1Dès le début de notre ère, les différents groupes ethniques de la péninsule coréenne sont mentionnés et décrits dans les Annales historiques chinoises. Cependant, les passages qui concernent le Sud de la péninsule sont très peu nombreux, souvent contradictoires et on · ne sait pas précisément à quelle période ils se rapportent. En outre, même si la langue écrite utilisée dans ces textes a peu évolué, l’absence de ponctuation et l’imprécision de certains termes - qui parfois diffèrent d’un ouvrage à l’autre - posent de nombreux problèmes. Pourtant, du fait de la place prépondérante accordée aux textes historiques dans la culture et l’enseignement traditionnels., tant en Chine qu’en Corée, de nombreux chercheurs ont essayé de donner une interprétation cohérente de ces passages. Aux côtés de cette longue et forte tradition historiographique, l’archéologie protohistorique - qui traite d’une période pour laquelle on a des sources écrites, mais rédigées par des observateurs extérieurs à la région étudiée - a eu du mal à se faire sa propre place et bien souvent on s’est contenté de rechercher dans les vestiges matériels la trace des « vérités » exprimées dans les textes, aux dépens de la qualité scientifique et objective des interprétations.
2Depuis le milieu des années 90, en raison de l’accumulation des données archéologiques et de l’amélioration notoire des techniques d’investigation en Corée du Sud, la situation est en train de changer. La culture matérielle reflète une image de l’histoire ancienne de la Corée nettement plus complexe que la vision traditionnelle, et les archéologues prennent peu à peu conscience des limites et de l’inadéquation du cadre spatio-chronologique établi à partir de l’étude des textes historiques. On commence ainsi à sentir la nécessité de définir un cadre d’interprétation indépendant, fondé avant tout sur l’analyse objective des vestiges matériels (Im, 2000, p. 428-429 ; Pae, 1996, p. 86 ; Pak, 2001, p. 773-774). Dans ce contexte, l’archéologie régionale se développe, incitant les chercheurs à prendre davantage en compte la chronologie des phénomènes socioculturels à différentes échelles régionales (Choi et Rhee, 2001, p. 118-119).
3Avant d’aborder la question régionale, il me semble important de montrer à quel point l’historiographie influence l’interprétation des données archéologiques pour les premiers siècles de notre ère, et pourquoi il devient nécessaire, au moins dans le cas du Sud-Ouest de la péninsule, d’étudier la culture matérielle indépendamment des découpages chronologiques ou géographiques fondés sur l’analyse des chroniques chinoises.
4Il s’agira ensuite d’évaluer dans quelle mesure les données archéologiques permettent d’appréhender la question régionale. Pour ce faire, j’essayerai de cerner la complexité du découpage géographique qui résulte de l’analyse des vestiges matériels à des échelles de plus en plus fines. Dans le cadre de cet article, je me concentrerai plus particulièrement sur le grand Sud-Ouest, c’est-à-dire sur les régions de la Corée du Sud situées à l’ouest des monts Sobaek, à la période de formation des premiers royaumes, entre environ le Ier et les IV-Ve siècles.
5Deux exemples montrent à quel point les données archéologiques sont reléguées au second plan pour les périodes protohistoriques. Dans l’un des rares ouvrages synthétiques sur l’archéologie coréenne (Nelson, 1993), l’auteur présente, pour la période dont nous traitons ici, d’abord les données des textes (« Documentary sources », p. 165) et seulement ensuite les données archéologiques sous le titre « Archaeological evidence » (p. 172), montrant ainsi clairement qu’il s’agit simplement de rechercher dans les vestiges matériels la preuve de ce qui est écrit dans les textes. Le deuxième exemple est tiré d’un article récent dans lequel deux archéologues dressent un bilan des acquis de l’archéologie coréenne (Choi et Rhee, 2001) : dès que l’on quitte la préhistoire et qu’apparaissent les textes (p. 133), les données apportées par l’archéologie deviennent quasiment inexistantes.
