- 1 Nous tenons à remercier Cécile Hartz pour ses remarques et conseils lors de la rédaction de cet art (...)
1C’est en 1994 qu’est officiellement actée la construction de la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, aujourd’hui appelée LGV Sud-Europe-Atlantique (SEA)1. Suite à un appel d’offres, LISEA (groupe Vinci) signe en 2011 avec l’État un contrat de partenariat public-privé, mais les premiers diagnostics archéologiques débutent dès 2009 et d’autres suivront jusqu’au printemps 2013 (Primault 2014, p. 297-298). Le site antique du Vigneau est découvert à Pussigny (Indre-et-Loire ; fig. 1) durant le mois de juillet 2010 (Landreau, Couvin 2011). Les tranchées ont recoupé les vestiges de ce qui a été interprété comme un établissement rural antique du Haut-Empire. Un bâtiment A, présentant quelques murs construits au mortier de chaux, a été identifié comme la partie résidentielle de la villa avec, environ 70 m en contrebas vers l’ouest, une série de bâtiments aux plans alors incomplets, mais dont la concentration laissait supposer qu’il s’agissait de bâtiments d’exploitation. La céramique piégée dans les remblais de construction renvoyait à une datation de la fin du ier au iiie s. apr. J.-C.
Fig. 1 – Localisation de la commune de Pussigny (Indre-et-Loire) et du site du Vigneau, en rouge
DAO : A. Coutelas (Arkemine SARL) ; fonds de carte : SRA Centre-Val de Loire et IGN.
2À l’issue du décapage et des premiers travaux de fouille (Coutelas et al. 2015) réalisés en 2012 sur une surface de 23 500 m2, il est apparu qu’une large moitié orientale de la fouille était concernée par l’occupation romaine et, surtout, que le site ne correspondait pas à une petite exploitation rurale antique (fig. 2). Le haut de la pente est occupé par un temple de plan centré cerné par une enceinte avec, côté ouest, un double portique (bâtiment A). Ce sanctuaire est longé au nord et au sud par deux voies. Au sud, la voie 1, longue de près de 85 m, se dirige vers l’autre pôle d’occupation antique. Celui-ci correspond au groupe dit des « bâtiments occidentaux », lesquels sont pour partie maçonnés et pour partie sur poteaux.
Fig. 2 – Site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire), plan d’ensemble avec interprétation chronologique
DAO : A. Coutelas et A. Arles (Arkemine SARL).
3Le quart sud-ouest de l’emprise, en bas de pente, a révélé quatre souterrains médiévaux dans un maillage d’occupation relativement serré, les trois premiers distants de 30 m environ, le quatrième 85 m à l’est en limite du secteur antique. L’occupation débute semble-t-il au milieu du xie s., et cesse vers le milieu du xiie s. (Bonnamour, Arles 2014).
4La fouille de l’extrémité nord-est de l’emprise, soit la partie haute de la pente, a révélé des aires funéraires. La plus ancienne date du Néolithique. Elle compte 102 sépultures à inhumation en fosse. La densité des sépultures et leur distribution spatiale sont variables, mais aucune ne se recoupe (fig. 3). Les fosses sont creusées dans le substrat calcaire. Dans l’ensemble, elles sont de forme oblongue avec des dimensions moyennes d’environ 1,40 × 1 m, pour une profondeur moyenne, conservée sous le niveau de décapage, de 0,34 m. De nombreuses fosses ont révélé la présence de blocs de pierre ou de traces de matériaux organiques qui attestent l’existence d’aménagements internes variés, de la simple pierre de calage à la ciste et de la paroi en matière périssable au coffre monumental (Coutelas, Hauzeur 2015). L’ensemble du corpus céramique a permis de situer cette occupation au Néolithique moyen I et de la rattacher à la sphère culturelle du Chambon.
Fig. 3 – Secteur septentrional du site dit « Vigneau 2 » à Pussigny (Indre-et-Loire), avec plan d’ensemble des aires funéraires
A, la structure FT1339 vue du nord ; B, le sanctuaire antique vu de l’ouest avec au second plan l’aire funéraire du Néolithique en cours de fouille et le dolmen de la Pierre Levée au-delà ; C, l’enclos 1 vu de l’est.
DAO : A. Hauzeur (Paléotime) et A. Coutelas (Arkemine SARL) ; clichés : A. Coutelas (Arkemine SARL).
5Quelques millénaires plus tard, plusieurs sépultures à inhumation individuelle et quelques crémations en urne ou en pleine terre forment un nouvel ensemble funéraire. Il s’agit de 17 sépultures en coffre ou en coffrage de pierre qui peuvent être attribuées au Bronze final I-IIa (Coutelas et al. 2017). Leur architecture est remarquable : après le creusement d’une fosse orientée globalement nord-ouest – sud-est, un pavement est disposé ; s’ensuit l’aménagement des parois. La tombe la plus remarquable (FT1339) possède un double parement de dalles d’orthostate, posées de chant sur le sol et en continu sur le pourtour. Elle était au centre d’un enclos fossoyé oblong, palissadé, de plus de 16 m de long pour près de 7 m de large.
6Enfin, deux enclos quadrangulaires fossoyés, de 8 à 9 m de côté, se situent au sud et au sud-ouest (à 60 m ; voir fig. 2) de cet ensemble funéraire du Bronze (enclos 1 et 2). Le second enclos a livré trois crémations en fosse et en urne. Une attribution à la période de La Tène ancienne est la plus probable.
7Le site du Vigneau est situé à l’extrémité sud-ouest du territoire de la commune de Pussigny, au sud du département d’Indre-et-Loire et de la région Centre-Val de Loire, en limite avec le département de la Vienne en région Nouvelle-Aquitaine (fig. 1). La parcelle est au sud – et en contrebas – de la ferme du Doux (ou de Doue ou Doué ou encore Doulx), laquelle est placée sur un point haut (105 m NGF) dominant un paysage de vallons découpant une cuesta qui descend régulièrement vers le nord-est et la vallée de la Vienne. Cette dernière est distante à l’est d’environ 4 km. Le point de confluence avec la Creuse est à peine 1 km plus au nord.
8La parcelle étudiée occupe un versant orienté au sud-ouest avec une pente d’abord assez forte (passage d’environ 90 à 86,50 m NGF sur 150 m de distance) puis plus douce, jusqu’à un replat entre 86,50 et 85 m NGF. Le point haut de Doux correspond à une table de « tuffeau jaune de Touraine » (partie supérieure de l’étage turonien, C3c). Cette roche calcaire est une biocalcarénite dure, à grain grossier (Alcaydé 1977), qui peut contenir parfois des silex à patine noire. Elle peut être affectée par de la silicification. Le versant en contrebas correspond à un substrat de tuffeau blanc, à savoir une craie micacée du Turonien (partie moyenne, C3b). C’est un calcaire tendre, poreux, gris, blanc ou beige. Cette roche a été activement exploitée comme pierre à bâtir, notamment dans la région de Sainte-Maure-de-Touraine (Indre-et-Loire) et vers Châtellerault (Vienne). Elle se taille très facilement lorsqu’elle possède encore son eau de carrière et durcit ensuite en séchant à l’air. C’est dans cette roche qu’ont été creusés les souterrains médiévaux. Elle est également utilisée pour une partie des moellons antiques. L’autre partie est en tuffeau jaune sain ou silicifié.
- 2 Étude réalisée par Philippe Gardère, Inrap Tours (Landreau, Couvin 2011, p. 62-88).
9Il faut souligner que la couverture sédimentaire et pédologique est de faible puissance. D’après l’analyse globale du secteur lors de l’opération de diagnostic archéologique2, la tranche sédimentaire est souvent perturbée par les labours et, lorsqu’elle est plus importante, elle débute au contact avec le calcaire par une zone d’altération marneuse (plus riche en argile). Ce niveau serait alors immédiatement surmonté par un ensemble colluvial (emballant de fréquentes blocailles) produit par l’érosion des versants. De fait, les vestiges archéologiques sont très arasés et seules les structures en creux sont bien préservées.
10Avant que les fouilles archéologiques préventives réalisées sur la LGV ne renouvellent intégralement notre vision de l’occupation humaine du secteur de Pussigny, ce territoire était surtout connu des archéologues pour le dolmen du hameau de Doux, appelé la « Pierre Levée », situé à environ 150 m à l’est de l’emprise de fouille. C’est un dolmen circulaire dont la table, de 3,40 m de long, est inclinée vers l’ouest et supportée par six piliers rangés en cercle. Il est ouvert à l’est. Il a été anciennement fouillé, fournissant des silex taillés, du bronze et des ossements (Cordier, Millotte 1961). Un menhir, détruit entre 1894 (inventaire Bousrez) et 1923 (inventaire Dubreuil-Chambardel), l’accompagnait autrefois. Il était situé près de la « ferme de Doux ».
- 3 Le hameau de Doux faisait partie de cette commune jusqu’en 1825.
- 4 Le mot de « fanum » est parfois utilisé par pure commodité, tout en gardant en mémoire toutes les a (...)
11À l’époque romaine, le territoire de Pussigny s’inscrit dans la cité des Turons (chef-lieu Tours/Caesarodunum). L’agglomération dite « secondaire » la plus proche serait celle de Nouâtre (Cribellier, Roux 2011), sur le tracé de la voie Tours-Poitiers. Cette voie s’apparente à une chaussée empierrée longée par des fossés bordiers (voir la contribution de S. Philippon dans Boucher, Michaux 2012). L’occupation du sol de la cité est caractérisée par de nombreuses fermes modestes et, dans une bien moindre mesure, par des villae parfois remarquables par leurs dimensions et leurs équipements. Citons le site des Chirons (ou de la Grille) à Antogny-le-Tillac3 (Indre-et-Loire), à environ 1 km au sud du site du Vigneau, où les prospections aériennes, géophysiques et pédestres ont révélé, 50 m au nord d’un fanum4, ce qui semble être le tracé d’une grande cour (de 60 m de côté) entourée de bâtiments (Provost 1988, p. 40). Au sol ont été trouvés des fragments de tuiles à rebord et de sigillée de la fin du iie s. apr. J.-C., et une pierre avec échancrure pouvant appartenir à un pressoir à vin (un des indices possibles de la viticulture dans la région ; Ferdière 2007). Un rapprochement a été fait entre ce site et la découverte en 1933 d’une « jarre » contenant 48 kg de monnaies romaines frappées, semble-t-il, entre 260 et 290 (Delauné 1975, p. 831).
12Des prospections aériennes ont par ailleurs révélé dans la région de nombreux fana, considérés comme ruraux, le long des vallées surtout, ainsi qu’en bordure méridionale de la cité (voir la carte de la région Centre dans Fauduet 2010, p. 326). Celui des Chirons mesure 19 × 14 m ; il est orienté nord-ouest – sud-est, avec une ouverture signalée à l’est par deux bases de colonnes (Provost 1988, p. 40).
13La région subit ardemment les vicissitudes de la fin de l’Empire romain, se situant à la frontière entre le royaume wisigoth au sud et le royaume franc de Neustrie au nord. La situation se stabilise au viiie s. Une occupation carolingienne pourrait être attestée à Pussigny, le docteur Dubreuil-Chambardel y ayant fouillé un cimetière attribué à cette époque, avec plus d’une cinquantaine de sarcophages trapézoïdaux en pierre de Sainte-Maure (Dubreuil-Chambardel 1910 ; Bugiel 1927).
14On ne peut envisager le contexte archéologique du site du Vigneau sans évoquer les découvertes réalisées à proximité lors des opérations préalables à la construction de la LGV Tours-Bordeaux. Il y a en effet dans ce secteur de Pussigny une rare densité de vestiges.
15De l’autre côté du chemin de Doux et de la crête de la colline, à l’est, les parcelles de la Pierre Levée et du Fond d’Arrêt ont été fouillées par une équipe de Paléotime, sous la direction de Marie Laroche (Laroche et al. 2014). Aucune découverte de la période antique n’est à signaler, mais vers le bas de pente, c’est une occupation à la transition âge du Bronze final et premier âge du Fer qui a été détectée. Tout le reste de l’emprise est concerné par une occupation du Néolithique final : au moins trois bâtiments, ainsi que des concentrations de mobilier.
16Au nord-est, le vallon de Grouet est encaissé d’au moins 10 m et se connecte au nord avec la vallée de la Vienne. Une fouille s’est déroulée sur près de 1 km de long, pour une surface de plus de 8 ha (Joly 2014). Elle a été réalisée par une équipe de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) dirigée par Stéphane Joly. L’épaisse stratigraphie conservée, atteignant parfois 3 m, a enregistré les traces des multiples occupations humaines au cours des 13 000 dernières années. Il y a notamment un petit ensemble funéraire du Néolithique moyen, comprenant trois monuments empierrés, ou tumulus, et un petit coffre formé de dalles de calcaire. Les traces d’occupation de l’âge du Bronze sont rares, au contraire de celles de l’âge du Fer : une palissade du Hallstatt C2-D1 a notamment été trouvée, ainsi que des silos de La Tène B. Les vestiges de l’occupation romaine correspondraient surtout à des aménagements hydrauliques en lien avec le fond du vallon.
17Le site du Vigneau s’inscrit finalement dans un paysage archéologique beaucoup plus riche que ce qui était attendu, mais si toutes les époques sont représentées, les vestiges romains restent assez ténus et dessinent une occupation principalement rurale selon une densité et une structuration qui nous échappent encore, car trop peu perceptibles. De fait, dans ce paysage antique, les vestiges du Vigneau semblent de facto constituer un voire deux pôles d’occupation remarquables.
18Dans un premier temps, seront présentés le temple et les découvertes réalisées à l’intérieur de l’enceinte (fosses de plantations, fosses rituelles, etc.), puis les voies, et ensuite l’ensemble des bâtiments occidentaux.
19Le sanctuaire (bât. A) est composé d’une cella (Pce 1698) séparée de la cour (Pce 1700) par une galerie (Pce 1699) visible du côté occidental (fig. 4). L’ensemble est complété à l’ouest par un portique à deux nefs : les pièces 1701 à l’est et 1702 à l’ouest.
Fig. 4 – Plan de détail du secteur du sanctuaire du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
Avec les numéros des structures évoquées dans le texte.
DAO : A. Coutelas (Arkemine SARL).
20Les structures maçonnées sont fortement arasées (fig. 5). Seul un niveau de pierres ou cailloux, correspondant au radier de fondation ou au soubassement, a généralement été observé. De nombreux vestiges liés à l’occupation de l’édifice ont néanmoins pu être mis en évidence.
Fig. 5 – Vue du sanctuaire du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire) depuis le sud
Avec au premier plan à gauche les ornières de la voie 1, puis la fosse 1252 en passe d’être fouillée. Au fond, le bosquet correspond au point haut de la ferme de Doux.
Cliché : S. Painsonneau (Arkemine SARL).
21L’aire du temple n’est pas parfaitement horizontale, la pente générale du terrain est encore notable, mais un creusement du substrat sur environ 0,25 m de profondeur a permis de réduire l’effet de relief, plus marqué à l’origine vers l’angle nord-est. La base des murs adjacents se retrouve de fait en hauteur par rapport au sol de l’esplanade. Cette différence a permis la conservation de deux niveaux limoneux (FT1123) comportant des pierres calcaires, du mortier de chaux et quelques petits fragments de tuiles (dont une moitié de tegula). Il s’agit des vestiges les plus lisibles de la phase d’abandon du site. D’autres indices ont été repérés dans la nef occidentale du portique, là encore directement sur le substrat calcaire.
- 5 Toutes les autres maçonneries du sanctuaire possèdent ces mêmes orientations.
