• 1 Pour une bibliographie sur la question voir : Maria Ginatempo, « Il finanziamento del deficit pubbl (...)

1Les recherches sur la dette publique et son financement dans les villes italiennes du Moyen Âge ont fait l’objet d’une étude attentive de la part des historiens. Les villes qui ont le plus retenu leur attention sont Venise, Gênes et les principales villes de Toscane (Florence, Sienne, Pise et Lucques), sans oublier les études sur la papauté1.

• 2 Maria Ginatempo, Prima del debito…, op. cit., p. 7-8.

2Dans le cas de Venise et de Gênes, le problème de la dette publique était perceptible dès la seconde moitié du xiii^e siècle. Cela s’explique par leur importante activité financière et commerciale, qui a permis une circulation monétaire conséquente2. Dans les autres villes, la croissance du déficit est devenue visible à partir de la seconde moitié du xiv^e siècle, période durant laquelle elles ont accru leurs dépenses militaires et diplomatiques. Les revenus étaient insuffisants pour pouvoir financer de telles dépenses et plus encore pour pouvoir rembourser le capital de ces prêts, que la ville était contrainte de contracter.

• 3 Ibid., p. 13-31.

3De façon simplifiée, nous pouvons classer les prêts en deux catégories : d’une part, le prêt forcé qui consistait à forcer une partie de la population à prêter de l’argent à la ville en échange d’un faible intérêt ; d’autre part, le prêt volontaire qui consistait pour le créancier en un investissement générateur d’intérêts plus élevés. La ville cherchait donc des liquidités à travers l’épargne de sa population. Le prêt forcé était donc une sorte d’impôt direct (sans intérêt ou avec un intérêt très faible), alors que le prêt volontaire permettait aux habitants de diversifier leurs investissements (avec un intérêt plus important). La ville utilisait ses recettes les plus consistantes, comme la gabelle du sel, du vin ou du blé, pour le financement de ce système, comme cela arrivait couramment dans d’autres villes. Toutefois, les villes avaient des approches différentes. Si la ville de Florence essayait de spéculer sur ces titres de dette, Venise, au contraire, exerçait un contrôle ferme sur ces pratiques3.

• 4 Sur cette question je me permets de renvoyer à ma thèse : Gouverner l'argent public : Finances et f (...)
• 5 Pour une étude récente sur le Monte voir : Clément Carnielli, « 1388. L’altra liberazione dei servi (...)
• 6 Archivio di Stato di Bologna (ci-après ASBo), Comune, Camera del Comune, Monti e cumuli di denari d (...)

4À Bologne, même s’il manque des travaux spécifiques sur la dette publique, les études sur la fiscalité de la ville ont montré que l’endettement n’avait jamais été organisé comme à Florence ou à Venise, par exemple. Le déficit était normalement couvert par une hausse des impôts, des impositions ad hoc et grâce à des prêts à court terme, pour compenser ponctuellement les différentes dépenses extraordinaires4. Bologne n’a pas eu de dette consolidée avant 1390, grâce à la fondation du Monte Comunis, sur le modèle des institutions de crédit florentines et vénitiennes5. La présente contribution se propose de faire quelques premiers pas dans l’étude des créanciers de la ville, avant l’institution de la dette consolidée. Dans ce but, nous pouvons nous appuyer principalement sur trois sources : un registre des prêts volontaires de l’année 1376, un registre des dépenses couvrant le deuxième semestre de l’année 1377 et un registre des dépenses et revenus datant de 13796. Ces sources permettent de recueillir un nombre relativement important de données sur une période clé de l’histoire bolonaise, à savoir, le passage d’un régime seigneurial à une Commune populaire.

• 7 Pour une bibliographie sur les révoltes à la fin du Moyen Âge : Samuel Kline Cohn Jr. et Fabrizio R (...)

5Nous aborderons le système de financement de Bologne à la fin des années 1370, période de transition politique pour la ville. En effet, la ville s’est rebellée en 1376 contre la domination de la papauté, qui a suivi celle des Visconti (1350-1360)7. Nous verrons quelle était la situation des finances de la ville de Bologne, quels étaient ses moyens de financement et la nature de son endettement. Puis, nous nous attarderons sur la typologie de prêts qui étaient accordés à la ville et tenterons de comprendre quels étaient ses créanciers et quels étaient leurs profils.

