- 1 Nous tenons à remercier en premier lieu Stéphane Venault et Sylvie Laurent-Corsini pour leur partic (...)
1Dans les années 1980, plusieurs programmes d’inventaire des sites sidérurgiques anciens implantés dans les régions du nord-est et du centre-est de la France, à l’initiative et sous la direction de Michel Mangin, professeur d’archéologie à l’université de Franche-Comté, participent au renouveau des recherches sur la production du fer avant l’époque moderne (Mangin et al. 1994 ; Faivre et al. 1995)1. Cette thématique est alors peu développée en France en dépit de travaux conduits à la fin du xixe et au début du xxe s., mais alors quelque peu oubliés (Domergue, Leroy 2000). D’emblée, ces recherches ambitionnent d’étudier un grand nombre de ces sites. Elles constituent aussi le creuset dans lequel ont été développés des protocoles d’analyses chimiques et minéralogiques qui ont permis de poser les bases des méthodologies actuelles de caractérisation et d’identification des déchets de production, généralement les seuls artefacts conservés témoignant des processus métallurgiques mis en œuvre (Mangin et al. 1994 ; Mangin dir. 2004). Au bout d’une dizaine d’années, une carte comportant près d’un millier de sites très inégalement répartis sur ce vaste territoire pouvait être présentée (Leroy et al. 2000).
2Une première chronologie a été proposée sur la base de quelques dates radiométriques et grâce à l’étude de mobiliers céramiques découverts lors de travaux d’exploitation modernes et de quelques sondages et fouilles archéologiques. La période antique est alors la mieux documentée et dessine l’image d’une production largement répandue (Mangin et al. 1995 ; Leroy et al. 2000 ; Leroy 2001 ; Domergue et al. 2006, p. 139-141). M. Mangin proposait ainsi de reconnaître le territoire dit du Morvan-Auxois comme le cœur d’une zone de production sous contrôle de la cité des Éduens et ayant pu alimenter les ateliers de forgeage d’Alésia (Mangin et al. 1992). Les fouilles réalisées dans les années 1990 sur le site des Fouetteries sur la commune des Clérimois (Yonne) sur le tracé de l’autoroute A5 (Dunikowski, Cabboï 1995), tout comme au lieu-dit les Ferrys sur la commune de La Bussière (Loiret), sur le tracé de l’autoroute A77 (Rébiscoul 2003), confirmaient la présence d’ateliers d’époque antique, tout en mettant en évidence des antécédents datés de l’âge du Fer dont l’importance restait mal définie.
3Au début des années 2000, la réalisation de datations radiométriques dans le secteur dit de Berthelange, au sud-ouest de Besançon (Doubs) (Laurent et al. 2012), ainsi que dans le pays d’Othe (Beck et al. 2008), permettent de réévaluer l’importance de la production sidérurgique médiévale. Dans le même temps, trois datations par le radiocarbone attestent que certains des grands amas de scories identifiés en Puisaye datent de la période romaine (Piétak et al. 2012).
4L’ensemble de ces données chronologiques s’avérait cependant à ce stade trop ponctuel ou trop dispersé pour qu’on envisage de proposer une caractérisation chronologique représentative de l’évolution des activités de réduction du minerai de fer dans cet espace géographique.
- 2 « La sidérurgie en Bourgogne-Franche-Comté avant le haut fourneau. Organisation et circulation des (...)
5Sur ces bases ont été formulés, à la fin des années 2010, les objectifs d’un projet collectif de recherche (PCR)2 destiné à mieux appréhender la chronologie des amas de déchets métallurgiques, ainsi que les techniques de réduction mises en œuvre. L’ambition est de recourir le plus systématiquement possible à la datation radiocarbone de fragments de charbon de bois ainsi qu’à l’étude des déchets issus de prélèvements en stratigraphie. Les inventaires déjà disponibles permettent de centrer les efforts, non plus sur le repérage et la localisation des sites, mais sur leur caractérisation. L’objectif de la présente publication est d’exposer ces nouveaux résultats qui modifient substantiellement notre perception de la chronologie de ces zones de production.
6Sans prendre en compte les informations fournies par les sources historiques, les travaux d’inventaire archéologique menés depuis les années 1980 permettent de proposer une cartographie d’environ 5 000 sites d’ateliers de production primaire du fer inégalement répartis sur l’espace géographique étudié. L’historique des travaux menés dans chacun des espaces considérés sera présenté dans les chapitres suivants. Dans le cadre du présent programme, la documentation éparse a été rassemblée, vérifiée dans la mesure du possible et intégrée à une base de données générale ce qui permet de proposer une cartographie d’ensemble (fig. 1). Il faut souligner la qualité de ces archives, déjà souvent classées et publiées. La poursuite des travaux de prospection-inventaire ne figurait pas parmi les objectifs du PCR. L’inventaire des ateliers n’a donc été enrichi que de manière ponctuelle. En revanche, c’est la première fois qu’on fournit une carte sur laquelle les zones de production ne sont plus représentées symboliquement, mais au moyen de nuages de points qui prennent en compte la totalité des sites connus.
Fig. 1 – Carte des sites étudiés et des amas de déchets de réduction des minerais de fer recensés en Bourgogne-Franche-Comté
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC) ; fond de carte : Copernicus Land.
7Une très grosse concentration – plus de 2 500 sites – apparaît très nettement à l’extrémité ouest de l’espace bourguignon à l’intérieur de la région naturelle de la Puisaye. Au nord-est de cet ensemble, une autre concentration de moindre ampleur, mais où la densité de sites reste élevée, occupe le Sénonais et le pays d’Othe, de part et d’autre de la vallée de la Vanne, en débordant largement la limite de la région administrative. Une troisième concentration de sites occupe, au centre de la Bourgogne, les contreforts nord du Morvan et les plateaux de l’Auxois et une quatrième, en Franche-Comté, forme une zone plus restreinte au sud-ouest de Besançon. Plusieurs petits groupements dispersés de manière plus ou moins lâche s’observent au nord-ouest dans le Gâtinais, au centre-ouest dans les pays du Nivernais et entre Vézelay et Avallon (Yonne), et au sud-est sur la côte du Mâconnais. Ailleurs, alternent des secteurs où sont présents un petit nombre d’ateliers très dispersés et des espaces géographiques plus ou moins grands où ils semblent absents. Les espaces où se concentrent un nombre important de sites d’ateliers (plusieurs dizaines à plusieurs centaines, voire dans un cas, plusieurs milliers) recèlent évidemment des ressources métallifères et des vestiges de leur extraction, mais en général les unes comme les autres sont assez mal connus et il n’en sera donc pas question ici.
8Il est néanmoins difficile de tracer les limites précises des zones de production car elles ne sont pas toutes connues avec le même degré de précision, qui dépend beaucoup des recherches archéologiques qui y ont été conduites. De plus, ces limites peuvent varier dans le temps. Elles seront donc ici considérées sur la base des concentrations géographiques observées et d’un point de vue diachronique. La collecte de données chronologiques, premier objectif de ce programme de recherche, permettra à terme de mieux cerner leur distribution et leur extension, ainsi que leur évolution au cours du temps long.
9Plusieurs campagnes de prospections et de sondages archéologiques ont été réalisées entre 2017 et 2021. En s’appuyant sur les données enregistrées dans les inventaires constitués depuis les années 1980, le choix des sites étudiés a permis de couvrir un large espace géographique et un panel représentatif des différentes caractéristiques morphologiques et typologiques observées (dimensions et aspect des sites, morphologie et nature des déchets). En Puisaye, une approche spécifique a été développée sous forme de zones d’étude, appelées « zones-atelier », au sein desquelles l’intégralité des amas de déchets sidérurgiques recensés a été étudiée (voir infra).
10Sur le terrain, les amas de déchets ont fait l’objet d’un enregistrement topographique sommaire. Les contours ont été relevés au GPS et les longueurs et largeurs maximales ont été mesurées au moyen d’un décamètre. La hauteur a été relevée au moyen d’un altimètre de terrain en prenant le sol environnant actuel comme référence. Les relevés au GPS permettent de calculer les surfaces à l’aide d’un système d’information géographique (SIG) : le logiciel QGIS. Les dimensions relevées sont destinées à calculer le volume approximatif des amas et non celui des déchets eux-mêmes. Pour ce faire, nous avons utilisé la méthode de calcul proposée par Pierre-Marie Decombeix à partir des travaux menés sur les amas de scories de l’Aude (0,4 × longueur × largeur × hauteur) (Decombeix in Mangin dir. 2004, p. 192-198). Bien que la marge d’erreur soit importante, l’utilisation de cette méthode donne un ordre de grandeur et permet une première comparaison des sites sur la base de critères identiques.
11Des déchets métallurgiques ont été prélevés systématiquement pour caractériser les différentes typologies rencontrées (morphologie et structure, puis après observation microscopique, texture minéralogique et composition chimique). Ces déchets ont été prélevés soit simplement en surface des amas, soit en stratigraphie dans des sondages (fig. 2). Ceux-ci ont été réalisés majoritairement sous la forme de petites fenêtres d’un mètre de côté, creusées jusqu’au sol naturel ou par rafraîchissement de coupes déjà existantes, correspondant le plus souvent au creusement de chemin ou à des zones de prélèvement de matériaux. Plusieurs sites, notamment les amas présentant encore une épaisseur de plusieurs mètres, ont fait l’objet de sondages de plus grande ampleur effectués avec une pelle mécanique. Dans ce cas, les couches ont été échantillonnées à partir de prélèvements en vrac de façon à quantifier les proportions des différents matériaux présents et la part respective des différents types de déchets.
Fig. 2 – Méthodologie de terrain et stratégie de prélèvement des charbons de bois pour datation radiocarbone
A, prospection au sol sur les amas de déchets sidérurgiques, nettoyage de blocs de scories visibles en coupe ; B, sélection de scories contenant des charbons de bois à la surface des amas de déchets ; C, exemple de sondage stratigraphique réalisé sur un petit amas de déchets ; D, exemple de sondage mécanique dans un amas de déchets de gros volume ; E, prélèvements de charbons de bois et d’artefacts sidérurgiques au sein d’une coupe stratigraphique dans un amas de déchets de gros volume.
Clichés : M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS).
12L’un des objectifs principaux étant la datation des sites, une attention particulière a été portée à la collecte de charbons de bois en stratigraphie dans les sondages ou à l’intérieur des scories pour réaliser des analyses radiocarbone. Un volet d’étude anthracologique a été développé parallèlement afin d’aborder les questions relatives aux essences et aux parties d’arbres choisies pour la production du combustible nécessaire aux opérations sidérurgiques et plus largement aux impacts que cette activité provoque sur le long terme sur le peuplement forestier (Dufraisse, Coubray 2018).
13Près de 180 amas de réduction ont été nouvellement prospectés et une quarantaine d’entre-eux ont été sondés. Un total de 159 nouvelles dates radiocarbone ont été acquises, permettant de disposer, en tenant compte de celles déjà disponibles avant ce PCR, de 210 dates exploitables issues de 159 sites (annexe 13).
14L’analyse chronologique proposée dans le cadre de cet article repose pour l’essentiel sur les résultats des datations par le radiocarbone. Hors des ateliers, les scories de réduction retrouvées par exemple en remblai dans certains habitats n’ont pas été prises en compte parce qu’elles sont en position secondaire. Il serait également tentant d’utiliser les découvertes fortuites de céramiques et encore plus celles de dépôts monétaires survenues dans les amas mais, là encore, la position stratigraphique de ces objets ne peut généralement pas être précisée.
15Peu utilisée autrefois pour les périodes postérieures aux âges des métaux et devenue courante aujourd’hui, l’analyse radiocarbone permet à la fois le traitement chronologique global de grandes séries de sites et l’approche détaillée de ceux qui ont une forte puissance stratigraphique. Il n’en reste pas moins que, comme n’importe quelle méthode de datation, le radiocarbone présente des limites techniques et que la manipulation des résultats et leur interprétation n’échappent pas à la subjectivité.
- 4 Ce travail est assuré par Olivier Girardclos, ingénieur de recherche au laboratoire Chrono-environn (...)
16Dès le prélèvement, les différences de qualité des charbons de bois envoyés à l’analyse peuvent introduire un biais en raison de l’effet « vieux bois ». Depuis 2015, tous les échantillons sont étudiés par un anthracologue4 qui sélectionne de petites branches ou les derniers cernes de l’arbre. Cela n’était pas le cas il y a encore quelques années et ce n’est pas toujours possible lorsque seul du bois de cœur est disponible ou lorsque le charbon est présent dans les scories sous forme de poudre. Il faut alors admettre que toutes les dates n’ont pas la même valeur.
17Depuis l’introduction de la calibration, la précision des dates varie fortement sur l’échelle du temps. On évoque souvent le plateau du premier âge du Fer, qui se termine brutalement avec la date 2375 BP et où les plages calibrées sont d’une amplitude supérieure à 300 ans. Cependant, pour les périodes plus récentes, il existe d’autres plateaux, certes de moindre ampleur, mais bien présents. Actuellement, pour le deuxième âge du Fer, à 2335 BP et 2330 BP, les plages calibrées sont d’environ 280 ans ; entre 2175 BP et 2100 BP, elles varient entre un peu plus de 250 ans et presque 300 ans. À la charnière du Bas-Empire et du premier Moyen Âge, entre 1675 BP et 1645 BP, on dépasse 270 ans d’amplitude. Par le flou qu’ils introduisent, ces plateaux perturbent l’analyse chronologique quand on les représente dans un graphique : plus les dates sont imprécises, plus elles occupent d’espace. Il est alors tentant de les utiliser, au moins visuellement, comme des « chaînons manquants » entre deux séries de dates.
18Lorsque l’incertitude de la date conventionnelle dépasse les ± 30 ans BP, il est nécessaire de réfléchir également à l’amplitude de la plage de calibration au-delà de laquelle une date ne peut plus être considérée comme utilisable. Dans l’absolu, le fait qu’une date soit imprécise n’empêche pas qu’on s’en serve. Après tout l’approximation chronologique est le lot quotidien de l’archéologue. En revanche, les représentations graphiques s’accommodent mal des données floues. Ainsi, il faut examiner le « potentiel datant » de chaque date prise individuellement. Autre difficulté, et non des moindres, la courbe de calibration du radiocarbone évolue, ce qui a été le cas entre 2019 et 2020 (Reimer et al. 2020). Certaines plages calibrées rejoignent des plateaux ou connaissent un allongement significatif ; d’autres quittent au contraire un plateau ou deviennent très précises ; d’autres encore, tout en conservant une amplitude comparable à celle de la calibration précédente, voient leurs bornes glisser, parfois de trois quarts de siècle.
19Enfin, malgré leur nom, les dates radiocarbone calibrées ne sont pas des dates dans le sens propre du terme, mais des intervalles de temps à l’intérieur desquels la vraie date a une très forte probabilité de se trouver. En aucun cas, ces intervalles n’expriment la durée de fonctionnement des ateliers. Dans ces conditions, comment exprimer les constats sous forme de texte ? On doit sans cesse choisir entre les approximations, les abus de langage et l’emploi de périphrases. Malgré ces limites, le radiocarbone demeure un instrument irremplaçable pour la datation des sites de réduction du minerai de fer.
