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2024

Sandrine Huber & William Van Andringa (dir.), Côtoyer les dieux. L’organisation des espaces dans les sanctuaires grecs et romains

Vincent Cuche
Référence(s) :

Sandrine Huber & William Van Andringa (dir.), Côtoyer les dieux. L’organisation des espaces dans les sanctuaires grecs et romains (BCH Supplément, 64), Athènes, École française d’Athènes, 2022, 260 p., ISBN : 978-2-869-58563-8.

Texte intégral

1Entre 2012 et 2016, l’École française d’Athènes et l’École française de Rome développèrent conjointement un programme de recherche intitulé « Des espaces et des rites. Pour une archéologie du culte dans les sanctuaires du monde méditerranéen », dont émergèrent deux beaux et fructueux colloques. Le présent volume présente les actes du second de ces colloques, tenu à Athènes en octobre 2016. Son titre pourra sans doute donner lieu à des attentes excessives : la fonction de tout sanctuaire grec ou romain n’est-elle pas précisément de permettre aux humains de « côtoyer les dieux » ? Dès lors, quasi toute pratique religieuse est susceptible d’être convoquée, et c’est d’ailleurs l’impression que laisse parfois l’introduction de l’ouvrage. Les dix communications qui le composent — six consacrées au monde grec, quatre au monde romain — relèvent heureusement d’une ambition plus mesurée et, dans l’ensemble, sont fidèles au sous-titre du volume, « l’organisation des espaces dans les sanctuaires grecs et romains ». Comment les espaces sacrés régentent-ils les pratiques rituelles ; comment sont-ils hiérarchisés, modifiés, et comment peut-on y négocier sa place ? Voilà quelques-unes des questions fondamentales abordées dans ces différents textes toujours très stimulants.

2Due aux directeurs de la publication, Sandrine Huber et William Van Andringa, l’introduction commence par rappeler le rôle essentiel de l’archéologie pour restituer les dynamiques de construction, d’organisation et de mutation des cultes, qui s’expriment nécessairement dans la matérialité. Elle se déploie ensuite en deux parties successives, la première introduisant le monde grec, la seconde le monde romain. Ce parti pris est pour le moins surprenant, puisque le colloque s’était bâti sur des questions communes aux deux champs et que l’intérêt de réunir des romanistes et des hellénistes tient précisément dans les possibilités de comparaison et de confrontation de ces deux mondes ; aussi cette double introduction n’échappe-t-elle pas à certaines redites.

3Une première partie réunit trois contributions (portant toutes sur le monde grec) sous le titre « espaces fréquentés », thématique à laquelle répondent parfaitement les deux premiers textes consacrés aux sanctuaires de Délos et de Delphes.

4Dans un texte programmatique, Hélène Brun-Kyriakidis, évoque la « visite cultuelle » à Délos en étudiant la manière dont les aménagements matériels du sanctuaire, monumentaux ou modestes, durables ou provisoires, régissent l’accueil et l’attroupement des fidèles. Les esplanades, les portiques, les bancs, les chemins se retrouvent ainsi au centre d’une enquête qui appelle également à prendre en compte l’équipement disparu.

5Le second article, dû à Sandrine Huber, Anne Jacquemin et Didier Laroche, s’intéresse à la pratique du sacrifice à Delphes dans sa dimension spatiale : tenant compte du relief du sanctuaire et accordant une juste attention aux espaces laissés vides, les auteurs proposent de restituer la circulation processionnelle des humains et des bêtes le long de la terrasse sud du temple et l’activité de débitage et de cuisine dans la zone du pilier des Rhodiens et de la terrasse attalide.

6Bien qu’il s’inscrive plus difficilement dans les thématiques du colloque, le troisième texte, dû au regretté Petros Themelis, présente un dossier passionnant, celui du sanctuaire de Messana, la mythique reine éponyme de la Messénie. Situé au cœur de l’agora de Messène, entre le bouleion et ce qui semble être le prytanée, il servit de lieu d’exposition des inscriptions les plus emblématiques. Toute la zone semble avoir été conçue dès la création de la cité comme un ensemble politico-religieux destiné à façonner l’identité de la nouvelle entité messénienne ; un rôle qu’assuma également le sanctuaire d’Asclépios un siècle plus tard.