• 8 Oreste Vancini, « Bologna della Chiesa », Atti e memorie della R. Deputazione di Storia patria per (...)
• 9 Valeria Braidi (éd.), Gli statuti del Comune di Bologna degli anni 1352, 1357, 1376, 1389, Bologne, (...)

6En 1360, après la domination des Visconti sur Bologne, l’Église a réussi à récupérer la ville grâce aux succès diplomatiques de son vicaire général, Egidio d’Albornoz8. Le 15 mars 1360, l’Église prend d’abord possession militairement du château de San Felice, dans le contado bolonais, et peu après, de la ville9.

• 10 Ibid., p. LVII.
• 11 Oreste Vancini, « Bologna della Chiesa », art. cit., vol. 23, chap. IV ; Valeria Braidi (éd.), Gli (...)
• 12 Valeria Braidi (éd.), Gli statuti…, op. cit., p. LVIII.

7Dans un premier temps, la papauté a décidé d’alléger la pression fiscale sur la ville. Plusieurs impôts sur la consommation ont été baissés ou supprimés. Par exemple, la gabelle du sel est passée de six à quatre livres de Bologne, et les gabelles sur les jeux de hasard et la prostitution ont été supprimées10. Cependant, dès 1372, plusieurs gabelles ont à nouveau été augmentées. Par exemple, la gabelle du sel a été doublée et est passée de quatre à huit livres. Grâce à l’étude de Vancini sur la domination de la papauté à Bologne, nous savons que les revenus des gabelles en 1365 représentaient cette année-là 190 655 livres. En 1371, ils s’élevaient à 246 336 livres11. Cette forte augmentation des impôts était principalement due au doublement des dépenses militaires (pour avoir un ordre d’idée, en 1371, 143 428 florins ont été dépensés uniquement pour financer les hommes de garnison dans les tours et les forteresses du contado)12.

• 13 Rolando Dondarini, Bologna medievale. Nella storia delle città, Bologne, Pàtron, 2000, p. 280.
• 14 Emmanuel Le Roy Ladurie, « Climat : le regard de l'historien », Regards croisés sur l'économie, 200 (...)

8Durant toute la période de la domination de la papauté à Bologne, la guerre entre le pape et les Visconti s’est poursuivie presque sans interruption. Les Bolonais étaient appelés à financer les dépenses militaires, sous forme d’impôts ad hoc. À cela se sont ajoutés, entre 1373 et 1374, une épidémie de peste qui a eu de lourdes conséquences sur la population et l’économie du contado de la ville13, ainsi que des aléas climatiques et de mauvaises récoltes généralisées14. Ces éléments ont sans doute pesé sur la baisse des revenus durant ces années.

• 15 ASBo, Comune, Camera del Comune, Monte o cumuli dei danari del comune, XXIV/6.

9Nous avons retrouvé la trace de nombreux prêts volontaires durant l’année 1376, grâce à l’existence d’un registre des prêts. Nous l’analyserons en détail dans la deuxième partie de cette étude, mais dès à présent, il est important de relever que, grâce à ces prêts, la ville a encaissé la somme de 7 952 livres et un sou (autrement dit, 4 666 ducats et 397 sous)15.

• 16 Oreste Vancini, La rivolta dei bolognesi al governo dei vicari della Chiesa (1376-1377), Bologne, Z (...)
• 17 Rolando Dondarini, op. cit., p. 294.

10Au cours de cette même année 1376, le pape s’est aussi engagé dans la guerre des Huit Saints contre Florence. Les Bolonais ont ainsi profité de cette situation pour se rebeller contre le légat pontifical Guillaume de Noellet16. En 1377, un accord entre Bologne et le pape stipule qu’en échange de l’autonomie politique, la ville reconnaît son territoire comme faisant partie du domaine de la papauté. Ainsi, un vicaire du pape sera présent en ville et sera payé par les Bolonais : un paiement annuel de 10 000 florins sera versé à la Chambre apostolique et la ville supportera tous les efforts militaires pour financer les guerres en cours. Même si Bologne a formellement retrouvé une certaine autonomie grâce à la réintroduction de la magistrature du gouvernement des Anziani e Consoli et la rédaction de nouveaux statuts, il s’agit d’une « autonomie conditionnée », selon l’expression de Rolando Dondarini17.