22Au centre de la cour, la cella (Pce 1698) se compose de quatre pans de murs liés entre eux. Les grands côtés sont orientés nord-nord-ouest – sud-sud-est (plus précisément 14°O), tandis que les petits côtés sont orientés ouest-sud-ouest – est-nord-est (exactement 76°E)5. La structure est plus quadrangulaire que rectangulaire. Sa longueur est au maximum de 6,70 m, mais en moyenne de 6,60 m, alors que sa largeur varie de 6,10 m au nord à 5,70 m au sud. L’espace interne mesure à peu près 4,20 × 4,90 m, soit 20,60 m2. Son comblement n’était pas conservé et aucune structure maçonnée ou creusée n’y a été détectée. Quant aux murs, ils ne consistent qu’en un radier ou hérisson de pierres – en calcaire plus ou moins silicifié et rubéfié, souvent en dallettes de 7 et 20 cm de long – placées généralement en oblique et liées avec de la terre. On n’observe pas de réelle tranchée de fondation, parfois seulement un léger creusement (10 cm) dans le substrat.
23La galerie du temple (Pce 1699) n’est que partiellement visible. Elle est matérialisée à l’ouest par deux pans de mur, tous deux en équerre, MR1077 au sud et MR1763 au nord, révélant une galerie de largeur constante d’environ 2,45 m. Ces murs sont larges de 0,60 m (2 pieds). Leur section nord-nord-ouest – sud-sud-est est longue d’environ 5 m tandis que leur retour vers l’est ne mesure que 2,80 m. Cela laisse une ouverture d’environ 2,75 m dans la galerie à l’ouest, dans l’axe de la cella. Les murs correspondent à des radiers de cailloux et cailloutis calcaires (calcaire du substrat ou coquillier, non pas silicifié comme pour la cella). Ils ne sont pas systématiquement installés dans une tranchée, ou alors une tranchée légère de moins de 6 cm de profondeur. Cette tranchée est plus nette pour le mur 1763 : elle s’interrompt à l’est en même temps que le radier, ce qui indique qu’il s’agit peut-être de l’extrémité originelle du mur, et pose la question de l’extension réelle de cette galerie périphérique.
24Le sol ou comblement de la galerie n’a pas été conservé, tout juste a-t-on pu mettre en évidence des lambeaux de terre argileuse brune, à rares petits éclats de terres cuites architecturales (TCA), sans autre mobilier, reposant sur le substrat calcaire.
25Le mur d’enceinte oriental (MR1107) est mal conservé, visible sur une section longue au nord de 10 m, avec une lacune liée au passage de la tranchée de diagnostic et à sa fouille. Il s’agit d’un radier de pierres large de 0,80 m, posé sur un niveau épais de 20 cm de terre grasse avec nodules calcaires, au-dessus du substrat nivelé. Les pierres sont en calcaire coquillier, de 6 à 16 cm de long. Le liant est principalement terreux, mais avec de nombreux vestiges de mortier jaunâtre, fait de chaux et de sable silico-calcaire. Ce MR1107 est lié au mur d’enceinte nord (MR1122), qui fait 42 m de long si l’on intègre le portique double, et 0,75 m de large. Le mur est en grande partie à fondation légèrement creusée dans le substrat calcaire altéré. Elle débute par un hérisson de calcaire silicifié, de 20 cm d’épaisseur, puis la maçonnerie est un mélange de calcaire coquillier et de calcaire silicifié lié par du mortier de teinte jaune, fait de chaux et de sable, identique à celui de MR1107. Le contact avec le mur ouest de la cour MR1214 n’est pas conservé, du fait de la présence de la fosse 1335. En revanche, il est lié au MR1223, mur central du portique double.
26Le mur sud de l’enceinte, MR1067, n’a été retrouvé à la fouille que sur 30 m de long. Son mortier de chaux et de sable, visible en de rares endroits, est identique à celui des murs 1107 et 1122. L’angle avec MR1223 est traité en chaînage, avec des moellons assez mal équarris de calcaire coquillier, posés à plat, de 20 × 25 cm en moyenne.
27Le mur central du portique double (MR1223) fait environ 0,65 m de large, pour 30,50 m de long. Il ne montre pas réellement d’assise, mais le premier rang de fondation témoigne parfois d’une organisation en épis des pierres calcaires. La tranchée de fondation est étroite, de 10 cm de profondeur et à fond plat. Les pierres, faisant de 6 à 15 cm de long, sont principalement en calcaire coquillier fin, sinon silicifié. Aucune trace de mortier de chaux n’a été décelée.
28Les murs 1227 à l’ouest et 1214 à l’est ont globalement les mêmes caractéristiques que ce dernier. Ils se présentent surtout sous la forme d’une fondation de cailloux et moellons mal équarris en calcaire coquillier parfois silicifié. Un rang d’opus incertum à moellons mal équarris et mal agencés apparaît parfois, avec chaque fois un liant terreux.
- 6 Un module de 14 pieds pourrait correspondre à une perche de 10 pieds (decempeda) associée à une aun (...)
29L’espace rectangulaire délimité par le péribole mesure environ 42 × 30,50 m, soit une superficie de 1 280 m2. Ces mesures correspondent à 142 pieds de long et 103 pieds de large, soit environ 14 625 pieds carrés, c’est-à-dire à peu près un arpent (14 400 pieds carrés). Les deux nefs du portique double mesurent chacune 4,15 m de large, soit 14 pieds. On notera que la galerie fait 12,60 m de long en façade ouest, soit trois fois la largeur de chaque nef (42 pieds). Cette galerie est large d’un peu plus de la moitié de la cella, ce qui reste commun (Fauduet 2010, p. 126). Enfin, la distance entre le mur oriental du portique (MR1214) et la galerie est en moyenne de 8,50 m, ce qui fait environ 28 pieds. Ainsi, si le module de 14 pieds ne régit pas l’ensemble de la construction6, on notera néanmoins son importance pour la réalisation du portique double et de la galerie.
30Le sanctuaire recèle un grand nombre de structures (fig. 4). Il s’agit essentiellement de fosses, mais des trous de poteau et d’autres traces d’occupation ont été mis en évidence. Les plus grandes concentrations se situent dans les angles nord-ouest et sud-ouest de la cour (Pce 1700).
31Une de ces structures est en lien avec la construction du temple. Il s’agit de la fosse 1076, située dans le péribole, à 3 m du mur de galerie MR1077 et à environ 4,50 m du mur de portique MR1214. Comme toutes les autres structures en creux, cette fosse est creusée dans le substrat calcaire. Elle est rectangulaire et mesure 1,10 × 0,80 m, pour une profondeur de 12 cm. Ses parois sont obliques et son fond est plat. Elle est entièrement comblée de chaux, plus précisément de chaux éteinte indurée avec quelques petites pollutions de terre chauffée et quelques fragments de calcaire mal cuit ou surcuit. Des traces digitées sont visibles à la surface, réalisées avant durcissement complet de la masse de chaux et figées lors de sa carbonatation. Cette structure est un bac ou une cuve à chaux (Coutelas 2008), généralement établie après le chantier originel de construction afin de servir de réserve de chaux pour l’entretien de l’édifice. De fait, son emplacement à proximité de la cella surprend quelque peu.
- 7 Voir l’étude de Camille Galouye dans Coutelas et al. 2015, vol. 3, ann. 1.
32Quelques structures participent de l’aménagement du lieu. Il s’agit d’un ensemble homogène de fosses : même orientation pour chacune, mêmes dimensions, même morphologie, organisation régulière et comblement pauvre en mobilier (fig. 6). Quatre fosses forment un premier alignement, parallèle au mur sud de la cella du temple (FS1064, FS1068, FS1069 et FS1070). Elles se situent environ 3 m au sud de l’hypothétique tracé du mur méridional de la galerie. Elles sont grossièrement rectangulaires de 0,52 à 0,65 m de long pour 0,25 à 0,34 m de large et 14 à 25 cm de profondeur. Leurs parois sont verticales et leur fond irrégulier avec des dépressions plus marquées aux deux extrémités. Ces éléments évoquent des fosses de plantation, et plus particulièrement de plantation de vigne de type « alvei » dans lesquelles on dispose un plant à chaque extrémité (Boissinot 2001 ; Garcia et al. 2010). Les trois dernières fosses sont espacées de 3 m environ (soit 10 pieds), et les fosses 1064 et 1068 sont espacées de 6,50 m environ, soit la distance entre les fosses 1068 et 1070. On pourrait donc supposer qu’une autre fosse se trouvait à mi-distance entre les fosses 1064 et 1068, mais la fouille n’en a pas révélé de trace. Ces différentes structures sont comblées par un limon brun meuble homogène avec de nombreuses inclusions de calcaire. Seule la fosse 1068 a livré du mobilier : un fragment de pot en céramique non tournée de type Besançon, une production diffusée dans le centre de la Gaule à la fin de la période gauloise et durant l’époque augustéenne7.
Fig. 6 – Plan simplifié du sanctuaire du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire) avec les structures principales
A, proposition de restitution de l’état augustéen ; B, photo de la fosse de plantation 1070 ; C, photo de la fosse de plantation 1069.
DAO : A. Coutelas (Arkemine SARL) ; clichés : C. Hervé (Archéoloire).
33Environ 3,20 m au sud de la fosse 1070, la fosse 1110 semble pouvoir être associée à ce premier groupe, de même que la fosse 1072, environ 2 m à l’ouest. Cette dernière contient un fragment d’amphore et des tessons d’un vase conique d’une forme proche de la forme Santrot 117, datable de la période augustéenne. Les fosses 1074, 1075, 1131, 1132 et 1133 forment un alignement perpendiculaire au premier, orienté précisément de 14°O, et situé à environ 3 m du mur ouest de la galerie. Les fosses ont la même orientation que les précédentes et sont espacées entre elles de nouveau d’environ 3 m. Néanmoins, 9 m séparent les fosses 1075 et 1131, aucune structure de ce type n’apparaissant ainsi dans l’axe de la cella. La fosse 1131 se distingue un peu du lot avec une excroissance au sud, peut-être un recreusement ou une reprise. La fosse 1540 a peut-être été creusée dans le même temps. Elle se situe juste au sud-ouest de la fosse 1132.
34Enfin, on observe un alignement complémentaire, beaucoup moins riche de structures, avec les fosses 1228, 1451, 1209 et 1603, alignées de nouveau selon une orientation de 14°O, à 3,25 m du précédent alignement et à 1 m à l’est de MR1214.
35Outre les fosses de plantation, l’aire du sanctuaire est poinçonnée de multiples fosses contenant plus particulièrement des restes d’animaux (tabl. I et fig. 7), présentés dans le chapitre suivant. Hormis quelques fosses à l’est de la cella, toutes se placent dans les angles nord-ouest et sud-ouest de la cour, avec des « extensions » au nord et au sud de la nef orientale du portique. La plupart d’entre elles suivent la même orientation que les fosses de plantation.
Tabl. I – Caractéristiques principales des fosses situées dans l’aire du sanctuaire
AC : archéologiquement complet ; CCT : céramique commune tournée ; CCST : céramique commune semi-tournée ; NR : nombre de restes ; PM : peinture murale ; fgt : fragment ; teg. : tegula ; imb. : imbrex ; indét. : indéterminé ; amph. : amphore ; TPQ : terminus post quem.
Fig. 7 – Exemples de fosses du site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
A, FS1213 à dépôt de faune et comblement de moellons ; B, FS1211 à comblement de fragments de tuiles.
DAO : A. Coutelas (Arkemine) ; cliché A : M. Bandiera (Archéoloire) ; cliché B : C. Hervé (Archéoloire).
36Dans la zone au sud-ouest de la cour se trouvent plusieurs fosses oblongues au comblement contenant seulement des restes fauniques. Il s’agit des fosses 1203, 1204, 1205 et 1514. Par exemple, FS1514 mesure 0,80 m de long pour 16 cm de profondeur. Elle montre des parois obliques et un fond plat. Son comblement est le plus complexe du lot avec un niveau de limons brun gris, à inclusions calcaires puis, au centre, une concentration d’os animaux (caprinés). Un peu de verre accompagnait l’ensemble. Le comblement supérieur, contenant quelques fragments de tuiles, a révélé trois tessons de céramique tournée fine (dont un fragment de pot).
37D’autres structures à proximité se caractérisent par une forte teneur en TCA au sein du comblement. C’est par exemple le cas de FS1513, qui recoupe par le sud FS1514. Elle est orientée perpendiculairement, presque nord-sud. Oblongue, elle fait 0,80 × 0,60 m pour 20 cm de profondeur. Son profil montre des parois obliques et un fond plat. Elle est comblée par un limon brun noir compact et homogène avec quelques pierres calcaires (moellons ?) et de nombreux fragments de TCA, notamment des angles de diverses tegulae. Plus au nord-ouest, dans la fosse 1211, la TCA est en revanche posée à plat et le long des parois.
38La majorité des structures se caractérise toutefois par un comblement mêlant faune et TCA. La fosse 1469 en est un exemple. De forme ovale, elle mesure 0,85 m de long pour 0,41 m de large et 0,22 m de profondeur. Son creusement présente des parois verticales et un fond irrégulier. Son comblement se compose d’un limon argileux brun noir compact et hétérogène avec des inclusions de calcaires. Le mobilier comprend 5 fragments de tegulae et 1 d’imbrex, 33 restes de faune et 1 fragment d’assiette en tournée fine fumigée, de forme similaire au type Menez 2 datable de la fin du iie à la première moitié du iiie s. Citons aussi la structure 1212 dont le comblement a livré quelques vestiges de caprinés, des fragments de tegulae et de la céramique, dont des fragments de cruche ayant subi le feu et un tesson de sigillée au décor typique des Drag. 24/25 (premier quart du ier au iie s. apr. J.-C.). La structure 1208 a livré 8 fragments participant d’un tripode de type Sellès 821.4 caractéristique du début du iiie s. Plus singulière, la fosse 1584 est située contre le mur d’enceinte méridional (MR1067), postérieure à celui-ci, et comporte plusieurs moellons calcaires. La géométrie du dépôt permet de supposer qu’une bonne part provient de l’effondrement du mur adjacent. On note aussi plusieurs fragments de tuiles et de la faune. Cette fosse n’a pas livré de mobilier céramique, en revanche elle a fourni des éléments originaux : une monnaie (un sesterce dont le TPQ est fixé au milieu du iie s.), trois petits fragments de peinture murale et un fragment d’une baguette d’ambre de 0,70 cm de diamètre.
- 8 Datation AMS Beta-395777, âge 14C AMS conventionnel : 1820 ± 30 BP.
39Certaines fosses se distinguent par leur richesse en mobilier archéologique, notamment en faune. Il s’agit par exemple de FS1213, plus à l’ouest, à 1 m de MR1214. Elle est assez irrégulière d’ouverture et de profil, mesurant près de 2 m de long pour 1,30 m de large et 0,30 m au maximum de profondeur. Son comblement principal a livré plus d’un millier de restes de faune. Des fragments de tegulae (un seul d’imbrex) étaient aussi présents, ainsi que des moellons calcaires en partie supérieure et de la céramique commune tournée. Quelques clous en fer et un petit fragment de plaque en alliage cuivreux complètent l’ensemble. Située non loin, FS1455 est riche d’ossements plutôt concentrés vers le cœur de la fosse et de fragments de tegulae. Une datation radiocarbone8 sur charbons indique un intervalle principal de 135-240 apr. J.-C.
40Enfin, quelques fosses sont apparues dénuées de mobilier archéologique. Celui-ci a peut-être été disposé en partie supérieure du comblement, disparu depuis ; il s’agissait peut-être également d’éléments organiques non conservés (céréales, végétaux, etc.).
