- 1 Nous remercions Corinne Sandoz pour la traduction du texte de l’italien au français.
- 2 96 laïques, choisis en fonction des revenus et de la profession exercée, et 4 membres ecclésiastiqu (...)
1Avec le motu proprio de Pie IX, du 2 octobre 1847, sur l’Organisation du Conseil et du Sénat de Rome et ses attributions, les lois déjà appliquées dans les autres municipalités de l’État pontifical sont étendues à la capitale1. À Rome naît donc la Commune moderne, vue pour la première fois comme organe de pouvoir local, dotée d’attributions claires et de nouvelles formes de représentation. La réforme de l’administration communale attribue à un conseil délibérant constitué de cent conseillers2 et d’une magistrature exécutive – à la tête de laquelle se trouve un sénateur et composée de huit conservateurs – de nombreuses compétences de caractère local, jusqu’alors exercées par des organes centraux du gouvernement pontifical. À la nouvelle Commune, sont attribuées des compétences spécifiques dans les secteurs des spectacles publics, de l’annone et du commerce local, de la police sanitaire, de l’assistance publique, du contrôle des bâtiments, des services des cimetières, des illuminations et de la propreté urbaine, de l’instruction publique, de la tenue des registres de l’État civil ainsi que de l’entretien des aqueducs et des routes.
- 3 Ordonnance du maire no 1744 du 8 janvier 1889.
- 4 Archivio Storico Capitolino (ASC), Délibération du conseil communal no 33 du 15 octobre 1890.
- 5 Répartition X 1907-1920, b. 1, f. 1, sf. 9.
- 6 ASC, Procès-verbaux des conseils communaux du 30 décembre 1914 et no 441 du 11 janvier 1915.
2Avec le même acte naît la première structure pour la conservation des biens culturels, dénommée Division I – Section I : Instruction publique, Monuments antiques et modernes, structure qui, après la proclamation de « Rome Capitale », évoluera jusqu’à la Surintendance moderne. En 1889, une Commission permanente pour les services de caractère historico-artistique est en effet instituée auprès du Cabinet du maire3, alors que, déjà en 1890, tous les services attenants aux questions historiques et artistiques sont assignés au Bureau VI : Instruction publique4. Y est constitué le Comité général d’histoire et d’art, subdivisé en commissions spéciales par le règlement interne du 9 décembre 18905, commissions ensuite abolies en 1900, à l’exception de celle d’archéologie, avec l’institution d’un « Comité d’histoire et d’art composé d’hommes de lettres, d’historiens, de sculpteurs, d’architectes… et d’autres personnes de culture artistique générale ». En 1906 est créée une Section autonome d’histoire et d’art réunissant aussi bien la Commission d’archéologie, que le Comité d’histoire et d’art. La nécessité de structurer la Section en un véritable Bureau se concrétise avec la création, en 1914, du Bureau X pour les Antiquités et les Beaux-arts6 (Ufficio X per le Antichità e le Belle Arti), transformé en 1998 en Surintendance des biens culturels.
3Le motu proprio de Pie IX a déterminé de fait le passage de certains biens historico-artistiques et archéologiques dans les propriétés de la Commune de Rome. Nous pouvons citer, à titre d’exemple, les enceintes urbaines d’Aurélien et du Janicule, considérées à cette époque exclusivement comme des murs défensifs et d’octroi, ainsi que certains aqueducs d’époques romaine et moderne encore en fonction, avec toutes les fontaines monumentales, incluses dans les infrastructures hydrauliques et de service public (fig. 1).
Fig. 1 – Carte des aqueducs de Rome (Italie)
D’après G. Droysens (Allgemeiner Historischer Handatlas, 1886).
4Les aqueducs d’intérêt historique encore en fonction à cette époque sont au nombre de trois :
- l’Aqua Virgo (19 av. J.‑C.), présentant un parcours principalement souterrain (fig. 2), probablement l’unique aqueduc antique à avoir toujours été en fonction de l’Antiquité à aujourd’hui (Quilici 1986) ;
- l’Aqua Traiana (fig. 3), construit en 109 apr. J.‑C. pour alimenter les quartiers populeux du Transtiberim et remis en fonction en 1612 suite aux importants travaux du pape Paul V (Cifarelli, Marcelli 2017, intégrant la bibliographie antérieure) ;
- l’aqueduc Felice (fig. 4 et 5), réalisé par la volonté du pape Sixte V pour favoriser l’expansion du centre urbain dans la zone des collines de la ville (Esquilin, Quirinal et Viminal), en réutilisant en partie les structures de l’aqueduc antique Aqua Marcia (Motta 1986).