• 18 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo e delle Arti verso il tramonto. Innovazioni e modifiche istituz (...)
• 19 William M. Bowsky, Le finanze del Comune di Siena 1287-1355, Florence, La nuova Italia editrice, 19 (...)
• 20 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 14.
• 21 Ibid., fol. 1r.
• 22 Ibid., fol. 8r et 25r.
• 23 Cinzio Violante, op. cit., p. 128 ; Maria Ginatempo, Prima del debito…, op. cit., p. 109-136.

11Après la révolution de 1376, la situation des finances semblait toujours critique. En septembre 1376, un nouveau prêt volontaire était proposé avec un taux d’intérêt de 10 % par an18, taux similaire à celui de Sienne et de Gênes au milieu du xiv^e siècle, ou encore à celui de Pise pendant les même années19. Durant le deuxième semestre de l’année 1377, la ville a dépensé un peu plus de 129 755 livres. Sur ce montant, 13 % ont été utilisés pour financer d’anciens prêts20. Les prêts ont été payés en plusieurs fois, comme cela a été le cas le 1^er juillet 1377, où Filippo Guidotti a reçu 380 livres pour le solde d’un prêt de 1 980 livres21. Une partie des dettes a été payée grâce à l’argent prélevé sur les revenus de plusieurs gabelles22. Ces pratiques étaient récurrentes dans les autres grandes villes de l’Italie médiévale23.

• 24 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 15.
• 25 Ibid., fol. 6r et 129r.
• 26 Ibid., fol. 129r.
• 27 Ibid.
• 28 Pour une bibliographie sur l’usure, voir : Diego Quaglioni, Gian Maria Varanini, Giacomo Todeschini (...)

12Durant le premier semestre de l’année 1379, nous constatons une hausse des dépenses, qui ont atteint 159 422 livres24. Dans le registre étudié, nous avons relevé trois paiements destinés au remboursement des prêts : l’un de 6 348 livres et dix sous, un autre de 239 livres et un dernier de 554 livres et huit sous. Un peu plus de 4 % des dépenses concernaient donc le financement des prêts contractés antérieurement25. Le premier paiement de 6 348 livres faisait partie d’une opération de crédit assez importante, car la ville avait emprunté au total la somme de 38 527 livres et dix sous26. Le deuxième paiement de 239 livres était un paiement pro damptio et interesse, pour un prêt lui aussi assez consistant de 23 900 livres effectué par certos cives (les noms ne sont pas indiqués)27. Ce paiement nous est très utile, car il nous permet de calculer l’intérêt du crédit (1 %). Cet intérêt assez modéré pour un crédit à court terme, au regard du montant prêté, se justifie sans doute par la sûreté de l’investissement et le prestige politique lié à l’opération. Cependant, il s’agit là d’un cas unique dans la documentation étudiée, car en principe, l’intérêt du prêt n’est pas indiqué. Il est normalement masqué par des opérations de change, ou il est intégré dans la somme enregistrée comme prêtée. Peut-être que cela a été possible ici, car le faible intérêt ne pouvait pas se prêter à des accusations d’usure28.

• 29 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 14, fol. 2v.
• 30 Ibid., Reg. 14, fol. 16v et 25r.

13Le fait d’utiliser plusieurs monnaies, et donc de pouvoir masquer d’autres opérations – comme l’intérêt du prêt – lors du change d’une monnaie à une autre, cache probablement un gain ultérieur au profit du créancier. Concernant le change d’argent, grâce à quelques informations présentes dans ces registres comptables, nous savons qu’en 1376, un ducat pouvait être changé en ville contre 34 sous bolonais, autrement dit, contre une livre et quatorze sous bolonais29. L’année suivante, en 1377, un ducat était changé contre 35 sous, et en 1379, un florin était changé contre 31 sous et six deniers30.

• 31 Ibid., Reg. 15.
• 32 Ibid.