41Toutes ces catégories de fosses se retrouvent dans des proportions équivalentes. Il faut néanmoins souligner que les structures les plus éloignées des deux concentrations ne contiennent pas de vestiges fauniques.
42Quelques éléments de datation complémentaires proviennent du secteur nord-ouest ainsi que de la nef orientale. La fosse 1216 contenait deux tessons de céramique, notamment un fragment de sigillée montanaise du ier s. apr. J.-C. La fosse 1325 a livré de la terra nigra, dont un bord d’assiette et un bord de gobelet daté entre 40 et 70 apr. J.-C. (Cette forme a aussi été trouvée dans la fosse d’installation du puits 1705, dans le secteur des « bâtiments occidentaux » ; voir infra, § 101.) Un indice de fréquentation tardive est donné par une monnaie de Valentinien I découverte entre la fosse 1634 et le mur oriental du portique.
- 9 Voir l’étude réalisée par l’auteur dans Coutelas et al. 2015, vol. 3, ann. 9.
43La fosse 1335 contenait surtout de la céramique commune tournée, avec tout de même le fragment d’un bol sigillée de type Drag. 27, dont la rainure sur la paroi intérieure à hauteur de la lèvre est typique des productions datant de l’époque pré-flavienne. Néanmoins, la céramique découverte lors du diagnostic renvoie vers des contextes iie-iiie s. pour cette fosse. Elle est de forme allongée et polylobée, longue de 2,80 m et large de 0,80 m pour une profondeur moyenne de 0,20 m. Elle est centrée sur le mur oriental du portique (MR1214) qu’elle recoupe. Son comblement limoneux contenait des pierres de calcaire gréseux (moellons), de nombreuses TCA dont certaines archéologiquement complètes9, et beaucoup d’os d’animaux. La fouille a révélé une concentration dans la moitié orientale, sorte de dépôt « en vrac ».
44Les 41 fosses étudiées (auxquelles il faut ajouter le puits PT1705) ont livré de grandes quantités d’os et de dents d'animaux. L’ensemble représente en effet plus de 20 700 restes pour près de 25 kg. Certaines structures se distinguent par leur richesse : FS1213, FS1221, avec plus de 1 000 restes chacun, et particulièrement FS1335, qui est la plus fournie avec plus de 12 000 restes (tabl. II). Les autres en livrent quelques centaines, voire quelques dizaines seulement. À l’échelle du site, les fortes concentrations s’observent dans les angles nord-ouest et sud-ouest du temple (fig. 8), en lien sans doute les activités qui s’y déroulent. Dans la majorité des cas, il s’agit de vestiges déconnectés, fragmentés, parfois découpés et trouvés en vrac dans les comblements. Seuls quelques éléments du bœuf de la FS1202 (voir infra) et quelques pieds de mouton (métapodes et phalanges) ont été trouvés en connexion. Les conditions taphonomiques ont passablement altéré les surfaces osseuses mais, dans l’ensemble, la conservation des restes est assez bonne. La fouille a permis la récolte des plus petits éclats d’os, parfois millimétriques, ce qui a entraîné un taux d’indéterminés important, autour de 80 % des restes. En moyenne, ces petits fragments pèsent moins de 0,40 g. Ils n’ont certes pas été reconnus anatomiquement, mais ils appartiennent à du petit bétail, très probablement à des caprinés. Pour ce qui concerne les os déterminés, 96 % (3 774 restes pour un minimum de 33 individus) proviennent du mouton (Ovis aries) et de la chèvre (Capra hircus). Les autres taxons reconnus sont le bœuf (Bos taurus, 140 restes, soit 3,50 %), le porc (Sus scrofa domesticus, 16 restes, soit 0,20 %), les équidés (Equus sp., cheval ou mule, 2 restes), l’huître (Ostrea edulis, 15 valves) et l’oiseau (2 petits os). L’une des caractéristiques principales de l’ensemble est donc l’écrasante domination des caprinés. Ce taxon regroupe le mouton et la chèvre, qui sont parfois difficiles à différencier à partir de matériel fragmenté, mais certains critères de diagnose permettent de le faire. Il apparaît que le mouton est majoritaire. Seuls 11 dents et os isolés appartiennent de manière presque certaine à la chèvre. Quelques cas demeurent tangents (33 restes), mais le mouton domine à hauteur de plus de 99 %.
Tabl. II – Répartition en nombre de restes (NR) et masse de restes (PR ; en grammes) des os et dents d’animaux en fonction des taxons et des structures
Fig. 8 – Répartition topographique de la masse des ossements de caprinés dans le temple du site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
DAO : S. Lepetz (CNRS).
45La répartition des espèces n’est pas homogène sur le site. Le bœuf n’est présent que dans quatre structures : FS1202, FS1213, FS1258 et FS1335. Dans les fosses 1202 et 1335, il s’agit des restes de quelques morceaux de veaux découpés et de bas de pattes. Par ailleurs, le porc n’a été trouvé que dans ces deux fosses. Les quelques huîtres sont isolées dans des structures dépourvues d’autres vestiges animaux.
46La taille des moutons est celle habituellement rencontrée à cette époque (Lepetz 1996). Une petite quarantaine d’os complets (36 métapodes, 2 radius et 1 tibia) permet d’évaluer la taille moyenne au garrot (coefficients de Teichert 1975) à 64,10 cm (min : 56,80 cm ; max : 71,90 cm).
47L’éclatement des mandibules et la dispersion des dents auraient pu rendre difficile l’estimation des âges des moutons, mais l’ampleur de l’assemblage et ses caractéristiques permettent tout de même de dresser un tableau assez fidèle de l’abattage. Un moyen d’évaluer l’âge des animaux est d’étudier l’état épiphysaire de leurs os (Barone 1976 modifié avec Silver 1969). Sur le site, plus de 1 200 pièces osseuses sont utilisables. Au total, moins de 2,50 % d’entre elles proviennent d’animaux de moins de 1 an ; environ 8 % proviennent d’animaux de 1 à 1,5 ans et moins de 14 % d’animaux de 1,5 à 3,5 ans (fig. 9A). En fait, les trois-quarts des bêtes ont plus de 4 ans.
48L’analyse des dents confirme les données osseuses. La présence de 8 troisièmes molaires déciduales et de 38 troisièmes molaires (M3) définitives révèle la domination des animaux de plus de 2 ans (fig. 9B). Parmi ces derniers, le niveau d’usure des M3 renvoie quasiment exclusivement à des individus de plus de 3-4 ans, majoritairement même à des caprinés de plus de 4 ans et dont quelques-uns pourraient avoir 6-10 ans (Payne 1973). Il s’agit donc principalement d’adultes qui ont pu avoir fourni avant leur abattage, leur lait et leur laine. L’analyse des coxaux a révélé par ailleurs que les deux sexes étaient présents.
Fig. 9 – Étude des âges des moutons du site de Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
A, estimation des âges des caprinés à partir de l’état d’épiphysation des os ; B, décompte des troisièmes molaires (M3) définitives en fonction de leur stade d’usure (code Grant 1982).
n : nombre d'os.
DAO : S. Lepetz (CNRS).
49L’analyse de la répartition anatomique des vestiges révèle qu’il n’y a pas de sélection de morceaux. Toutes les catégories de parties du corps sont présentes (fig. 10) : la tête, la colonne vertébrale, y compris la queue, les membres et les bas de pattes. Mais elles ne le sont pas de manière équivalente. Certains os sont moins bien représentés que d’autres : c’est le cas des plus petits (vertèbres caudales, les petits os des poignées). Ce déficit est habituel et lié à la récolte différentielle. C’est le cas aussi des crânes, des vertèbres (thoraciques et lombaires) et des côtes qui ont pu être rejetés ailleurs, au moment de la découpe ; mais il faut surtout mentionner qu’ils sont plus fragiles, se détruisent plus facilement et sont souvent déficitaires dans les assemblages archéologiques. D’ailleurs, la présence de mandibules (en fait, les dents inférieures) et celle, importante, des deux premières cervicales compense un peu cette impression de déficit en tête et en colonne vertébrale. Pour ce qui concerne les bas de pattes, les tarses, métapodes et phalanges sont présentes à un niveau globalement similaire à celui des os longs (mis à part les phalanges 3, plus petites, plus fragiles et plus facilement oubliées à la fouille). Toutes les parties du corps sont donc bien présentes. Enfin, il n’y a pas eu de sélection de latéralité des os. Les parties droites et gauches sont représentées de manière équivalente.
Fig. 10 – Répartition anatomique des ossements de caprinés sur le site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire) en fonction du nombre minimum d’individus représentés et de leur latéralité
On remarque un équilibre droite/gauche et une absence de sélection anatomique.
DAO : S. Lepetz (CNRS).
50Malgré la dégradation des surfaces osseuses, il a été possible d’observer des traces de découpe. Certains os (notamment de bas de pattes) présentent des traces fines de désarticulation faites au couteau et quelques autres (des vertèbres, des os longs) présentent des marques plus profondes. Les os longs (correspondant aux cuisses, épaules, membres) sont systématiquement brisés au niveau de leur diaphyse, révélant une mise en pièce des quartiers de viande et leur détail. Il y a donc eu une préparation de la viande qui, en toute logique, a dû être suivie d’une consommation. Cette fragmentation concerne beaucoup moins les métapodes (qui sont des os des bas de pattes) qui ont souvent été trouvés entiers.
51L’impression est donc celle de rejets de restes de repas, constitués de morceaux de viande issus de la découpe de caprinés (essentiellement des moutons adultes). Certains segments anatomiques (bas de pattes et queues) ont pu soit être des déchets de la découpe primaire soit des parties consommées. Le lieu d’enfouissement n’est sans doute pas très éloigné du lieu de consommation, lui-même situé non loin du lieu d’abattage et de découpe.
52De par son comblement, la fosse 1202 se distingue de tout cet ensemble de fosses. Elle se situe dans la concentration de structures au sud-ouest de la cour, un peu en périphérie à l’est. Rectangulaire, orientée est-ouest, elle mesure 1,47 m de long pour 0,66 m de large et 0,50 m de profondeur. C’est à la fois l’une des plus grandes et l’une des plus profondes du sanctuaire. Les parois latérales sont verticales, les extrémités sont plus obliques et le fond est plat. Une première couche de comblement, épaisse de 15 cm, correspond à un dépôt d’un peu de mobilier céramique (2 fragments d’un gobelet en tournée fine grise) et, surtout, de restes d’un jeune bœuf (possiblement un mâle d’après la forme du pubis) d’environ 20-24 mois (fig. 11). La tête et les mandibules ont été posées sur les os des quatre membres. Les os longs sont tous présents (scapula, humérus, radio-ulna, coxal, fémur, tibia, métapodes), ainsi qu’une bonne partie des plus petits (phalanges, sésamoïdes et os du carpe). À part un calcanéum, les tarses sont manquants. La colonne vertébrale et la cage thoracique sont absentes (excepté des fragments de 2 vertèbres et de 5 côtes qui pourraient par ailleurs provenir d’un autre individu). Des traces de découpe au niveau des articulations (extrémité distale des fémurs, des humérus, sur les scapulas et un coup porté sur le col de l’ilium du coxal gauche) attestent une mise en quartier. Les os ne sont pour autant pas mis en pièces et ont été trouvés complets (sauf le coxal). En outre, la fouille a montré l’existence de quelques connexions anatomiques, notamment de pieds (métacarpe, métatarse et leurs phalanges associées), et du crâne associé à ses hémi-mandibules. Il n’est pas possible d’observer sur la tête des traces éventuelles de mise à mort, en revanche des incisions fines au niveau de la face palmaire d’une phalange antérieure indiquent clairement que les tendons ont été prélevés (fig. 12). Cette action, très habituelle dans le cas de la découpe des bovins, permet la récupération de tissus très utilisés dans l’artisanat (fabrication de fils solides) et a sans doute suivi celle de la levée de la peau.
Fig. 11 – Fosse 1202 du site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
A, plans de la fosse ; B, coupes de la fosse ; C, vue du dépôt de faune avec les vestiges du crâne d'un jeune bovin orientés vers l'ouest (en haut de l'image).
DAO : A. Coutelas (Arkemine ; cliché : C. Hervé (Archéoloire).
Fig. 12 – Parties anatomiques représentées chez le bœuf de la fosse 1202 du site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
En noir, os présents latéralisés ; en gris, os non latéralisés et non situés précisément. Les cercles rouges signalent l’emplacement des traces de découpe relevées. Une première phalange antérieure gauche présente sur sa face palmaire des fines traces de découpes, liées au prélèvement des tendons
DAO : S. Lepetz (CNRS).
53On ne peut pas exclure que la viande ait ensuite été prélevée, mais rien ne vient l’attester. En tout état de cause, si tel est le cas, la découpe aurait consisté à désosser assez finement les morceaux. La présence des bas de pattes en connexion, la disposition de la tête amènerait plutôt à envisager le dépôt de morceaux en chair ; les traces de mise en morceau, les déconnexions et le prélèvement de matière première, iraient dans le sens inverse.
54La fosse a également livré sept restes de porc et des vestiges de caprinés (n = 33, et un peu moins de 200 restes fragmentés de petit bétail) en tout point semblables (fragmentation, découpe, représentation anatomique) à ce qui est rencontré dans les autres fosses du site.
- 10 Datation AMS Beta-395776, âge 14C AMS conventionnel : 1780 ± 30 BP.
55Ces restes ont été enfouis d’abord avec un volume constitué essentiellement de nodules calcaires du substrat (sans doute le produit du creusement de la fosse), puis par une couche de limon. Cette dernière accueillait deux poteaux, comme semblent le montrer les creusements présents aux extrémités de la fosse, avec une couche de charbons au fond de l’un des deux. Ces poteaux servaient peut-être à signaler la structure. Cette couche de limon a livré de nombreux éclats de TCA : 12 éléments de tegulae et 4 d’imbrices, dont plusieurs portent des traces de chauffe après cassure. De la céramique en provient aussi, notamment des fragments d’une assiette (type Menez 5, fin iie-iiie s. apr. J.-C.), d’une coupe, de deux gobelets (dont un en terra nigra caractéristique de la période augustéenne) et d’une amphore. La datation radiocarbone10 de charbons issus de ce niveau a fourni un intervalle compris entre 135 et 335 apr. J.-C., avec notamment un pic vers 230-255 apr. J.-C., confirmant la probabilité d’une datation centrée sur le iiie s. apr. J.-C. pour le scellement de la fosse.
56Il faut souligner le faible nombre de recoupements entre les différentes fosses qui, lorsqu’ils se sont produits, n’ont concerné qu’une de leurs extrémités. En revanche, plusieurs indices d’antériorité ou de postériorité de fosses ont pu être mis en évidence par rapport aux maçonneries.
57Vers le sud, une large dépression de quelques centimètres de profondeur (associée à FS1209) est antérieure au mur de portique MR1214. Il en va de même pour la fosse 1215, située juste au sud-ouest de l’autre côté du mur, son extrémité orientale étant légèrement entaillée par la tranchée de fondation de la maçonnerie.
58Plusieurs fosses se situent au pied des maçonneries. On a évoqué plus haut FS1584, contre le mur d’enceinte méridional. La fosse 1328, quant à elle, a été creusée au pied du mur d’enceinte septentrional. Elle est comblée par deux couches, la première étant assez riche en fragments de tegulae et imbrices. De nombreux restes de faune étaient répartis dans les deux niveaux.