6Pourtant ces données existent et parfois elles reflètent même des incohérences par rapport aux données des textes anciens :
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Les dates données pour l’établissement des premiers royaumes, de 37 av. J.-C. pour Koguryeo, de 18 av. J.-C. pour Paekche et de 57 av. J.-C. pour Silla, ne correspondent à aucune réalité archéologique. Dans le Nord de la péninsule, Koguryeo s’organise vraisemblablement dès le II° siècle av. J. -C. (Li, 1989, p. 26-27), alors que dans le Sud, les premiers États ne se forment que vers le milieu du IIIe siècle de notre ère (Barnes, 1990).
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D’un point de vue archéologique, les royaumes qui se mettent en place dans le Sud de la péninsule ne semblent pas se limiter à Paekche et Silla. Depuis maintenant au moins dix ans, les chercheurs ont acquis la certitude qu’il existait un quatrième royaume dans l’extrême Sud-Est, au niveau de l’embouchure du fleuve Naktong ; ce royaume correspondrait à la ligue de Kaya que les textes évoquent. Dans cette région, les tombes de la classe dirigeante sont en effet comparables en richesse à celles des royaumes de Paekche ou de Silla.
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Les sépultures en jarres, tombes princières de l’extrême, Sud-Ouest, ne sont jamais mentionnées dans les textes anciens, malgré leur originalité en tant que mode d’inhumation de la classe dirigeante. On peut donc s’interroger sur la fiabilité des descriptions contenues dans les textes concernant les coutumes de cette région.
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Du point de vue du découpage du territoire, on peut également donner un exemple intéressant, qui mériterait toutefois d’être confirmé par des études ultérieures. Ainsi, dans le site de Keonji-ri à Namweon (province du Cheolla Nord), les fouilles ont permis de mettre en évidence des tombes, datées de la fin du Ve au début du VIe siècle, culturellement proches de celles des régions de Pusan et de Kimhae. Pourtant, d’après l’étude des textes, la région de Namweon appartiendrait au royaume de Paekche, alors que celles de Pusan et de Kimhae sont attribuées à Kaya. (Pae, 1999, p. 19).
7En fait, lorsque les disparités entre les· données des textes et les vestiges matériels sont trop importantes, les archéologues aménagent leur cadre d’étude, par exemple en désignant la période des trois premiers siècles de notre ère par le terme de « Proto-Trois Royaumes » ou en considérant que les Trois Royaumes sont en fait ceux de Paekche, Silla et Kaya (au lieu de Koguryeo, Paekche et Silla).
8D’autre part, les textes historiques indiquent, sans précision de période, que le Sud de la péninsule était partagé entre trois Han (Samhan) appelés Mahan, Chinhan et Pyeonhan. Les chercheurs les associent aux régions des futurs royaumes - respectivement de Paekche, de Silla et de Kaya -, mais leur localisation reste vague et il est difficile de les situer sur une carte. Le nom de Pyeonchin apparaît aussi, mais la plupart des historiens le considèrent comme erroné. On ne sait pas précisément à quel type d’entité se rapportaient ces noms. D’après les annales, chacun des trois Han était constitué de plusieurs petits kuk. Le caractère chinois (guo) auquel se rapporte ce terme signifie pays, État, nation, royaume ou principauté, mais sa traduction dans les textes historiques est source de nombreuses polémiques. Les principales interprétations proposées dépendent en fait des données archéologiques auxquelles on a essayé de faire correspondre ces kuk pour retrouver leur emplacement. Ainsi, dans le cas de Mahan par exemple, les chercheurs qui travaillent sur les groupes de tertres, avec des sépultures en grandes jarres interprètent ces kuk comme des Etats, des cités-États, des royaumes ou des principautés de l’Âge du Fer (Seong, 1983 ; Ch’oe, S., 1990, p. 150). Ceux qui étudient les groupes de dolmens de l’Âge du Bronze les traduisent plutôt par des termes tels que tribu, unité tribale ou clan (Kim, W., 1990, p. 7, 10 ; Ch’oc, M., 1990, p. 44). D’une façon générale, les trois Han sont donc le plus souvent assimilés à des entités politiques. Cependant, certains chercheurs ont aussi pensé que Mahan, Chinhan et Pyeonhan pouvaient désigner des noms géographiques.