Fig. 2 – Canal (specus) de l’Aqua Virgo à Rome (Italie)
Cliché : Surintendance capitoline de Rome (archive photographique CAR).
Fig. 3 – Canal (specus) de l’Aqua Traiana près de Trevignano Romano (Italie)
Cliché : Surintendance capitoline de Rome (2020).
Fig. 4 – Aqueduc Felice, arc de Sixte V (dite porta Furba) à Rome (Italie)
Cliché : Surintendance capitoline de Rome (archive photographique CAR).
Fig. 5 – Aqueduc Felice au viale Castrense à Rome (Italie)
Cliché : Surintendance capitoline de Rome (archive photographique CAR).
5Plus tard, entrent également dans les propriétés de la Commune de Rome certains aqueducs désaffectés qui se dressent dans les propriétés communales : en particulier l’Aqua Alexandrina, certains tronçons conservés de l’Aqua Antoniniana (parmi lesquels l’arc de Drusus, passage monumental sur la via Appia) et la branche urbaine de l’Aqua Claudia construit par Néron pour alimenter le Celio (Le Pera, Tuchetti 2007, p. 157-160, 197-201, 211-213).
- 7 Le nom est modifié, dans les années 1980, d’Entreprise communale électricité et eaux en Entreprise (...)
6Tandis que ces derniers, traités comme n’importe quels autres monuments, ont toujours été de la compétence de la Répartition X : Antiquités et Beaux-arts (Ripartizione X : Antichità e Belle Arti), puis de la Surintendance, la gestion des aqueducs en fonction, en tant qu’infrastructures hydrauliques, incombe d’abord au service hydraulique de la Commune de Rome, puis est incorporée en 1938 à celle des énergies électriques et confiée à l’Entreprise gouvernementale électricité et eau, aujourd’hui ACEA7, sous la supervision de la Surintendance uniquement en ce qui concerne les aspects de conservation et de restauration.
7La complexité des structures hydrauliques romaines rend leur surveillance, leur tutelle et leur conservation particulièrement difficile. Il s’agit en effet, comme on le sait, de structures rectilignes conservées pour de nombreux cas sur des hauteurs considérables et sur des dizaines de kilomètres de long. L’utilisation, encore aujourd’hui, de certains d’entre eux pour l’approvisionnement en eau de la ville moderne constitue en outre une contrainte limitant l’accessibilité et les interventions de conservation dans le canal même.
8L’expansion de la ville, en particulier au cours du xxe siècle, a également sérieusement compromis leur conservation, en provoquant des interruptions dans les maçonneries, parfois coupées par des routes ou des lignes de chemin de fer, ajouts et constructions abusifs adossés aux arches. À ceci s’ajoutent les facteurs de dégradation urbaine (pollution, baraquements et établissements de sans-abris, dégâts divers) et environnementaux (végétation envahissante, agents atmosphériques, tremblements de terre).
9Le Code des biens culturels et du paysage (décret législatif no 42/2004), qui en 2004 a unifié toutes les lois de tutelle précédentes, n’attribue aucun régime particulier aux aqueducs si ce n’est pour affirmer leur rattachement au domaine public.
10Les mêmes mentions réglementaires applicables à tous les autres biens culturels protégés ope legis s’appliquent par ailleurs, des dispositions spécifiques de sauvegarde des aqueducs se retrouvent ainsi dans le règlement dont la Commune de Rome (ensuite Rome Capitale) s’est dotée pour définir son périmètre de compétence en matière de planification et de réglementation urbanistique générale (voir Asor Rosa et al. 2007).
11Au début des années 1960, dans le cadre de l’élaboration du nouveau Plan régulateur général (PRG) de Rome, destiné à inclure pour la première fois l’ensemble de la campagne romaine (agro romano), l’individualisation, l’inventaire et la représentation cartographique de tous les biens historiques présents sur le territoire sont imposés (Bonamico et al. 1968).
- 8 Approuvé avec la Del. C.C. no 959/1980, la carte utilisait la base aéro-photogrammétrique SARA-Nist (...)