59Les autres structures sont postérieures aux murs, voire à leur abandon. La fosse 1657 a été presque entièrement installée au sein du mur oriental du portique. Elle est de forme carrée, de 0,45 m de côté. Son comblement comporte des blocs calcaires probablement issus du mur. On y a trouvé quelques restes de faune. Moins de 1 m au sud, la fosse 1221 coupe entièrement le mur MR1214. Quelques fragments de tuiles ont été trouvés, ainsi que de la faune.
60Plus au nord, la petite fosse – voire le trou de poteau – FT1655 recoupe MR1214. La structure est de forme circulaire, de 0,45 m de diamètre, à parois verticales. Le comblement montrait des traces de terre brûlée. Enfin, au nord, la fosse 1579 recoupe intégralement le mur d’enceinte ou de péribole (MR1122). Son comblement est riche en pierres calcaires (moellons provenant du mur), fragments de tegulae et un peu de faune.
61Quelques trous de poteau ont été trouvés parmi ces fosses. Creusés dans le substrat, ils sont ovales ou circulaires avec une ouverture moyenne de 0,30 m environ. Les parois sont verticales, le fond plat, à environ 10 cm de profondeur. Les éléments de calage sont rares ; il s’agit sinon de fragments de TCA. Ces structures sont pour la plupart isolées. Leur interprétation est, de fait, malaisée. Certaines pourraient être en lien avec la construction des maçonneries et la mise en place de perches pour l’échafaudage. C’est le cas pour les trous de poteau situés dans le portique double, ainsi que pour TP1127 et TP1129, alignés selon le même axe que les maçonneries de la galerie (MR1077 et MR1763), dont ils ne sont éloignés que de 1,50 m.
62La nef occidentale du portique double (Pce 1702), relativement pauvre en structures, a livré quelques vestiges de faible extension qui semblent participer d’un même aménagement maçonné (FT1337) au centre de l’espace, contre le mur oriental. Il se compose de deux alignements de moellons calcaires, perpendiculaires au mur et longs d’environ 1,25 m, séparés entre eux de 0,50 m seulement, avec au nord et au sud des volumes d’argile et limon ocre à inclusions de nodules de mortiers de chaux. Ces volumes correspondent à des remblais disposés afin de rattraper le niveau de sol de la nef orientale. Le tout se connecte au fait 1649, sorte de volume maçonné placé contre MR1223, de 1,50 m de long et 0,60 m de large, comblant une lacune au-devant du mur.
63La composition et l’emplacement de cette structure dans l’axe de la cella attestent d’un aménagement lié à l’accès à la nef orientale du portique, peut-être un seuil primitif et son encadrement. Deux monnaies ont été découvertes en surface, datant du milieu du ive s. (dont une de Magnence). Elles témoignent de la fréquentation tardive du lieu.
- 11 Datation AMS Beta-395775, âge 14C AMS conventionnel : 1720 ± 30 BP.
- 12 Nous en profitons pour remercier ici Christian Verjux (SRA Centre-Val de Loire) pour avoir formulé (...)
64La fosse 1252 se trouve à l’extérieur du temple, à l’ouest, mais elle semble appartenir au sanctuaire. Elle est très légèrement désaxée par rapport au temple. Son bord oriental est distant de 5 m de MR1227, son centre est à 5,90 m, soit 20 pieds. Le bord oriental de la fosse est à 29,70 m du centre de la cella, soit 100 pieds. La fosse est de forme grossièrement carrée, de 1,85 m environ de côté, pour 0,28 m de profondeur à la découverte. Ses parois sont verticales et son fond plat, le tout creusé dans le substrat calcaire. Elle contenait un bloc monolithique en calcaire coquillier mesurant 1,25 × 1,05 m pour 0,30 m environ d’épaisseur, avec une cupule en son centre de 0,45 m de diamètre et 4 cm de profondeur (fig. 13). Le bloc repose sur une mince couche de limon brun clair avec beaucoup d’éléments calcaires, dont un petit bloc qui sert à le stabiliser. Une fois le bloc installé, le reste de la fosse a été comblé par un limon argileux avec des pierres calcaires, contenant un fragment de tegula et de la céramique, notamment un fragment d’une coupe à engobe rouge, un bol de céramique métallescente et un morceau de fond d’un vase. Une datation allant de la seconde moitié du iie au milieu du ive s. apr. J.-C. peut être proposée. La datation radiocarbone des rares charbons retrouvés dans le comblement de la cupule ne contredit pas cet intervalle puisque la date11 de ce niveau est comprise entre le milieu du iiie et la fin du ive s. apr. J.-C. La taille importante de la dalle et sa forme peu régulière laissent penser à la récupération d’une pierre de mégalithe12.
Fig. 13 – Fosse 1252 du site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire) après sa fouille, avec son bloc encore en place, vue en direction du sanctuaire
Cliché : P. Dumas-Lattaque (Archéoloire).
- 13 La voie n’est pas visible plus à l’est, là où l’angle du péribole n’est plus conservé.
65Deux voies encadrant le sanctuaire ont été retrouvées à la fouille (fig. 4). La voie 1 est la voie qui longe le temple environ 3 m au sud pour ensuite se diriger vers les édifices situés plus à l’ouest. La portion conservée à l’est correspond grosso modo à la longueur conservée du mur sud de l’enceinte du temple13. Cette section est parallèle à MR1067, d’axe 75°E. Elle a été mise en place suite au comblement final du fossé nord (FO1448) de l’enclos 1. Elle est matérialisée par deux ornières de 1,50 m d’entraxe (centre à centre). Leur profil est en V à fond plat, creusé dans le substrat calcaire. Elles sont larges de 0,40 m environ et profondes de 10 cm. Elles sont comblées par un limon brun avec parfois des pierres calcaires et de la TCA. Le mobilier céramique est peu datant, indiquant une occupation du Haut-Empire, mais une monnaie découverte dans l’ornière septentrionale témoigne de la persistance de la voie à la fin du ive s. (monnaie de Gratien).
66Cette voie se poursuit à l’ouest sur près de 45 m de long (fig. 2). Globalement orientée est-ouest (86°E) pendant 24 m, elle s’infléchit ensuite vers le sud en une longue courbe. Elle s’interrompt à l’approche du secteur des bâtiments occidentaux, à 17 m du bâtiment B. Plusieurs éléments de quincaillerie ont été découverts dans ses ornières, essentiellement des clous et tiges en fer, mais aussi de rares objets indéterminés en alliage cuivreux.
67La voie 2 se situe au nord du sanctuaire, à une distance de 3 m de l’angle nord-est du péribole. Le niveau d’abandon (FT1135) apparaît sous la forme d’une bande orientée est-ouest, longue de 30 m environ, large de 2 à 3 m. Dessous, l’axe de circulation se matérialise là aussi par deux ornières larges chacune d’environ 0,30 m, profondes de moins de 10 cm, et espacées de 1,20 m (soit environ 1,50 m centre à centre). Elles ont été dégagées sur environ 15 m de long.
68L’autre pôle d’occupation antique se trouve environ 70 m plus bas dans la pente, à l’ouest. Ce secteur dit des « bâtiments occidentaux » se caractérise par une concentration de structures (fig. 14). Plusieurs édifices construits en dur ont été découverts, dont les maçonneries sont pour la plupart très arasées. Un grand nombre de structures en creux y sont associées, pour l’essentiel des trous de poteau. Certains forment le plan de bâtiments. Aucune fosse ne rappelle celles creusées dans le sanctuaire, excepté FS1685 située plus à l’est, au nord de la voie 1, au sein d’un groupe de quelques fosses. Ovale, de 0,80 m de long pour 0,42 m de large et 14 cm de profondeur, elle a elle aussi livré du mouton, ainsi que quelques tessons de céramique, dont un fragment au décor à l’éponge indiquant un TPQ de la fin du iiie s. apr. J.-C.
Fig. 14 – Plan de détail du secteur des « bâtiments occidentaux » du site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
Avec : A, le numéro des espaces et des structures évoquées dans le texte ; B, une proposition de restitution de l’état augusto-tibérien ; C, une vue générale en fin de fouille prise depuis l’extrémité sud du bâtiment J.
DAO : A. Coutelas (Arkemine) ; cliché : S. Painsonneau (Arkemine).
- 14 Cette largeur correspond à 18 pieds romains. C’est la seule valeur, pour tout l’édifice, à être un (...)
69Le bâtiment B est le grand bâtiment linéaire au sud-est. Il est rectangulaire, orienté globalement nord-sud, ou plus précisément 14°O (et 73°E pour les petits côtés). Il mesure environ 19,35 m de long pour 5,30 m de large14 (soit environ 103 m2), et se divise en trois salles placées en enfilade, du sud au nord : les pièces 1558, 1559 et 1560. Elles sont de longueurs inégales : 5,45 m pour Pce 1558, 4,80 m pour Pce 1559 et 6,45 m pour Pce 1560, soit des surfaces internes respectives de 20,45 m2, 18 m2 et 24,20 m2.
70Les maçonneries qui encadrent la pièce centrale, larges de 0,60 m, ont été construites en premier avec un radier de cailloux posés sur le substrat altéré, puis au moins un rang de moellons mal équarris de 15 à 30 cm de long, liés à la terre brune. La pierre employée est essentiellement du calcaire coquillier. Les angles sont renforcés avec des moellons plats plus gros. Les murs des pièces nord et sud viennent prendre appui contre ce premier ensemble. Ils sont construits avec des cailloux de calcaire coquillier, sinon du substrat, avec par endroits l’emploi de moellons un peu mieux équarris. La pièce centrale est donc la première érigée, peut-être dès la période augustéenne si l’on en croit le mobilier. Les autres espaces n’ont pas livré de mobilier antérieur à Tibère (les éléments les plus précoces dans ces pièces correspondent à de la terra nigra de type Menez 45).
71Le substrat calcaire, parfaitement plan, a servi de niveau de circulation pour chacune des pièces. Une stratigraphie limitée à deux couches y a été observée : un niveau d’accumulation limono-argileux assez pauvre en mobilier de 10 cm environ couvert par une couche d’abandon contenant entre autres des éléments issus de la démolition, visiblement triés. Dans l’ensemble, le mobilier céramique comprend des fragments de cruches, gobelets, bols, coupes et assiettes (dont de la sigillée et de la terra nigra), tripodes, amphores, vases de stockage, dolium. On y a découvert aussi un jeton. Plusieurs éléments étaient porteurs de graffites (fig. 15). Si leur état de conservation oblige à rester prudents quant à l’interprétation, ces graffites, rédigés sur les parois extérieures des vases déjà cuits, sont assez similaires et pourraient avoir été faits par un même propriétaire, comme marques d’appartenance du lot.
Fig. 15 – Catalogue des principaux graffites sur céramiques retrouvés dans le bâtiment B du site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
Données : M. Andrieu ; dessins et identifications céramiques : C. Galouye ; clichés : A. Coutelas (Arkemine).
- 15 Voir l’étude par S. Roussel dans Coutelas et al. 2015, vol. 3, ann. 4.
72Le mobilier découvert comprend aussi un jeton en os et des objets métalliques15. Il s’agit essentiellement de clouterie et de quincaillerie en fer, auxquelles s’ajoutent une clé et un stylet en fer, et une fibule en alliage cuivreux du type Feugère 16a1, d’époque augustéenne (fig. 16).
Fig. 16 – Quelques exemples de mobilier métallique trouvé au sein des bâtiments occidentaux sur le site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
Perle en alliage cuivreux (AC4) issue du bâtiment C, fibule circulaire émaillée incrustée de millefiori (AC2) issue de la pièce 1559 du bâtiment B, fibule à queue de paon (AC11) issue de la pièce 1560 du bâtiment B, stylet (FE10) et clé (FE11) en fer issus de la pièce 1558 du bâtiment B, et applique rivetée pour harnachement (AC7) issue de la pièce1519 du bâtiment D.
DAO : S. Roussel.
73Un foyer (FY1690) a été mis en évidence dans la pièce centrale, placé le long du mur nord, en son centre. Il est fait de trois tegulae inversées, posées côte à côte et liées par un peu d’argile crue. Il s’agit a priori de la sole d’un foyer simple plutôt que d’une cheminée, du fait de l’absence de jambage. Sous FY1690 a été découvert un trou de poteau de forme quadrangulaire (TP1765), de 0,50 × 0,30 m, profond de 0,24 m dans le substrat, aux parois verticales. À l’autre bout de la pièce, une structure similaire a été observée. Elle a livré un bord d’imbrex. Il pourrait s’agir d’éléments en lien avec la construction.
- 16 Datation AMS Beta-395782, âge 14C AMS conventionnel : 1890 ± 30 BP.
74Un foyer (FY1659) a été trouvé contre le mur nord de la pièce sud, globalement en son centre, sur le niveau d’occupation. Il s’agit d’une aire d’argile chauffée, de quelques centimètres d’épaisseur, associée à des cailloux calcaires épars. La datation radiocarbone16 réalisée sur des charbons résiduels fournit un intervalle principal de 75-130 apr. J.-C. Bien que fruste, cette sole a probablement eu la même fonction que les aménagements précédemment décrits. Les moellons situés dans sa proximité immédiate sont fortement colorés par la chaleur.
75Le bâtiment D se situe juste au sud du bâtiment B, séparé par un espace large d’environ 1,20 m. L’édifice se compose d’une unique pièce quadrangulaire (Pce 1519), de dimensions internes d’environ 5,15 × 4,10 m, soit environ 21 m2. Cette pièce est un peu plus large que celles du bâtiment B et les murs sont légèrement désaxés (3 ou 4° plus à l’ouest ou au nord). La technique de construction des maçonneries est aussi distincte : elles sont larges de 0,60 m elles aussi, mais elles consistent en au moins un rang de soubassement à moellons grossiers, de 0,25 à 0,40 m de large pour 10 à 15 cm d’épaisseur, en calcaire silicifié, sinon en calcaire coquillier, liés avec une terre brune, un peu rouille.
76L’occupation s’effectuait sur la surface altérée du substrat calcaire, à peine nivelée. Un fin dépôt limoneux contenait une quantité certaine de mobilier, dont notamment de la terra nigra avec un vase Menez 94 datable d’Auguste et une assiette Menez 2 du iie-début iiie siècle, de nombreux objets métalliques en fer (de la clouterie surtout, mais aussi une lame) et en alliage cuivreux (boucle, applique, etc.), un élément polymétallique de type clou de décoration datant du milieu ier-début iie siècle, deux monnaies (dont un Antoninien de 270 apr. J.-C.), quelques éclats de TCA ainsi que du verre.
77Un niveau riche en éléments de démolition scellait cette couche, très riche en TCA, nodules de mortier de chaux, blocs de calcaire parfois rubéfiés, avec des inclusions de charbons. Les TCA correspondent uniquement à des tuiles fragmentées, parfois empilées les unes sur les autres, avec une concentration nette vers l’angle sud-est. Il s’agit d’une toiture effondrée et triée, n’ayant laissé que peu d’éléments complets. Au milieu de ces éléments a été trouvée de la céramique du Haut-Empire : amphore, tripode, gobelet, coupe, cruche, bouteille et même bouilloire. Le métal correspond spécifiquement à de la clouterie. Une monnaie en est aussi issue, un Antoninien daté de 268-269 apr. J.-C. Enfin, il faut signaler un peu de verre.