14Durant le premier semestre de l’année 1379, les revenus ont atteint un peu plus de 147 843 livres. Malgré les prêts contractés, la ville dépensait plus que ce qu’elle n’arrivait à recouvrer31. La ville a emprunté sur une courte période des sommes correspondant pratiquement au tiers des dépenses qui couraient habituellement sur un seul semestre. En effet, durant le premier semestre de l’année 1379, la somme encaissée au titre des prêts et inscrite au registre des revenus de trésorerie s’élevait à 12 129 livres, neuf sous et deux deniers, ce qui correspondait à un peu plus de 8 % des revenus totaux32.

• 33 Par exemple : ASBo, Comune, Camera del Comune, Monti e cumuli di denari del comune, XXIV/6, fol. 33 (...)

15Les informations récoltées, bien que parfois lacunaires, nous permettent de nous faire une idée de la situation. La ville empruntait systématiquement de l’argent au fur à mesure de ses besoins. Nous n’avons pas constaté de véritable politique d’endettement sur une longue période, bien que la quantité d’argent empruntée soit assez consistante. Par ailleurs pour le prêt volontaire de 1376, les emprunts ont été remboursés avec un retard important, car des enregistrements de remboursements indiquent par exemple l’année 138233.

• 34 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 14, fol. 1r.
• 35 Ibid., Reg. 15, fol. 129r.
• 36 Ibid., fol. 25v-27r ; pour les mercenaires à Bologne à la fin du xiv^e siècle, voir : Marco Conti, « (...)
• 37 Sur les dépenses militaires à Bologne, voir : Marco Conti, « La spesa pubblica bolognese alla fine (...)

16Les raisons de cet endettement figurent dans plusieurs paiements : un prêt de 380 livres enregistré en 1377 a servi à payer 100 chevaliers34, et le paiement du 6 juin 1379, effectué grâce à un prêt de 38 527 livres, a été utilisé pour payer des mercenaires anglais35. Le prêt de 9 572 livres datant de 1377 a été justifié comme urgentibus necessitatibus. Il est probable qu’après la révolte, et en l’absence d’un accord avec la papauté, la ville ait eu besoin de réfléchir en urgence à sa défense militaire. Cela semble être confirmé aussi par les dépenses de 1377 et 1379, années durant lesquelles des nombreux paiements concernent les salaires de mercenaires. Nous avons également pu relever des prêts en 1379 servant à payer des chevaliers, des mercenaires hongrois et des soldats à pied36. Ces données confirment que la première raison d’endettement de la ville était la compétition militaire37.

• 38 ASBo, Comune, Camera del Comune, Monti e cumuli di denari del comune, XXIV/6, fol. 2 r. Le protocol (...)

17Dans le registre de 1376 sont enregistrées 879 créances, chacune effectuée par une seule personne. La majeure partie des prêts correspond à de petites sommes, mais nous y trouvons aussi des créances plus consistantes. Pour cette raison, nous avons décomposé les petites sommes pour permettre de détailler davantage les données présentées38. Ces données sont résumées dans le graphique suivant (fig. 1) :

• 39 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo…, op. cit., p. 11, 19, 20, 29-32, 82, 171 et 174.
• 40 ASBo, Comune, Camera del Comune, Monti e cumuli di denari del comune, XXIV/6, fol. 203r.
• 41 Ibid., fol. 299r et 334v.
• 42 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo…, op. cit., p. 15 et 35.

19Malheureusement, le registre ne précise pas le montant des intérêts pratiqués. Si nous regardons de plus près quelles sont les personnes derrière ces prêts, ce graphique devient plus explicite. Sur les 879 personnes impliquées dans ces prêts (une personne correspond à un prêt), 1 % font partie des grands lignages bolonais. Parmi eux, il faut citer au moins le cas de Nanne di Gabione Gozzadini. Nanne est l’un des personnages les plus influents de la nouvelle politique communale, à la suite de la révolte de 1376. À la fin du xiv^e siècle, il recouvre de nombreuses et importantes charges39. En 1376, il a prêté à la ville 17 ducats, une somme assez faible pour un banquier issu d’une grande famille bolonaise40. À titre d’exemple, le vendeur de légumes Francischino a prêté 14 ducats et le teinturier Francescho Atufrigni a prêté 18 ducats41. En revanche, les prêts effectués par Nanne après 1376 montrent bien ses importantes possibilités économiques42.