20Les recherches conduites dans le cadre du PCR ont tenté de couvrir les espaces de production livrant les plus grandes concentrations de sites. La présente partie a pour objet d’exposer ces recherches, ainsi que les résultats acquis à partir d’analyses engagées sur quelques sites isolés. La Puisaye, la zone la plus riche en vestiges et la mieux documentée, a constitué la plus grosse part des activités de terrain, et sera plus particulièrement détaillée. Dans un deuxième temps, seront donnés les premiers résultats des travaux menés sur les déchets sidérurgiques. La dernière partie proposera une tentative d’interprétation de l’évolution des activités de production sidérurgique.
21La Puisaye est une région naturelle de bas plateaux s’étendant entre les vallées de la Loire et de l’Yonne (fig. 1). Elle couvre le sud-ouest du département de l’Yonne, le nord-ouest du département de la Nièvre et l’extrémité sud-ouest du département du Loiret (Goujon 1911). Dès la première moitié du xixe s., des amas de scories anciennes, dénommés « ferriers » ou « ferrys », y sont mentionnés et un premier recensement cartographique est publié (Leymerie, Raulin 1858). Il est complété par un inventaire plus détaillé au début du xxe s. (Huré 1920), puis par une étude qui s’attache davantage aux caractéristiques géologiques et chimiques (Momot 1963 ; 1964). Ces inventaires concernent en fait l’ensemble du département de l’Yonne. Ils prennent donc en compte non seulement la Puisaye, mais aussi le pays d’Othe, le Sénonais, l’Avallonais et le pays de Vézelay.
- 5 140 000 tonnes de scories sont ainsi récupérées sur le seul Ferrier de la Roserie, à La Villotte (a (...)
- 6 Tous les gros amas occupant des surfaces de plusieurs hectares ont été exploités intensément jusqu’ (...)
22Ces amas, qui ont parfois des dimensions considérables, étaient utilisés comme carrières à des fins de réutilisation des matériaux pour servir à la construction des routes, des chemins et des voies ferrées5, avant qu’au cours de la première moitié du xxe s. se développe une réexploitation intensive à destination des usines sidérurgiques de l’est de la France, de Belgique, du Luxembourg et d’Allemagne (Goudard 1936). Durant cette période, tous les grands amas de scories ont été concernés par ces prélèvements massifs6. En 1907, l’entreprise Roulina évaluait à un million de tonnes le potentiel de scories exploitables sur le seul Grand Ferrier de la Garenne de Tannerre-en-Puisaye (Yonne), le plus gros amas reconnu (30 ha) (Loffroy 1998). Pour sa part, A. Goudard estimait qu’entre 1920 et 1929, 100 000 à 120 000 tonnes de scories avaient été expédiées tous les ans par les entreprises exploitantes. Une masse totale de plusieurs millions de tonnes de scories n’est donc pas invraisemblable (Bouthier 2002, p. 122).
23Nombre de ces amas de scories sont encore bien visibles, même s’ils sont le plus souvent partiellement ou fortement détruits. Ils paraissent majoritairement localisés sur les plateaux encadrés par les principales vallées et plusieurs zones de fortes concentrations sont visibles : au nord de la vallée de l’Ouanne ; entre celle-ci et la vallée du Branlin ; entre la vallée du Loing et celle de la Vrille (près de 40 sites au kilomètre carré dans les forêts entre Saint-Fargeau et Lavau dans l’Yonne). La faible proportion de sites repérés dans les fonds de vallée n’est peut-être pas due uniquement aux conditions de prospection (prairies et zones urbanisées), mais pourrait être une réalité historique qui doit encore être questionnée. Même si on trouve majoritairement ces sites en secteur forestier (où ils sont plus faciles à repérer, car beaucoup mieux conservés et en élévation), une part non négligeable a été aussi reconnue dans les champs labourés (Piétak et al. 2012). Les amas se présentent en monticules de tailles variables, allant de 10 à 100 m de diamètre, pour des hauteurs comprises entre 1,50 et 5 m. De très gros amas pouvant couvrir plusieurs hectares et dépasser la dizaine de mètres de hauteur sont également connus bien que souvent partiellement détruits (Piétak et al. 2012). Des plus gros amas ne subsitent que des couronnes périphériques suggérant des diamètres de plus de 100 m et des hauteurs initiales dépassant 10 m. Les surfaces occupées peuvent dépasser 10 à 15 ha, jusqu’à 30 ha au Ferrier de la Garenne à Tannerre-en-Puisaye. L’exploitation des amas se poursuit encore actuellement, notamment en tant que source de tout-venant.
24Dans les années 1980 et 1990, Alain Bouthier, historien des techniques, a été le premier à s’intéresser à leur chronologie et aux techniques sidérurgiques dont ils témoignent, ses travaux englobant tout le département de la Nièvre. En résultent plusieurs inventaires et synthèses fournissant un bilan des données chronologiques disponibles et une première approche typologique et archéométrique des déchets sidérurgiques (Bouthier 1982 ; 1995 ; Bouthier et al. 1987). Dans les années 1990, l’inventaire, le géoréférencement et la mesure de la superficie des ferriers encore visibles ont été réalisés de manière plus systématique par Jean-Pierre Piétak dans le cadre d’une prospection-inventaire. Ce programme était alors soutenu financièrement par la Drac-SRA Bourgogne et encadré scientifiquement par Marc Leroy, Cécile Le Carlier et Paul Merluzzo du Laboratoire Métallurgies et Cultures (LMC-Iramat-CNRS). Ces travaux menés sur plus de 10 ans à partir du début des années 2000 ont permis le recensement d’environ 2 300 amas sur une superficie d’environ 1 000 km2 et ont abouti à la publication d’un article de synthèse dans la Revue archéologique de l’Est (Piétak et al. 2012). La poursuite de ces prospections par J.-P. Piétak porte actuellement le total à plus de 2 500 amas.
- 7 L’extrémité sud-est du département du Loiret, entre Bonny-sur-Loire, Briare et Châtillon-Colligny, (...)
- 8 Cette opération archéologique est à l’heure actuelle la seule qui ait permis de fouiller, au moins (...)
25Les éléments chronologiques disponibles se rapportent essentiellement à la période romaine. A. Bouthier (1995) recense ainsi une vingtaine de sites livrant des dépôts monétaires et de la céramique dont les datations s’échelonnent du ier au ive s. apr. J.-C., avec une plus grande fréquence pour les iie-iiie s. Dans la Nièvre, la réalisation de sondages sur une villa datée des ier-iie s. apr. J.-C., surmontée d’une couche de déchets métallurgiques, sur le site de la Vallée-Saint-Pèlerin à Bouhy (Bouthier 1985) et dans une minière remblayée de vestiges romains datés des iie-iiie s. apr. J.-C. à Alligny-Cosne, au lieu-dit les Reboulots - les Cornijons (Bouthier 2002), ne permet cependant pas d’attester la contemporanéité entre mobilier datant et déchets sidérurgiques. Dans l’Yonne, au Ferrier Guillou à Dracy 2, au Ferrier des Noirs à Dracy 3 et au lieu-dit les Grands Usages à Villiers-Saint-Benoît 1, les datations par le radiocarbone obtenues en 2006 couvrent elles aussi la période allant de la fin du ier s. au début ou au milieu du ive s. apr. J.-C. (Piétak et al. 2012), mais elles concernent uniquement de gros sites touchés par les réexploitations. L’opération archéologique conduite sur le tracé de l’autoroute A77, déjà mentionnée supra (aux Ferrys, commune de La Bussière7 ; Rébiscoul 2003) a quant à elle révélé les vestiges d’un atelier du premier âge du Fer, auquel succèdent un autre atelier de l’époque romaine, ainsi que des vestiges d’exploitation minière allant jusqu’au xie s.8.
- 9 Il faut souligner l’aide précieuse apportée par J.-P. Piétak dans le cadre de ces différentes appro (...)
- 10 Le choix de ces zones-atelier a été guidé par leur localisation au sein des plus grosses concentrat (...)
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26Les travaux se sont organisés à partir de trois zones-atelier, au sein desquelles l’ensemble des amas ont été prospectés et échantillonnés, et dont une part significative a été sondée9 (fig. 3). Ces trois zones-atelier se répartissent dans les trois secteurs de forte concentration de sites qui se rencontrent au nord, au centre et au sud de la Puisaye. Il s’agit ainsi d’assurer une bonne représentativité de la diversité des sites de production primaire présents dans tout cet espace géographique10. Au nord, dans le Bois des Ferriers et à sa périphérie, sur la commune de Montholon11 (Yonne), vingt-quatre amas ont été étudiés et six ont été sondés. Dans le centre, vingt-six amas ont été prospectés sur la commune de Villiers-Saint-Benoît, dans deux secteurs localisés de part et d’autre de la vallée de l’Ouanne, aux lieux-dits les Grands Usages, l’Usage des Souches, Bois Fendu et Bois des Usages, et quatorze ont fait l’objet de sondages ponctuels. Au sud, au Bois de Bailly sur la commune de Saint-Fargeau, trente-neuf sites ont été prospectés et douze ont fait l’objet de sondages.
Fig. 3 – Carte des sites étudiés et amas de déchets sidérurgiques recensés en Puisaye (Bourgogne-Franche-Comté)
Inventaires : J.-P. Piétak (Iramat-LMC-CNRS), A. Bouthier (AOROC), et inédits ; DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC) ; fond de carte : Copernicus Land.
27Parallèlement à l’approche par zone-atelier, des prospections ciblées ont été menées sur vingt-sept amas choisis en fonction de la typologie des scories visibles en surface. Ces études ponctuelles ont concerné des sites livrant de gros blocs de scories non écoulées hors de la cuve du bas fourneau. La technique de réduction fournissant des scories piégées est bien documentée pour le premier âge du Fer dans l’ouest de l’Europe, même si elle est également connue dans d’autres régions durant l’Antiquité et au Moyen Âge. Ce type de déchet, facile à dater car intégrant généralement une forte proportion de charbon, a donc été étudié dans un premier temps pour confirmer l’hypothèse d’une datation à la Protohistoire. Une attention particulière a également été portée aux scories vitreuses, dans la suite des résultats des travaux menés dans les années 2000 qui, tout en les datant de l’Antiquité, avaient mis en évidence leur similarité d’un point de vue pétrographique et chimique avec les laitiers de haut fourneaux anciens (Piétak et al. 2012). Il s’agissait donc de mieux préciser la chronologie de ces différents types de déchets particuliers. Au total, 110 sites ont été prospectés et échantillonnés, et soixante-sept d’entre eux ont été datés par le radiocarbone.
28Trois types de sites peuvent être définis (fig. 4) :
- les sites « discrets » se caractérisant par une absence de relief ou par une très faible épaisseur (inférieure à 0,70 m) et une faible concentration de scories en surface dans un sédiment marron clair à orangé. La plupart sont très petits, ils s’étendent sur 100 à 750 m2. D’autres couvrent 1 000 à 2 000 m2, mais ils sont peu nombreux. Leur volume apparent reste donc généralement inférieur à 400 m3. Les sondages révèlent une augmentation de la concentration en déchets au-delà des 25 cm superficiels ainsi que la présence ponctuelle de gros blocs de scories décimétriques à la base. Cette caractéristique pourrait s’expliquer par la technologie de réduction employée, recourant à des bas fourneaux dont la scorie reste piégée dans la cuve ;
- le groupe des « petits amas » correspondant à des sites couvrant des surfaces très limitées, généralement inférieures à 100 m2 et pouvant atteindre pour le plus grand 400 m2, caractérisés par de faibles élévations (inférieures à 1 m). Les volumes estimés ne dépassent pas 100 m3 (à une exception près). La concentration en scories est élevée et elles sont emballées dans un sédiment foncé, de couleur marron à noir ;
- le troisième groupe rassemblant de « gros amas », dont les surfaces s’étendent généralement sur plus de 1 000 m2 et pouvant couvrir dans certains cas plusieurs hectares. Ces sites sont très rarement intacts. Le plus souvent, ils ont fait l’objet d’une intense réexploitation qui a laissé de nombeux trous et tranchées. Certains ne subsistent plus que sous la forme d’un bourrelet périphérique discontinu ou de portions d’amas séparées les unes des autres. Les élévations initiales ne sont donc pas toujours restituables, mais certains sites paraissent clairement constitués de plusieurs monticules dont les hauteurs dépassent souvent le mètre et qui parfois atteignent encore une dizaine de mètres. Au sein des amas, la densité de scories peut être élevée, mais en surface elle est plus faible. La coloration du sédiment présente une certaine variabilité, la couleur rougeâtre semblant cependant prédominante. Il est parfois difficile de distinguer les amas de scories anciennes réellement en place des tas de résidus résultant du criblage opéré par les réexploitations modernes.
Fig. 4 – Les différents types d’amas de déchets identifiés en Puisaye (Bourgogne-Franche-Comté)
A, sites discrets ; B, petits amas ; C2, gros amas.
Clichés : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
29Cette typologie purement morphologique est une première approche qui se veut assez simple pour décrire une situation sans doute plus complexe, dans l’attente d’une combinaison avec les apports des datations et de l’étude typologique fine des déchets de production. Globalement, elle diffère peu de la typologie établie sur la base des observations de terrain de J.-P. Piétak : le type 1 correspond aux sites discrets, le type 4 correspond aux petits amas et les types 2 et 3 se confondent avec les gros amas (Piétak et al. 2012, p. 122-125).
30Considérons à présent les caractéristiques des sites en fonction des zones-atelier. Celle de Montholon se distingue par une majorité d’amas de grande taille (seize sur les vingt-quatre étudiés). Sur les six sites sondés, quatre sont de gros amas, présentant des élévations importantes : jusqu’à 11 m pour le site d’Aillant-sur-Tholon 1, au Bois des Ferriers. L’examen des stratifications révèle une superposition de couches de rejet de déchets scorifiés, de parois de fourneau, voire de minerai grillé. Les datations réalisées au sein de ces différentes strates montrent que les accumulations de ces déchets ont pu débuter dès le iie ou le ier s. av. J.-C. Elles semblent avoir cessé à la fin du iiie s. sur le site d’Aillant-sur-Tholon 5, et au début voire au milieu du ive s. apr. J.-C. sur les sites d’Aillant-sur-Tholon 1, 3 et 20. Même en tenant compte des incertitudes liées aux plages de calibration des dates radiocaborne soulignées plus haut, ces amas paraissent s’être constitués sur plusieurs siècles, si ce n’est en continu, au moins en plusieurs phases, depuis La Tène finale jusqu’au début du Bas-Empire.
31Nous disposons pour ce secteur de quarante-et-une dates issues de dix-sept sites (fig. 5). Elles permettent de reconnaître une activité sidérurgique débutant entre le ive et le iiie s. av. J.-C. et se poursuivant sans hiatus perceptible jusqu’au ive s. apr. J.-C. La plupart des sites datés dans cette zone-atelier se situent dans une période comprise entre le ier et le ive s. apr. J.-C. Après une interruption – au moins apparente – de plusieurs siècles, une production plus tardive est documentée à partir de deux amas identiques et jumelés dont l’un a été daté des xie-xiiie s. Le sondage mécanisé réalisé sur ce site (Aillant-sur-Tholon 10) révèle une accumulation de déchets mélant scories et parois scorifiées sur environ 1 m d’épaisseur, emballées dans un sédiment noir.