12L’initiative, lancée alors par la Répartition X : Antiquités et Beaux-arts de la Commune de Rome, aujourd’hui Surintendance capitoline, aboutit dans les années 1980 à la publication, en annexe au PRG, de la Carte historique archéologique monumentale du paysage suburbain et de la campagne romaine (Carta storica archeologica monumentale e paesistica del suburbio e dell’agro romano)8. Ses objectifs sont de sauvegarder les biens « mineurs », les plus à risque, comme les éléments archéologiques secondaires, les tours, les casali (groupe de maisons rurales) et les tenute historiques (propriétés foncières des familles nobles dans la Campagna Romana). Dans les années suivantes, quelques annexes sont publiées : la Carte du parc régional de l’Appia Antica (Carta del Parco Regionale dell’Appia Antica) en 1990, et la Carte de l’archéologie industrielle (Carta dell’Archeologia Industriale) en 1996.
13Les aqueducs d’époques antique, médiévale et moderne représentent dans leur ensemble un élément crucial de ce recensement territorial. Ils figurent déjà dans un rapport de l’architecte Paolo Fidenzoni rédigé le 15 juillet 1960, dans lequel la typologie des éléments de caractère historico-artistique à enregistrer avec une symbolique appropriée est définie de manière exhaustive : sont indiqués avec un icône de couleur rouge « tous les éléments antiques déjà relevés et étudiés par les archéologues qui dans la […] périphérie ont relevé les monuments, ruines, routes, aqueducs, catacombes, etc. d’époque romaine. […] Les éléments précités ont été indiqués […] avec des icônes conventionnels qui sont identiques à ceux adoptés dans les textes desquels elles sont extraites » ; avec des icônes de couleur bleue, en revanche, « tout ce qui est indiqué dans la Carte topographique suburbaine de Rome, dressée par le Patrimoine (Censo) en 1839 par ordre de l’Em.mo card. Falzacappa et mise à jour en 1870. Ces derniers éléments concernent les routes et les édifices qui existaient à cette époque et qui – ayant au minimum 90 ans – peuvent être considérés d’intérêt historique si ce n’est pas artistique » ; […] « tout le plan des catacombes comme il ressort de la topographie générale (plan de la ville de Rome 1:20 000) fournie par l’Institut Pontifical d’Archéologie Sacrée (prof. Josi) ».
14Une étape fondamentale dans l’histoire de la sauvegarde des urgences monumentales des aqueducs historiques de la ville de Rome est représentée par l’adoption, avec délibération du Conseil no 92 du 29 mai 1997, de la variante du PRG de 1965, appelée Plan des biens certifiés (Piano delle Certezze). La variante inclut entre autres des choix significatifs relatifs à la tutelle et à la valorisation des biens historico-artistiques. L’administration communale, avec l’intention d’acquérir à l’intérieur de la structure réglementaire du Plan des biens certifiés, les valeurs de connaissance et de sauvegarde contenues dans la Carte historique archéologique monumentale du paysage suburbain et de la campagne romaine (Carta storica archeologica monumentale e paesistica del suburbio e dell’agro romano), estime opportun d’en transposer les 38 planches (fig. 6) comme annexes du PRG alors en vigueur. En même temps, le Plan adopte un règlement transitoire (art. 16bis) qui prescrit l’obligation d’acquérir l’avis préalable des services compétents des surintendances pour les biens impliqués dans l’intervention et déjà identifiés dans la Carte de la campagne romaine. En outre, le Plan assume un nombre défini de biens, déjà individualisés par la Carte de la campagne romaine, en tant qu’urgences historiques et archéologiques avérées, selon la liste et les cartes élaborées transmises à la Surintendance communale. Pour ces biens, le Plan prévoit enfin qu’une zone tampon inconstructible de minimum 50 m doit être réservée. De tels biens, dits « certifiés », sont listés dans l’annexe G du Plan (Ann. « G » – Liste des biens certifiés de la Carte de la campagne romaine ; All. « G » – Elenco dei beni certi della Carta dell’agro). Parmi ceux-ci figurent naturellement les aqueducs romains, antiques et modernes.
Fig. 6 – Carte historique archéologique monumentale du paysage suburbain et de la campagne romaine (Italie)
Feuillet 15, la zone de porta Maggiore, 1980.
Source : Surintendance capitoline de Rome.
15En 2000, une mise à jour des données s’accompagne d’une intégration à un système d’information géographique (SIG)9 (fig. 7), dans lequel les éléments antiques et modernes sont cartographiés sur la nouvelle base vectorielle de la Commune de Rome et liés à une base de données constamment révisée, développée dans le cadre du catalogue unique de la Surintendance SIMART. Actuellement, le SIG est en phase de migration vers un nouveau système d’information sur le patrimoine historique, archéologique et architectural de Rome « Forma Romae »10.
