1Spécialiste du Japon et chercheur au CERI (Fondation nationale des sciences politiques), K. Postel-Vinay livre dans son dernier ouvrage une réflexion sur les enjeux de la question coréenne en Asie orientale. Depuis une dizaine d’années, se dessine en effet un rapprochement entre trois grandes puissances (Chine, Corée, Japon) qui sont longtemps apparues comme irréconciliables après les traumatismes d’un « long XXe siècle ». Quelle place la Corée peut-elle assumer dans l’éventualité d’une coopération émergente en Asie du Nord-Est ?

2À cette question générale, l’auteur répond en s’appuyant sur une analyse synthétique des équilibres géopolitiques de la région depuis le milieu du XIXe siècle - les 4 chapitres du livre suivent donc un ordre chronologique. Le premier chapitre (« La perte du Milieu », p. 29-91) montre qu’au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, l’Asie du Nord-Est, en s’ouvrant sous la contrainte à l’Occident, a basculé dans un nouvel ordre mondial, passant d’un ordre sino-centré à l’affrontement Chine / Japon qui se traduit en Corée par la colonisation de la péninsule (1910-1945). L’auteur rappelle que la fracture prend ses racines au cours de cette période, marquée par d’importants conflits au sein de la société coréenne. Le deuxième chapitre (« Le gel de l’Asie », p. 91-150) insiste sur les spécificités de la Guerre froide en Asie orientale, où l’autoritarisme dominant a cristallisé l’ordre bipolaire. En Corée, la guerre civile (1950-1953) puis la division de la péninsule en ont été les expressions les plus violentes. Dans le chapitre III (« Et vint la mondialisation », p. 152-208), l’auteur analyse comment la mondialisation a entraîné une réorganisation de la région, suscitant notamment pour la Corée du Sud une ouverture vers la Russie et la Chine depuis le début des années 1990, ce qui ne résout pas pour autant le problème coréen. Or, la diplomatie internationale ordonnée par les États-Unis, acteur important de la scène asiatique, n’est que partiellement efficace sur cette question. Le dernier chapitre (« La voie régionale », p. 209-271) étudie ainsi l’émergence et les possibilités de développement de nouveaux équilibres géopolitiques centrés sur l’Asie. Tout en rappelant des processus connus comme le passage de l’Asean à l’Asean + 3 en 1997 et le rapprochement intercoréen (accord fondamental de 1991), l’auteur insiste sur le rôle pivot que la Corée peut jouer en Asie du Nord-Est, tout en remarquant que le rapprochement entre la Chine, la Corée et le Japon indispensable à l’établissement de ces nouveaux équilibres signifie, pour les acteurs asiatiques, la nécessité de se débarrasser d’une lecture nationaliste de l’histoire.

3Complété par des approches plus récentes sur les processus de régionalisation en Asie orientale, cet ouvrage à la fois clair, fouillé et synthétique offre une mise au point très agréable à lire sur la genèse des équilibres géopolitiques actuels de la région. L’auteur exagère peut-être le rôle central que la Corée peut jouer en Asie du Nord-Est à côté de la Chine et du Japon ; mais, elle apporte une réflexion originale qui souligne le poids du problème coréen dans la région. Une nouvelle édition intégrant les derniers développements des relations intercoréennes (rencontre historique de juin 2000 entre les chefs d’État de Corée du Nord et Corée du Sud) et les avatars de la crise nucléaire (peu développée dans l’édition actuelle) conforterait cet argument. Enfin, il faut souligner l’intérêt de l’approche d’une spécialiste du Japon, qui rappelle sur certaines questions brûlantes des faits mal connus de bien des Coréens eux-mêmes (par exemple, à propos des « femmes de réconfort »). Cela donne d’autant plus de poids au message principal, humaniste et optimiste, d’une necess1te de gestion commune de la mémoire du XXe siècle en Asie orientale.