9Les relations entre Mahan et le royaume de Paekche sont également assez controversées. La plupart des chercheurs considèrent que Paekche s’est formé à partir de l’un des kuk de Mahan, avec ou sans aide extérieure. Néanmoins, d’autres hypothèses présentent Mahan comme un groupe régional au sein du royaume de Paekche, ou même comme une entité totalement indépendante (Barnes, 1990, p. 137-138).
10Du point de vue du découpage régional du Sud-Ouest, il est couramment admis que le territoire de Mahan s’étendait jusqu’à la mer au sud et à l’ouest et jusqu’à la frontière avec la province du Kyeongsang à l’est, frontière marquée naturellement par l’extrémité de la chaîne montagneuse des Sobaek. En revanche, les controverses sont nombreuses concernant ses limites septentrionales et ses principaux centres. Il couvrirait au moins les provinces du Cheolla Sud et du Cheolla Nord. Selon les périodes considérées et les auteurs, il engloberait aussi les deux provinces du Ch’ungch’eong, jusqu’au nord du bassin du fleuve Keum. Certains, moins nombreux, y rattachent aussi la partie sud de la province du Kyeonggi jusqu’au cours moyen du fleuve Han (lm, 1995, p. 118 ; Kim, W., 1990, p. 7-8).
11En ce qui concerne la localisation des centres régionaux de Mahan - centres dont la fonction n’est pas clairement définie (économique, politique, culturelle ?) - on peut citer au moins deux hypothèses différentes, chacune essayant de se fonder sur les données archéologiques :
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Hypothèse 1 : Le premier centre de Mahan se serait situé dans le bassin du fleuve Keum entre le IIe siècle avant J.-C. et le IIIe siècle après J.-C. Vers le milieu du IIIe siècle après J.-C., il se serait déplacé vers le bassin du fleuve Yeongsan où il aurait subsisté jusqu’à la fin du Ve siècle (voir par exemple lm, 1995, p. 118 ou Kim, W., 1990, p. 7-8).
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Hypothèse 2 : Le centre de Mahan se serait trouvé, à l’origine, dans la région de Seonghwan, dans l’extrême nord du Ch’ ungch ’eong Sud. En raison de la pression expansionniste du nouveau royaume de Paekche, il se serait ensuite déplacé vers le sud, dans les régions de Yesan, d’Iksan, puis, dans la plaine de Naju (Cheolla Sud) où il aurait évolué en un Etat (Choi et Rhee, 2001, p. 139).
12On constate ainsi que les données archéologiques influencent autant l’interprétation historiographique que l’inverse. L’une des raisons de ce problème vient peut-être du fait que les entités mentionnées dans les textes ne sont pas clairement définies : s’agit-il d’entités administratives, politiques, économiques, culturelles, géographiques ? On ne le sait pas. On n’a pas non plus de données chronologiques ou géographiques précises. II est donc difficile de faire coïncider ces entités avec les découpages apportés par l’analyse des vestiges matériels, lesquels, dans l’état actuel de l’archéologie coréenne, renvoient essentiellement à une dimension d’ordre socioculturel.
13D’un point de vue théorique, les données archéologiques permettent non seulement de définir des cultures régionales, mais également de mettre en évidence des centres politico-économiques, par l’étude de la distribution spatiale des tombes, ou des habitats contemporains, de différents niveaux hiérarchiques (taille, richesse). Ce type d’analyse nécessite cependant des données plus précises et plus complètes que celles dont nous disposons actuellement en· archéologie coréenne.