Fig. 5 – Chronologie par type de site dans la zone-atelier de Montholon (Yonne), en Puisaye
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
32La zone-atelier de Villiers-Saint-Benoît livre tous les types de sites. Dix-sept amas ont été datés sur les vingt-six prospectés. Les gros amas couvrent des surfaces étendues, mais leurs élévations sont modestes : au maximum 3 m. Pour ces sites, la datation par prélèvement de charbon au sein de scories visibles en surface a été privilégiée. La plupart des sondages réalisés dans ce secteur ont été conduits manuellement sur des extensions inférieures au mètre carré, et ont concerné des petits amas ou des sites discrets. Les sites sondés révèlent généralement des épaisseurs qui ne dépassent pas 40 à 50 cm et une seule couche – homogène – de déchets. Deux petits amas sont implantés sur des accumulations de déchets antérieures, classées dans la catégorie des gros sites. Dans ce secteur, les datations radiocarbone (fig. 6) permettent de reconnaître une exploitation sidérurgique presque continue entre le ive s. av. J.-C. et le xiiie s. apr. J.-C. Plus précisément, ses débuts sont à situer entre le ive et le iiie s. av. J.-C., avec trois amas précisément datés dans cet intervalle chronologique, et trois autres dont les datations le recouvrent en partie. L’Antiquité, entre le début du ier et le milieu du ive s. apr. J.-C., est représentée par deux, voire par quatre amas. Un hiatus est constaté entre le milieu du ve et le début du vie s. apr. J.-C. La période la mieux documentée correspond aux viie-xe s., avec sept amas dont les datations recouvrent au moins partiellement cet intervalle, et l’activité sidérurgique se poursuit jusqu’au xiiie s. avec un seul site.
Fig. 6 – Chronologie par type de site dans la zone-atelier de Villiers-Saint-Benoît (Yonne), en Puisaye
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS, M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
33La zone-atelier de Saint-Fargeau se caractérise par une grande variété d’amas au sein desquels prédominent les sites discrets. Les résultats des datations mettent en évidence trois grandes phases (fig. 7). Les plus anciens indices de production sidérurgique sont à dater entre le viiie et le ve s. av. J.-C., avec trois sites. Le plus grand nombre d’amas est daté de la période suivante, comprise entre les ive-iiie s. et le milieu du ier s. av. J.-C. Trois sites appréhendés à partir de sondages mécanisés sont datés de l’Antiquité : entre le ier et le début du iiie s. apr. J.-C. Ces gros amas ont été très endommagés et, dans deux cas (sites 3 et 13), seules de faibles épaisseurs des niveaux de rejets et des lambeaux de sols de travail subsistent. Le site Saint-Fargeau 6 est moins remanié et conserve sous le niveau de circulation actuel une épaisseur de déchets d’environ 1,30 m. Marqué par un faible relief, il ne laissait pas présager une telle puissance stratigraphique conservée. Comme dans la zone-atelier de Montholon, les couches sont constituées alternativement de scories et de parois. Les charbons prélevés en stratigraphie dans ces gros amas fournissent des dates identiques, comprises entre le iie s. av. J.-C. et le ier ou la fin du iie s. apr. J.-C. À l’emplacement des sites de Saint-Fargeau 3 et 13, des datations effectuées sur des charbons prélevés respectivement à l’intérieur d’une scorie piégée et dans un niveau de minerai grillé, indiqueraient une phase d’exploitation sidérurgique plus ancienne remontant au premier âge du Fer, en cohérence avec les résultats acquis à l’échelle de cette zone-atelier. Un hiatus est constaté entre le début du iiie et la fin du viie s. apr. J.-C. Une autre période d’activité reconnue s’étend de la fin du viie à la fin du xe s. avec six ateliers situés dans cet intervalle. La production est également attestée durant les xiiie-xive s., mais sur un seul amas de déchets. Tous ces sites médiévaux révèlent des stratifications d’épaisseur limitée : elles atteignent au maximum une cinquantaine de centimètres et sont constituées d’une seule couche de rejet, généralement homogène, en particulier sur le site Saint-Fargeau 4 qui a fait l’objet d’un sondage mécanisé sur environ 5 m de long.
Fig. 7 – Chronologie par type de site de la zone-atelier de Saint-Fargeau (Yonne), en Puisaye
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
- 12 Cet ensemble s’étend à cheval sur les départements de l’Yonne, de l’Aube, du Loiret et de la Seine- (...)
34Un important espace de production primaire est identifié au cœur du pays d’Othe et de la Champagne sénonaise, au sein d’un ensemble de plateaux crayeux de part et d’autre de la vallée de la Vanne. Il se prolonge dans les plaines de la confluence Seine-Yonne et peut-être aussi sur la bordure orientale du Gâtinais12 (fig. 8). Comme en Puisaye, le paysage est ponctué de buttes de déchets. Les mentions d’amas de scories figurent dans les inventaires qui recensent les ferriers du département de l’Yonne au xixe s. et au début du xxe s. (voir supra, § 22 sqq. ; Boutiot 1867). Dans les années 1980 et 1990, les recherches en archives, couplées aux repérages sur le terrain d’établissements médiévaux et modernes mettent en évidence l’implication des Cisterciens dans le développement de l’industrie sidérurgique dès la fin du xiie s. (Cailleaux 1984 ; 1991 ; Verna 1995). Mais ce sont les fouilles préventives menées au lieu-dit les Fouetteries sur la commune des Clérimois, au début des années 1990, préalablement à la construction de l’autoroute A5, qui permettent pour la première fois d’étudier une succession d’ateliers de réduction sur près de 1,50 ha et de caractériser leur évolution depuis la fin de l’âge du Fer jusqu’au haut Moyen Âge (Dunikowski, Cabboi 1995). Il s’agit encore actuellement des seuls ateliers fouillés dans ce secteur. Parallèlement, des prospections pédestres menées le long du tracé autoroutier, au nord de la Vanne, révèlent plusieurs dizaines d’indices de sites métallurgiques (ibid., annexe 1, p. 26-31).
Fig. 8 – Carte des amas de déchets sidérurgiques recensés et sites étudiés du pays d’Othe à la bordure orientale du Gâtinais
Inventaires : P. Beck (université de Lille 3), C. Dunikowski (Inrap), P. Nouvel (université de Bourgogne - Artehis) ; DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC) ; fond de carte : Copernicus Land.
35Les recherches conduites dans les années 2000 complètent et densifient la carte de répartition des sites métallurgiques connus, cette fois-ci principalement au sud de la Vanne (Nouvel 2004 ; Beck et al. 2008). Les travaux de Patrice Beck associent enquête archivistique et prospections de terrain. L’examen des comptes seigneuriaux révèle ainsi l’importance de l’exploitation du minerai de fer aux xive-xve s. et l’implantation fréquente des gros établissements sidérurgiques le long des cours d’eau à partir du xve s. Sur le terrain, 166 sites ont été découverts, répartis de manière inégale et principalement conservés sous couvert forestier. Certaines concentrations sont flagrantes, comme celles qui entourent l’abbaye de Dilo. Si quelques grands amas, dont la superficie dépasse 1 000 m2, ont été repérés, la quasi-intégralité présente des dimensions modestes : inférieures à 100 m2. Six d’entre-eux ont été sondés sur les communes de Palis et d’Aix-en-Othe (Aube). L’un est daté des viie-vie s. av. J.-C. d’après des tessons de céramique carénée, et quatre se situent dans une période comprise entre l’extrême fin du ixe et le xve s., confirmant la longue durée de l’activité sidérurgique. Plus récemment encore, un recensement des activités métallurgiques pratiquées au sein des habitats de l’âge du Fer y a mis en évidence la fréquence des déchets de réduction (Ha D3, LT A et LT B2/C1) (Leroy, Cabboi dir. 2019). Comment interpréter le vide qui dessine une apparente frontière entre les concentrations d’amas du nord de la Puisaye et celles du sud du pays d’Othe ? Ces espaces de production présents sur les mêmes couches géologiques partagent de nombreux points communs. De futurs travaux de prospection devront ainsi déterminer s’il s’agit d’un vide documentaire ou d’une réalité historique.
36Les travaux menés dans le cadre du présent projet ont été modestes. De nouveaux sondages ont été entrepris uniquement au Bois de Migennes à Bussy-en-Othe sur les sites 1 et 2 (Yonne), en raison de leur extension sur plusieurs dizaines d’hectares et de leur juxtaposition avec une série de bâtiments antiques de statut élevé (balnéaire et sanctuaire) incitant à faire remonter à l’Antiquité l’exploitation sidérurgique (Nouvel 2004). Un autre volet de l’étude s’est concentré sur la reprise de la chronologie du site des Fouetteries aux Clérimois. Beaucoup de dates obtenues à partir des charbons prélevés lors de la fouille sont accompagnées d’une incertitude qui dépasse largement ± 50 ans. Si la courbe de calibration des années 1990 permettait malgré tout de les traduire en dates calibrées relativement précises, la courbe actuelle les a parfois dilatées au point de les rendre pratiquement inutilisables. Huit nouvelles datations ont donc été réalisées afin de tenter de préciser notamment la chronologie du début de l’exploitation sidérurgique dans ces ateliers. En prenant en compte les résultats des travaux précédents sur l’ensemble de l’espace pays d’Othe, Sénonais et bordure orientale du Gâtinais, seize dates issues de sept sites peuvent être retenues et le site des Clérimois reste le mieux documenté.
- 13 Il s’agit pour la fin du ve s. av. J.-C. du site de Charmoy à Écuelles, pour les ive-iiie s. av. J. (...)
37L’ensemble des dates actuellement disponibles permet d’envisager un début d’exploitation dans une période comprise entre le début du ive et le début du iie s. av. J.-C (fig. 9). Elle est représentée aux Clérimois, à Bussy-en-Othe 1, mais aussi sur plusieurs sites d’habitat mis au jour dans la vallée de l’Yonne et sur le plateau du Gâtinais13, ainsi qu’à Palis, au Bois de Chevigny, sur la base de quelques tessons de céramique.
Fig. 9 – Chronologie des sites du pays d’Othe à la bordure orientale du Gâtinais
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
38À Bussy-en-Othe 1, les prélèvements de charbons ont été effectués en stratigraphie, à deux emplacements distincts. En raison de son extension importante, ce site mériterait plusieurs campagnes de prospection pour qu’on comprenne mieux sa structure. Les travaux récents se sont concentrés sur un long merlon couvrant environ 2 000 m2. Une entaille transversale qui évoque une limite de parcelle a révélé une épaisseur de déchets de plus de 1 m. Un charbon a été prélevé à la base de cette entaille, l’autre provient d’un micro-sondage mené à partir du fond d’un chablis jusqu’à une profondeur de 0,80 m, sans que le sol naturel ait été atteint. Les trois analyses par le radiocarbone documentent une activité débutant entre le ive et le iie s. av. J.-C. et semblant se poursuivre jusqu’au début du ier s. apr. J.-C.
- 14 Date calibrée entre 40 cal. BC et 200 cal. AD.
39Composé d’au moins trois amas, le site des Fouetteries aux Clérimois est lui aussi très étendu, avec une surface mesurée de 6 700 m2 et un volume total estimé de 7 800 m3 (Dunikowski, Cabboi 1995). La date provenant d’un niveau de sol du site du Ferrier 1 (Lv-1887) est imprécise, mais elle est la seule à couvrir un intervalle quasi-intégralement situé avant le changement d’ère (371 cal. BC-10 cal. AD). Associée à des fourneaux à scorie écoulée hors de la cuve, elle pourrait indiquer l’usage de cette technique dans le courant du deuxième âge du Fer, plus précocement que ce qui est habituellement admis (Berranger, Bauvais 2020). Il faut souligner le volume important de ces fourneaux dont le diamètre est compris entre 0,90 et 1,40 m, dont la hauteur avoisine ou dépasse le mètre et qui fonctionnent en batterie de deux (Dunikowski, Cabboi 1995). Les autres dates récemment acquises, issues du Ferrier 1, se rattachent à une période comprise entre la fin du ier s. av. J.-C. et le début du ive s. apr. J.-C. Pour le Ferrier 2, elles sont comprises entre le milieu du iie s. av. J.-C. et le début du iiie s. apr. J.-C. Elles sont toutes associées à des fourneaux à scorie écoulée, à l’exception d’une14 qui provient d’un four en fosse (F146) situé sous le Ferrier 1. Cette dernière permet de mieux cerner la période d’utilisation de cette structure de réduction, qu’on faisait auparavant remonter au deuxième âge du Fer sur la base d’une date désormais très imprécise. Il faut mentionner de nouvelles tentatives de datation radiocarbone réalisées sur deux autres fours en fosse (F56 et F60). Dans les deux cas, les résultats ont été aberrants (respectivement 2848-1528 cal. BC et 997-839 cal. BC). Sur ce même site, une dernière période de production est reconnue sur le Ferrier 3b : les ve-vie s. apr. J.-C., voire le début du viie s., en cohérence avec les résultats déjà précédemment obtenus (Dunikowski, Cabboi 1995). Les fourneaux concernés, également à scorie écoulée, se distinguent de ceux de la période romaine par leur taille plus faible, leur morphologie différente et par le fait qu’ils fonctionnent individuellement et non en batterie.
40Enfin, deux nouvelles dates renvoient à la période médiévale. Elles proviennent des sites de Bussy-en-Othe 2, le Bois de Migennes (voir supra), et du site de Maraye-en-Othe 11, en forêt domaniale de Froissy, et couvrent une période déjà documentée par les travaux de Patrice Beck, qui va du début du xe au milieu du xiiie s.
- 15 Les travaux d’A. Bouthier ont pour cadre le département de la Nièvre, ou tout au moins sa moitié oc (...)
41On peut regrouper sous cette appellation, qui ne correspond pas à une région naturelle stricto sensu, mais à un ensemble de petits « pays », une soixantaine de sites formant une série de petites concentrations, essentiellement dans le nord-ouest du département de la Nièvre, depuis le secteur de Clamecy au nord-est (où une partie d’entre eux se trouvent sur la frange méridionale du département de l’Yonne) jusqu’à La Charité-sur-Loire au sud-ouest. Ces amas de déchets de réduction sont principalement connus par les recherches d’A. Bouthier qui, à partir des années 1980, en a établi l’inventaire en compilant des données bibliographiques anciennes et des découvertes faites en prospection, fortuitement ou lors de fouilles archéologiques (Bouthier 1982 ; 1995 ; Bouthier et al. 1987)15. Plusieurs groupes de sites sont ainsi recensés dans la région d’Entrains-sur-Nohain, autour de Clamecy, ainsi que dans la forêt des Bertranges et sur son pourtour. Certains de ces amas ont été réexploités pour leurs scories et des découvertes de monnaies romaines sont survenues à cette occasion : ainsi à la Ronce, en lisière de la forêt de Belary (une monnaie du ive s.), ou à la Butte de Dourdon à Raveau en forêt des Bertranges (un trésor monétaire). Un habitat d’époque romaine mis au jour aux Près Pillats à Raveau aurait livré des blocs de scories remployés dans les fondations des murs (Bouthier 1982). A. Bouthier note aussi la présence de scories en petits fragments sur des sites de villae « qui ont toutes été occupées au ive siècle ».