7La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « Espaces en mouvement », comprend deux contributions complémentaires évoquant l’évolution et la réorganisation d’espaces de culte italiques et gaulois dans le cadre de la romanisation. La première d’entre elles, due à Audrey Bertrand, met à mal la doxa de l’abandon systématique des sanctuaires du Samnium et de Lucanie après les guerres punique et sociale. Si les redécoupages administratifs ont pu altérer le rapport entre sanctuaire et communauté, plusieurs lieux de culte présentent des traces d’activité à l’époque impériale – mais une activité qui ne prend pas forcément les mêmes formes. Les exemples du sanctuaire de Mefitis à Rocca San Felice et de Satriano di Lucani révèlent en effet des déplacements de l’espace cultuel, des modifications de rite et de matériel votif. On regrette juste que cette excellente étude, qui met en garde contre l’abus des raisonnements a silentio, ne soit pas accompagnée de cartes et de plans. Pour sa part, William Van Andringa poursuit une réflexion entamée dans le premier colloque du programme, « Des espaces et des rites », en étudiant la manière dont les sanctuaires de Gaule romaine se sont renouvelés après la municipalisation voulue par Auguste. On observe notamment une monumentalisation du sanctuaire et la mise en place d’une distinction et d’une hiérarchisation de ses espaces suivant un principe typiquement romain. Alors qu’Audrey Bertrand parlait de « transformations cultuelles » pour les sanctuaires italiques, l’auteur insiste sur les éléments allant dans le sens d’une certaine rupture de continuité : ce qui est conservé, c’est la mémoire d’une sacralité locale, plutôt que le culte lui-même. On pourra sans doute discuter différents arguments à l’appui de cette interprétation (l’enfouissement des offrandes de Trintignac visait-il vraiment à « effacer […] la mémoire du pagus » ou relève-t-il d’un banal compromis entre deux nécessités, faire de la place, conserver les offrandes dans l’espace sacré ?) ; reste que l’ensemble de ce texte décrit de manière très stimulante la mise en place d’un nouveau paysage religieux conforme au nouvel ordre social.

8La troisième partie, « Espaces et mémoires gentilices » paraît plus hétérogène ; tout au plus peut-on y retrouver une interrogation commune autour de la notion de culte privé.

9Dans le premier texte, Marine Garcia tente de repérer les espaces cultuels des maisons grecques et se heurte aux limites de la documentation matérielle : en l’absence de démarcation concrète, que reste-t-il pour marquer le caractère sacré d’un espace ? Même les autels sont souvent portatifs. La mobilité des objets, la polyvalence des pièces de la maison, rendent insaisissables les lieux de cultes domestiques, et il faut donc conclure au caractère provisoire de leur sacralisation : c’était probablement l’acte rituel qui délimitait — temporairement — l’espace cultuel.

10Prolongeant des travaux antérieurs, Cécile Durvye fait parler toute la riche documentation de l’Aphrodision de Stésileos, à Délos. Ce petit sanctuaire au « statut public ou semi-public » met en scène de manière remarquable la présence du fondateur Stésiléos et de sa famille : dédicaces, statues, fêtes et offrandes récurrentes, aménagement du prodomos contribuent à construire une relation privilégiée entre la déesse et une famille délienne.

11Enfin, Pascal Naud (assisté de Sonya Willems et d’Alexia Morel) évoque le sanctuaire de Sains-du-Nord, en territoire nervien. Après avoir expliqué méthodologiquement les raisons pour lesquelles les structures fouillées ont finalement été identifiées comme un sanctuaire, l’auteur établit la chronologie du site, qui s’est développé autour des tombes de deux notables du ier siècle av. n.è. La monumentalisation du sanctuaire à l’époque impériale, avec ses temples à galerie et ses portiques, demeure structurée par ces sépultures.

12La dernière partie, « Espaces et images », relève moins d’une problématique commune que d’un objet commun, les statues. Celles qu’étudie Guillaume Biard sont les représentations des dédicants dans les sanctuaires hellénistiques. Placées parfois dans le temple, à proximité de l’image de la divinité, ces statues ont certes une fonction sociale et mémorielle, mais qui n’oblitère pas leur valeur votive. Parmi les arguments avancés, un des plus intéressants est sans doute la persistance de la formule de dédicace archaïque huper + génitif, par laquelle le dédicant indique à la divinité le bénéficiaire de la reconnaissance divine (sa famille, généralement) et qui, dans au moins deux exemples, accompagne désormais l’image même de la personne mentionnée au génitif. Emmanuelle Rosso s’intéresse pour sa part aux statues dynastiques, qui envahissent les sanctuaires à l’époque impériale. Plutôt que de tout classer sous l’étiquette « culte impérial », il faut distinguer selon les configurations. Pour cela, l’autrice prend position dans un débat récurrent en histoire des religions en défendant la notion de statue de culte. La présence de statues des divi dans un temple ne saurait signifier à elle seule l’existence d’un culte, et leur signification doit être appréhendée en tenant compte de différents critères instaurant des hiérarchies et des distinctions : le type statuaire, le matériau, la taille, la situation dans le temple (cella ou pronaos ; axialité ou latéralité), la dédicace…

13La conclusion de ce volume revient à Vinciane Pirenne-Delforge qui replace l’ensemble des contributions dans le cadre des interactions entre hommes et dieux auxquelles le sanctuaire grec ou romain fournit un cadre artificialisé et sans cesse rituellement investi.

14Le volume est édité avec soin ; les cartes et les plans sont souvent d’excellente qualité ; l’absence d’un index est cependant regrettable en raison de la diversité des sujets et des sites brassés par l’ouvrage. Le programme « Des espaces et des rites » ayant touché à sa fin, il reste à souhaiter que le chantier ouvert se poursuive grâce à d’autres initiatives.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Cuche, « Sandrine Huber & William Van Andringa (dir.), Côtoyer les dieux. L’organisation des espaces dans les sanctuaires grecs et romains »Frontière·s [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 21 novembre 2024, consulté le 14 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/frontieres/2955 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12qni

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Auteur

Vincent Cuche

Maître de conférences en histoire grecque, Université Côte d'Azur, CEPAM (UMR 7264)

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CC-BY-NC-SA-4.0

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