78De nombreux aménagements sont apparus dans et sur le substrat (fig. 17). Dans l’angle sud-ouest de la pièce, a été observée une structure maçonnée composée de deux massifs de moellons, de 0,80 m de long pour 0,50 m de large, encadrant un alignement de deux tegulae placées à l’envers et légèrement en pente vers une petite dépression située au devant, quadrangulaire, d’environ 0,40 × 0,40 m. Un trou de poteau (TP1624) circulaire d’environ 0,30 m de diamètre, aux parois et au fond irréguliers, se place devant. Son comblement contenait quelques tiges de fer et trois fragments de terra nigra renvoyant à une assiette Menez 4a (du iiie siècle ?). Les pierres encadrant les tuiles portent des traces de rubéfaction. Il s’agit vraisemblablement d’un foyer (FY1590) d’architecture peu commune, a priori un aménagement artisanal (voir infra, § 135). En lien direct avec ce foyer, à une quarantaine de centimètres, on observe le fait 1618 qui correspond à un ensemble de sept trous de piquet formant un arc de cercle outrepassé de 1 m de diamètre, s’ouvrant vers le foyer. L’ensemble est traversé par une dépression linéaire (FT1631) large d’environ 0,40 m et profonde de 5 cm, qui atteint peut-être un autre groupe de trous de piquet en arc de cercle.
Fig. 17 – Site du Vigneau à Pussigny (Indre-et-Loire)
A, plan de détail du bâtiment D ; B, vue depuis l’est du quart sud-ouest du bâtiment en cours de fouille.
DAO : A. Coutelas (Arkemine) ; cliché : F. Rivière (Arkemine SARL).
79Deux structures linéaires en creux, profondes de quelques centimètres et larges de 20 cm environ, semblent isoler cet ensemble de structures du reste de l’espace. Elles présentent la même orientation que les maçonneries. Le fond est régulièrement ponctué par des trous de piquets, de 5 à 10 cm de diamètre, espacés chaque fois d’une petite dizaine de centimètres. Il s’agit certainement d’une cloison en matériaux périssables.
80À l’opposé se trouve la fosse FS1686. Elle est globalement rectangulaire, de 1 × 0,60 m, profonde d’au moins 0,30 m. Ses parois sont verticales et son fond plat, sauf à l’ouest où l’on note une extension de type pente d’accès, longue d’au moins la moitié de la fosse. Des traces de rubéfaction sont visibles au-devant de cet accès. Le comblement limono-argileux contenait des petites poches charbonneuses/cendreuses et des inclusions de terre cuite. Outre un peu de clouterie, cette fosse a livré quatre objets en fer : de possibles couteau, burin ou ciseau, chute de forge et foret ou tarière. Le fond de la fosse a aussi révélé quatre cavités de type trou de poteau placées aux quatre angles, toutes grossièrement quadrangulaires à l’ouverture.
81Le bâtiment C est un édifice rectangulaire situé environ 9 m à l’ouest du bâtiment B, et quasi parallèle à ce dernier : les grands côtés sont orientés précisément 16°O et les petits côtés sont orientés 75°E. Il mesure 14,50 m de long pour une largeur de 7,10 m (49 × 24 pieds), soit 103 m2, c’est-à-dire la même emprise au sol que le bâtiment B dans son dernier état. Il est divisé en trois salles : deux grandes à chaque extrémité du bâtiment – Pce 1522 au sud et Pce 1524 au nord – séparées par un couloir ou cage d’escalier (Pce 1523). Les pièces sont de dimensions inégales : toutes de 5,50 m en ouest-sud-ouest – est-nord-est, Pce 1522 fait 5,80 m de long dans l’axe nord-nord-ouest – sud-sud-est, seulement 1,50 m pour Pce 1523 et 4,05 m pour Pce 1524, soit respectivement 32 m2, 8,25 m2 et 22,25 m2.
82Près des trois-quarts de l’édifice ont été dégagés lors de l’opération de diagnostic. Il est très fortement arasé. La pièce méridionale 1522 a livré un crochet de suspension de balance à fléau en métal (Landreau, Couvin 2011, p. 207), un objet en fer ainsi que de la céramique, dont deux gobelets et des fragments d’une cruche à deux anses recollant avec d’autres issus de l’emprise du bâtiment H, sur poteaux, plus à l’est. La fouille de cet espace a par ailleurs révélé des trous de piquet dans le quart sud-est, placés pour la plupart à l’aplomb des murs. Ils sont circulaires, de 20 cm de diamètre pour environ 20 cm de profondeur, avec des parois verticales et un calage, soit en terres cuites, soit en pierres calcaires, révélant un négatif quadrangulaire du poteau.
83La fouille de l’espace central a révélé une fosse quadrangulaire de 0,40 m de long qui est apparue recoupée par la construction du mur sud de l’espace (MR1436). Elle renvoie peut-être vers un premier état du bâtiment. En effet, la maçonnerie MR1436 s’avère être un ajout et pourrait ainsi participer d’un second état. L’édifice se composerait alors à l’origine de seulement deux pièces, celle méridionale mesurant 8,10 × 5,50 m, soit 44,50 m2. Cet édifice a reçu par ailleurs l’adjonction d’une maçonnerie au sud-est : MR1504 en prolongement du mur sud, long d’un peu plus de 2,50 m.
84Le bâtiment E est un grand bâtiment rectangulaire à pièce unique (Pce 1573), orienté précisément 75°E. Il mesure 11,85 × 6 m, soit à peu près 40 × 20 pieds et environ 71 m2. Les maçonneries appartiennent à un seul état. Elles sont larges d’environ 0,55 m. Aucune structure en creux n’a été décelée dans son emprise.
85Le bâtiment F se situe environ 6 m au nord du bâtiment E. Ses maçonneries sont très arasées, et ni seuil ni ouverture n’ont été identifiés, excepté peut-être à l’extrémité orientale du couloir 1682, avec un large bloc de calcaire coquillier retrouvé à plat. Il se compose de plusieurs modules construits en plusieurs étapes, sur plus d’un siècle, entre le premier quart du ier s. et le iie s. apr. J.-C.
86Le premier ensemble est constitué des deux espaces à l’ouest : Pce 1574 au sud et Pce 1575 au nord. Le tout est orienté précisément à 13°O, et mesure 9,80 × 6,40 m, soit 62,70 m2. Les murs font entre 0,60 et 0,80 m de large. La construction de cet ensemble est assez complexe. Les murs ouest (MR1459) et nord (MR1460) sont liés et ont été érigés en premier. La salle 1575 est ensuite aménagée avec le mur MR1462 et la moitié nord du mur oriental (MR1461), ces deux sections de maçonnerie étant liées et se plaquant contre les murs précédents. L’extrémité orientale de MR1460 dépasse d’environ 0,50 m, formant comme un montant pour un accès au nord-est. Enfin, ce sont MR1458 et la section sud de MR1461 qui ont été installés, formant la salle 1574. Leurs caractéristiques sont identiques à celles des murs précédents, avec un liant architectural argileux couleur pain d’épices. Une telle séquence de construction étonne, sachant que la logique implique une liaison des quatre murs périphériques, mais il est possible que cette liaison ne se soit faite que plus haut, au niveau des élévations.
- 17 Datation AMS Beta-395783, âge 14C AMS conventionnel : 2260 ± 30 BP.
87Une zone charbonneuse (FY1681) très diffuse a été repérée sur le niveau de substrat altéré sous-jacent. Sa datation radiocarbone17 indique un intervalle de probabilité maximale compris entre le début du ive et la fin du iiie s. av. J.-C. Il s’agit de l’une des rares traces d’occupation antérieure à la construction d’un édifice en dur de ce secteur.
88Les niveaux d’occupation reposent sur un premier remblai d’installation de sol, limono-argileux, d’épaisseur variable (au moins une dizaine de centimètres), permettant de rattraper le niveau d’installation du mur. Aucun mobilier n’a été trouvé en leur sein. Le niveau supérieur, participant au comblement des espaces, correspond à des limons argileux bruns, assez riches en cailloux calcaires et éclats de TCA. Les éléments sont parfois brûlés. Quelques éléments de quincaillerie (clous, anneau en fer, etc.) ont été trouvés dans les niveaux supérieurs, ainsi que de rares huîtres et os, et des tessons de diverses céramiques (tasse, bol, gobelet, assiette, etc.) datant du ier s. apr. J.-C., voire de la première moitié de ce siècle pour l’espace 1574. Les deux salles ont livré très peu d’aménagements nets.
89De même orientation que les murs transversaux, le mur MR1471 se situe juste au nord, créant un couloir de 1,20 m de large (espace 1682). Ce mur fait un retour vers le nord, avec la maçonnerie MR1472 de même orientation et dans l’axe de MR1461. Ces deux murs définissent l’espace 1683, lequel se développe probablement plus largement hors emprise. Les maçonneries présentent le même liant que les maçonneries précédentes. Le mobilier céramique du niveau d’abandon indique un TPQ de l’époque de Tibère.
90Le couloir 1682 présente un niveau de cailloux ou blocs de calcaire qui pourrait correspondre à un niveau de circulation, au même niveau que la fondation des murs. Au-dessus, la couche contenait quelques huîtres et du mobilier céramique de la seconde moitié du iie s.
91L’espace quadrangulaire 1577 se trouve plus à l’est, compris entre les murs 1466 au nord, 1467 à l’est, 1468 au sud et 1833 à l’ouest. Globalement orienté 79°E, il mesure 7,90 × 5,90 m, soit 46,60 m2. Les quatre murs sont liés, larges de 0,60 m environ, avec un radier de petits cailloux surmonté par une élévation de moellons assez mal équarris. Le liant est terreux, brun. Le niveau d’occupation correspond à une couche d’altération du substrat et à deux couches argileuses, dont une est localisée seulement au centre de la pièce, plus riche en charbons. Le tout fait 20 cm d’épaisseur. Par-dessus, on observe une couche de démolition extrêmement riche en tuiles. Les quelques tessons céramiques renvoient vers l’époque augusto-tibérienne et les iie et iiie s.
92Cet espace s’agrandit par la suite vers l’ouest avec l’implantation de MR1465 et ses retours vers l’est, lesquels matérialisent l’espace 1844, de 2,65 m de large, pour une surface interne d’un peu plus de 12 m2. La couche de comblement de cet espace, riche en TCA et fragments calcaires, contenait un fragment de bol et un bouchon en fragment d’amphore.
93Le mur 1464 semble contemporain de cet agrandissement : il clôture l’espace 1576 au sud. Un foyer se trouve collé contre le parement nord. Il n’est pas réellement aménagé, il s’agit seulement d’une masse circulaire, peu épaisse, de charbons et de petits nodules argileux oxydés. Les comblements de cet espace et de celui au nord (Pce 1684 limitée au nord par MR1473) ont livré de la céramique (dont de la tournée fine à engobe blanc), du métal (clous) et de la faune (dont des huîtres). La couche supérieure correspond à un niveau de démolition, argileux, riche en éléments calcaires et en tuiles, avec un peu de céramique (dont de la sigillée montanaise et de la terra nigra). Au-dessous, le niveau de calcaire altéré de ces deux espaces a livré nombre de trous de poteau. On devine plusieurs alignements. L’un d’entre eux est particulièrement remarquable : on le suit sur près de 12 m de long, entre TP1783 à l’est et TP1842 à l’ouest, à 2,50 m au nord de MR1466. Il est parallèle aux murs du bâtiment maçonné. On y trouve des trous (de poteau ?) un peu ovales, de 0,50 m de long, profonds d’environ 0,30 m, et des fosses d’environ de 0,65 m de long et 20 cm de profondeur, polylobées, avec des pierres (peut-être des éléments de calage pour poteau). Leurs espacements sont variables. D’autres se situent dans ce secteur du bâtiment, ou sous l’aile occidentale, selon des orientations globalement perpendiculaires. Plus que du bâti, on restitue des vestiges de plantations antérieures à la construction de l’édifice. D’autres vestiges à l’ouest semblent confirmer ce point.
94Plusieurs bâtiments sur poteaux ont été dégagés. Au sud-est, juste à l’ouest de l’enclos funéraire no 2, se trouve le bâtiment H. C’est un bâtiment rectangulaire globalement orienté sud-ouest – nord-est, plus précisément 60°E pour les longs côtés et 30°O pour les petits côtés. Il mesure 5,50 m de long pour 4 m de large (soit 22 m2). Il comporte neuf trous de poteaux répartis en trois rangées de trois. Les poteaux sont de forme circulaire, entre 0,35 et 0,60 m de diamètre pour une profondeur entre 8 et 50 cm. Ils présentent tous des systèmes de calage en pierres calcaires, soit seules, soit associées à de la TCA. Ce sont les deux rangées les plus au nord qui présentent les poteaux les plus profonds, la rangée méridionale n’ayant des cavités que de 20 cm de profondeur au maximum. Il est tentant de restituer un bâtiment avec appentis au sud. Quelques tessons de céramique commune ont été trouvés, ainsi que de la terra nigra. Plusieurs structures ont été repérées au sein de l’emprise de ce bâtiment, dont une fosse décentrée vers le nord-est de 0,80 × 1,40 m avec des inclusions de calcaire et de charbon, des pierres calcaires et des fragments de TCA, et un épandage de fragments de tegulae posées à plat, avec un peu de céramique dont un fragment de cruche à pâte orangée recollant avec d’autres éléments découverts dans la pièce 1522 du bâtiment C.
95Le bâtiment I se situe juste au sud du bâtiment H, à environ 2,50 m. Il est orienté précisément 53°E pour les longs côtés et 38°O pour les petits côtés. Il s’agit d’un bâtiment au minimum sur quatre poteaux, de 2,50 m de long pour 2,10 m de large, soit environ 5,25 m2. Le trou de poteau 1272, dans l’alignement des poteaux méridionaux, semble associé à ce bâtiment I, lequel est donc probablement deux fois plus long. Deux trous de poteau ont livré un peu de céramique tournée fine, dont un éclat de sigillée sud-gauloise. Au sein de l’emprise du bâtiment se trouve la fosse 1277, globalement rectangulaire, de 1,20 m de long pour 0,80 m de large et 10 cm de profondeur.
96Plus à l’ouest se trouve le bâtiment Q. Il s’agit d’un bâtiment trapézoïdal sur six poteaux, plus un septième en avancée au nord. Sa façade ouest mesure 4,75 m, la façade orientale fait 5 m, la façade sud mesure 3,30 m tandis que la façade nord ne fait que 2,70 m ; soit environ 14,50 m2 hors extension. L’espacement entre les poteaux est compris entre 2 et 2,50 m, sauf pour le côté sud, où il est plus grand. Les trous de poteau sont peu profonds (5 à 24 cm). Ils ont livré un peu de céramique, de la commune tournée ne fournissant pas d’indication chronologique nette, dont un fragment de gobelet à pâte claire.
97Immédiatement au sud du bâtiment C et parallèle à son petit côté, on trouve le bâtiment J. Il est composé de neuf trous alignés trois par trois. Il est de forme rectangulaire avec une extension trapézoïdale au sud. L’orientation générale est d’environ 75°O. La partie rectangulaire mesure 5,60 m de long pour 1,80 m de large. L’extension mesure entre 3,40 et 5,60 m de long pour 2,10 m de large. L’ensemble du bâtiment fait environ 19,50 m2. L’espacement entre les trous de poteau n’est pas régulier, environ 2,50 m dans la longueur et 1,50 m dans la largeur. Les trous de poteaux sont de forme ovale et mesurent entre 0,60 et 0,90 m de long pour 0,45 à 0,80 m de large. Leur profondeur est d’environ 20 cm. Un fragment d’imbrex et quelques tessons de céramique ont été découverts, mais aucun ne permet de datation précise.
98Le bâtiment G est un bâtiment rectangulaire sur dix poteaux situé à l’est du bâtiment E. Il se compose d’une nef unique orientée 75°E qui mesure 9,60 m de long pour 5,30 m de large, soit près de 51 m2 (soit la moitié de la surface des bâtiments maçonnés B ou C). Cette nef est formée de deux rangées de quatre poteaux complétées par deux poteaux dans les largeurs. Les poteaux sont de forme quadrangulaire, ils mesurent entre 0,50 et 0,70 m de long pour 0,50 à 0,65 m de large. Leur profondeur varie de 0,20 à 0,40 m environ. Ces structures ont livré quelques tessons de céramique commune tournée, sans datation précise. Des fragments de TCA (tegulae surtout) ont aussi été découverts. La fosse 1653 semble être un aménagement intérieur du bâtiment, au centre du tiers occidental. Aucun mobilier n’y a été découvert.