Fig. 7 – Rome Capitale, nouveau Plan régulateur général, Charte de qualité : la zone de porta Maggiore à Rome (Italie)
Source : Surintendance capitoline de Rome.
- 11 Respectivement avec les délibérations du conseil communal no 33 des 19-20 mars 2003 et no 18 du 12 (...)
16Les éléments recensés sont ensuite repris dans l’annexe G, Charte de qualité (Carta per la Qualità ; fig. 7), du nouveau PRG de la ville de Rome, adopté en 2003 et approuvé en 200811, avec les édifices de prestige et les formes urbaines spécifiques de la ville historique moderne et contemporaine (Asor Rosa et al. 2007 ; Asor Rosa, Rossi 2013 ; Marcelli, Munzi 2015, p. 323-325). L’objectif principal de la Charte de qualité est en effet de documenter et de sauvegarder les évidences archéologiques, historiques et architecturales en rapport avec le tissu urbain de la ville moderne et contemporaine, dans le cadre des choix conceptuels et urbanistiques. Les normes techniques d’application (Norme Tecniche di Attuazione – NTA) du nouveau PRG prévoient en effet la conservation et la valorisation de tous les éléments recensés et dictent des indications spécifiques pour leur éventuelle transformation. En particulier l’article 16, au paragraphe 5, des NTA confirme la prescription de la zone inconstructible de 50 m pour les éléments recensés par la Charte de qualité comme « préexistences archéologiques et monumentales » (preesistenze archeologico monumentali) (art. 16, point 1, lett. e), parmi lesquels entrent tous les vestiges archéologiques antiques et médiévaux, ainsi que l’architecture rurale de la campagne romaine (casali). Dans le même dispositif, s’ajoute en outre une mention spéciale qui concerne le tracé souterrain des aqueducs historiques, le long desquels une zone inconstructible de 15 m de part et d’autre doit être respectée, à l’extérieur de laquelle doivent quoi qu’il en soit être préservées « les vues, la perspective et la lumière des biens depuis les principaux points de vue et ne pas être altérées les conditions d’environnement et du décor » :
c. 5. Avec référence aux biens mentionnés au point 1, lett. e), en l’absence de « Projet d’aménagement » duquel au point 6, s’appliquent les prescriptions particulières suivantes :
a) une zone de respect de 50 m mesurée de part et d’autre du bien individualisé doit être réservée et, en cas d’éléments en surface, du périmètre de l’air individualisé ; pareillement une zone de respect de 15 m de côté dans l’axe du canal des aqueducs antiques et médiévaux, ou néanmoins historiques, déjà à l’origine souterrains, doit être réservée.
17Le même article 16, aux points 9 et 10, répète la nécessité de la part des auteurs des interventions édilitaires sur les éléments recensés par la Charte de qualité d’obtenir l’avis des surintendances d’État, de la Région ou de la Surintendance capitoline, selon les sphères de compétence respectives. Ceci constitue le règlement de la Surintendance capitoline encore en vigueur aujourd’hui, dans le cadre de l’exécution des fonctions de sa compétence spécifique.
18L’article 29 du Code des biens culturels et du paysage (décret législatif no 42 du 22 janvier 2004), déjà mentionné, établit que « la conservation du patrimoine culturel est assurée par une activité d’étude, de prévention, d’entretien et de restauration cohérente, coordonnée et programmée » qui prévoit un relevé général des facteurs de risque. Un entretien programmé est en effet la condition indispensable pour prévenir la dégradation, notamment pour ces structures exposées aux agents atmosphériques et aux activités anthropiques (aires archéologiques, fontaines, monuments, etc.).
19En partant de ce postulat, en 2010, la Surintendance capitoline, avec le soutien de la société de service Zètema Progetto Cultura, a activé un outil spécifique de documentation et de surveillance de l’état de conservation et des facteurs de dégradation des complexes monumentaux linéaires de propriété capitoline, appelé Projet Observateurs (Progetto Osservatori). Le projet, né de la conscience que la bonne gestion des biens culturels ne peut pas faire abstraction des analyses de l’environnement qui les accueille, que ce soit du point de vue physique, historique et culturel, s’est donné l’objectif de programmer des interventions prioritaires et d’allouer pour ce faire les ressources économiques dédiées.