42Les nouvelles recherches engagées ont consisté en la réalisation d’un inventaire actualisé des mentions de sites sidérurgiques, afin d’intégrer les résultats des prospections-inventaires les plus récentes qui ont eu lieu dans ce secteur (Nouvel 2004). Vingt amas ou concentrations de déchets, situés sur une dizaine de communes du Nivernais (fig. 10), ont été prospectés et choisis en fonction de leur accessibilité. Trois sites ont été sondés. Les amas situés en périphérie des agglomérations romaines d’Entrains-sur-Nohain et de Compierre-Champallement ont été étudiés en priorité, afin d’établir un éventuel lien chronologique entre ces espaces de production et l’occupation de ces agglomérations antiques qui accueillent des ateliers de travail du fer (Venault et al. à paraître). Un sondage ponctuel a également été effectué sur l’amas de déchets très étendu du site de Crot au Port, à Fontenay-Près-Vézelay 1 (Yonne), juxtaposé avec un bâtiment d’habitation antique assez aisé (stucs, peintures murales, etc.) et un lieu de culte dédié à Mercure (fouilles de l’abbé Lacroix dans les années 1960). Nous disposons actuellement de dix-neuf dates issues de dix amas.
Fig. 10 – Carte des amas de déchets sidérurgiques recensés et des sites étudiés en Nivernais, Vézelien et Avallonais
Inventaires : A. Bouthier (AOROC), R. Jeannot (Iramat-CNRS), P. Nouvel (université de Bourgogne - Artehis), L. Gaëtan (Inrap) ; DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC) ; fond de carte : Copernicus Land.
43Dans la forêt des Bertranges, certains tas sont fortement arasés et ne présentent plus d’élévation perceptible. D’autres, notamment à Raveau 7, la Butte de Dourdon, ou à Poiseux 1, les Péchats, s’étendent sur des surfaces importantes et montrent des élévations de plusieurs mètres, qui évoquent les gros amas de la Puisaye (avec des volumes estimés supérieurs à 1 000 m3 et dépassant même 10 000 m3 à Raveau 7). L’activité des quatre sites datés dans ce secteur est comprise dans l’intervalle qui va de la fin du ier à la fin du ive s. apr. J.-C (fig. 11).
Fig. 11 – Chronologie des sites du Nivernais, Vézelien et Avallonais
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
44Deux autres ensembles d’amas étudiés se trouvent à la périphérie d’agglomérations romaines et posent la question de la contemporanéité entre production de fer brut et fabrication d’objets. À proximité d’Entrains-sur-Nohain, au moins deux amas sont connus, l’un ayant un volume d’environ 360 m3, l’autre étant étalé. Les fouilles préventives menées ces dernières années par l’Inrap au sein de la ville ont révélé l’importance du travail du fer dans certains quartiers, plus particulièrement pour les deux premiers siècles de notre ère (Venault et al. à paraître). Les amas de déchets de réduction sont situés en périphérie immédiate, le long d’une de ses principales voies d’accès et sont datés entre le milieu du ier et le ive s. apr. J.-C., ce qui confirme la contemporanéité de ces pratiques au moins pour les deux premiers siècles de notre ère. Une situation comparable est observée plus au sud, à Compierre-Champallement, sur la commune de Saint-Révérien (Nièvre), où des activités de forgeage sont connues bien que non précisément datées dans la période antique. Non loin de l’agglomération, un amas qui s’étend sur plus de 5 ha, pour un volume d’environ 6 800 m3, pourrait être contemporain en raison de sa datation entre la fin du ier et le milieu du ive s. apr. J.-C.
45À Fontenay-les-Vézelay 1, au Crot au Port, les deux dates issues de charbons prélevés dans un micro-sondage pratiqué au fond d’un chablis sont concordantes et fournissent un intervalle compris entre 124 et 350 cal. AD, confirmant le fonctionnement de ce site durant l’Antiquité.
46En raison de leurs dimensions, les sites associés à ces occupations romaines semblent pouvoir aussi être comparés aux gros amas existant en Puisaye. La mise en évidence d’une possible association fonctionnelle entre des agglomérations antiques abritant des ateliers de travail du fer et l’implantation d’ateliers de production de fer brut dans leur périphérie immédiate est un des acquis de ces recherches récentes. Elle soulève la question du contrôle et de l’organisation de la production par l’autorité publique dirigeant l’agglomération ou par des « entrepreneurs » y résidant. Au Crot au Port, la présence d’un habitat aisé associé à un sanctuaire illustre peut-être l’implication des élites sociales.
47Deux datations permettent également de pointer l’existence d’une production de fer brut plus tardive, insoupçonnée jusqu’à présent et dont l’importance reste à déterminer. À Moussy 1, la Fontaine-du-Laitier, près de Saint-Révérien, l’amas est daté des vie-viiie s. À Entrains-sur-Nohain 16, l’Abîme, une phase de production métallurgique datée des xiiie-xve s. a été mise en évidence au-dessus des couches de déchets antiques.
48Des amas de scories anciennes sont signalés pour la première fois au xixe s. sur la bordure nord du massif cristallin du Morvan et sur les plateaux sédimentaires de l’Auxois par le maître mineur Jean-Marie Gueux, qui en dresse un premier inventaire et propose de les dater de l’Antiquité, sur la base de céramiques et monnaies romaines qu’il aurait retrouvées sur certains d’entre eux (Gueux 1872). Dans les années 1980, M. Mangin en entreprend l’étude approfondie avec pour objectif de « rechercher et étudier la région sidérurgique possible d’où pouvait provenir éventuellement une partie des produits bruts transformés dans l’oppidum puis ville gallo-romaine d’Alésia » (Mangin et al. 1992). L’approche mêle enquête orale, prospections aériennes, prospections pédestres, sondages et fouilles archéologiques et conduit à l’identification de 140 sites d’extraction minière et 200 ateliers de réduction sur un espace bien délimité d’environ 400 km2. M. Mangin lui donne l’appellation de « district minier et sidérurgique du Morvan-Auxois ».
49Cet ensemble de production est alors considéré comme majoritairement d’époque romaine en raison de l’association souvent constatée entre habitat antique et déchets de réduction. Dans certains cas, comme à Villargoix (Côte-d’Or), aux Grands Champs, il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition de données : les déchets de réduction situés dans une enceinte rectangulaire autorisaient à envisager l’existence d’un complexe domanial associant une villa prestigieuse et un grand atelier (ibid., p. 194). Par ailleurs, les interprétations issues de la prospection étaient confortées par une datation obtenue sur un charbon de bois prélevé en fouille. À Thoste 29 (Côte-d’Or), sur le site de la Comme Philippe, la base d’un remblai bien calé dans la stratification fournissait la date 90-340 cal. AD (ibid., p. 55). Mais les modifications successives de la courbe de calibration du radiocarbone ont très fortement dilaté la plage de cette date, qui s’étend actuellement entre 9 et 533 cal. AD. Si un fonctionnement de cet atelier de taille modeste pendant l’Antiquité n’est pas formellement exclu, il faut en revanche admettre que la démonstration a perdu beaucoup de sa vigueur. Déjà au moment de la publication de 1992, les fouilles réalisées à La Roche-en-Brenil 1 (Côte-d’Or), au lieu-dit En Lecussy (datation actuelle : 1045-1395 cal. AD), permettaient d’affirmer qu’une « seconde phase d’activité est attestée dans le district au cours du Moyen Âge classique » (ibid., p. 238). Mais elle aurait été limitée à certains secteurs (Courcelles-Frémoy, Montlay-en-Auxois et La Roche-en-Brenil).
50Afin de préciser la chronologie des exploitations, des campagnes de prélèvements ont été organisées sur une soixantaine d’amas de déchets. Des prospections ont été engagées de manière systématique sur les amas déjà connus des communes de La Roche-en-Brenil et de Saint-Germain-de-Modéon, en ciblant les sites les mieux conservés et les plus volumineux de neuf communes environnantes (fig. 12). Au total, quarante-et-un sites ont été de nouveau prospectés. Des prélèvements de charbons ou de scories ont été réalisés sur vingt-quatre d’entre eux et dix-huit ont pu être datés par radiocarbone.
Fig. 12 – Carte des amas de déchets sidérurgiques recensés et des sites étudiés en Morvan-Auxois
Inventaires : M. Mangin (université de Franche-Comté), R. Jeannot (Iramat-CNRS) ; DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC) ; fond de carte : Copernicus Land.
51Dans la moitié nord de cet espace, la densité de sites est plus forte et ils sont répartis plus uniformément que dans la partie sud, où ils forment plusieurs ensembles plus ou moins distincts. Les amas localisés sur la commune de Saint-Germain-de-Modéon constituent, pour ceux qui ont été retrouvés, une petite concentration de tas distants d’environ 500 m les uns des autres, marqués par un faible relief, généralement inférieur au mètre. Ils se rattachent à trois phases distinctes comprises entre le vie s. et le début xviie s (fig. 13).
Fig. 13 – Chronologie des sites du Morvan-Auxois
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
52À La Roche-en-Brenil, les amas se répartissent en trois secteurs principaux, mais sur cette commune un grand nombre des sites inventoriés par M. Mangin n’ont pas été retrouvés. La concentration principale, la mieux documentée, se situe au lieu-dit En Lécussy où trois sites distants d’une vingtaine de mètres présentent des caractéristiques topographiques comparables et dépassent notamment une hauteur de 2 m. Ils se rattachent à deux périodes distinctes : entre le viiie et le xe s., et entre le xiie et la fin du xive s. À proximité immédiate, une autre concentration formée d’une dizaine de petites accumulations de déchets a également été repérée au lieu-dit les Commotes. Aucun de ces sites n’a été daté.
53Quatre-vingt pour cent des sites visités et pour lesquels des données topographiques ont pu être enregistrées présentent un volume calculé inférieur à 200 m3. Un groupe de sept sites ont des volumes compris entre 700 et 1 400 m3 et un seul site (Montlay-en-Auxois 6, au Bois d’Équilly) se démarque par une surface de 3 600 m2 et un volume approchant les 3 000 m3. Cinq autres dépassent 1 000 m2. Quatre se présentent sous la forme d’épandages de déchets atteignant 1 ha, deux couvrent 4 ha et un s’étend sur une vingtaine d’hectares.
54Les nouvelles datations par le radiocarbone permettent de formuler plusieurs constats. À ce stade des recherches, aucune date ne permet d’attester une production de fer brut durant le Haut-Empire romain. Elle semble par contre connaître une grande longévité de la fin de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge. Elle débuterait ainsi au plus tôt dans l’intervalle compris entre la fin du ive et le milieu du vie s. apr. J.-C. Trois sites localisés au nord du Morvan-Auxois se rattachent à cette phase. La phase suivante, entre le milieu du vie s. et le milieu du viie s., compte cinq dates issues de cinq sites dispersés sur l’ensemble de la zone. Il s’agit d’une période durant laquelle la courbe du radiocarbone fournit des dates calibrées de faible amplitude, ce qui permet d’appréhender la chronologie des sites avec une plus grande précision et d’affirmer avec un peu plus d’assurance qu’ils fonctionnent de manière à peu près synchrone. Au moins trois phases supplémentaires peuvent être individualisées. Cinq sites s’échelonnent sur une période couvrant les viiie-xie s., trois autres sont datés des xiie-xive s. et deux autres sites ont des dates calibrées très proches se rattachant aux xve-début du xviie s. La documentation archéologique actuellement disponible ne permet pas de cerner de variations – dans leur implantation ni dans leurs caractéristiques topographiques – qui seraient fonction de la chronologie. On soulignera simplement que les deux plus gros sites de ce secteur (Montlay-en-Auxois 2 et Saint-Didier 8) se rattachent au même intervalle de datation compris entre le viiie et le début du xie s.
55Contrairement à d’autres secteurs de la région, la zone dite de Berthelange n’était pas connue des érudits du xixe s. en tant qu’espace de production primaire. Elle a été identifiée dans les années 1980 grâce aux recherches conduites dans le cadre de mémoires universitaires dirigés par M. Mangin. Depuis, elle fait plus ou moins régulièrement l’objet de prospections-inventaires. Son épicentre, c’est-à-dire l’ensemble des communes explorées le plus intensément et où les amas de déchets sont les plus nombreux, se trouve entre Besançon et Dole, sur les communes de Berthelange (Doubs) et Le Petit-Mercey (Jura) (fig. 14).
Fig. 14 – Carte des amas de déchets sidérurgiques recensés et des sites étudiés dans la zone dite de Berthelange
Inventaires : H. Laurent (Drac BFC) ; DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC) ; fond de carte : Copernicus Land.
56Dès le départ, l’inventaire des sites de réduction directe a concerné l’ensemble de la région Franche-Comté. C’est sans doute pour cette raison que la nébuleuse formée par les amas connus dans la zone de Berthelange rend une impression de « flou » et qu’il est problématique d’en donner les limites. Actuellement, on y connaît 175 sites à déchets de réduction (amas véritables et déchets dispersés en plus ou moins grande quantité).
57Dès le départ également, les prospections ont été conduites prioritairement dans les champs labourés, ce qui a permis de découvrir des « épandages » de déchets très discrets et de démontrer l’omniprésence des affleurements de minerai ou en tout cas de formations superficielles considérées comme telles, alors que la quasi-totalité serait passée inaperçue sous couvert forestier. Ces recherches de terrain ont aussi concerné les villae, fermes et bâtiments divers de l’époque romaine dont le réseau a longtemps été associé à celui des sites de réduction. Ces derniers paraissaient constituer les vestiges d’exploitations « domaniales » (Mangin et al. 1995, p. 76) et l’interprétation en était renforcée lorsque des scories étaient directement mêlées aux tuiles et aux moellons présents à la surface des champs. Les amas de déchets n’atteignent jamais de grandes dimensions. D’une façon générale, ils ont un diamètre inférieur à 30 m, pour certains, on est en dessous des 10 m. La modestie des volumes de déchets observés venait ainsi conforter l’impression qu’on se trouvait en présence d’un artisanat antique d’origine privée, sans grande envergure. Toute une série de données a fini par ruiner cette construction spontanée. À la fin des années 1980, des bas fourneaux sont mis au jour à Berthelange 4, sur le site d’À la Vau, puis à Ferrières-les-Bois 3 (Doubs), au Pré Fergeux. Leurs caractéristiques, qui les rattachent à ceux de l’ouest de la Suisse et de l’est de la France, font prendre conscience de l’existence d’une sidérurgie de la période mérovingienne (côté suisse : Eschenlohr, Serneels 1991 ; Pelet 1993, fig. 98 ; côté français : Leroy dir. 1997 ; Leroy et al. 2000, p. 20 ; 2015 ; Leroy 2008). Huit amas de déchets ont aussi livré des tessons de céramique du type « val de Saône » caractéristiques de la période mérovingienne (Bonifay, Raynaud 2007).
- 16 On parle là des extrémités des plages de calibration radiocarbone et non de la période effective de (...)
58Mais c’est principalement l’accumulation des datations par le radiocarbone qui a eu raison du schéma de pensée initial. À partir du début des années 2000, des séries de charbons issus d’amas de scories ont été analysés : une série de vingt-cinq dates peut ainsi être publiée progressivement au cours des années 2010 (Laurent et al. 2012 ; Forlin, Laurent 2014 ; Laurent-Corsini, Laurent 2016). Elle révèle une activité sidérurgique développée principalement entre le milieu du ive et le milieu du viie s. apr. J.-C.16 et sans doute centrée sur la période mérovingienne, pour laquelle on peut parler de véritable « centre productif ». Quelques dates postérieures indiquent le maintien d’une production au moins ponctuelle jusque dans le Moyen Âge central.