14Je me limiterai donc ici à l’étude de la localisation spatiale des entités culturelles, telles qu’elles apparaissent à différents niveaux de précision. A chaque échelle d’analyse, les entités culturelles sont définies par un ensemble de paramètres communs à plusieurs sites.
15La première échelle d’analyse, qui porte sur l’ensemble territorial du Sud de la Corée (actuelle Corée du Sud) aux premiers siècles, se fonde sur les éléments les plus caractéristiques de la culture matérielle, comme l’absence ou la présence de certaines catégories d’objets.
16Au début de notre ère, les cultures matérielles du Sud de la péninsule partagent un certain nombre de caractéristiques qui définissent ce qu’on appelle l’Âge du Fer.
17En ce qui concerne le mobilier archéologique, on note :
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la généralisation de l’utilisation du fer pour les outils (couteaux, faucilles, couteaux semi-circulaires pour la moisson, haches ou herminettes, houes, pelles, hameçons), et pour les armes comme les pointes de flèche ou de lance ;
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le développement du travail de l’os pour la fabrication d’aiguilles et de poinçons, mais aussi de pointes de flèche ;
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l’accroissement de la production d’objets de parure (perles de toutes sortes, ornements de cheveux en os, peignes) ;
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l’apparition d’un nouveau type de céramiques, mises en forme et décorées par la technique du battage.
18Avec la généralisation des outils en fer, la riziculture et les techniques agricoles se perfectionnent. La capacité de production augmente, entraînant un accroissement démographique et le développement des échanges. Les amas coquilliers et les villages deviennent, plus nombreux le long des côtes et dans les plaines fluviales. A cette période, les villages sont surtout connus par des groupes de cabanes semi-excavées (prof. : 50-60 cm), de forme carrée ou rectangulaire en plan (4-6 m de côté), au sol en terre battue avec un foyer situé le long de la paroi.
19Sur le plan funéraire, les données varient d’une région à l’autre, mais d’une façon générale, les dolmens de l’Age du Bronze sont remplacés par des sépultures en fosse avec un cercueil en bois (mokkwan myo), ainsi que par des sépultures en jarres (onggwan myo), et c’est également au cours de cette période qu’apparaissent les tertres funéraires.
20Si on analyse la culture matérielle des premiers siècles de notre ère dans le Sud de la péninsule un peu plus en détail, on remarque que le Sud-Est se distingue assez nettement des régions du Centre et du Sud-Ouest :
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par un type particulier de céramiques travaillées par battage, dit type wajil, défini par une pâte et des formes propres au bassin du fleuve Naktong et à la zone côtière du Sud-Est ;
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par la présence de pièces de harnachement et de char dès le début de notre ère (ce type d’objet n’apparaît qu’à partir du me ou du IVe siècle à l’ouest des monts Sobaek) ;
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par l’abondance des objets placés dans les tombes, surtout les céramiques ;
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par la présence de fosses pour le mobilier, appelées yogaeng, situées sous le cercueil (Kungnip chungang pangmulgwan, 1998, p. 56).
21À ce premier niveau d’analyse, le découpage culturel du Sud de la péninsule correspond donc aux deux régions situées de part et d’autre de la chaîne des Sobaek (Figure 1).
22On note également que dans le Centre et le Sud-Ouest de la péninsule, la culture de l’Age du Fer ne semble pas être aussi « raffinée » ou « évoluée » que dans le Sud-Est. Cela témoigne peut-être du développement d’un commerce particulièrement fructueux dans le bassin du fleuve Naktong, mais la différence entre les deux régions s’explique aussi, en partie, par des pillages plus fréquents, une moins bonne conservation du mobilier et des fouilles moins nombreuses et plus récentes dans le Sud-Ouest.