99Le bâtiment L se situe dans l’emprise de l’angle nord-ouest du bâtiment E. Il est possible que ces deux bâtiments fonctionnent ensemble : la partie sur poteaux correspondrait à une avancée vers le nord. Ce bâtiment L est rectangulaire, sur six poteaux. Il est globalement orienté ouest-sud-ouest – est-nord-est et mesure 4,40 m de long pour 3,60 m de large (soit environ 16 m2). Les trous de poteaux sont ovales à l’ouverture et mesurent entre 0,70 et 1,20 m de long pour 0,60 à 1 m de large. Leur profondeur varie de 0,30 à 0,45 m. Ils comportent de gros blocs calcaires et des fragments de TCA en calage. La plupart ont livré des tessons de céramique commune tournée, peu exploitables, même si un fragment d’assiette de sigillée montanaise (forme Drag. 18) confirme une attribution chronologique du bâtiment pour le Haut-Empire, déjà entrevue pour ce secteur au moment du diagnostic.
100D’autres regroupements de trous de poteau peuvent être faits, qui renvoient peut-être vers d’autres bâtiments ou aménagements. Se dessine en particulier un quadrilatère entre les bâtiments E et G, avec aux angles des trous de poteau ou de piquet, et plusieurs alignements périphériques pas toujours très lisibles. L’ensemble mesure environ 12,15 × 8,50 m, soit une surface d’environ 103 m2, c’est-à-dire la même surface que les bâtiments maçonnés B et C. Le groupe S, calé entre ces deux édifices, pourrait correspondre à un enclos.
101Le puits 1705 se situe environ 4 m à l’ouest du bâtiment D. Il est de forme circulaire et mesure en surface 1,60 m de diamètre, parements compris, pour une ouverture moitié moindre. Il est parementé de pierres plates calcaires placées en quinconce à sec sur 1,50 m de hauteur, avec de fréquents petits fragments de TCA insérés en calage dans les joints. Les premiers mètres creusés dans la roche et non parementés présentaient des cavités taillées dans la paroi calcaire, d’environ 10 cm de large et de profondeur, un peu moins hautes, placées selon deux axes verticaux de façon régulière, tous les 20 à 30 cm. Il s’agit d’encoches pour pieds et mains permettant aux artisans de descendre dans le puits lors de sa phase de creusement, puis pour l’entretien de la structure. Pour des raisons de sécurité, la fouille a dû être interrompue à près de 5 m de profondeur, soit vers 81 m NGF, c’est-à-dire 4 m au-dessus du toit supposé de la nappe. Le remplissage a livré des TCA, un moellon en calcaire coquillier parfaitement équarri, de la céramique (notamment un mortier de type Santrot 192 daté des années 40-70) et un peu de faune (de la chèvre). Deux fosses de forme quadrangulaire accolées au puits, longues d’environ 1,30 m et profondes de 0,70 m, sont en lien avec son percement. La fosse orientale a livré de la céramique, dont une forme de type Menez 146, de même type que celle de FS1325 au sein du sanctuaire, datée entre 40 et 70 apr. J.-C., mais fréquente encore durant la période flavienne. Le mobilier comprend aussi un fragment d’assiette type Menez 2 (bord simple) datable du iie s. ou de la première moitié du iiie s.
102L’édifice de culte antique correspond à un temple de plan centré, dont le péribole se caractérise par un portique double à l’ouest. De nombreux éléments laissent à penser que ce plan général est le reflet d’au moins deux étapes de développement du sanctuaire.
103La cella ne recoupe ou ne recèle aucune structure antérieure, elle est construite ex nihilo sur le substrat à peine nivelé. La galerie n’est matérialisée que du côté ouest, grâce à deux maçonneries en équerre. Si ces murs devaient se poursuivre (en matériaux périssables ?) et se refermer à l’est, ils matérialiseraient une galerie de 2,45 m de large, et d’extension totale de 12 × 12,80 m. Néanmoins, rien n’indique l’existence d’une telle construction sur les quatre côtés. Il faudrait donc imaginer une galerie partiellement couverte. Des exemples de cella sans galerie sont connus, l’aire de circumambulation étant parfois révélée par l’usure du sol ou la répartition du mobilier (Fauduet 2010) ; les exemples de galerie incomplète sont beaucoup plus rares, et associés à la présence d’un podium, aménagement qui n’est pas présent ici.
- 18 Dans le cadre d’une plantation antique de vignes, l’espacement entre les fosses est généralement de (...)
- 19 Il ne s’agit donc peut-être pas à proprement parler de provignage, car cette pratique a pour object (...)
104La mise en place de la galerie – et par extension la construction du temple – pourrait dater de l’époque augustéenne, si on se fonde sur la datation des fosses de plantation qui, par leur organisation spatiale, semblent partager un lien organique avec ces murs (fig. 6). Il s’agit apparemment de fosses de provignage avec un écartement relativement important au regard de leurs dimensions18. Leur répartition permet d’écarter l’hypothèse d’une activité agricole antérieure au sanctuaire. Il s’agit certainement d’un aménagement interne dont l’objet était la mise en valeur des abords du temple, peut-être par le jeu d’une pergola19. Elle apparaissait en avancée par rapport au fanum, complétée par l’alignement de fosses situé environ 3,50 m à l’ouest. La pergola offrait ainsi tous les avantages et l’originalité d’un portique végétal. Un aménagement sensiblement équivalent existe pour l’état flavien du grand sanctuaire central du Vieil-Evreux (Eure), où une allée bordée d’une alternance de fosses de plantation et de trous de poteaux était probablement couverte par une pergola (Bertaudière, Cormier 2013, p. 106-107).
105Dans son extension maximale, l’enceinte mesure 42 × 30,50 m. La technique de construction des murs se caractérise par l’emploi d’un mortier de chaux et de sable comme liant architectural, alors que les maçonneries du portique n’emploient qu’un mortier de terre. Cependant, ce mortier n’est apparent qu’à l’est du mur central du portique double (MR1223) ; à l’ouest, ce n’est que terre et cailloux. Par ailleurs, ce mur central et les murs nord et sud sont chaînés, leur contact ayant été renforcé par des blocs mieux équarris. Cela n’est pas le cas ailleurs pour le portique, ni à l’ouest en façade, ni à l’est où le mur oriental se plaque contre les murs d’enceinte. Il est donc tentant de restituer un mur central aveugle et à hauteur du mur de péribole, et des murs stylobates pour MR1214 et MR1227, ne nécessitant pas le même soin car accueillant une colonnade. Le portique à l’ouest serait ainsi tourné vers l’extérieur, et le portique à l’est tourné vers l’intérieur, les deux étant séparés par un mur plein.
106Les deux nefs sont ainsi techniquement postérieures au mur de péribole. On ne sait en revanche si elles procèdent ou non d’une autre phase de construction. Il n’y a pas d’élément probant ou direct pour dater le mur de péribole, en revanche quelques données indirectes existent. De l’autre côté du mur nord, l’épandage FT1341 a livré du mobilier de la première moitié ou du milieu du iie s. apr. J.-C. Au sud, le tracé de la voie 1 permet d’affirmer qu’elle a été mise en place suite à la construction de l’enceinte : elle longe en effet le mur sud et ne fait une inflexion vers le nord qu’après avoir dépassé le portique. Son installation n’a pu se faire que suite au comblement de l’enclos funéraire no 1, lequel ne serait définitif que durant la première moitié du iie s. apr. J.-C. si l’on se fonde sur la découverte d’une monnaie d’Hadrien au sein du fossé oriental. La fouille de la fosse 1584, située au pied du mur sud de l’enceinte, a livré une autre monnaie, un sesterce malheureusement très altéré, mais fournissant un TPQ du milieu du iie s. apr. J.-C. Enfin, la fosse 1335 qui longe le péribole nord a livré des éléments des iie-iiie s. Tous ces indices sont maigres, mais ils convergent toutefois vers une datation du milieu du iie s. apr. J.-C. pour l’érection de l’enceinte cultuelle.
107Les maçonneries du portique double n’ont pas fourni de meilleurs critères de datation. Le mobilier issu des niveaux conservés et des structures fossoyées indique une datation comprise entre la première moitié du ier s. apr. J.-C. et la fin du ive s. apr. J.-C. Le mur stylobate côté interne (MR1214) a recoupé deux structures en creux, mais elles n’ont pas livré d’éléments de datation. L’épandage FT1334 s’appuie en partie contre le mur. Il n’a pas livré d’élément de datation, mais sa fouille a montré qu’il recouvrait une des fosses de la pergola. Ainsi, l’installation des portiques (et de l’enceinte) a entraîné ou s’est effectuée après l’abandon de l’aménagement végétal.
108À partir du milieu du iie s., le sanctuaire se caractérise donc par l’association d’un temple à plan centré enclos avec, à l’ouest, un portique double. Or, les portiques simples ou doubles étaient généralement implantés face à l’entrée du temple, et permettaient entre autres de monumentaliser l’accès à l’aire cultuelle. On en trouve un exemple dans le sanctuaire des « Bois des Noël », à Matagne-la-Grande (province de Namur, Belgique) chez les Tongres, où les travaux d’agrandissement initiés à partir de 350 apr. J.-C. ont vu la construction d’un double portique de façade au sud, face à l’entrée (Fauduet 2011).
109C’est le premier élément indiquant que le sanctuaire dans son ensemble est tourné vers l’ouest. La galerie – ou tout au moins sa partie conservée – présente une ouverture au centre de sa section occidentale. Dans le même axe, on note une interruption dans la suite des fosses de plantation, ménageant un accès au sein de la pergola. Il y a enfin, dans le prolongement à l’ouest, l’aménagement pouvant correspondre à un seuil ou un emmarchement (FT1337), au centre du mur séparant les deux portiques.
110Le sanctuaire du Vigneau pourrait donc faire partie de cette petite série de temples qui ne sont pas orientés à l’est, mais plutôt vers l’ouest ou le sud, généralement pour des raisons liées à la topographie. Pour le Vigneau, l’implantation non pas au sommet exact de la pente, mais plusieurs dizaines de mètres en contrebas, explique effectivement en partie ce choix. La façade ferait face à la vallée.
111L’ordonnancement architectural du sanctuaire témoigne des pratiques religieuses de la communauté. Les autres témoins concernent tout d’abord la localisation et la nature des équipements cultuels (Lepetz, Van Andringa 2008, p. 39). Il peut s’agir de statues ou images du culte, d’une table à offrandes, d’une vasque à eau (pour la purification ou la lustration), d’un tronc monétaire, etc. Malheureusement, rien de tout ceci n’a pu être mis en évidence ici. Seul l’autel est suspecté. En effet, la fosse 1252, à l’extérieur du sanctuaire et grosso modo dans l’axe de la cella, a permis l’installation d’une « stèle » imposante, creusée d’une petite cupule circulaire de faible profondeur. Ces caractéristiques nous amènent à supposer qu’il s’agit des vestiges de l’autel, qui serait donc enterré à l’ouest, au niveau du sol (voir infra, § 120 et sqq.). D’après les éléments chronologiques en notre possession, cette fosse ne serait pas antérieure au milieu du iie s. apr. J.-C. et la structure pourrait avoir existé jusque durant le ive s. Elle pourrait donc avoir été mise en place suite à la construction de l’enceinte et/ou du portique occidental, ce qui peut expliquer cette position d’apparence éloignée du temple. De l’hypothétique autel originel, en revanche, il ne reste aucune trace tangible.
112Les cheminements liturgiques liés au fonctionnement du sanctuaire – un des autres aspects de la pratique cultuelle – restent peu définis. Les voies identifiées autour du sanctuaire ne sont visiblement pas en lien avec des pratiques processionnelles, et aucun autre espace de circulation n’a pu être mis en évidence aux abords et au sein du sanctuaire, ni à partir de préparations de sol, ni à partir de zones d’épandage de mobilier ou d’ex voto. On note simplement que les espaces dans l’axe de la cella – à l’ouest dans la cour et dans la nef orientale du portique – sont totalement vides de structures.
- 20 Le cortège hétéroclite de mobilier de la fosse FS1584 – mêlant faune, fragments de TCA, une monnaie (...)
113Ce sont les fosses qui permettent de mieux comprendre les pratiques religieuses du sanctuaire du Vigneau. Ni céramique entière, ni vase ou objet miniature, ni lot de monnaies20 n’ont été trouvés, mais à de rares exceptions près, toutes les fosses situées dans les deux zones de concentration de la cour se caractérisent par la présence d’ossements animaux. Les assemblages mis au jour présentent une homogénéité remarquable révélant la tenue d’une série d’événements successifs cohérents, sans doute des repas communautaires, des banquets, menés dans le cadre de pratiques rituelles normées. Elles trouvent des équivalences sur d’autres sanctuaires romains de Gaule, même si ceux organisant leurs pratiques sacrificielles autour des caprinés sont peu nombreux. On les trouve chez les Atrébates à Gavrelles (Pas-de-Calais) (Lepetz 2008) ou chez les Ambiens à Nesles-Mesnil-Saint-Nicaise (Somme) (Lepetz 2018) où la mise en pièce de moutons a donné lieu à la crémation et à l’enfouissement de certaines parties anatomiques choisies (uniquement des cuisses arrière droites). Le site de Mauregard aux Moulins (Seine-et-Marne) (Gambier 2008), chez les Parisii, a livré six fosses dans lesquelles ont été mis au jour près de 7 000 ossements de mouton issus d’au moins 64 individus. L’analyse des restes a montré qu’il y avait des mâles et des femelles, que les animaux avaient entre 2 et 4 ans, qu’ils avaient été découpés, et les traces de brûlure sur les extrémités des membres indiquent qu’ils avaient été cuits et probablement consommés. Dans ce cas-là aussi, les cuisses droites sont largement dominantes. Enfin, à Fontenay-en-Parisis, à la Lampe (Val-d’Oise) (Daveau, Yvinec 2002), également chez les Parisii, plusieurs fosses du iie s. ont recueilli les restes de moutons (juvéniles et adultes) découpés et consommés sur place, là aussi probablement dans le cadre de banquets communautaires.
114La forte représentation des ovins sur ces sites donne d’autant plus de sens à ces dépôts que les caprinés sont généralement minoritaires en contexte domestique sur les sites d’habitat ruraux ou urbains, au profit du porc et du bœuf, même si des exceptions existent dans certaines agglomérations secondaires (Lepetz 1996). En tout état de cause, on est loin de la quasi mono-spécificité du sanctuaire du Vigneau.
- 21 Dans l’assemblage étudié, on note une absence de fissures de dessication, de même qu’une absence to (...)
- 22 Leur noircissement est important et l’on peut se demander s’ils n’ont pas servi de sole de foyer, a (...)