• 43 ASBo, Comune, Camera del Comune, Monti e cumuli di denari del comune, XXIV/6, fol. 231r et 315r.
• 44 Ibid., fol. 378v.
• 45 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo…, op. cit., p. 88-89.

20Pour 242 personnes, c’est-à-dire 27 % des créanciers, nous avons la certitude qu’il s’agissait d’artisans, tels que des bouchers, des boulangers, des maçons, des menuisiers, des forgerons, des cordonniers, des taverniers, des meuniers, des tailleurs, etc. Pour tous les autres, c’est-à-dire plus de 72 % des créanciers, nous ne connaissons pas leur profession, mais compte tenu des faibles sommes prêtées, nous comprenons qu’il s’agissait de foyers modestes. Quelques prêts ont été effectués par des professeurs universitaires en droit qui, en raison de leurs capacités financières plus importantes, prêtaient les sommes les plus élevées43. Parmi les personnes qui avaient de bonnes situations économiques, nous pouvons citer Romeo di Giovanni Garfagnini44, que nous retrouvons en 1396 comme membre de la commission chargée de la gestion des contribuables et de la gabelle du sel45.

• 46 Vendittelli Giulia, Interessi privati e finanza pubblica in un comune italiano. Bologna 1260-1310, (...)
• 47 Anthony Molho, « Créditeurs de Florence en 1347. Un aperçu statistique du quartier de Santo Spirito (...)

21Ces données nous permettent de mettre en évidence comment certains artisans pouvaient investir leur argent dans la dette publique de la ville (comme cela était le cas dans le cadre de l’investissement nécessaire pour devenir fermier) et quels impôts étaient payés au xiii^e siècle et durant la première moitié du xiv^e46 siècle. Cela prouve aussi que la situation économique de la ville et des ces artisans était bonne, car dans cet échantillon de la société, nous voyons que de nombreuses personnes pouvaient investir. Par conséquent, elles avaient un minimum d’épargne. Enfin, comme pour le cas du financement de la dette florentine en 1347 par les habitants du quartier de Santo Spirito47, aussi à Bologne, de nombreuses personnes et des artisans provenant d’un milieu modeste participaient à ce type d’investissement.

• 48 Valeria Braidi (éd.), Gli statuti…, op. cit., p. LXVII- LXXXII ; Giorgio Tamba, Il regime del Popol (...)

23Cette rébellion a été promue par une partie de l’oligarchie bolonaise, qui attendait seulement le moment favorable pour agir, qui s’est révélé être la guerre entre la papauté et Florence48. Dans cette optique, ces personnes n’avaient aucune raison de prêter de l’argent pour financer les dépenses militaires de la papauté. Alors qu’ils envisageaient de se rebeller, le prêt était devenu une arme politique. Selon nous, voici comment peut s’expliquer le prêt de Nanne de Gabione de Gozzadini : la faible somme prêtée (compte tenu de ses moyens), montre bien qu’il s’agit d’un acte d’opportunisme politique, lui permettant éventuellement de participer au pouvoir en place si la rébellion échouait, car il ne faisait pas partie des opposants à la politique papale.

• 49 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 14 et 15.

24Concernant la période postérieure à la révolte, nous disposons d’informations sur les années 1377 et 137949. Pour 1377, les informations récoltées ne sont pas très nombreuses, mais assez significatives. Contrairement à ce que nous avons vu plus haut, il n’y a pas d’artisans enregistrés, mais cela est sans doute dû au type de sources étudiées, car il ne s’agit pas d’un registre des créanciers de la ville mais d’un registre des dépenses de la ville.

• 50 Ibid., Reg. 14, fol. 8r, 13r, 24v.
• 51 Concernant la charge de trésorier, voir : Marco Conti, « Providus et discretus vir. La charge du de (...)
• 52 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo…, op. cit., p. 103, 127, 146 et 148.