23À partir de la deuxième moitié du IIIe siècle, on assiste, dans l’ensemble des régions du Sud de la péninsule, au développement de cités fortifiées (seonggwak) et d’amas coquilliers situés sur des hauteurs. Les armes en fer évoluent (apparition par exemple de grands sabres à pommeau), et les tumuli deviennent de plus en plus riches et imposants. Ces données reflètent la multiplication des conflits armés ainsi qu’un accroissement du processus de hiérarchisation de la société.
24Une analyse plus fine montre que, parallèlement à la naissance des premiers royaumes sud-coréens de Paekche, Silla et Kaya, dont l’identité culturelle s’affirme à cette période, les points communs entre le Sud-Est et les régions du Centre se multiplient, probablement en raison du développement des échanges entre ces nouvelles entités politiques (Figure 2). Dans ces deux régions, on note, par exemple :
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l’apparition au IIIe siècle de céramiques à décor incisé ;
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la multiplication des pièces de harnachement et des armures en fer ou en plaques d’os ;
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la présence de miroirs chinois en bronze ou de miroirs fabriqués localement en imitation des modèles chinois.
25Dans le Sud-Ouest, ces différents éléments ne sont pas attestés avant le Ve siècle. On constate ainsi une réorganisation dans le découpage régional : à partir de la deuxième moitié du IIIe siècle, c ’est la région du grand Sud-Ouest, à l’ouest des monts Sobaek, qui se retrouve marginalisée d’un point de vue socioculturel (Figure 2).
26La seconde échelle d’analyse, plus grande, porte sur les régions à l’ouest des monts Sobaek ; elle est surtout fonction des différents types de tombes.
27Au sein de l’ensemble relativement homogène que constitue le grand Sud-Ouest au cours des premiers siècles de notre ère, les archéologues coréens distinguent trois cultures régionales en fonction d’un assemblage de caractéristiques communes (Figure 1).
28La culture des bassins des fleuves Imjin et Han, dite de Chungdo, est définie avant tout par une forme originale de cabanes, avec une entrée séparée et un foyer dallé et entouré de pierres. Les sépultures considérées comme contemporaines de cet habitat sont enterrées au sommet de tertres en terre recouverts de pierres (cheupseok ch ’ong). Elles montrent à peu près la même répartition géographique que les cabanes avec une entrée et, à l’exception des céramiques du type de Chungdo, le matériel archéologique y est semblable.
29La culture du bassin du fleuve Keum, dite de Ch’eongdangdong, est surtout connue à partir du milieu du IIe siècle. Elle se caractérise par un type de sépultures appelé chugu t’ogwang mokkwan myo ou plus simplement chugu myo, constitué d ’ un cercueil en bois enterré à la base d’un petit tertre en terre de forme arrondie. Les tertres ne sont pas conservés, mais ils sont attestés par la présence d’un fossé semi-circulaire autour de la tombe. Ces sépultures, disposées le long des courbes de niveau sur la pente des collines, sont relativement riches en mobilier funéraire avec notamment de petites agrafes hippomorphes en bronze.
30Pour les bassins des fleuves Yeongsan et Seomjin, dans l’extrême Sud-Ouest, les premiers siècles de notre ère sont encore assez mal connus ; on note néanmoins certaines caractéristiques originales. Du point de vue de l’habitat, les cabanes possèdent une forme plus arrondie que dans les autres régions, et on y trouve de nombreuses jarres profondes, à ouverture simple et fond presque pointu. Dans le domaine funéraire, on attribue à cette période des inhumations en fosse, avec ou sans cercueil en bois. Il n’y a pas de trace de fossé autour de ces tombes, mais dans certains cas, elles sont tapissées ou entourées de pierres. Pour les enfants, des sépultures en jarres sont également utilisées.
31Pour les trois premiers siècles de l’ère chrétienne, on constate ainsi une forte affinité entre les principaux bassins fluviaux et les groupes culturels qui ressortent de l’étude des données archéologiques.
32À partir du milieu du IIIe siècle, et a fortiori au cours des Ive-Ve siècles, la situation évolue (Figure 2).