115Les éléments squelettiques ont ensuite été rapidement enfouis21. C’est le cas pour la majorité des fosses, bien que certaines soient restées partiellement ouvertes, puis finalement comblées lors de l’abandon de l’édifice et la dégradation des maçonneries. La TCA retrouvée au sein des fosses ne correspond pas à cette phase d’abandon puisque ce mobilier céramique est généralement mélangé aux ossements animaux. Il participe néanmoins le plus souvent au comblement final des fosses, apparaissant préférentiellement en surface. Rares sont les éléments chauffés ; seule la fosse 1202 a livré un lot conséquent de TCA ayant subi le feu après fragmentation22. Il s’agit toujours de tuiles : tegulae surtout, imbrices sinon. Les objets ne sont jamais complets, on ne trouve au mieux que des moitiés, souvent plutôt des angles. Aucun fragment ne montre de graffito peint ou gravé, à l’instar de ceux en lien avec le culte du sanctuaire de Châteauneuf, en Savoie (Mermet 1993 ; Rémy 1999), ou encore de l’une des inscriptions à Toutatis sur le site de Beauclair (Puy-de-Dôme) (Clémencon, Ganne 2009). On relève que les fosses les moins riches en TCA sont celles les plus en périphérie des grandes concentrations, peut-être placées en dehors des espaces de circulation. Si les TCA ont pu jouer le rôle de charge pour le comblement des fosses les plus proches du temple, il est donc aussi possible qu’elles aient fait office d’éléments de signalisation en surface, afin de limiter les recoupements entre les différentes structures.
- 23 Aucun reste végétal n’a pu être mis en évidence ni à la fouille ni suite aux analyses archéobotaniq (...)
116La céramique découverte dans les fosses correspond uniquement à des tessons isolés, sans qu’aucune forme complète n’ait pu être mise en évidence. Les objets originels sont des plats ou assiettes, des coupes, des gobelets, des cruches, des marmites, des mortiers, des amphores, etc. Tous, bien évidemment, ont pu avoir un lien avec une étape de la pratique du culte : depuis la préparation des aliments23 jusqu’au banquet. Quelques fragments ont subi le feu.
117On peut donc difficilement attribuer une valeur de dépôt rituel aux différents comblements des fosses du sanctuaire. Il s’agit plus vraisemblablement de restes du banquet, enfouis là dans un acte tout de même de dévotion : on peut ainsi parler de fosses rituelles, en cela qu’elles ont accueilli des vestiges de cérémonies probablement enterrés rituellement (Van Andringa 2013, p. 103).
118Seule la fosse 1202 témoigne peut-être d’un dépôt rituel. Il est en effet difficile de comprendre la nature du dépôt de bovin. Sa singularité sur le site amène à penser qu’il est de nature différente des restes de mouton et qu’il ne s’agit peut-être pas de vestiges de repas. Mais on reste dans l’incapacité d’apporter une réponse précise. Des restes de bovins ayant subi une découpe de boucherie ne sont pas rares en contexte de sanctuaire (Lepetz 2008) et leurs os sont parfois trouvés en connexion (Lepetz, Magnan 2008). Un cas assez proche du Vigneau a été mis au jour sur le site de Briga au Bois l’Abbé, à Eu (Seine Maritime) (Bourgois 2021). Les restes de deux bovins mis en pièce ont été découverts complets. Les cornes, la viande et les tendons avaient été prélevées avant l’enfouissement, et les os avaient fait l’objet, comme ici, d’une disposition soignée. À Crevans (Haute-Saône), un cas similaire (Tisserand et al. 2012) peut être signalé. Dans tous ces cas, l’hypothèse d’animaux sacrifiés est probable.
119Enfin, il semble que les monnaies n’ont pas joué un rôle majeur au sein du sanctuaire du Vigneau pour la pratique du culte. Seuls quatre exemplaires ont été trouvés. Leur répartition est toutefois singulière : une dans la fosse 1584, une dans la nef orientale du portique et deux juste au nord des blocs FT1337, soit la possible entrée du sanctuaire. Cet indice est maigre, mais il n’est pas sans rappeler le devoir de s’acquitter, parfois, d’un droit d’entrée pour accéder à l’intérieur d’un sanctuaire. On rappellera aussi la pratique de la stipis jactatio, préférentiellement réservée aux bassins, mais qui pouvait se dérouler en d’autres points de temple, en dehors de la cella.
120Aucun élément direct ne permet de renseigner la nature du culte, voire l’identité de la (ou des) divinité(s) : pas de mention épigraphique ni de représentation figurée ou d’offrande spécifique renvoyant à des attributs divins. Il y a tout de même quelques éléments singuliers qui méritent discussion.
121Il faut tout d’abord rappeler que le sacrifice animal consistait à amener en procession la victime à l’autel, à la consacrer, à l’abattre puis à procéder au partage (Van Andringa 2013, p. 102). Les dieux recevaient leur part, l’offrande : généralement les exta préparés à partir des abats et considérés comme la partie vitale de l’animal, qui étaient brûlés sur l’autel. De son côté, la viande de l’animal sacrifié était soustraite aux dieux et ainsi rendue consommable pour les hommes car devenue « profane ». Dans le cas de certains sacrifices offerts aux dieux « d’en bas » (Van Andringa 2013, p. 103), l’offrande, pour ces divinités chthoniennes, était alors jetée à terre ou dans une fosse une fois cuite dans le feu sacrificiel (Scheid 2010, p. 75). On retrouve les mêmes pratiques dans le culte rendu au défunt (notamment durant les Parentalia, du 13 au 22 février), et par extension aux Dieux Mânes, divinités souterraines que l’on invoquait dans des rites communautaires destinés à la fertilité des sols et à la protection des semences (King 2009, p. 110-111). La stèle de la fosse 1252, qui est placée au-devant du sanctuaire tel un autel enterré, pourrait confirmer qu’un culte à une (ou des) divinité(s) chthoniennes était rendu dans le temple.
122Le lien entre le temple et le monde d’en bas est conforté par le choix de l’emplacement du sanctuaire. Celui-ci s’implante juste en contrebas de la nécropole pré/protohistorique, en sa périphérie exacte, sans en perturber les structures funéraires, qui ne se recoupent pas non plus. La voie 2 s’insère précisément entre l’angle septentrional du péribole et l’extrémité méridionale du cénotaphe FT1339, daté de l’âge du Bronze. Par ailleurs, de l’autre côté au sud, l’enclos 1 était encore partiellement visible lors de la construction du temple, ses fossés n’étant comblés définitivement qu’aux alentours du milieu du iie s. apr. J.-C. Il y a donc certainement eu une permanence de la nécropole dans le paysage, du fait du peu de recouvrement sédimentaire existant en ce secteur et de la présence de structures mégalithiques encore debout (tel le dolmen de la Pierre Levée).
123En Gaule romaine, le lien entre sanctuaire et monde funéraire est bien attesté ; les tombeaux appartenant eux-mêmes à la catégorie des lieux religieux. En domaine rural, la construction d’un temple accompagne parfois celle de la nécropole familiale (Fauduet 2010, p. 67). Parfois, des restes humains sont associés aux niveaux d’installation du temple. L’un des exemples les plus récents est celui du fanum d’Authevernes, aux Mureaux (Eure), où ont été trouvés les restes osseux de deux enfants en bas âge, inhumés pour l’un dans une céramique et pour l’autre au pied de celle-ci (Michel 2012, p. 99). Mais l’exemple le plus célèbre reste la « tête humaine isolée » retrouvée dans la cella du sanctuaire de la forêt d’Halatte (Oise), et que les fouilleurs interprètent comme un élément rituel à fin de vénération (Durand 2000, p. 113).
124Au Vigneau, l’absence de structure funéraire antique ou de dépôt osseux au sein même du sanctuaire montre que le culte n’est pas en lien avec des pratiques funéraires contemporaines. En revanche, on peut légitimement penser que le caractère funéraire de ces structures antérieures était connu à l’époque romaine (Delrieu et al. 2014, p. 276), ou tout au moins que la mémoire collective les associait bel et bien aux ancêtres. L’origine du culte, ou plutôt le culte lui-même pourrait ainsi être en rapport avec le souvenir d’une affectation spécifique attribuée à la zone des nécropoles.
- 24 Notons que des fosses d’habitat du Néolithique ont aussi été perçues à proximité.
125Une comparaison peut être faite avec le sanctuaire de Blicquy, à Ville d’Anderlecht (Belgique), dans la cité des Nerviens (Gillet et al. 2006). Le premier temple à plan centré s’installe entre la période augustéenne et le milieu du ier s. apr. J.-C. juste au sud d’une nécropole de type « champs des urnes » de l’âge du Bronze final (Gillet, Demarez 2006 ; Gillet et al. 2006)24. Des indices de rituel d’enfouissement d’offrandes datant de La Tène finale ont aussi été observés dans l’emprise de la nécropole. Celle-ci sera en partie recouverte et recoupée lors de la monumentalisation du temple, à la fin du ier s. ou au début du iie s. apr. J.-C. D’autres sites confirment que ce lien n’est pas exceptionnel. Le temple de Genainville (Val-d’Oise) s’est implanté près d’une nécropole du Hallstatt final/La Tène ancienne, comportant certainement un tumulus (Mitard 1993, p. 40). On trouve un fanum dans le secteur de la « nécropole-sanctuaire » de Ribérolles, à Rivières (Charente), datant des premier et second âges du Fer. Le sanctuaire de Nitry à Champagne (Yonne) est situé à moins de 300 m d’un tumulus Bronze final/Hallstatt, et à quelques mètres seulement d’un enclos funéraire laténien, quadrangulaire et fossoyé (Nouvel 2011). Plus proche de Pussigny, à Amboise, aux Châteliers (Indre-et-Loire), une fosse à dépôt symbolique et une statue de facture laténienne ont été trouvées à proximité des substructions d’un temple gallo-romain (Gomez de Soto, Milcent 2003, p. 122). Une fréquentation ancienne du site est par ailleurs attestée au Néolithique et à l’âge du Bronze, mais le lien avec un contexte funéraire est moins assuré, il s’agirait plutôt de continuité de lieu de culte entre la Protohistoire et l’époque romaine.
126Les données qui renvoient à la fin de l’occupation du sanctuaire sont maigres. La céramique indique des contextes du iiie siècle, mais il est vrai que le mobilier de la fin de l’Antiquité est moins bien connu et la découverte de monnaies du ive s. confirme une fréquentation plus tardive. Celles-ci pourraient révéler une continuité du culte à cette époque, mais il est plus probable, vue leur répartition, qu’il ne s’agisse que de pratiques accessoires dans le cadre de visites du lieu de culte tombé en désuétude, sinon de monnaies perdues au gré de ces visites.
127Quelques indices d’occupation préromaine ont été observés dans le secteur des édifices occidentaux. Il s’agit tout d’abord des incinérations de l’enclos 2, à l’est du bâtiment D, de l’âge du Bronze final ou du premier âge du Fer (Coutelas et al. 2017). Un foyer à pierres chauffantes (FY1298) a été mis au jour, d’une tradition de la fin de l’âge du Bronze et du début du premier âge du Fer (Pranyies 2012). Enfin, un trou de poteau au nord de l’enclos a livré de la céramique protohistorique.
128Un autre indice d’occupation précoce est donné par l’analyse radiocarbone des résidus de la zone de foyer sous la pièce 1575, au sein du bâtiment F. Il pourrait s’agir des vestiges d’une installation du ive-iiie s. av. J.-C. Le contexte reste cependant flou et les nombreuses structures en creux découvertes à proximité n’ont pas livré d’indice permettant de les rattacher à une occupation aussi précoce.
129Les marqueurs chronologiques suivants renvoient à la période augusto-tibérienne (fig. 14). L’un des trous de poteau du bâtiment I, juste au sud-ouest de l’enclos 2, a livré du mobilier augusto-tibérien, tandis que les structures à proximité appartiennent à une occupation du ier s. apr. J.-C., voire flavienne. Le mobilier céramique implique un TPQ de la première moitié du ier s. apr. J.-C. (Tibère) pour la construction et l’occupation des édifices maçonnés occidentaux, plus spécifiquement de la pièce centrale du bâtiment B, du bâtiment D et de la partie occidentale du bâtiment F. Une fibule typiquement augustéenne a aussi été découverte dans la pièce nord du bâtiment B (fig. 16), mais il s’agit du seul élément aussi précoce pour le bâti en dur.
130La construction se poursuit durant le ier et le iie s. apr. J.-C. avec notamment l’agrandissement du bâtiment B. Le bâtiment H, sur poteaux, daterait aussi de cette phase, mais ses caractéristiques architecturales proches du bâtiment I orientent vers une datation augustéenne. Le bâtiment C est probablement mis en place à la fin du ier s. apr. J.-C., ainsi peut-être que le bâtiment E et plusieurs enclos et/ou édifices sur poteaux (dont le bâtiment G). Néanmoins, la découverte de céramiques de 60-120 apr. J.-C. au sein de la fosse 1442, dans le groupe S que l’on suppose postérieurs aux bâtiments E et G (ses côtés s’alignent sur ces deux édifices), invite à rattacher ces derniers à une première phase d’aménagement du secteur. C’est au iie s. que le bâtiment F est agrandi et que le puits est aménagé. L’étude du mobilier céramique indique que la fréquentation de ces différents édifices se poursuit durant le iiie s.
131Lors de la fouille, les édifices occidentaux à proximité du lieu de culte avaient été interprétés comme des bâtiments appartenant à un domaine agricole. Néanmoins, l’analyse approfondie des données invite à revoir cette hypothèse.
132Les exemples de lieux de culte identifiés à proximité de villae ne sont pas nombreux. Pour exemple, seulement 15 ensembles de ce type ont été relevés par Cristina Gandini lors de son analyse morphologique de 316 sites ruraux de la cité des Bituriges Cubi (Gandini 2006, p. 212), soit moins de 5 %. C’est un résultat généralisable à l’ensemble de la Gaule chevelue, si l’on suit les recensements d’Isabelle Fauduet (2010, p. 62). La distance entre le temple et l’exploitation rurale est comprise entre 50 et 250 m (Gandini 2006, p. 212) ; celle de 70 m entre le sanctuaire et les édifices occidentaux rentre donc dans cet intervalle. Le plan s’apparente le plus souvent à celui d’un temple romano-celtique, mais certains ensembles de type romain existent, tel le temple de la villa de Jonzac en Charente-Maritime (Montreuil, Robin 2009) ou le temple sur podium de la villa d’Asquins dans l’Yonne (Nouvel 2009, p. 373). À moins de 40 km de Pussigny, la villa de Tiron à Saint-Patrice (Indre-et-Loire) possédait une chapelle cultuelle sous forme d’un petit édicule de 3 × 2,50 m dans un enclos de 9,60 × 8 m ; elle a livré une base de haut-relief et trois fosses contenant des squelettes de caprinés et de la céramique (Guiot 2003, p. 153-157).
- 25 Ce type d’habitat doit exister ailleurs, mais il fait rarement l’objet de synthèses.
133Un lien entre le temple du Vigneau et un domaine agricole est donc concevable. Il s’agit de savoir si ces édifices occidentaux renvoient effectivement à une exploitation rurale. Les bâtiments maçonnés ont des plans carrés ou linéaires, cette seconde caractéristique pouvant être acquise au fil du temps. Seul le bâtiment F est plus complexe, quoiqu’il consiste au départ en une structure rectangulaire découpée en deux espaces. Ce sont des plans extrêmement simples, qui sont connus pour les petites fermes gallo-romaines, ou pour « les établissements ruraux de faible statut » (Nouvel 2009), qui se caractérisent par un plan allongé sans galerie de façade, avec un nombre réduit de pièces, dont l’une est plus importante (Ferdière 1988, p. 168). Le bâtiment C, dans son premier état, possède un plan et des dimensions similaires à ceux des fermes de la seconde moitié du ier s. apr. J.-C. ou de la première moitié du iie s. apr. J.-C. mises en évidence dans la cité d’Auch (Colleoni 2009, p. 266-268)25, avec un mobilier renvoyant à des fonctions d’habitat et d’exploitation agricole. Dans le même ordre d’idée, on est frappé par la ressemblance entre le dernier état du bâtiment B et le premier état de la villa d’Aubigny, dans la Somme, à trois pièces et de superficie totale de 105 m2 (Gautier 2013, p. 102).