59Dans le cadre du présent programme, ces travaux se sont poursuivis avec deux objectifs principaux. D’une part, il s’agissait de préciser la date de mise en place de la zone de production entre l’Antiquité tardive et la période mérovingienne. Il n’y a pas eu de progrès significatif dans ce domaine. D’autre part, il fallait tenter de dater des sites présentant une typologie différente de celle habituellement rencontrée. En effet, à partir du milieu des années 2010, des déchets aux caractéristiques très différentes de celles qui étaient majoritairement constatées sur les ateliers mérovingiens ont été reconnus sur certains sites : absence de tuiles romaines collées entre elles pour édifier les fourneaux, mais présence de fragments de parois en argile modelée ; absence de scories écoulées en cordons formant des plaques, mais présence de scories de taille plutôt réduite, accumulées sous forme de petites coulures et parfois marquées d’empreintes de brindilles et de petites branches. Les dernières recherches se sont donc orientées plus spécifiquement vers l’identification et la datation de ce nouveau type de sites. Au total, trente-six ateliers de réduction ont fait l’objet d’une analyse radiocarbone (une pour chaque site), ce qui fait de Berthelange la zone de production proportionnellement la mieux datée de la région.
60Seize ateliers de réduction livrent des déchets formés de petites coulures agglomérées. Ces scories ont parfois une face plane qui traduit un effet de paroi (sans doute celle de la fosse dans laquelle elles se sont accumulées). Cinq ateliers présentant des déchets de ce type sont datés par analyse radiocarbone (fig. 15). Pour l’instant, l’indice le plus ancien provient de Lantenne-Vertière 19 (Doubs), au Châtaignier. Quelques scories de réduction y sont visibles sur une très faible surface, à l’emplacement d’un habitat antique d’assez modestes dimensions. L’analyse effectuée sur un charbon prélevé au sein d’une scorie situe l’activité non pas pendant l’Antiquité tardive ni le haut Moyen Âge comme on le pensait, mais dans l’intervalle 780-540 cal. BC. Pour la période qui s’étend de la fin du viiie à la fin du ive s. av. J.-C., trois sites sont datés : le Saucy, à Petit-Mercey 32 (Jura), les Grandes Vènes à Etrabonne 11 (Doubs) et le Bas Châtey à Routelle 1 (Doubs).
Fig. 15 – Chronologie des sites de la zone dite de Berthelange
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
61Une deuxième phase de l’âge du Fer correspondant aux ve-iiie s. av. J.-C. est représentée par le site de Petit-Mercey 36, les Vernes, où l’emplacement de l’atelier est marqué par une tache sombre de 30 sur 15 m sur laquelle se trouvent en majorité des fragments de parois en argile. Là encore, les scories sont dispersées sans former de véritable couche.
62Sans qu’il soit encore possible de mesurer l’importance de la production protohistorique, on constate que les amas de déchets qui relèvent de cette période occupent le cœur de la zone. Ensuite, on ne note aucun indice de production sidérurgique entre la fin du iiie s. av. J.-C. et le milieu du ive s. apr. J.-C. Non seulement la réduction du fer est inexistante pendant le Haut-Empire, mais elle paraît cesser bien avant la conquête romaine.
63Une série d’amas dispersés se répartissent plus particulièrement dans la moitié nord de la Franche-Comté (fig. 16). L’inventaire des sites métallurgiques dans ce secteur avait fait partie des recherches lancées dans les années 1980 sur l’ensemble de la région (voir supra, § 56 sqq). En Haute-Saône, des amas de scories ont ainsi été mis au jour sans qu’on parvienne à repérer de regroupement significatif. Trois sites isolés (Briaucourt 1, à Faivorge ; Beaujeu 17, aux Pâtis et Melin 1, à la Rochotte) ont été datés par des charbons prélevés en stratigraphie à l’occasion de sondages de faible étendue. Ils prennent place à l’intérieur d’une période s’étendant du ve au milieu du viie s. apr. J.-C. Toujours en Haute-Saône, les vestiges d’une activité sidérurgique plus ancienne ont été révélés à l’occasion d’une fouille préventive réalisée par Éveha en 2018 dans le cadre de l’aménagement de la déviation de Port-sur-Saône (Sarreste, Champeaux 2019). Elle a livré une petite quantité de déchets représentatifs d’opérations de réduction ponctuelles dans un four à scorie piégée et à utilisations multiples. D’après les analyses par le radiocarbone, la production serait à dater des ive-iiie s. av. J.-C. et prend place en contrebas d’un habitat ouvert des ive-début iie s. av. J.-C. comprenant une vaste construction à l’aspect ostentatoire, installée sur le rebord d’un plateau dominant la Saône.
Fig. 16 – Localisation des sites sidérurgiques dispersés étudiés
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC) ; fond de carte : Copernicus Land.
64Des prélèvements de charbons ont également été réalisés sur des sites isolés répartis le long de la vallée du Doubs. Il s’agit dans tous les cas de petits amas sans relief livrant des scories dispersées. Les indices d’une production ancienne sont identifiés à Montfaucon 1 (Doubs), sur le site de Nacra : épandage diffus de scories s’étendant sur plusieurs milliers de mètres carrés et se rattachant aux ve-iiie s. av. J.-C. Deux autres sites appartiennent à des périodes plus tardives : entre la fin du ive et le milieu du vie s. apr. J.-C. à Vandoncourt 2 (Doubs), au Pont Sarrazin, entre le milieu du vie et le milieu du viiie s. à Baume-Les-Dames 1 (Doubs), au Chemin des Combes.
65Dans le Haut-Doubs, un groupe de quatre amas très proches les uns des autres a été identifié sur la commune de Goux-les-Usiers (Combe de Ferrière et Montmatigni) et chacun d’entre-eux a fait l’objet d’au moins une datation. À l’exception d’une date précoce (255-420 cal. AD), éventuellement due à un effet « vieux bois », les résultats obtenus placent ces sites dans un intervalle compris entre le milieu du ve et la fin du viiie s. apr. J.-C.
66Les sites de ce vaste secteur semblent ainsi documenter une dynamique chronologique comparable à celle qui est constatée pour la zone de Berthelange, traduisant l’existence d’une phase de production primaire protohistorique sans lendemain, puis un nouveau développement durant le haut Moyen Âge. Mais quelle que soit la période considérée, la production reste dispersée et aucun pôle productif d’importance particulière ne se distingue, en tout cas pour l’instant.
67En Bourgogne, quelques dates ont été acquises récemment sur des territoires n’ayant pas fait l’objet de programmes de prospections centrés sur la sidérurgie. Ils apportent à ce stade une information ponctuelle, qu’il reste à contextualiser.
- 17 M. Boukezzoula situe ces deux amas sur la commune de Laizé.
68Dans le Haut-Morvan, des sondages ont ainsi été réalisés sur le site des Corseries à Larochemillay (Nièvre) (Camizuli 2013), qui est un amas de déchets de réduction arasé, daté par deux charbons dans une fourchette s’étendant de 210 à 531 cal. AD. Dans la région de Mâcon (Saône-et-Loire), une petite zone bien délimitée, connue grâce à un travail de thèse (Boukezzoula 1995), comptabilise une trentaine de sites de réduction, principalement situés sur la commune de Laizé. À l’époque de leur découverte, tout comme pour la zone de Berthelange, une grande partie d’entre eux ont été associés aux occupations romaines rurales (villae) et un lien a été établi avec les activités de forgeage identifiées au sein de l’agglomération antique de Mâcon où la Notitia dignitatum indique l’existence d’une fabrica (Notitia dignitatum, IX, 32 : Matisconensis sagittaria). Un petit amas présentant encore un relief a été sondé dans les années 1990 à Verzé 5, sur le site de Terre Crebin, et a livré deux bas fourneaux, sans qu’une datation précise ait pu être proposée (Boukezzoula 1995, p. 132). Un prélèvement de charbon effectué à Verzé 4, sur le site de Terre Crebin, a fourni la première datation certaine pour ce secteur17. L’analyse radiocarbone donne une fourchette comprise entre 662 et 821 cal. AD. Il est donc plausible qu’une partie notable de ces sites, dont la plupart présentent des dimensions modestes, se rattache à la période médiévale et non pas à la période antique.
69Les prospections réalisées dans les forêts du Châtillonnais (Côte-d’Or) par Dominique Goguey, Jacky Bénard et leur équipe ont également donné lieu à l’obtention de deux dates issues de scories de réduction prélevées sur la commune d’Essarois au lieu-dit Combe de Messire Gond (Goguey, Bénard dir. 2018, p. 133). Les deux dates sont cohérentes et se situent dans un intervalle compris entre le début du xive et le milieu du xviie s. Les analyses chimiques réalisées sur ces déchets, ainsi que sur un petit lot de scories en position secondaire sur deux autres sites distants d’une dizaine de kilomètres, indiqueraient que ces scories se rattachent au procédé indirect (Berranger, Vega in Goguey, Bénard dir. 2018, p. 133-135), déjà bien implanté régionalement durant cette période. Seule une scorie de fond de four mise au jour à Essarois dans l’enclos Chanoi 2, qui a livré du matériel datable de La Tène C à l’époque romaine, se rattache au procédé direct. Elle témoigne d’une possible activité de réduction, probablement proche, mais non localisée à ce stade.
70Tous les sites qui ont été étudiés ont fait l’objet de larges prélèvements de matériel, soit lors de simples ramassages de surface, soit en stratigraphie dans les sondages. L’essentiel des déchets des opérations métallurgiques collectés sont des scories résultant de la transformation des minerais de fer. Une attention particulière a également été portée à l’identification de ces derniers, mais cette question reste toutefois délicate à aborder en raison d’un manque de référentiel flagrant, ces minerais n’ayant pas fait l’objet de l’attention des ingénieurs miniers et métallurgistes des xixe et xxe s. car ils n’étaient alors plus exploités. C’est pourquoi ce sujet qui nécessiterait de longs développements ne sera pas abordé ici.
71Une typologie des scories a été réalisée sur la base des prélèvements effectués sur ou au sein des différents amas (tabl. I et fig. 17). La classification repose sur les caractéristiques morphologiques (morphologie générale traduisant ou non un flux d’écoulement, forme et dimensions des écoulements, forme et gabarit de l’empreinte du réceptacle des écoulements moulé par les scories, etc.), leur structure interne (les différents types d’inclusions et leurs dimensions, la proportion des vacuoles, les éventuelles strates, etc.) et la texture minéralogique (types et proportions des minéraux cristallisés, des phases vitreuses, reliques de matériaux non fondus, formes des parcelles métalliques). En effet ces paramètres sont des révélateurs de la manière dont a été conduite l’opération métallurgique (température, gestes techniques) et de la composition chimique des matières premières utilisées.
Tabl. I – Description typo-morphologique des scories de réduction du minerai de fer au sein de la zone d’étude
M. Berranger (Iramat-CNRS-LMC), M. Leroy (Iramat-CNRS-LMC), P. Merluzzo (Iramat-CNRS-LMC).
Fig. 17 – Les principaux types de scories de réduction
DAO : M. Berranger (Iramat-CNRS-LMC), M. Aubert (Iramat-CNRS).
72Six grandes catégories de scories, chacune divisée en plusieurs sous-types, ont été établies. Les types A, B, C et D correspondent à des écoulements hors de la cuve du fourneau. Les types E et F à des accumulations de scories à l’intérieur de la cuve, qu’elles présentent ou non un caractère de fluage. Le tableau I synthétise cette classification. L’ensemble de ces déchets fait actuellement l’objet d’une caractérisation minéralogique et chimique qui sera publiée dans un autre cadre.
- 18 Entre 2 et 25 kg de scories ont été extraites par prélèvements.
73En Puisaye, les coupes stratigraphiques réalisées dans les épais amas de déchets de la zone-atelier de Montholon ont permis d’effectuer des prélèvements « en vrac » dans les couches afin d’identifier et de quantifier les types de scories qui y étaient présents. Vingt-et-un prélèvements provenant de dix-huit strates dans cinq amas différents ont été étudiés18.
74Un traitement statistique multivarié utilisant une classification ascendante hiérarchique (CAH) selon la méthode de Ward, permet d’identifier trois assemblages préférentiels de sous-types de scories (fig. 18) :
- les scories cristallisées de type A1 (cordées aux limites marquées) ;
- les scories cristallisées de type A2 (cordées aux limites plus ou moins estompées), A3 (non cordées à grande cavité centrale) et A4 (non cordées sans cavité centrale) ;
- les scories mi-cristalliées mi-vitreuses de type C et les scories vitreuses de type D.
Fig. 18 – Dendogramme de classification ascendante hiérarchique (CAH) réalisée sur les masses de scories prélevées dans la zone-atelier de Montholon (Yonne) et mise en évidence d’associations typologiques préférentielles
Les scories sont classées par type et par prélèvements effectués en stratigraphie (21 prélèvements), sur 5 amas de la zone-atelier de Montholon.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS).
75À ce stade de l’analyse, les éléments mal identifiés, tout comme ceux qui sont ubiquistes (les scories internes associées aux écoulements – type E –, les parois et les minerais) n’ont pas été retenus. Les scories de type A5 (empilement d’écoulements en boudins canalisés) étaient quant à elles trop volumineuses pour être comptabilisées dans les prélèvements. Par ailleurs, aucune scorie de type F (scorie « piégée » dans la cuve) n’était présente dans les prélèvements pris en compte.
76Une analyse plus fine par unité stratigraphique, en utilisant un histogramme de répartition proportionnelle des assemblages préférentiels mis en évidence par la CAH, permet d’identifier trois groupes d’assemblages des types de scories (fig. 19) :
- un groupe 1 au sein desquels les scories denses cristallisées de types A2-A3-A4 sont majoritairement représentées. Elles sont quasiment toujours associées avec une faible proportion de scories de type A1, et plus ponctuellement avec des scories vitreuses de type C et D ;
- un groupe 2 comprenant une majorité de scories vitreuses, associées à une proportion plus faible de scories de types A2-A3-A4, les scories de type A1 étant généralement absentes ;
- un groupe 3 où l’assemblage est dominé voire uniquement constitué de scories cristallisées denses, au sein desquelles domine largement le type A1.
Fig. 19 – Histogramme des proportions relatives en masse des principaux types de scories de réduction en prenant en compte les regroupements typologiques mis en évidence par la CAH dans la zone-atelier de Montholon (Yonne) (fig. 18)
Trois groupes d’assemblages de déchets sont individualisés à partir de 5 amas et de 21 prélèvements effectués dans 18 unités stratigraphiques.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS).
77Ces groupes d’assemblages sont observés quelles que soient les coupes stratigraphiques, mais les trois ne sont pas toujours présents au sein du même amas. Par ailleurs, dans la coupe stratigraphique de l’amas d’Aillant-sur-Tholon 1, le groupe 1 est représenté dans les couches de la moitié inférieure, alors que le groupe 2 s’observe exclusivement dans les couches supérieures.
78Pour la plupart des sites étudiés, la typologie des scories n’a pu être appréhendée qu’à partir de prélèvements ponctuels et non de prélèvements « en vrac » permettant une analyse proportionnelle des assemblages. L’analyse des assemblages de déchets est donc menée à l’échelle du site, en notant la présence ou l’absence des différents types de scories. En plus des trois groupes d’assemblages individualisés à partir des amas de la zone-atelier de Montholon (fig. 18), trois autres types de déchets peuvent être pris en compte : les scories piégées de type F, les écoulements bulleux non cordés B1 et les écoulements bulleux cordés B2 (fig. 20). L’histogramme de la figure 20 n’est pas représentatif de l’assemblage des déchets à l’échelle des secteurs étudiés, mais reflète directement l’état de la documentation actuelle. Ainsi, la sur-représentation des scories de type F dans la zone de Berthelange résulte de l’attention particulière portée à l’identification de ces déchets ces dernières années. En Puisaye, les types de scories ont été identifiés sur quatre-vingt-quatorze sites, pour le Nivernais-Vézelien dix-huit sites ont été pris en compte, trente-huit pour le Morvan-Auxois, dix pour la Haute-Saône et dix-sept pour le secteur de Berthelange.