33Dans le bassin du fleuve Han, la mise en place du royaume de Paekche est marquée par l’apparition de sites fortifiés et par la multiplication des sépultures imposantes avec une chambre funéraire en pierre (le tertre est soit en terre : seoksil pongt’o pun, soit en pierres empilées : cheokseok ch’ong). Du point de vue du mobilier, l’évolution se fait dans la continuité de la culture de Chungdo, comme le montre la fouille de la forteresse de P’ungnap à Séoul.
34Dans le bassin du fleuve Keum, la culture de Ch’eongdangdong évolue, vers le milieu du IIIe siècle, en une culture proche, dite de Kwanch’ang-ni. Les sites qui lui sont attribués se répartissent essentiellement le long de la côte sud-ouest. Les fossés qui entourent les tombes, seuls témoins de la forme du tertre, deviennent rectangulaires ; des sépultures en jarres apparaissent et plusieurs tombes coexistent parfois au sein d’un même tumulus. En outre, certaines sépultures sont situées sur les rebords de plateaux et non plus seulement sur les pentes des collines.
35Dans le bassin du fleuve Yeongsan se développe une culture originale, caractérisée par des sépultures en grandes jarres enterrées au sommet de tertres funéraires en terre. Le mobilier, relativement riche, est marqué par l’absence notoire de miroirs en bronze et d’objets liés à l’utilisation du cheval ou du char. Ces tombes ont surtout été découvertes en plaine, à mi-distance de deux voies navigables, avec une concentration nettement plus importante dans la plaine de Naju, à l’embouchure du fleuve Yeongsan. Contrairement aux autres types de sépultures en jarres, qui sont des poteries d’usage domestique réutilisées pour enterrer des enfants ou des pauvres, celles-ci sont au contraire réservées à une certaine élite et sont constituées de très grandes jarres fabriquées pour le seul usage funéraire, placées horizontalement dans les couches supérieures des tertres. Plusieurs sépultures en jarres, parfois associées à des sépultures en fosse avec un cercueil en bois, sont réunies au sein d’un même tertre (Denès, 1995). Les sites d’habitat ou de production associés à ces grands tumuli, qui sont les plus anciens dans le Sud-Ouest, n’ont pas encore été clairement identifiés.
36À partir du milieu du IVe siècle environ, les éléments caractéristiques de la culture de Paekche se répandent vers le sud (Figure 3). De grands tumuli, riches en mobilier (céramiques d’un type proche de celles du bassin du fleuve Han, armes, pièces de harnachement en bronze doré, objets de prestige de facture chinoise), apparaissent dans les régions de Ch’eonan et de Ch’eongju (cercueils placés dans un coffrage en bois), puis dans celles de Puyeo, de Kongju et de Iksan (chambres funéraires en pierre). Cependant, plus on descend vers le sud, plus la culture dite de Paekche se diffuse lentement. Dans l’extrême Sud-Ouest de la péninsule, elle se « heurte » à la culture des sépultures en grandes jarres du bassin du fleuve Yeongsan, culture régionale solidement établie depuis le me siècle environ.
37En 475, face à la poussée du royaume de Koguryeo vers le sud, la capitale du royaume de Paekche est déplacée de Hanseong (Séoul) à Ungjin, près de l’actuelle ville de Kongju. C’est vraisemblablement seulement à partir de cette période que l’influence culturelle de ce royaume s’affirme dans l’extrême Sud-Ouest. Cependant, au début, les tumuli à chambre funéraire en pierre, caractéristiques de la culture de Paekche, apparaissent en périphérie de la région centrale des sépultures en grandes jarres. En outre, ils comportent plusieurs éléments propres au bassin du fleuve Yeongsan, ce qui les distingue des tumuli typiques de Paekche, centrés sur le bassin du fleuve Keum (Tableau 1).