134Plusieurs édifices construits en dur – B, C et F – peuvent donc, par leurs caractéristiques architecturales, être interprétés indépendamment comme des petites exploitations rurales. Ils possèdent quelques aménagements internes et un peu de mobilier qui renvoie principalement vers les domaines personnel et domestique, et vers la vaisselle de service : parure, fibules, clé, stylet, cruches, bols, gobelets, assiettes, etc.
135En revanche, le bâtiment D a livré de nombreux aménagements artisanaux, dont le foyer FY1590 qui, par ses caractéristiques, entre dans la catégorie des « foyers ouverts en forme de canal maçonné » retrouvés en plusieurs endroits, avec des exemples dans le nord de la Gaule, dans la villa de Richebourg dans les Yvelines (Barat 1999) et plus particulièrement à Bliesbruck (Moselle), où ils ont pu être interprétés comme des séchoirs ou des installations de fumage ou de grillage de céréales, viandes ou poissons (Petit 2005, p. 177-178). L’hypothèse d’une structure de séchage ou de fumage est renforcée par la présence d’une cloison étroite juste au nord. Reste que le mobilier est abondant dans cette pièce : amphore, tripode, gobelet, coupe, cruche, bouteille, bouilloire, etc., ainsi que de la quincaillerie, une lame en fer, une boucle et une applique en alliage cuivreux, et des monnaies. Les outils en fer retrouvés (un couteau, un ciseau ou burin et un foret ou tarière) s’accordent peu avec l’hypothèse d’une activité liée à la transformation des céréales. Ce local a pu ainsi accueillir plusieurs artisanats, ou servir de lieu de stockage.
136Les édifices sur poteaux sont au moins aussi nombreux que les bâtiments maçonnés. Les éléments de datation indiquent qu’ils leur sont contemporains. Le bâtiment I, sur quatre ou six poteaux, apparaît comme une structure légère (un grenier à plateforme ?). Le bâtiment H est au moins deux fois plus grand. Le bâtiment J est constitué de neuf poteaux ; il touche presque le mur du bâtiment C et présente la même orientation. Plus au sud et peut-être plus tardif, le bâtiment Q pourrait être une dépendance du bâtiment D, situé juste au nord, ou tout simplement un enclos.
137Au nord, le bâtiment G se distingue par sa surface imposante, qui rappelle celle du bâtiment E, ainsi que celles des unités occidentale et orientale du bâtiment F. Il semble donc difficile de parler ici de simple dépendance ou d’annexe. Le bâtiment L se présente lui aussi comme une structure rectangulaire, sur six poteaux, d’environ 15 m2. Les trous de calage sont imposants, ce qui, avec les dimensions finalement réduites de la structure, suppose une forte élévation. Le groupe S s’insère parfaitement entre les édifices E, F et G, en reprenant leur orientation. Il est possible que cet espace soit un enclos, avec peut-être un aménagement spécifique dans l’angle sud-est, plus riche en trous de piquets.
138Chaque bâtiment en dur, associé à une ou plusieurs structures sur poteaux, pourrait donc correspondre à un type de ferme de faible envergure mêlant habitat et bâtiments d’exploitation agricole. Mais le secteur se caractérise par la forte densité de bâtiments. Il ne s’agit pas non plus d’une portion d’aile latérale d’une grande villa à plan en U (avec pars urbana et pars rustica) – et donc à des bâtiments d’exploitation reportés le long de la cour – car l’association de ces constructions diverses ne cadre pas avec la structuration habituelle de ces ailes. On trouve en revanche plus de similitudes avec les établissements dits à « plan centré », à l’organisation parfois plus lâche et plus diversifiée. Mais l’habitation y est chaque fois nettement différenciée des communs, notamment par son mobilier et ses matériaux de construction (Nouvel 2009, p. 369).
139Finalement, l’hypothèse d’une exploitation rurale ne semble pas convaincante. Il s’agit donc d’une autre forme d’occupation.
« C’est dans la cour que l’on découpait les carcasses ; c’est dans une cuisine que l’on cuisait et préparait les viandes ; c’est dans des salles de banquet que l’on consommait les chairs de l’animal sacrifié. Dans le temple en revanche, peu d’agitation sinon quelques offrandes déposées sur la table, le couronnement liturgique et le frottement des statues de culte avec de l’huile parfumée » (Lepetz, Van Andringa 2008, p. 58).
- 26 Les portiques sont souvent considérés comme les seuls endroits possibles pour ce type d’activité.
140Cette citation permet de se questionner sur la tenue ou non de banquets au sein même du lieu de culte, et sur l’existence de cuisines dans le sanctuaire ou à sa périphérie. De fait, que le contexte soit rural ou urbain, il convient de rechercher les espaces, ou les structures annexes, permettant d’identifier de telles pratiques. Les lieux de banquet laissent peu de traces directes26. Ce n’est pas le cas des cuisines. Il s’avère pourtant que les traces recensées au sein des sanctuaires sont rares (Van Andringa 2013, p. 106), et plus rares encore sont les exemples de cuisine aménagée, comme celle du sanctuaire de Blicquy déjà évoqué plus haut, dans la cité des Nerviens, avec cellier et foyers (Paridaens et al. 2008). Mais la préparation du banquet pouvait se faire en un autre endroit, ou être reportée assez loin du temple lui-même, comme semble l’attester le sanctuaire d’Authevernes, chez les Véliocasses. Le temple de plan centré est bordé, à environ 50 m à l’ouest et au nord, par des bâtiments périphériques, installés de façon linéaire dans le courant de la seconde moitié du ier s. apr. J.-C. (fig. 18) ; ils sont de plan simple, quadrangulaires, généralement à deux pièces (de 9 à 42 m2), et pourraient avoir servi de salles de banquets et de cuisines (Michel 2012, p. 97 ; Van Andringa 2013, p. 107). Des fosses y ont été découvertes à proximité, comblées de divers matériaux, dont de nombreux ossements animaux, témoins d’une grande variété de repas, ainsi que d’un enfouissement rituel. Il est donc tentant de rapprocher les édifices occidentaux du Vigneau à ceux d’Authevernes. Aucune fosse avec des restes alimentaires n’a été découverte à proximité immédiate de ces édifices occidentaux, mais ces rejets pourraient justement correspondre à ceux mis en évidence à l’intérieur du sanctuaire. Toutefois, l’organisation même de ces édifices et la présence des bâtiments sur poteaux impliquent à notre sens une fonction beaucoup plus complexe que le seul accueil des repas après sacrifices.
Fig. 18 – Éléments de comparaison avec le sanctuaire du Vigneau
A, le sanctuaire d’Authevernes (Eure) ; B, le sanctuaire de Uley (Gloucestershire, Royaume-Uni).
A : d’après Van Andringa 2013 ; B : d’après Woodward, Leach 1993, p. 38, phase iie-ive s.
141Il pourrait également s’agir de structures liées à l’accueil des fidèles. C’est l’hypothèse la plus souvent mise en avant pour les bâtiments révélés à proximité des temples, notamment pour les « grands sanctuaires » de l’ouest et du nord de la Gaule. Toutefois, ces identifications sont souvent contestables et les exemples avérés d’hôtelleries en contexte cultuel sont en réalité très rares (Hartz 2015). L’unique inscription qui mentionne la construction d’hospitalia à l’usage des dédicants a été découverte dans le sanctuaire de Wasserbillig en Germanie, qui plus est hors contexte, et les seules identifications convaincantes se trouvent en Grèce. D’un point de vue plus général, Philippe Leveau a rappelé que les lieux d’hébergement avaient un plan caractérisé par des cours fermées dotées d’entrées charretières, et un vaisselier qui se distingue d’un établissement agricole classique par l’abondance de vaisselle de service (Leveau 2014, p. 13). C’est par exemple le cas des stations routières, qui ont bénéficié de synthèses récentes (France, Nelis-Clément 2014 ; Colleoni 2016). Elles n’ont pas encore livré de modèles architecturaux sûrs, mais quels que soient leur organisation (éclatée ou linéaire), leur statut ou hiérarchie (statio, mansio, mutatio, etc.) et l’étendue de la panoplie des services proposés (étables, écuries, remises, ateliers de réparation ; bureau, salle de réception ; cuisine, chambres ; thermes, latrines ; lieu de culte ; etc.), toutes sont par définition placées sur un axe de circulation, voire à un carrefour de voies. Le temple du Vigneau ne se situe pas sur un axe routier important, même si la voie Poitiers-Tours se trouve à proximité (entre 3 et 6 km selon les hypothèses). Par ailleurs, aucun édifice ne présente les caractéristiques qu’on attendrait d’un lieu d’accueil ; tout juste l’association des bâtiments B et C, s’ils étaient joints par le sud par une troisième aile, aurait pu évoquer un plan approchant celui d’une auberge. En revanche, le vaisselier se distingue bien d’une occupation domestique classique avec une faible proportion de la vaisselle de cuisine par rapport à la vaisselle de table, l’une des formes les plus abondantes étant celle de la cruche.
142Les mêmes questions ont été posées outre-Manche, notamment avec la découverte du sanctuaire d’Uley dans le Gloucestershire (Royaume-Uni ; Woodward, Leach 1993). Sans entrer dans le détail, ce site est remarquable de similitudes avec celui du Vigneau. C’est un lieu de mémoire : l’occupation la plus ancienne date du Néolithique, marquée par la présence de pierres dressées et d’une enceinte, puis s’installe un sanctuaire en bois de la fin de l’âge du Fer avant que se développe, au début du iie s. apr. J.-C., un sanctuaire centré sur un temple romano-celtique avec une galerie matérialisée sur trois côtés uniquement. Une inhumation d’enfant semble être un dépôt de fondation du temple protohistorique. Les découvertes indiquent l’existence d’un culte à Mercure, notamment au travers des nombreux ossements de chèvre et de volaille domestiques. Surtout, se développe à l’époque romaine tout un ensemble d’édifices, les precinct buildings qui – comme leur nom l’indique – entourent le temple, à quelques mètres ou dizaines de mètres de distance (voir fig. 18). La plupart débutent avec une forme rectangulaire, avant l’ajout de divers espaces ou la partition en plusieurs pièces. Au moment de la découverte, les comparaisons qui ont été tentées avec d’autres sites anglais ont confirmé la difficulté, pour les sanctuaires ruraux, de faire des distinctions entre les édifices dits spécialisés (hôtellerie, boutique, etc.) et ceux à vocation domestique (Woodward, Leach 1993, p. 314). À Nettleton, Catsgore, Bradley Hill, Camerton, etc., la plupart des édifices rappellent la forme locale de la ferme ou de la grange. Il en va de même au Vigneau.
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143Interprété lors du diagnostic comme une villa, puis comme un sanctuaire rural aux environs immédiats d’un domaine agricole, le site antique du Vigneau se révèle finalement bien plus complexe. On ne peut pas limiter son interprétation à un sanctuaire de confins, isolé en milieu rural ou en lien avec une exploitation agricole dont seuls quelques bâtiments auraient été mis au jour.
144La partie haute du versant est marquée par des occupations funéraires caractérisées par une première aire sépulcrale datée du Néolithique moyen, une deuxième datée de l’âge du Bronze final, et deux enclos de La Tène ancienne. Du fait du faible recouvrement sédimentaire, ces ensembles ont durablement transformé le paysage et, par extension, marqué la mémoire collective : mégalithes, levées ou buttes de terre, enclos fossoyés, autant de signes de la présence des ancêtres. Il n’y a pas eu continuité d’occupation funéraire, mais une persistance qui se prolonge donc au début de l’époque romaine par l’installation d’un lieu de culte qui ancre la communauté à son passé, selon un processus de fabrication d’une mémoire religieuse et historique (Van Andringa 2017, p. 347). Le sanctuaire a ici une dimension mémorielle d’autant plus forte qu’il est fondé dans un temps d’intégration des cités à l’Empire, à l’époque augustéenne, sur ce qui devait être un haut-lieu de la communauté.
145Les données de fouilles permettent de supposer le lien entre les pratiques cultuelles et l’emplacement spécifique du temple en périphérie immédiate de ce lieu de mémoire. Les indices concernant la divinité sont maigres : pas d’ex voto, pas de représentations, pas de mobilier lié au culte, etc. Les nombreuses fosses plus ou moins riches en ossements animaux (des restes de caprinés presque exclusivement) semblent témoigner de la pratique de banquets avec dépôt des résidus dans des fosses rituelles. Parmi elles, la fosse 1202 avec les restes partiels d’un bovin est atypique et peut-être s’agit-il seulement d’un augmentum, une opération spécifique réalisée pour augmenter la puissance divine (Pirenne-Delforge, Prescendi 2011). Enfin, au-devant du portique double, une fosse (FS1252) contenait une large dalle, probablement issue d’un édifice mégalithique et creusée d’une cupule, qui peut être interprétée comme un possible autel enterré à fleur de terre, à l’image de certains cultes chthoniens. D’après Platon (Les Lois, 828c), les sacrifices chthoniens étaient en effet caractérisés par la direction vers le sol du jet de sang, l’utilisation d’un autel bas, la destruction des chairs par holocauste, l’enfouissement, etc. Le faisceau d’indices n’est pas très fourni, mais il pointe dans une direction, et on conviendra que c’est plutôt vers le bas.
- 27 Les graffites proviennent uniquement de la zone des Bâtiments occidentaux. Il sont peu nombreux en (...)
146Un ensemble de bâtiments s’est développé 70 m à l’ouest du lieu de culte, dans son axe et en contrebas. Il se caractérise par une forte densité de bâtiments sur poteaux ou maçonnés, contemporains du temple et dont l’organisation générale reprend les orientations principales des murs du sanctuaire. Leur structuration diverge de celle des villae de Gaule romaine, qu’elles soient à plan centré ou en U. Le mobilier varié et dispersé au sein des différents édifices atteste d’une occupation domestique, mais témoigne aussi de son caractère limité avec une représentation assez importante de la vaisselle de service et la présence de graffiti de propriété27. L’analyse des aménagements internes indique l’existence de foyers domestiques et d’un local artisanal au sein du bâtiment D.
147Les secteurs du temple et des édifices occidentaux forment un tout. Leur développement est conjoint. La fonction des seconds est sans doute en lien avec l’existence du premier. Mais cette fonction est mixte, plurielle. En l’état actuel des données, il est difficile d’y voir de simples annexes du temple. Il s’agit d’une forme d’habitat, un habitat groupé presque à l’image des hameaux paysans connus dans la plaine d’Alsace (Nüsslein et al. 2020) agglomérant plusieurs bâtiments d’habitation et d’exploitation, mais ici avec une vocation agropastorale moins marquée. Finalement, sans doute simple lieu de vie la plus grande partie de l’année, ce pôle a aussi pu être en lien avec l’entretien, la surveillance et la gestion du temple. Il a pu servir, lors des cérémonies collectives, à la préparation des banquets – en fournissant éventuellement une partie des offrandes, prélevée sur le cheptel et les réserves agricoles – et à l’accueil des fidèles. Avait-il en cela une vocation mercantile, ou s’agissait-il d’une vraie hospitalité procédant d’une pratique évergétique (voir Ferlut 2016) ? On ne peut répondre, mais il ne suffit pas qu’un bâtiment lié à un culte se situe à la campagne pour qu’il soit obligatoirement privé (Cazanove, Joly 2011, p. 664). L’ensemble a, quoi qu’il en soit, joué un rôle durable dans la recomposition du paysage religieux de cette partie de la cité des Turons après la conquête romaine.