20Les murs d’Aurélien (275 apr. J.-C.) et ceux réalisés par le pape Urbain VIII (1643) ont été l’objet d’une analyse approfondie, ainsi que les aqueducs d’époques romaine et moderne, biens dont l’étendue n’est pas sans poser aujourd’hui quelques difficultés relatives à la conservation et requièrent la participation de ressources professionnelles et financières considérables. Certaines données métriques peuvent aider à comprendre le caractère exceptionnel des problèmes posés par la gestion de ces ouvrages. À titre d’exemple, l’aqueduc Traiano-Paolo (fig. 8 à 10) atteint le centre de Rome après un parcours enterré ou aérien d’environ 57 km, en partant du bassin du lac de Bracciano, où se trouvent les captations des sources (Cifarelli, Marcelli 2017 ; 2019). Les activités liées à l’entretien du mur d’Aurélien ne sont pas moins délicates, avec presque 13 km conservés, sur les 19 km d’origine, englobés dans le tissu urbain de la métropole, auxquels s’ajoutent environ 4 km d’extension du xviie s. sur le Janicule (Marcelli et al. 2018).
Fig. 8 – Carte SIG de l’aqueduc Traiano-Paolo à Rome (Italie)
Source : Surintendance capitoline de Rome (2020).
Fig. 9 – Activités d’inspection et de relevé pour le Projet Observateurs de l’Aqua Traiana dans la via Aurelia Antica à Rome (Italie)
Cliché : Surintendance capitoline de Rome (archive Projet Observateurs 2013).
Fig. 10 – Cartographie SIG pour le Projet Observateurs des risques de l’aqueduc Traiano-Paolo dans la zone de la villa Pamphilj à Rome (Italie)
Source : Surintendance capitoline de Rome (2019).
21L’instrument de support opératif est composé d’un SIG, facilement interrogeable, paramétré pour la récolte, l’archivage, l’élaboration et la mise à jour de la documentation nécessaire à la gestion des activités d’entretien et de conservation. Le système est basé sur une composante géographique vectorielle, liée à une base de données, qui contient aussi bien les observations provenant des inspections sur le terrain (évaluations sur l’état de conservation et documentation photographique) que des informations d’archives (relevés, projets, bibliographie et archives courantes de l’administration). Le logiciel a été pensé pour être fonctionnel dans la programmation et la gestion des travaux d’entretien et de conservation des biens. En effet, le but est de pouvoir disposer d’un système à jour et utile pour une première définition des travaux prioritaires et des ressources budgétaires qui leur sont nécessaires.
22En ce qui concerne les aqueducs, la surveillance touche cinq des aqueducs qui appartiennent à Rome Capitale. Il s’agit des vestiges monumentaux de l’Aqua Alexandrina et du tronçon de celui de Néron sur le Celio, auxquels s’ajoutent les trois aqueducs encore en fonction : l’Aqua Virgo, l’aqueduc Felice et l’acqua Paola, réalisé au début du xviie s. en réutilisant les conduits de l’Aqua Traiana. Étant donné l’impossibilité d’accéder aux conduits pour d’évidentes raisons liées au fait qu’ils sont encore en usage, le contrôle a été effectué uniquement sur les structures aériennes, sur une longueur totale d’environ 18 km.
23En premier lieu, une cartographie vectorielle de tous les tronçons conservés en élévation, subdivisés en segments homogènes d’une longueur d’environ 30 m et liés à la structure d’archivage des données, a été effectuée.
24Dans les travaux de repérage sur le terrain, au vu de la complexité des structures et du besoin d’une évaluation technique sur les problèmes de conservation, il a été fait appel à divers professionnels (archéologues, historiens de l’art, restaurateurs, architectes, ingénieurs) afin de bénéficier de diagnostics pluridisciplinaires.
25Au cours des repérages, par le biais d’observations visuelles structurées et d’enregistrements ponctuels, des évaluations sur l’état de risque basées sur divers types de paramètres ont été avancées, par exemple l’attaque biologique, la dégradation structurelle et surfacique, les phénomènes d’humidité et de stagnation des eaux. En plus des causes naturelles et environnementales (croissance végétale, phénomènes atmosphériques intenses, mais aussi activité sismique), les facteurs anthropiques jouent un rôle majeur notamment en milieu urbain, car ils sont souvent la cause principale de la dégradation structurelle : démolitions et coupes pour réaliser des infrastructures ou pour l’extension urbaine, usage de différentes techniques de construction et superfétations relatives aux diverses phases de la vie des structures, interventions de conservation antiques et modernes, occupations abusives et actes de vandalisme.