38La fouille récente (1996-1998) du tumulus n° 3 de Pog’amni à Naju montre bien ce processus d’acculturation progressif. Dans ce tertre, où ont été découvertes 41 tombes datées de la deuxième moitié du Ve au début du VIIe siècle, les chambres en pierre voisinent avec les sépultures en jarres. Les deux types de tombes sont même parfois associés, les cercueils en jarres étant placés à l’intérieur de la chambre en pierre.
39Finalement, ce n’est que vers le VIe siècle, à la fin de la période Ungjin (475-538), que les sépultures à chambre en pierre typiques de la culture de Paekche se généralisent jusque dans l’extrême Sud-Ouest. Pourtant, d’après les textes historiques, l’annexion de cette région par le royaume de Paekche se situerait vers 369, sous le règne du roi Keunch’ogo (346-375) (Ch’oe, S., 1993, p. 386 ; Im, 1995, p. 94, 115 ; Kim, W., 1990, p. 8). On constate ainsi à quel point les données historiographiques, probablement d’ordre administratif ici, peuvent différer de la réalité matérielle. Ne pas sortir de ce cadre condamne donc, finalement, à une vision tronquée de l’histoire.
40À partir du milieu du IIIe siècle, avec la formation d’une ville capitale (Hanseong) au niveau de Séoul, puis à Kongju dans le bassin du fleuve Keum (Ungjin), on observe un phénomène de hiérarchisation entre les régions, fondé sur un système complexe qui oppose centres et périphéries à différentes échelles. De plus, à partir de cette période, l’intensification des échanges crée une unification culturelle au sein d’une zone de plus en plus vaste. Les spécificités régionales ne disparaissent pas pour autant, au contraire, mais elles se situent alors à une autre échelle (le décor des céramiques, par exemple) ou dans des domaines plus difficiles à appréhender par le biais de l’archéologie (traditions vestimentaires ou culinaires, dialectes...).
41J’ai essayé de montrer ici que les vestiges archéologiques renvoyaient à une réalité culturelle complexe, dont on ne maîtrise pas encore bien tous les paramètres et dont on ne peut rendre, pour l’instant, qu’une image simplifiée. J’ai aussi tenté de mettre en évidence ce qui sépare la culture matérielle de son cadre d’étude traditionnel, établi à partir des données des textes historiques. Le problème principal vient en fait de la confusion entre cultures régionales et entités politiques ou administratives, lesquelles ne se recoupent pas forcément. D’où l’intérêt de chercher à définir de nouveaux repères spatio-chronologiques, fondés sur l’évolution des caractéristiques régionales en fonction du temps et de l ’échelle d’analyse à laquelle on se situe.
42J’ai aussi voulu insister sur les relations entre les cultures matérielles et les régions physiques de la péninsule. Aux premiers siècles de notre ère, la chaîne des Sobaek constitue une frontière naturelle entre deux régions culturelles nettement définies. À l’ouest de cette limite, à une autre échelle d’analyse, le découpage régional s’organise au sein des trois principaux bassins : celui des fleuves Han et Imjin, celui du fleuve Keum et celui des fleuves Yeongsan et Seomjin. Cependant, à partir du milieu du IIIe siècle, les relations s’accentuent entre le Sud-Est et les régions du Centre-Ouest (bassins des fleuves Han et Keum), créant une sorte d’isolement culturel dans l’extrême Sud-Ouest (bassin du fleuve Yeongsan), indépendamment du relief de la péninsule. Ce phénomène est probablement lié à la mise en place d’un vaste réseau d’échanges, notamment avec la Chine et le Japon : chaque région développe des caractéristiques différentes en fonction de ses interlocuteurs et de son degré d’implication au sein de ce réseau. A cette période, l’identité des bassins fluviaux s’estompe, et il est possible que, du point de vue de la culture matérielle, la structuration du territoire se déplace à une autre échelle, d’ordre micro-régional, plus difficile à appréhender dans l’état actuel de l’archéologie coréenne.