Ferro, Cinéma et Histoire, Paris, Denoël et Gonthier, 1977.
25 Jean-Michel Frodon, Le cinéma français de la nouvelle vague à nos jours, Paris, Cahiers du cinéma, 2010, p. 16.
26 Entretien avec Jean-Michel Frodon, « Le cinéma m'intéresse parce qu’il aide à réfléchir le monde dans lequel nous vivons », op. cit.
27 Ibid.
28 Jean-Michel Frodon précise qu’il s’agit pour les élèves « de se rendre sensibles aux enjeux de cadrage, de distance, d’agencement des lumières et des ombres, de déplacement dans l’espace et le temps, de rapport entre image et son, de durée des plans et d’organisation rythmique entre eux. De comprendre ces enjeux esthétiques comme possibles dispositifs de recherche » (Jean-Michel Frodon, « Le Cinéma pour méthode et moyen de recherche », op. cit.).
29 Joëlle Zask, « Le courage de l’expérience », dans Black Mountain College. Art, démocratie, utopie, Jean-Pierre Cometti, Éric Giraud, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 20-21. [En ligne], URL: http://joelle-zask.over-blog.com/2017/05/enseigner-toute-chose-comme-on-enseigne-l-art-au-black-mountain-college-2014.html [consulté 18 novembre 2021]. Dans ce texte, Joëlle Zask relaie l'approche pédagogique des enseignants du Black Mountain College (1933-1957), inspirée du pragmatisme étasunien et particulièrement des travaux de John Dewey.
30 Nous empruntons la formule à l’ouvrage d’Émilie Hache, Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique, Paris, La Découverte, 2011.
31 Entretien avec Jean-Michel Frodon, op. cit.
32 Ibid.
33 Ultime entretien de Pasolini à l'occasion de la sortie de son film Salò o le 120 giornate di Sodoma (Pier Paolo Pasolini, 31 Octobre 1975, [En ligne], URL : https://www.youtube.com/watch?v=w9Ef1y_OY-U) [consulté le 21 mars 2018].
34 Alain Bergala, L'hypothèse cinéma : petit traité de transmission du cinéma à l'école et ailleurs, Paris, Cahiers du cinéma, 2006.
35 Émilie Hache, Ce à quoi nous tenons, op. cit., p. 54.
36 John Dewey, L’Art comme expérience, Paris, Gallimard, 2010 [1934].
37 Lucien Castaing-Taylor, « Hell Roaring Creek. Into-the-jug (geworfen) », Les actes de colloques du musée du quai Branly Jacques Chirac [En ligne], 2 | 2009, mis en ligne le 21 décembre 2009. URL : http://journals.openedition.org/actesbranly/447 [consulté le 08 septembre 2020].
38 La deuxième partie de l'année universitaire est centrée sur un travail collectif tentant de répondre aux problèmes rencontrés par des institutions, associations, entreprises ou groupes d’individus. Autour de ces commandes, les élèves développent un projet qui peut, notamment, prendre la forme d'une production audiovisuelle.
39 Jean-Michel Frodon, « Le Cinéma pour méthode et moyen de recherche », op. cit.
40 Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ? Paris, Seuil, 1999.
41 Donna Haraway, « SF: Science Fiction, Speculative Fabulation, String Figures, So Far », Conférence donnée à la Science-Fiction Research Association le 11 septembre 2011, (cité par Benedikte Zitouni « Explorer le Chthulucène dans les interstices de l'Anthropocène », dans Habiter le trouble avec Donna Haraway, Florence Caeymaex, Vinciane Despret, Julien Pieron, Bellevaux, éditions Dehors, 2019, p. 91-111).
42 Jean-Louis Comolli, Voir et pouvoir : l'innocence perdue : cinéma, télévision, fiction, documentaire, Lagrasse, Verdier, 2004, p. 25.
43 Le « faire sens » que nous évoquons ici renvoie à l’approche proposée par David Abram dans Comment la terre s'est tue : pour une écologie des sens, Paris, La Découverte, 2021.
44 Corinne Maury, Habiter le monde, éloge du poétique dans le cinéma du réel, Crisnée Belgique, Yellow now, 2011.
45 Donna Haraway, « Sympoïèse, SF, Embrouilles multi-spécifiques », dans Gestes spéculatifs, Isabelle Stengers, Didier Debaise, Dijon, Les Presses du réel, 2015, p. 42-72.
46 Dork Zabunyan, « À quoi servent les images de la catastrophe écologique ? », AOC, 31/10/2019, https://aoc.media/opinion/2019/10/30/a-quoi-servent-les-images-de-la-catastrophe-ecologique/ & Yannick Rumpala, Hors des décombres du monde - Écologie, science-fiction et éthique du futur, Champ Vallon, Céyzerieu, 2018.
47 Entretien avec Jean-Michel Frodon, op. cit.
48 Ce cinéaste invite par ses récits et choix de mise en scène à des décentrements (urbanocentrisme, hétéronormativité, anthropocentrisme...). À ce titre, il est cité par Jean-Michel Frodon comme un auteur ressource pour penser la société contemporaine.
49 Serge Kaganski, « Alain Guiraudie : Pas de repos pour les braves », Les Inrockuptibles, 12/11/2003.
50 Ibid.
51 Thierry Drumm, « Réintensifier les expériences animistes. David Abram et l’écologie des sens », Écologie et Politique, n°51, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p. 149-157.