26À ces causes s’ajoutent les vibrations provoquées par le trafic automobile et ferroviaire, ainsi que la corrosion des surfaces en pierre due à la pollution atmosphérique.
27L’activité de repérage sur le terrain a conduit à la rédaction de fiches de synthèse géolocalisées sur chacun des segments, et dans lesquelles sont définis l’état de conservation, les principaux éléments critiques et les interventions nécessaires pour rétablir les conditions optimales de la conservation du bien. Le résultat final est un SIG comprenant 635 fiches de surveillance, 14 000 photographies de repérage, environ 5 000 photos d’archives et 250 relevés.
28Par la définition des paramètres standardisés relatifs à l’état de conservation et aux facteurs de dégradation et de risque (« gravité » de niveau faible, moyen ou élevé ; indices de progression de la dégradation), il a été possible d’évaluer pour chaque tronçon examiné le degré d’urgence, qui dépend des facteurs de risque présents, des sollicitations environnementales et de l’usage auquel l’ouvrage est soumis, ainsi que la typologie des interventions nécessaires pour la conservation.
29Les niveaux d’urgence sont indiqués avec des valeurs décroissantes :
30Une « classification » analogue a été effectuée quant aux typologies d’intervention à mettre en place en relation avec l’évaluation de leur priorité, en attribuant une valeur haute aux situations où le report des travaux porterait un risque évident pour les usagers ou conduirait à la perte progressive de parties de l’ouvrage, en individualisant quatre niveaux de priorité :
- Interventions urgentes pour conditions évidentes de risque ;
- Interventions nécessaires pour garantir la conservation ;
- Interventions nécessaires pour garantir l’opérabilité et la sécurité ;
- Aucune intervention nécessaire. À insérer dans un plan d’entretien programmé.
31À partir de 2017, sur la base de l’expérience du Projet Observateurs, il a été décidé d’étendre le SIG de surveillance de l’état de conservation à tout le patrimoine historico-artistique appartenant à Rome Capitale, en mettant en œuvre une Carte du risque de l’ensemble du territoire communal, qui comprend les biens archéologiques et historico-artistiques, les villas et les parcs historiques, en plus des enceintes et des aqueducs.
- 12 Le projet est imaginé et coordonné par Francesco Maria Cifarelli.
32Actuellement, un projet approfondi de recherche et de valorisation, qui concerne l’aqueduc Traiano-Paolo12, est en cours. Ce dernier constitue, avec l’Aqua Virgo, une exception parmi les infrastructures hydrauliques antiques, en maintenant encore aujourd’hui l’entière fonctionnalité des ouvrages de captage des sources du bassin du lac de Bracciano et des conduites antiques. Avec un dénivelé de 246 m entre les points de départ et d’arrivée, il atteint Rome sur la colline du Janicule. Réalisé par l’empereur Trajan pour approvisionner en eau le Transtiberim, et après une période d’abandon à l’époque médiévale, l’aqueduc est donc remis en fonction et restauré par le pape Paul V en 1612, dans l’optique d’un renforcement de l’approvisionnement en eau du complexe du Vatican. Comme autrefois, l’aspect économique, et en particulier la nécessité de fournir la force motrice indispensable aux meules à grains, aux ateliers puis, successivement aux fabriques du Trastevere, a donné l’impulsion nécessaire aux imposants travaux de restauration qui touchent à toute l’infrastructure hydraulique (Cifarelli, Marcelli 2017). Aujourd’hui, l’aqueduc, objet d’un entretien constant à travers les siècles, est entièrement propriété de Rome Capitale et, en traversant le territoire de l’aire métropolitaine des communes de Bracciano, Anguillara, Trevignano et Manziana, ainsi que celui des arrondissements (municipi) de Rome, alimente encore en eau les plus importantes fontaines historiques de Rome et de l’État du Vatican.
- 13 L’association Rome Souterraine (Roma Sotterranea) et le groupe spéléo-archéologique Vespertilio.
33En 2017, la Surintendance capitoline, en collaboration avec l’organe de gestion ACEA ATO2 et avec le soutien d’associations spéléo-archéologiques13, a débuté un projet d’exploration, de cartographie et d’étude de l’ouvrage afin de surveiller l’état de conservation et d’approfondir les connaissances sur son système complexe de captage, d’adduction et de distribution des eaux.