Fig. 20 – Proportions relatives en masse des types de scories de réduction identifiés dans chacun des espaces de production étudiés
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
79Le groupe d’assemblage 1, caractérisé par des scories denses cristallisées de types A2-A3-A4, parfois associées aux scories en boudins accolés de type A5, ainsi que le groupe d’assemblage 2, livrant des scories majoritairement vitreuses de type C et D, sont uniquement connus en Puisaye, dans le Nivernais et le Vézelien.
80Le groupe d’assemblage 3, caractérisé par la présence de scories écoulées à limites visibles A1 est représenté dans tous les secteurs étudiés. C’est également le cas des scories de type B2. Ailleurs qu’en Puisaye, ces scories de type A1 sont fréquemment associées avec le type B2 ou avec le type B1. Dans le Morvan-Auxois, l’association entre des scories de type A1 et des scories plus bulleuses, voire à tendance vitrifiée, de types B1 ou B2 est le type d’assemblage le plus représenté. Dans ce secteur, seul un amas (sur le site de la Forêt, à Vic-de-Chassenay 11) livre uniquement des scories bulleuses cordées (B2).
81Les scories de type F, piégées, se retrouvent presque uniquement en Puisaye et dans la zone de Berthelange. De manière générale, ces scories de type F n’ont été identifiées que récemment, car elles restent peu visibles sur le terrain en raison des faibles proportions de déchets affleurants. Dans le Morvan-Auxois, un seul site, La Roche-en-Brenil 51, au lieu-dit les Loppées, livre des scories de type F.
82Nous disposons de datations radiocarbone pour cent-quatre sites répartis sur les différentes zones de production. Il est donc possible de tenter d’appréhender le positionnement chronologique de chacun des groupes d’assemblages de déchets (fig. 21).
Fig. 21 – Typo-chronologie des scories à l’échelle de la zone d’étude
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ. Les types de scories sont définis dans le tableau I.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
83Les scories piégées de type F sont attestées pour les périodes les plus anciennes en Puisaye et dans la zone de Berthelange. Elles couvrent dans la quasi-intégralité des cas une période comprise entre le viiie et le milieu du ier s. av. J.-C. Seule une date est postérieure, mais assez mal calibrée (incertitude supérieure à 400 ans).
84Les datations issues des amas livrant des assemblages de scories cristallisées de type A2 (cordées à limites estompées), A3-A4 (non cordées) et A5 (en boudins accolés) couvrent en Puisaye une période comprise entre le début du ive s. av. J.-C. et la fin du ive s. apr. J.-C. Dans ce même secteur, les datations issues des amas livrant des scories vitreuses de type C et D couvrent une période plus restreinte comprise entre le milieu du ier et la fin du ive s. apr. J.-C. Dans le Nivernais et le Vézelien, les amas étudiés associant types A2-A3-A4 et types C et D, sont datés d’une même période, débutant un peu plus tardivement, au milieu du ier s. av. J.-C.
85Les scories de type A1 (cordées à limites marquées) proviennent de sites datés entre le début du ve et le xve s. (mais 29 de ces 41 sites sont antérieurs au xie s.) et sont souvent associées à des scories bulleuses de type B1 ou B2. En Morvan-Auxois, ces types bulleux sont représentés tout au long du Moyen Âge et jusqu’au début du xviie s. Dans les autres secteurs, ils se rattachent à une phase plus courte comprise entre le xiiie et le xve s.
86Un seul atelier se distingue : Saint-Germain-de-Modéon 1, sur le site de la Charmée, dans le Morvan-Auxois. Il comprend uniquement des scories vitreuses qui ne se rattachent pas aux types C et D, mais évoquent plutôt des laitiers de haut fourneau. La date obtenue, 1445-1631 cal. AD, et sa situation en bord de ruisseau pourraient indiquer qu’il s’agit d’un atelier pratiquant la réduction indirecte.
87L’attribution des groupes de faciès de scories à des plages chronologiques spécifiques recoupe en grande partie ce qui a été observé, ces dernières années, dans d’autres espaces de production de la moitié nord de la France, notamment en Bretagne, dans les Pays de la Loire ou dans la région Centre (Vivet 1997 ; Vivet dir. 2009 ; Dumasy et al. 2010 ; Sarreste 2011 ; Zaour 2021). Il est désormais clairement attesté que les scories de type F sont caractéristiques de l’âge du Fer et que les faciès cordés et denses caractérisent la fin de l’âge du Fer et la période romaine. Un autre faciès d’écoulements cordés paraît spécifique du premier Moyen Âge, tout comme les faciès boudinés et à tendance plus bulleuse semblent pouvoir être attribués le plus souvent au second Moyen Âge. La présence de scories écoulées vitreuses sur des ateliers datés de la fin du Haut-Empire et du Bas-Empire a aussi été reconnue en plusieurs endroits, par exemple dans la Sarthe à Coulans-sur-Gée (Mayer, Sarreste 2013 ; Mayer et al. 2016), dans le Cher dans le Bois Meillant (Sarreste, Lacroix 2021) ou dans l’Indre sur l’atelier du Latté à Oulches (Mahé-Le Carlier et al. 1998 ; Dieudonné-Glad 2000). Un dernier type de scories très particulières, celles en boudins accolés identifié dès les années 1980 sur les ferriers de l’Yonne et de la Nièvre (notamment aux Clérimois, sur le site des Fouetteries : Dunikowski, Cabboi 1995, p. 154 ; et à Alligny-Cosne, sur le site les Reboulots - les Cornijons » : Bouthier 1982), est également connu en Bretagne (sur le site de Pilleverte 2 en Plesguer, Ille-et-Vilaine : Vivet 2008, p. 95), en Normandie (au Buisson, à Saint-Evroux-de-Montford dans l’Orne : Langlois et al., 2005), et dans le Bas-Maine (à Roche-Brune 1, Pezé-le-Robert, dans la Sarthe : Sarreste 2011, p. 84). Leur chronologie semble restreinte aux ier-iiie s. apr. J.-C.
88L’objet de cette dernière partie est de proposer une synthèse de l’ensemble des données aquises sur les espaces de production, en basant l’analyse chronologique sur les 210 dates actuellement disponibles (annexe 1 et fig. 22). Soulignons que certains secteurs sont proportionnellement mieux documentés que d’autres. Ainsi la zone de Berthelange qui rassemble moins de 200 sites est la mieux connue, avec près de 20 % des ateliers datés. En Puisaye, où plus de 2 500 amas sont inventoriés, « seulement » 3 % des sites sont datés. Les données mises à disposition ici ne sont donc pas forcément représentatives de l’ensemble de la chronologie des zones de production étudiées. Ce travail se veut un premier bilan d’étape reposant sur des données chronologiques inédites par leur nombre, qui devra bien sûr être réévalué à la lumière des travaux ultérieurs.
Fig. 22 – Chronologie des amas de déchets sidérurgiques (dates radiocarbone calibrées) dans chacun des espaces de production de la zone d’étude, regroupés dans les quatre grandes phases chronologiques mises en évidence
Chaque barre correspond à un site, daté par une ou plusieurs dates radiocarbone calibrée(s) à 2σ. La datation du site de Villiers-Saint-Benoît 2 (Yonne) (fig. 6), basée sur une date radiocarbone très imprécise, n’a pas été prise en compte.
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC).
89En corrélant datations, topographie des sites et typologie des déchets, quatre grandes périodes peuvent être distinguées. Bien que les bornes hautes et basses de ces périodes restent floues en raison des limites de la méthode radiocarbone, déjà discutées, il est à présent possible de mettre en évidence une succession de changements dans les techniques de réduction et dans l’organisation de la production.
- 19 Lantenne-Vertière 19, au Châtaignier, et Saint-Fargeau 40, au Bois de Bailly.
- 20 En Puisaye, à Treigny 1, au lieu-dit les Gâtines Beauchet, l’intervalle 542-393 cal. BC est probabl (...)
90Les datations révèlent l’ancienneté de l’exploitation sidérurgique à l’échelle de l’actuelle région Bourgogne-Franche-Comté, supposée mais non démontrée avant les présents travaux. Les vestiges d’une activité de transformation du minerai au cours du premier âge du Fer sont désormais clairement attestés à l’ouest, en Puisaye, et à l’est, en particulier dans la zone de Berthelange (fig. 22 et 23). Une vingtaine de sites peuvent être datés dans un intervalle compris entre le début du viiie et le début du ive s. av. J.-C. Le « plateau » de la courbe de calibration des datations au carbone 14 qui caractérise cette période empêche d’être plus précis, mais il est toutefois certain que deux d’entre eux19 sont antérieurs au milieu du ve s av. J.-C. Compte tenu des pourcentages de probabilités, trois autres semblent pouvoir être calés entre le milieu du vie et le tout début du ive s. av. J.-C.20 Pour six autres, cet intervalle est certain. En l’état, ce premier développement de la production du fer dans l’espace géographique étudié n’est documenté que dans deux secteurs assez peu étendus et éloignés l’un de l’autre. Une trentaine de sites recouvrent au moins partiellement la période suivante, correspondant aux ive-iiie s. av. J.-C.
Fig. 23 – Carte des amas de déchets sidérurgiques datés au sein de la zone d’étude, pour chacune des phases chronologiques mises en évidence
DAO : M. Berranger (Iramat-LMC-CNRS), M. Leroy (Iramat-LMC-CNRS), H. Laurent (Drac BFC) ; fond de carte : Copernicus Land.
91Les sites dont la date calibrée est sûrement antérieure au ve s. av. J.-C. livrent tous des scories piégées (type F). De plus, aucun des amas livrant ce type de déchet n’est postérieur au ier s. av. J.-C. La seule exception est relevée sur l’amas de Treigny 2, au Bois des Châtaigniers, où cette technique pourrait avoir perduré jusqu’au début du iie s. apr. J.-C. La date calibrée obtenue est cependant si dilatée (401 cal. BC-115 cal. AD) qu’elle ne permet pas d’aller au-delà de la simple hypothèse.
92La typologie de ces scories est à rapprocher des déchets générés par des fourneaux à scorie piégée attestés aux âges du Fer à l’échelle d’une large moitié nord de la France (Cabboi et al. 2007 ; Berranger et al. 2017 ; Berranger, Bauvais 2020). La plupart des sites livrent de gros blocs de scories piégées qui sont plutôt associés à des fourneaux à usage unique. L’atelier des Ferrys à La Bussière (Puisaye) est l’un des rares, dans la zone étudiée, à avoir livré un fourneau daté du ve s. av J.-C. sur la base de la typologie des céramiques et d’une analyse radiocarbone : 832-539 cal. BC (Fournier, Milcent 2007). Il s’agit d’un fourneau en fosse, dans lequel une scorie massive est restée piégée. Le même type d’appareil est connu aux Clérimois, où un groupe de trois (ensemble A) est documenté, mais non daté (voir supra, § 35 sqq).
93En Puisaye comme en Franche-Comté, les amas de cette période présentent des caractéristiques similaires qui permettent de les qualifier de « discrets » étant donné la faible densité de scories visibles en surface. Il s’agit d’amas de taille modeste (surface généralement inférieure à 1 000 m2, et volume inférieur à 300 m3), dépassant rarement une élévation de 0,50 m. En Puisaye, les scories sont le plus souvent emballées dans un sédiment brun à rougeâtre, cette coloration pouvant être due à la désagrégation des parois de fourneau. L’usage de fours piégeant la scorie et générant des volumes limités de déchets pourrait expliquer la discrétion de ces sites, qui s’avèrent particulièrement difficiles à identifier en prospection dans les forêts. Dans la région du Mans (Sarthe), les fouilles préventives réalisées par l’Inrap avant la construction de l’autoroute A28 et de la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes ont ainsi révélé des concentrations d’ateliers de ces périodes, insoupçonnées avant leur mise en évidence par des décapages mécanisés de grande ampleur (Zaour 2021).
94En Puisaye, le plus grand regroupement est observé dans la partie sud, plus particulièrement dans le secteur de Saint-Fargeau - Treigny. Alors que dans les zones-atelier de Montholon et de Villiers-Saint-Benoît seul un ou deux sites de ce type sont attestés, une véritable concentration est notable au sein de la zone-atelier de Saint-Fargeau, au Bois de Bailly, où plus de la moitié des amas prospectés livrent des scories piégées. On a peut-être à cet endroit un espace de production plus intensive qu’ailleurs, mais la documentation actuelle ne nous permet pas encore d’en préciser les contours. L’incertitude engendrée par la calibration radiocarbone ne permet pas non plus de déterminer si les ateliers du sud de la Puisaye ont fonctionné en même temps ou s’ils se sont succédé, même à intervalles rapprochés. En Franche-Comté, les quelques sites actuellement identifiés ne permettent pas de déterminer l’importance ni l’étendue de l’exploitation sidérurgique.
95Entre le viiie et le ve s. av. J.-C., l’émergence de la production du fer est documentée à l’échelle d’une large moitié nord de la France (Berranger, Bauvais 2020). Les fourneaux, qui sont d’abord à scories piégées et à usage unique semblent devenir plus fréquemment réutilisables à partir des ive-iiie s. av. J.-C. La période qui voit le développement de la métallurgie du fer est également celle durant laquelle les activités de réduction connaissent la plus large dispersion géographique pour les âges du Fer. De véritables centres productifs sont documentés, tout comme des productions plus ponctuelles parfois développées à proximité immédiate des habitats. Les plus grandes concentrations d’ateliers sont identifiées dans la région du Mans, où plusieurs dizaines d’entre eux pouvant livrer chacun des dizaines de fours ont été fouillés sur une surface investiguée d’environ 1 000 ha (Berranger et al. 2017 ; Zaour 2021). Plus à l’ouest, d’autres zones de production semblent pouvoir être localisées en Haute-Bretagne, grâce aux travaux menés par Jean-Bernard Vivet dans le massif de Paimpont et le bassin de la Rance (Vivet 2007). Une autre concentration est connue dans l’Indre, sur la commune de Meunet-Planches, au lieu-dit les Iles, où treize secteurs d’ateliers regroupant plusieurs bas fourneaux sont identifiés (Dieudonné-Glad 2017). Les travaux récents menés sur l’espace nord-alpin pour le ve s. av. J.-C. révèlent que le métal brut produit dans un secteur incluant la Puisaye et le pays d’Othe a pu être exporté vers les plaines de Saône, du Doubs et du Jura (Berranger et al. 2023). Ces recherches, basées sur l’étude statistique des filiations chimiques existant entre les scories présentes sur les sites de réduction et celles qui demeurent piégées dans le métal, fournissent un indice supplémentaire de l’importance de cet espace dont les productions ont pu être exportées à plusieurs centaines de kilomètres et n’étaient donc pas réservées à la consommation locale. Pour ce qu’on en connaît, l’activité paraît moins dispersée dès les ive-iiie s. av. J.-C. Les ateliers semblent localisés de manière préférentielle dans les zones où existaient déjà des concentrations aux siècles précédents : c’est le cas par exemple en Puisaye. En revanche, à l’est, entre Besançon et Dole, on a affaire à une expérience de plus courte durée, qui semble s’interrompre bien avant la conquête romaine, dès la fin du iiie s. av. J.-C.