52 Site web du SEL, notre traduction, [En ligne] URL : http://sel.fas.harvard.edu/ [consulté le 27 novembre 2021].
53 En réalité, seuls quatre plans du film sont enregistrés alors que la caméra se trouve sur pied ou attaché au bateau. Entretien avec les réalisateurs, Bomb Magazine. [En ligne] URL : https://bombmagazine.org/articles/v%C3%A9r%C3%A9na-paravel-and-lucien-castaing-taylor/ [consulté le 27 novembre 2021].
54 Par ailleurs, le générique cite 20 espèces d’animaux ayant participé au film, de l’étoile de mer commun au goéland marin en passant par le pétoncle géant ou encore la morue de l’Atlantique. La lune et la mer y figurent également. De plus, les réalisateurs ont choisi de publier des photographies de poissons plutôt que leurs propres visages pour la présentation de leur film, par exemple dans le catalogue du festival Entrevues de Belfort 2012.
55 Remarquons que si l’approche proposée ici se démarque des productions filmiques dominantes, il s’agit d’un parti pris affectionné par le cinéma expérimental ou d’essai, dont un exemple saillant dans l’histoire du cinéma est L’Homme à la caméra de Dziga Vertov (1927).
56 Les plans sont en moyenne très longs, nous n’en comptons qu’une trentaine pour 80 minutes de film.
57 James Bridle, « Through Non-Human Eyes », novembre 2016, [En ligne] URL : https://unthinking.photography/articles/gopro [consulté le 24 novembre 2021].
58 Benedikte Zitouni, « Explorer le Chthulucène dans les interstices de l'Anthropocène » op. cit., p. 109
59 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (coords.), « Léviathan », Dictionnaire des symboles, Paris, Editions Robert Laffont / Jupiter, Coll. Bouquins, 2005, p. 566-567.
60 Donna Haraway, « Anthropocene vs. Worldings in the Chthulucene », conférence donnée au colloque Os mil nomes de Gaia. Do antropoceno à idade de Terra, organisée par Juliana Fausto, Eduardo Viveiros de Castro et Deborah Danowski à Sao Paulo le 18 septembre 2014, 23min 50s.
61 Christopher Pavsek, « Leviathan and the Experience of Sensory Ethnography », Visual Anthropology Review, Vol. 31, n°1 Spring 2015, cite Lucien Taylor, « Iconophobia », Transition, n°69, 1996, p. 64-88.
62 Lucien Castaing-Taylor, « Hell Roaring Creek. Into-the-jug (geworfen) », op. cit.
63 Ibid.
64 Christopher Pavsek, « Iconophobia », op. cit.
65 Frédéric Picco, « Le complexe de l’Hydre dans le Livre VIII des Fables de La Fontaine », Éclats de littérature grecque d’Homère à Pascal Quignard : Mélanges offerts à Suzanne Saïd, Nanterre, Presses universitaires de Paris, 2012, p. 251-268.
66 H.P. Lovecraft, Contes et Légendes - Les Mythes de Cthulhu, Trad. de l’américain par Claude Gilbert, Paris, éditions Robert Laffont, 1991, p. 19-598.
67 Entretien avec les réalisateurs, Bomb Magazine, op. cit.
68 Notre traduction, à partir de la 70e minute du film.
69 Jean-Marc Roy, « L'anthropocène, la modernité de l'apocalypse et le contrat social », dans Nature et souveraineté, Jean-Marc Roy, Michel Bruno (dirs.), Bertrange, Legitech, 2021.
70 Entretien avec Jean-Michel Frodon, op. cit.
71 Ilya Prigogine, Isabelle Stengers, La nouvelle alliance. Métamorphose de la science, Paris, Gallimard, 1979, p. 60.
72 Les droits de scolarité s’élèvent pour l’année 2020-2021 à 14 800 euros. Cependant, il existe diverses possibilités d’aides financières présentées sur le site du Master. URL : http://blogs.sciences-po.fr/speap/admissions/droits-de-scolarite-et-aides-financieres/ [consulté le 01 avril 2022].
73 Donna Haraway, Staying with the trouble: Making Kin in the Chthulucene, Durham, Duke University Press, 2016, p. 116.
74 Isabelle Stengers, Entretien, Vacarme [En ligne], URL https://vacarme.org/article263.htm [consulté le 11 novembre 2021].
Haut de pageTable des illustrations
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Légende | Eaux troubles et renversement d’horizon. |
Crédits | Droits de reproduction : capture d’écran, Léviathan, Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, 83’ |
URL | http://journals.openedition.org/framespa/docannexe/image/13213/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 164k |
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Titre | Figure 2 |
Légende | Chasser à hauteur d’oiseau. |
Crédits | Droits de reproduction : capture d’écran, Léviathan, Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, 83’ |
URL | http://journals.openedition.org/framespa/docannexe/image/13213/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 292k |
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Titre | Figure 3 |
Légende | Une symbiose homme-machine. |
Crédits | Droits de reproduction : capture d’écran, Léviathan, Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, 83’ |
URL | http://journals.openedition.org/framespa/docannexe/image/13213/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 276k |
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Titre | Figure 4 |
Légende | Légende : Figures acéphales dépeçant une raie. |
Crédits | Droits de reproduction : capture d’écran, Léviathan, Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel, 2012, 83’ |
URL | http://journals.openedition.org/framespa/docannexe/image/13213/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 343k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Maylis Asté et Matilda Holloway, « Relayer l’urgence : réflexions autour d’une expérience pédagogique de sciences politiques en dialogue avec les études cinématographiques », Les Cahiers de Framespa [En ligne], 40 | 2022, mis en ligne le 30 juin 2022, consulté le 09 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/framespa/13213 ; DOI : https://doi.org/10.4000/framespa.13213
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