34Dans le cadre de la recherche, une cartographie SIG de toute l’infrastructure a été réalisée, dans laquelle les relevés sur le terrain et le recensement des divers ouvrages antiques et modernes présents le long du tracé s’intègrent avec les informations tirées d’observations sur la gestion, de cartographie historique et de documentation d’archive. Le système, réalisé sur la base de la carte technique vectorielle de la région Latium (1/5 000), prévoit la cartographie et le recensement des tronçons souterrains, des ouvrages de captation et de dérivation, ainsi que des divers ouvrages antiques et modernes présents le long du tracé avec l’objectif de pouvoir disposer d’une carte thématique qui peut être interrogée et mise à jour en fonction des différentes phases de constructions antiques et modernes, des techniques constructives utilisées, des modalités de captage, des structures liées au stockage et à la distribution de l’eau (citernes, exutoires, bassins). En outre, en vue des activités institutionnelles de sauvegarde et de valorisation, des thématiques relatives à la définition des problèmes liés à la conservation de chaque tronçon cartographié sont en cours d’élaboration, sur l’exemple de ce qui a déjà été réalisé dans le cadre du Projet Observateurs.
- 14 Les résultats des enquêtes ont été publiés dans Cifarelli, Marcelli 2021. Voir aussi Cifarelli, Mar (...)
- 15 Le tronçon de Vicarello, encore entièrement en fonction ; un tronçon abandonné entre celui-ci et le (...)
35Étant donné l’étendue et la complexité du système hydraulique, un « projet pilote » a été mis au point afin de définir les méthodologies d’inspection et de collecte, ainsi que les mesures de sécurité nécessaires aux activités en espaces confinés14. Le tronçon sélectionné se situe dans la zone des sources, à proximité du lac de Bracciano, à cheval entre les communes de Bracciano et de Trevignano Romano, à un point stratégiquement et économiquement important par la quantité considérable des eaux collectées aussi bien aux époques antique que post-antique. Il comprend environ 1 km de conduit principal dans le territoire de Vicarello et trois systèmes complexes d’adduction entièrement d’époque romaine, parfaitement fonctionnels, auxquels s’ajoute une quatrième conduite abandonnée15. Au cours des explorations, il a été possible de documenter les systèmes de captation des eaux de sources, datant de l’époque de Trajan, et de démontrer comment, et, contrairement à ce que l’on avait admis, les travaux du xviie s. ont touché certains des ouvrages et des grandes chambres de distribution (« botti ») ; sur les captages, puis sur l’aqueduc et ses ramifications, le travail des architectes pontificaux s’est en revanche limité au déblaiement des limons et à la restauration des conduits antiques (fig. 11).
Fig. 11 – Explorations d’une chambre de captation (« botte ») du xviie s. de l’aqueduc Traiano-Paolo à proximité de Bracciano (Italie)
Cliché : Surintendance capitoline de Rome (2020).
36Grâce à cette nouvelle compréhension, d’une double valeur, de l’Aqua Traiana considéré dans sa globalité, comme « monument et infrastructure » (Cifarelli 2021), il a été ainsi possible de mettre en place un parcours de travail qui touche, en parallèle, les plans administratifs et scientifiques.
37Sur le plan administratif, la redécouverte progressive du monument a conduit à la mise en place d’une reconnaissance, de la part de l’administration capitoline, de la valeur monumentale de la structure dans son entièreté. Avant cela, l’aqueduc, géré par la société de gestion des eaux en sa qualité d’infrastructure de la ville moderne, était confié aux compétences des surintendances uniquement pour les tronçons aériens pouvant être inspectés depuis l’extérieur. Sur le plan scientifique, la prise de conscience d’un état de conservation aussi incroyable ouvre en revanche des perspectives de travail d’envergure : la possibilité d’observer un aqueduc d’époque romaine encore en fonction fait de l’Aqua Traiana un témoin presque unique pour les études liées à l’ingénierie hydraulique antique. Cela exige de réaliser le plus rapidement possible une documentation détaillée et complète de l’ensemble de l’aqueduc, un devoir au vu de son importance scientifique, mais aussi une nécessité « éthique » pour mettre en place les actions visant à sa tutelle complète ainsi que sa gestion et sa conservation opérationnelle.