96Une trentaine de sites se placent dans les limites de cette période et les plages de calibration d’une trentaine d’autres en débordent légèrement. Elle est concernée par plusieurs changements dans les techniques de réduction. Une première transformation technique majeure est illustrée par l’apparition d’un nouveau type de scories denses cristallisées, associant des écoulements cordés (type A2) et non cordés (types A3 et A4). Il s’agit de scories non plus piégées, mais s’écoulant à l’extérieur des fourneaux, ce qui traduit des modifications importantes dans l’architecture de ces derniers. L’amplitude des plages de calibration laisse envisager que ces transformations interviennent dans le courant du ive s. av. J.-C., mais plus probablement au début du iie s. av. J.-C. Les déchets issus de cette technique restent ensuite les plus fréquemment rencontrés jusqu’au ier s. apr. J.-C. Certains amas comprennent également des scories de type A5, composées d’accumulations d’écoulements en boudins accolés, qui constituent des déchets exceptionnels tant par leur masse (pouvant atteindre 100 kg) que par leur volume, et dont la chronologie semble restreinte aux ier-iiie s. apr. J.-C.
- 21 En Puisaye, sur le site du Bois des Ferriers à Montholon 20, ainsi qu’au Bois de Bailly à Saint-Far (...)
97Il reste difficile de déterminer avec précision les caractéristiques des amas du début de la période. Ils peuvent généralement être classés dans la catégorie des grandes accumulations de déchets et couvrent des surfaces de plusieurs centaines, voire plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés qui rendent difficile une caractérisation représentative. La stratification de plusieurs d’entre eux a été étudiée sur le site du Bois des Ferriers à Montholon, sur celui du Bois de Bailly à Saint-Fargeau et sur le site de l’Abîme à Entrains-sur-Nohain 1, parfois sur plusieurs mètres d’élévation. La continuité d’occupation entre la fin de l’époque laténienne et le début de l’Antiquité est notable dans plusieurs cas21. Ces travaux mettent en évidence la longue durée d’occupation de ces emplacements d’ateliers, qui couvrent parfois l’ensemble de la période antique.
98La typologie des scories documente un nouveau changement technique qui interviendrait à partir de la seconde moitié du ier s. apr. J.-C. et perdurerait jusqu’à la fin du ive s. On constate l’apparition de scories vitreuses (type D) ou à base cristallisée et partie supérieure vitreuse (type C). Il s’agit ici encore de déchets évacués hors de la cuve du fourneau. Les premières études réalisées révèlent qu’elles sont beaucoup moins riches en fer que les scories denses cristallisées de types A2, A3, A4 et A5 (Piétak et al. 2012). Certaines d’entre-elles présentent des compositions chimiques et minéralogiques qui les rapprochent des laitiers de hauts fourneaux anciens, ce qui laisse envisager que des températures de fonctionnement dépassant 1 400 °C ont pu pu être atteintes au moins de manière ponctuelle (présence notamment de cristobalite). Ces caractéristiques évoquent la mise en œuvre d’innovations majeures dans la conduite des opérations de réduction, dans les rendements et probablement dans la nature des produits métalliques obtenus. L’ensemble de ces aspects reste encore à préciser, notamment par une caractérisation archéométrique plus globale des déchets.
- 22 En Puisaye, au Bois des Ferriers à Aillant-sur-Tholon 2 et 5 et aux Grand Usages à Villiers-Saint-B (...)
99La documentation actuelle ne permet pas vraiment de déterminer si les techniques de réduction générant d’une part des scories cristallisées et d’autre part des scories vitreuses ont été utilisées de manière conjointe ou se sont succédé. En effet, certains amas contemporains des sites à scories vitreuses ne livrent que des scories cristallisées22. Cependant, seuls deux d’entre eux ont fait l’objet de sondages. Il est donc possible que des scories vitreuses, bien que présentes, n’aient pas été reconnues lors de simples observations au sol. Dans la zone-atelier de Montholon, les sondages entrepris à Aillant-sur-Tholon 1 ont permis de constater que les scories vitreuses sont présentes dans des strates différentes et postérieures à celles qui contiennent des scories cristallisées.
100Les plus grands amas de déchets datés par le radiocarbone sont actifs durant cette période. C’est le cas par exemple des sites de Crot au Port à Fontenay-Près-Vezelay (Nivernais), du Bois de Migenne à Bussy-en-Othe 1 (pays d’Othe), des Cornillats à Toucy 1 et du Grand Ferrier de la Garenne à Tannerre-en-Puisaye (Puisaye), et de ceux qui ont été étudiés dans les zones-atelier de Villiers-Saint-Benoît, Saint-Fargeau et Montholon.
- 23 Étude Sylvie Mouton-Venault, Inrap-Artehis (Berranger et al. 2018)
101À Montholon, les longues périodes d’utilisation mises en évidence sur plusieurs sites permettent d’envisager le fonctionnement contemporain de différents pôles d’activité. Certains regroupements d’amas ne semblent pas aléatoires, mais paraissent au contraire refléter une organisation plus structurée. Des niveaux d’occupation témoignant de la présence de lieux de vie ont d’ailleurs été mis en évidence à proximité des tas les plus imposants. Les éléments de datation reposant sur l’étude de la céramique23 situent cette occupation entre 170/175 et 250 apr. J.-C., soit durant la période de plus grand dynamisme de l’activité de ce secteur. Ces indices encore ponctuels indiquent que les travailleurs vivaient près des ateliers au moins de façon saisonnière.
- 24 Réalisation Matthieu Thivet, Chrono-environnement, UMR 6249, CNRS ; étude Margaux Herbrich dans le (...)
102Les sites des Fouetteries aux Clérimois et des Ferrys à La Bussière sont pour l’instant les seuls à illustrer dans cette région l’organisation interne d’ateliers de cette période. Dans les deux cas, ils fonctionnent autour d’une batterie de deux fourneaux ayant connu de nombreuses utilisations, comme en témoignent les traces de réfection. Les volumes de ces structures, pouvant atteindre 2 m3, permettaient de disposer de capacités de production importantes. Aux Clérimois, le volume des amas de déchets qualifiés de modestes lors de la publication des résultats de la fouille (Dunikowski, Cabboi 1995, p. 131) serait de 7 800 m3 pour une estimation de 10 000 tonnes de scories produites durant le Haut-Empire. Dans la zone-atelier de Montholon, des relevés LiDAR24 ont permis de préciser le volume de certains des amas qui, bien que partiellement ré-exploités, peuvent encore former des monticules mesurant de l’ordre de 20 000 à 30 000 m3. Les masses de métal produites, qu’il reste à préciser, étaient sans aucun doute considérables.
103On est loin d’une activité dispersée sur un large quart nord-est de la France, comme cela a été un temps envisagé (Leroy et al. 2000 ; Domergue et al. 2006). Au contraire, le caractère groupé de cette production antique doit être souligné. En effet, il est maintenant acquis que les zones sidérurgiques, supposées d’époque romaine, du Morvan-Auxois et du secteur de Berthelange, commencent à produire plus tardivement (voir infra). À l’échelle de la zone d’étude, les secteurs en activité durant l’Antiquité se développent sur une longue bande s’étendant du nord-est au sud-ouest et recouvrant le territoire de plusieurs peuples de la période gauloise puis de plusieurs cités romaines : celui des Sénons en forêt d’Othe, Sénonais, Gâtinais et nord de la Puisaye ; celui des Éduens dans le sud de la Puisaye et ses marges nivernaises ; celui des Bituriges-Cube dans le Berry (Dumasy et al. 2010). Il s’agit d’une concentration d’ateliers parmi les plus grandes connues pour l’Antiquité, celles dont les rejets sont estimés entre quelques centaines et plus d’un million de tonnes de scories : en Wallonie (Pagès et al. 2022), dans la Montagne Noire (Fabre et al. dir. 2016) et dans le Canigou (Pagès et al. 2022), ou encore dans le Weald (Cleere, Crossley 1995). Il est ainsi très probable que la diffusion du fer produit dans cette vaste zone se faisait à l’échelle de la partie occidentale de l’Empire romain. Les travaux archéométriques en cours, portant sur la circulation des matières premières, ont pour objectif prioritaire d’en préciser les dynamiques.
- 25 Documentés par exemple dans les autres zones-atelier de Puisaye, à Saint-Fargeau et Villiers-Saint- (...)
104Les modes de gestion de ces exploitations restent inconnus : est-on en présence d’entreprises contrôlées par le pouvoir impérial, comme on le restitue pour d’autres métaux (Domergue et al. 2006), de sociétés privées, voire de particuliers ? L’archéologie fournit peu d’indices et ces modes de gestion peuvent être multiples, et d’ailleurs coexister ou se succéder. Les exemples étudiés illustrent sans doute des situations contrastées à l’échelle d’un même territoire. Le secteur de Montholon fournit ainsi le cas d’une concentration de grands ateliers fonctionnant de manière synchrone et qui pourrait correspondre à une entreprise d’ampleur. Ce mode d’exploitation est probablement le même à Tannerre-en-Puisaye, sur le site de la Garenne, connu par son grand ferrier s’étendant sur plus de 30 ha et marquant l’emplacement non pas d’un seul atelier, mais certainement de toute une série d’ateliers antiques. Nombre d’autres sites contemporains semblent de moindre importance25, tant dans l’emprise au sol que dans le volume qu’ils occupent, et pourraient résulter d’initiatives isolées et probablement plus limitées dans le temps. Les agglomérations antiques de Compierre et d’Entrains-sur-Nohain, qui accueillent des forges au cœur de leurs quartiers et des ateliers de réduction contemporains en périphérie immédiate, illustrent un cas de figure encore différent, supposant l’implication, au moins en tant que médiateurs, des édiles de la cité.
105Quel qu’ait été le statut de ces entreprises, la forte concentration de la production paraît témoigner au moins pour partie d’une volonté politique dépassant l’échelle de la cité. On peut d’ailleurs poser la question du rôle joué par les peuples gaulois dans l’émergence et le développement de ces centres, puisque le regroupement de la production sidérurgique est clairement perceptible dès le iie s. av. J.-C., au sein de territoires possédant un savoir-faire acquis déjà depuis plusieurs siècles (Berranger, Bauvais 2020). En Puisaye, cette spécialisation qui semble transcender la frontière entre Sénons et Éduens a pu être renforcée dans le cadre de l’organisation des territoires voulue par Rome. De futurs travaux devront tenter d’analyser plus précisément les modalités et la nature de ces processus en les resituant dans un cadre culturel plus vaste.
- 26 Bois des Grands Usages à Villiers-Saint-Benoit 10.
- 27 Bois des Grands Usages à Villiers-Saint-Benoit 5.
106Les dates actuellement disponibles dans les zones de production actives au cours de la période romaine donnent à penser que les ateliers se raréfient entre le milieu du ive et le début, voire le milieu, du vie s. En Puisaye, dans la partie sud (zone-atelier de Saint-Fargeau), il faut attendre l’extrême fin du vie ou le début du viie s. pour voir des ateliers succéder à ceux de la période romaine, tandis que dans la partie nord (zone-atelier de Montholon) la production ne semble reprendre qu’aux xie-xiie s. Dans la partie centrale (zone-atelier de Villiers-Saint-Benoît), un seul site actif dans l’intervalle ive-ve s. a pour l’instant été identifié26. Il s’agit d’un petit amas de 10 m de diamètre pour 0,80 m d’élévation, installé au sommet d’un amas de plus gros volume, lui-même daté de la fin de la période laténienne et du début de l’Antiquité27. En Nivernais, il n’y a pas d’atelier identifié avant le milieu du vie s. En Sénonais-pays d’Othe, le Ferrier 3b du site des Fouetteries aux Clérimois a toujours été considéré comme un atelier de l’Antiquité tardive sur la base des datations publiées, qui le situaient entre le milieu du iiie et le milieu du ve s. (Dunikowski, Cabboi 1995, p. 108). Mais la courbe de calibration actuelle les rajeunit nettement et une nouvelle analyse radiocarbone réalisée sur un charbon prélevé dans l’un des fourneaux fournit une date qui couvre uniquement les ve et vie s. (voir supra). Ici aussi, il apparaît plutôt une interruption entre les ateliers du Haut-Empire et ceux du début du premier Moyen Âge, même si ces derniers s’installent dans la continuité topographique des espaces occupés au cours de la période précédente (ibid., fig. 9, p. 25). Ce constat reflète-t-il une réalité ou s’agit-il d’un biais dans la documentation ? Les recherches à venir devront éclaircir ce point.
- 28 Dey A., Histoire de la ville et du comté de Saint-Fargeau, Bulletin de la société des sciences hist (...)
- 29 « Item agellum Ferrolas situm in pago Autissiodorensi super fluviolum Lupe, cum edificiis, pratis, (...)
- 30 « …Idemque colonia Potiolus, quem de haeredibus Helegio quondam visus sum recepisse, una cum coloni (...)
107Bien que la production du fer ait été pratiquement interrompue ou fortement réduite en Puisaye aux ve et vie s., elle redémarre clairement au début du viie s. : dans la zone-atelier de Villiers-Saint-Benoît, sept sites montrent une continuité de l’activité du début du viie à la fin du xe s., et dans la zone-atelier de Saint-Fargeau, six sites fournissent une série continue de dates allant du milieu du viie à la fin du xe s. Le nombre de sites de cette période représente le tiers de ceux qui sont datés dans ces deux étroites fenêtres, ce qui laisse supposer un nombre total important, compte tenu de la densité de sites observée alentour. L’importance de l’activité sidérurgique en Puisaye au cours du premier Moyen Âge transparaît peut-être dans l’étymologie même du nom Saint-Fargeau qui figure dans une charte de la fin du viie s. (Sanctum Ferreomus)28 et paraît se rapporter au fer. Deux autres mentions relatives aux terres du pagus d’Auxerre pourraient aussi y faire référence : « agellum Ferrolas » dans la donation de l’évêque d’Auxerre Didier en faveur de l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, datée de 621 environ29 ; « colonica Ferrarias » dans l’acte de donation testamentaire de l’évêque Vigile (mort en 683) en faveur du monastère Notre-Dame qu’il a fondé30. La Puisaye dépendait alors en partie du domaine de l’abbaye de Saint-Germain et du temporel de l’évêque d’Auxerre (Deflou-Leca 2010). L’un ou l’autre (ou les deux) a pu être impliqué dans la production du fer ou dans son contrôle.
- 31 Un site de l’époque mérovingienne en Nivernais, à Moussy 1, la Fontaine du Laitier. Outre les Cléri (...)
108Il est difficile de se prononcer sur la place qu’occupent les ateliers du premier Moyen Âge en Sénonais-pays d’Othe et dans le Nivernais, car dans les deux cas seuls quelques sites y sont pour l’instant datés31. C’est en revanche durant cette période qu’émergent d’autres zones de production, au centre et dans la partie est de l’espace étudié, là où aucune activité n’est pour l’instant identifiée – et ne semble devoir l’être – pour la période romaine, en tout cas pour le Haut-Empire. Dans le Morvan-Auxois, treize ateliers forment une série continue du milieu du ve au début du xie s. Rappelons que si ces nouveaux calages chronologiques ruinent l’hypothèse initialement soutenue d’un « district de production (romaine) de taille moyenne, au cœur d’une zone non aedificendi, dépendant probablement de la Cité des Éduens » (Mangin et al. 1992, p. 225-238), il reste à mettre en lumière le contexte et le cadre de son émergence au cours du haut Moyen Âge. La zone de Berthelange connaît une activité productive continue des ive-ve s. jusqu’au milieu du viie s., dont l’ampleur paraît indéniable au regard du nombre de sites datés (26 sites). Cette série n’est prolongée, en l’état actuel, que par deux ateliers datés de la période carolingienne (dates calibrées : milieu du viie-dernier quart du ixe s. et fin du viie-dernier quart du xe s.). Cet espace de production d’environ 1 100 km2, dans lequel 140 sites (sur 176) sont concentrés sur 120 km2, et autour duquel sont répartis quelques sites isolés, paraît ainsi fonctionner presqu’exclusivement ou en tout cas majoritairement au cours de la période mérovingienne.