25Dans le registre des dépenses de 1377, nous dénombrons quatre prêts effectués par les personnes suivantes : Filippo Guidotti, Bartolomeo Mazzoli, Niccolò Garsendini et Alberto Bianchi50. Les Bianchi étaient une famille de banquiers bolonais. Alberto Bianchi a été le trésorier de la ville : son nom est indiqué dans l’enregistrement en tant qu’olim depositarius, ce qui peut être interprété comme le fait qu’il ait prêté de l’argent pendant qu’il était en fonction. Cela confirme bien que la ville faisait appel à des banquiers pour occuper la fonction de trésorier, sciemment bien sûr, pour leurs compétences et leurs relations, mais aussi pour avoir la possibilité de faire des prêts dans l’urgence51. À la fin du xiv^e siècle, Alberto Bianchi a également participé à de nombreuses commissions et a occupé différentes fonctions. Par exemple, il a participé à la commission qui devait délibérer sur l’administration des gabelles52.

• 53 Ibid., p. 35 ; Giorgio Tamba, « Nanne Gozzadini », dans Dizionazio biografico degli italiani, [En l (...)
• 54 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 14, fol. 15r, 17r, 19 (...)
• 55 Par exemple : Ibid., Reg. 15, fol. 52v. Sur la charge des Difensori dell’avere voir : Gianfranco Or (...)
• 56 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo…, op. cit., p. 11, 26, 32, 34, 75 , 82, 86, 89 et 103.
• 57 Ibid., p. 15, 31 et 98 ; Giorgio Tamba, « Filippo Guidotti », Dizionazio biografico degli italiani, (...)
• 58 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 14, fol. 8r,12r et 24 (...)
• 59 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo…, op. cit., p. 22.

26La personne sur laquelle nous avons de nombreuses informations est Filippo Guidotti, qui est présenté dans le registre comme étant un banquier. En effet, il était l’un des plus importants banquiers bolonais de la fin du xiv^e siècle. Il était un propriétaire terrien, très actif dans les activités financières de la papauté et de Florence53. Nous le retrouvons effectivement en tant que fermier, redevable des revenus de plusieurs gabelles en 1377 (vin, moulins, paille, bêtes, etc.)54. Par ailleurs, en 1379, il a été en charge au sein de l’office qui décidait de la gestion des finances de la ville55. Cela montre qu’il était activement impliqué dans le système fiscal de la ville. Une décennie plus tard, nous le trouvons dans plusieurs fonctions importantes : membre des Dieci di Balia et des Sedici Riformatori, ambassadeur de la ville, etc56. Même durant les années suivant la révolte contre la papauté, il était toujours très actif comme changeur et prêteur d’argent à la commune comme aux particuliers. Il était l’une des personnes les plus influentes et riches de l’oligarchie bolonaise de la fin du xiv^e siècle57. Concernant les autres personnes citées précédemment, nous savons seulement que Bartolomeo Mazoli était appelé collector et mercator, et que Niccolo Garisendi58 était activement impliqué dans le gouvernement de la ville, une décennie plus tard59.

• 60 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 15, fol. 1r-31r.

27Pour l’année 1379, les informations que nous possédons sont plus nombreuses. Dans le registre des revenus de 1379, nous avons compté 122 prêts60. Même si ces chiffres sont bien inférieurs à ceux de 1377, il faut rappeler qu’il s’agit de deux sources différentes et qu’un registre de trésorerie est très probablement lacunaire (fig. 2).

• 61 Ibid., fol. 55r.
• 62 Ibid., fol. 51r.

28Comme nous pouvons le voir sur ce graphique, les prêts pouvaient varier de quelques ducats à des sommes plus importantes. À titre d’exemple, le salaire semestriel de Ser Bevenutus Deripoli, cancellarius, était d’un peu plus de 61 ducats (106 livres, quinze sous et quatre deniers)61, et le salaire semestriel d’un professeur d’université était d’un peu plus de 14 ducats (25 livres)62. Nous comprenons donc que les sommes prêtées étaient considérables.

• 63 Par exemple : Ibid., fol. 22v-27r.
• 64 Par exemple : ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 15, fol (...)
• 65 Lorenzo Tanzini, « I forestieri e il debito pubblico di Firenze nel Quattrocento », Quaderni storic (...)

29Il est impossible d’établir des pourcentages précis concernant les profils de ces créanciers, car, pour la plupart de ces personnes, la profession n’était pas indiquée. Nous notons quelques connétables, châtelains et maîtres d’artillerie63. Il est également intéressant de mettre en évidence le fait qu’au moins 20 personnes étaient originaires d’autres villes italiennes (Pérouse, Florence, Gubbio, Modène, Imola, Bergame, etc.) ; elles étaient sans doute établies depuis longtemps en ville et leurs noms ne renvoient pas à des familles faisant partie de l’élite dans leur ville d’origine. Il y avait aussi cinq prêts provenant de mercenaires étrangers installés en ville64. Nous ne savons pas si ces personnes étaient considérées comme cives ou pas, mais si elles n’avaient pas le statut de citoyens bolonais, cela est très intéressant. Par exemple, à Florence, peu d’étrangers étaient autorisés à prêter au Monte : il s’agissait de représentants de la cour des Angevins, de patriciens génois, de souverains, et d’autres personnes faisant partie de l’élite politique et économique de l’époque65.

• 66 ASBo, Comune, Camera del Comune, Tesoreria e Contrallatore di Tesoreria, Reg. 15, fol. 6r, 19r.
• 67 Par exemple : Ibid. fol. 11r.
• 68 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo…, op. cit., p. 11, 19, 33, 72, 92 et 146 ; Giorgio Tamba, « Fra (...)
• 69 Giorgio Tamba, Il regime del Popolo…, op. cit., p. 15, 32 et 98.

30Durant l’année 1379, nous remarquons la participation de créanciers divers. Nous constatons qu’il y a eu des prêts de sommes importantes (plusieurs centaines de livres). Cela a été le cas pour des banquiers bolonais, comme les Foscarari, Scotti, Pelacani et d’autres66. Nous trouvons aussi l’enregistrement de prêts moindres67. Parmi ces créanciers, il faut au moins citer Francesco Foscarari. Son profil était similaire à celui de Filippo Guidotti : il était banquier, l’un des hommes les plus riches et influents de la ville, et à partir de la chute du pouvoir papal, il occupait de nombreuses fonctions importantes au sein de la commune (membre des Dieci di Balia, ambassadeur, membre des Sedici Riformatori et des Otto di Pace, etc.)68. En parallèle, il continuait à être un créancier de la commune et à gérer d’importantes sommes d’argent public69.

• 70 Marta Gravela, « Comprare il debito della città. Elite politiche e finanze comunali a Torino nel xi (...)

31Après la révolte, nous constatons la présence de banquiers, de petits marchands ainsi que de grands lignages bolonais engagés dans les prêts à la ville. En effet, si en 1376, seul Nanne de Gabione Gozzadini (qui en réalité n’a prêté qu’une somme infime) avait ce type de profil, cinq personnes en 1377 et neuf en 1379 ont prêté d’importantes sommes d’argent. Comme indiqué précédemment, il s’agissait de personnes qui occupaient des charges importantes, à la suite de la rébellion contre la papauté. Le cas de créanciers comme Filippo Guidotti et Francesco Foscarari pourrait nous faire imaginer que, comme cela était le cas à Turin, l’élite de la ville utilisait le financement de la dette pour arriver à obtenir des charges importantes, au-delà de l’investissement en lui-même70.

• 71 Marco Conti, Gouverner l'argent public…, op. cit., chap. 7.

33Pour conclure, nous pouvons dire que la ville de Bologne, comme de nombreuses villes de l’Italie communale, était endettée. Cette dette était contenue grâce à des hausses d’impôts et différentes formes de crédit. En 1377, avec trois prêts assez consistants, la ville de Bologne est parvenue à financer un quart de sa dépense annuelle, en faisant l’hypothèse que les dépenses du premier semestre étaient plus au moins égales à celles du deuxième semestre, comme cela était le cas pour les années précédentes71. L’endettement a été géré par des opérations ad hoc et non par une politique de financement dans la durée.

• 72 Alfred Hessel, Storia della città di Bologna, Bologne, Alfa, 1975, p. 84-86 ; Luigi Casini, Il cont (...)

34La raison principale de l’endettement était la dépense militaire. Bologne n’a pas fait le grand pas d’un financement durable de sa dette publique, comme d’autres villes italiennes, telles Venise ou Florence qui, grâce à cela, faisaient la différence militairement vis-à-vis de leurs voisins. Le contado de Bologne a gardé pratiquement la même superficie pendant plusieurs siècles, même si Imola a été dominée pendant une période assez brève72. Cette politique de l’endettement n’a pas favorisé une stratégie militaire agressive, mais plutôt une politique conservatrice.