109Les ateliers du premier Moyen Âge sont le plus souvent identifiés à partir de petits amas comprenant de très fortes concentrations de scories, mais représentant des volumes limités, ne dépassant généralement pas quelques centaines de mètres cubes. L’organisation et les rythmes de fonctionnement des unités de production semblent connaître de profondes modifications. Le site des Fouetteries aux Clérimois dans le Sénonais-pays d’Othe en offre un exemple. La morphologie des fourneaux montre d’importantes mutations par rapport aux ateliers de la période antique. De forme plus ovale et d’un volume moindre (le quart de celui des cuves des fourneaux de l’époque romaine), les fourneaux des ateliers du Ferrier 3b se distinguent aussi par des différences marquées dans les techniques de construction et par l’utilisation d’une ventilation forcée avec une unique tuyère latérale (Dunikowski, Cabboi 1995). L’atelier est désormais organisé autour d’un seul fourneau et non plus d’une batterie de deux.
110Que traduisent ces modifications dans la géographie de la production ? Les restructurations territoriales et administratives de la fin du iiie et du ive s., les troubles militaires et les changements politiques des ive et ve s. ont probablement un impact sur l’économie de cette partie de la Gaule et sur l’organisation de la production en général. Il est intéressant de noter que ces modifications sont concomitantes de changements techniques, puisque, en plus de la morphologie des fourneaux et de l’organisation des ateliers, les scories collectées sur ces sites sont d’un type très différent (scories écoulées cordées plus ou moins bulleuses de type A1, B1 ou B2) de ceux qui caractérisent les ateliers de l’époque romaine. Les paramètres techniques de la conduite de l’opération métallurgique ne sont donc plus les mêmes. On soulignera que ces caractéristiques vont définir les traits dominants des ateliers du premier Moyen Âge dans tout l’est de l’ancienne Gaule, tout au moins tel qu’on peut l’appréhender pour le moment à travers les ateliers fouillés et les scories collectées (Lorraine, sud de la Champagne, Franche-Comté, cantons suisses du Jura et de Vaud : Eschenlohr, Serneels 1991 ; Pelet 1993 ; Leroy dir. 1997 ; Leroy, Merluzzo 1998 ; Leroy 2001 ; Cabboi et al. 2007 ; Leroy et al. 2015 ; Leroy, Cabboi dir. 2019).
- 32 Pour la zone de Berthelange, l’hypothèse d’une intervention de l’État est défendue dans Forlin, Lau (...)
111Au cours du premier Moyen Âge, plusieurs zones de production sont donc actives en différents endroits des territoires bourguignons et francs-comtois. Elles sont ainsi plus nombreuses et plus largement réparties qu’au cours de la période romaine. Deux types de production paraissent coexister. Dans certains secteurs, comme l’actuelle Haute-Saône, les ateliers sont dispersés (voir supra, § 64 sqq). On imagine que leur création relève d’une initiative locale. Ailleurs, de véritables zones de production existent. La multiplication de zones de production de dimension comparable à celle de Berthelange paraît d’ailleurs être un trait commun à tout l’est des Gaules. On les voit apparaître dans des espaces géographiques où n’existait pas, semble-t-il, de production de fer brut pendant la période de l’Empire romain : c’est le cas en Lorraine, en Alsace, dans le Jura suisse, par exemple (Leroy 2008). Même si toutes n’émergent pas aux ve-viie s. et si leurs périodes de développement sont différentes (certaines concentrées sur un temps court, d’autres se prolongeant durant toute la période médiévale), leur multiplication au cours du premier Moyen Âge est peut-être une conséquence du morcellement territorial et politique qui induirait des productions plus localisées qui ne soient pas à la merci des aléas du transport à longue distance. Il est possible aussi que cette nouvelle géographie de la production soit liée à la constitution des grands domaines fiscaux, qu’ils soient royaux ou ecclésiastiques (Leroy et al. 2019, p. 279-281)32.
- 33 Dans le Bois des Ferriers à Montholon, il s’agit d’une réactivation de la production (deux ateliers (...)
- 34 Le dépouillement des chartes cisterciennes franc-comtoises antérieures à 1350 permet de conclure qu (...)
112Dans plusieurs des zones de production étudiées (pays d’Othe, Morvan-Auxois, zone de Berthelange), les dates disponibles montrent une présence plus ou moins continue d’ateliers tout au long de la période médiévale. En Puisaye, la situation semble un peu plus contrastée entre le secteur central (la zone-atelier de Villiers-Saint-Benoît) où cette continuité est manifeste, et les secteurs nord et sud, pour lesquels, en l’état des données, elle n’apparaît pas33. Ces points d’ancrage chronologique, s’ils restent insuffisants pour évaluer l’ampleur de l’activité et en préciser les caractéristiques, n’en permettent pas moins de relativiser la thèse régulièrement énoncée d’un renouveau sidérurgique à partir de la seconde moitié du xiie ou du début du xiiie s., sous l’impulsion des ordres monastiques, au premier rang desquels les Cisterciens auraient joué un rôle moteur. Cette opinion, fondée sur la rareté des sources écrites avant le milieu du xiie s., est déjà contredite dans les années 1990 par l’étude systématique des textes eux-mêmes34. Elle l’est désormais par la continuité des datations des sites archéologiques, constat dressé aussi dans d’autres zones géographiques, par exemple en Lorraine (Leroy et al. 2015).
- 35 D’après Beck et al. 2008, le minerai de fer apparaît partout et de manière ordinaire dans les reven (...)
113Il n’en reste pas moins que l’implication des communautés monastiques dans la production de fer est bien réelle. Ainsi en pays d’Othe, les actes les plus anciens mentionnant un lien des religieux cisterciens avec la métallurgie du fer concernent les abbayes de Pontigny (1143) et de Vauluisant (1143 et 1150) (Cailleaux 1991 ; Verna 1995). En Franche-Comté, de nombreux monastères, parmi lesquels les abbayes cisterciennes de Bellevaux, de Cherlieu et de La Charité, se font octroyer au xiiie s. le droit de tirer la mine ou des rentes en minerai (Mordefroid 1990). Mais d’autres acteurs sont présents, en particulier les évêques et les pouvoirs comtaux (Champagne) ou ducaux (Bourgogne). En pays d’Othe, aux xive et xve s., les sources écrites éclairent l’action prépondérante des trois principaux propriétaires terriens que sont l’abbaye de Dilo, l’évêché de Troyes et le duché de Bourgogne (Beck et al. 2008). « Mines » et « forges » sont gérées en faire-valoir direct ou affermées à des gens du métier, dont on sait qu’ils sont organisés au moins depuis le xiiie s. en une communauté des « férons » (ministerium fabri grosse fabrice) exerçant une compétence juridique sous l’autorité comtale35. Dans le territoire comtois, les monastères aussi s’attachent des compétences laïques en baillant leurs installations.
- 36 Inventaire A. Bully dans Berranger et al. 2018.
114Au xie s., la Puisaye relève en grande partie du temporel de l’évêque d’Auxerre. À la fin du xiie et au début du xiiie s., la seigneurie de Toucy, qui s’étendait de Parly jusqu’à la Loire, devient l’une des plus puissantes de la région. En 1258, elle entre par mariage dans les possessions du comté de Bar (partie occidentale de la Lorraine). Or durant la seconde moitié du xiiie et pendant tout le xive s., les comtes de Bar développent dans leurs domaines du nord de la Lorraine (châtellenie de Briey) une politique volontariste de production du fer, dont témoignent archéologiquement les nombreux amas de scories découverts (Leroy dir. 1997 ; Horikoshi 2007 ; Leroy et al. 2015). Pourrait-il en être de même en Puisaye ? Aucun texte connu n’en témoigne. Comme en pays d’Othe, les sources écrites, plus nombreuses aux xive et xve s., attestent de l’implication de seigneurs locaux, comme l’archevêque de Sens ou les seigneurs de Bléneau et de Champignelles, si ce n’est dans le contrôle de la production elle-même, du moins dans les revenus qu’elle procure36.
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115Depuis les années 1980, les campagnes de prospection archéologique conduites par différentes équipes de chercheurs ont permis de reconnaître et de délimiter, dans l’espace géographique couvert par les anciens pays bourguignons et franc-comtois, plusieurs secteurs de production du fer antérieurs à l’apparition de la sidérurgie moderne. Ces secteurs définis par des concentrations plus ou moins denses d’amas de déchets de production sont inégalement répartis sur ce territoire. Au moins quatre régions productrices apparaissent clairement dans la partie occidentale : le Morvan-Auxois, le Nivernais, le pays d’Othe et la Puisaye, cette dernière se caractérisant par une très grosse concentration (plus de 2 500 sites). Dans la partie orientale, une seule concentration, sur un territoire assez restreint des environs de Besançon (la zone de Berthelange), est identifiée. Les espaces intermédiaires sont dépourvus d’ateliers ou renferment des groupements lâches ou des sites isolés. Au total, plus de 5 000 sites sont actuellement recensés.
116La datation des périodes d’activité d’une grande partie de ces secteurs de production restait toutefois amplement méconnue. L’objectif des recherches menées depuis 2017 est de mieux appréhender la chronologie en recourant très largement aux datations par le radiocarbone. En s’appuyant sur les inventaires descriptifs des amas et sur les études archéométriques réalisées sur les déchets de production issus de ces différentes zones, un panel de sites représentatifs par leurs caractéristiques topographiques et par la nature des déchets qu’ils renferment a fait l’objet d’études plus approfondies. Cent quatre-vingts sites, la plupart conservés sous forme d’amas de déchets de production, ont ainsi été examinés et échantillonnés, et plus d’une quarantaine d’entre eux ont fait l’objet de sondages manuels ou mécaniques permettant d’accéder à une lecture stratigraphique de l’accumulation de déchets. En plus des artefacts de production qui ont été systématiquement échantillonnés et qui font l’objet d’études archéométriques visant à définir les caractères techniques des opérations métallurgiques, ces travaux de terrain ont permis de récolter des échantillons de charbon de bois au sein des couches archéologiques et parfois à l’intérieur même des scories. Dans les amas stratifiés, les prélèvements ont ciblé l’ensemble des séquences observées, de manière à restituer les phases de leur constitution. Plus de deux cents datations sont désormais disponibles.
117Corrélées à la typologie des sites et des déchets, permise par le nombre de sites étudiés, ces données renouvèlent considérablement la perception de la dynamique chronologique des zones de production du fer de ce vaste espace géographique.
118La transformation du minerai en fer est désormais clairement attestée dès le premier âge du Fer. Les ateliers de cette période, caractérisés par l’utilisation de bas fourneaux dans lesquels la scorie s’écoule sous la cuve, ont surtout été reconnus dans la partie nord-occidentale de la région, principalement en Puisaye et de manière plus discrète en Sénonais-pays d’Othe, ainsi que dans la partie orientale, plus particulièrement dans la région de Besançon. La corrélation des dates avec la typologie des sites et des scories permet d’identifier dans le sud de la Puisaye, dans le secteur de Treigny - Saint-Fargeau, une importante concentration de vestiges d’ateliers de cette période. A contrario, dans le Sénonais-pays d’Othe comme dans la région de Besançon, les quelques sites documentés ne permettent pas encore de déterminer l’importance, ni l’étendue géographique de l’activité sidérurgique. À l’est, en Franche-Comté, la production s’interrompt bien avant la conquête romaine (dès la fin du iiie s. av. J.-C.).
119En revanche, le développement continu de la production primaire du fer dans la partie occidentale de l’espace géographique étudié (Puisaye, Sénonais-pays d’Othe, Nivernais), au cours des phases moyenne et finale du second âge du Fer et tout au long de la période romaine, est clairement établi par le nombre d’ateliers datés utilisant une nouvelle technologie de fourneaux permettant l’évacuation de la scorie à l’extérieur de la cuve. La présence en Puisaye de gros et de très gros amas renfermant plusieurs milliers ou dizaines de milliers de mètres cubes de déchets sidérurgiques permet d’identifier cette zone comme une région de production majeure, dont l’activité semble avoir été continue entre les iiie-iie s. av. J.-C. et les iiie-ive s. apr. J.-C. Qui plus est, au tournant des iie-iiie s., elle est le siège de changements ou d’évolutions techniques transparaissant dans la morphologie et la composition chimique des scories, notamment avec l’apparition de types vitreux et pauvres en fer qui suggèrent des températures de fonctionnement nettement plus hautes et des rendements plus élevés que précédemment. Un des objectifs des travaux à venir reste de définir plus précisément les formes et la nature de ces modifications.
120Une rupture dans l’activité de ces zones de production « occidentales » semble intervenir aux ive et ve s. apr. J.-C., mais ce hiatus doit encore être documenté plus finement. Elles sont toutefois de nouveau actives au cours du premier Moyen Âge. D’autres zones qui n’existaient pas auparavant apparaissent alors (Morvan-Auxois, Mâconnais). La production redémarre aussi dans la zone de Berthelange, mais bien que le nombre de sites révèle une certaine intensité, elle reste principalement centrée sur la période mérovingienne. Elle semble néanmoins se poursuivre, sans doute moins fortement, à l’époque caroligienne, et jusqu’aux xive-xve s. Dans toutes les autres zones, au contraire, les datations collectées révèlent que l’activité est continue durant toute la période médiévale, mais l’importance de chacune d’entre elles tout au long de ces siècles reste encore à cerner, tout comme le mode de fonctionnement des fourneaux qui semble à nouveau changer comme le montre l’apparition de nouveaux types de scories, notamment plus bulleux qu’auparavant. À l’époque médiévale, l’activité sidérurgique est plus largement représentée sur tout le territoire qu’au cours de la période romaine. Les grandes zones de production connues historiquement dans cet espace géographique à partir des xiiie-xive s. ont ainsi clairement des antécédents.
121Ces travaux récents engagés sur l’étude de ces espaces de production de l’Est et du Centre-Est de la France se poursuivent actuellement afin d’approfondir les questions qui se posent sur l’organisation spatiale de la production et sur la nature des évolutions techniques qui se succèdent. La réponse à ces questions passe par la poursuite de l’étude morphologique et physico-chimique des déchets et par la fouille d’un panel d’ateliers, afin d’étudier les structures de production et leur organisation. Au-delà, déterminer les volumes de production et l’échelle des flux d’échanges sont d’autres problématiques primordiales dont l’étude bénéficie de l’apport des avancées méthodologiques récentes, dans le domaine des relevés topographiques haute résolution par la technologie LiDAR aéroportée, et dans celui des études de provenance par l’identification des signatures du fer métallique (Leroy et al. 2014). Enfin, la remise en perspectives de ces résultats dans leur cadre chronologique, politique et économique élargi est également au centre des travaux en cours.