1Cet ouvrage collectif édité par quatre auteurs réunit 54 contributions (des auteurs appartenant essentiellement à des universités américaines) relevant de la géographie culturelle’. Il inclut neuf sections présentant chacune un thème accompagné d’un texte introductif. Il est question de paysage, de nature, de géopolitique, du social et de l’économique. L’introduction qui permet à l’éditeur de se repérer esquisse avec habilité les grands traits d’une géographie culturelle (de langue anglaise) et souligne sa spécificité. Les quatre auteurs ont toutefois du mal à délimiter ce que représente ce champ culturel. Ils affirment que, compte tenu de l’absence de toute frontière stable et précise ainsi que d’une méthodologie, la géographie culturelle se présente comme un nouveau champ de réflexion en mesure de transgresser les canons académiques. Son émergence est interprétée comme un "tournant culturel" (cultural turn) de la géographie afin de rendre compte des mutations en cours. L’introduction précise aussi qu’il est préférable de parler de "géographies culturelles" se caractérisant par leur liberté à puiser dans la richesse de l’interdisciplinarité mais avec pour objectif de contribuer à une explication géographique. L’imagination géographique ne se limiterait plus à de simples questions de localisation pour privilégier les relations spatiales et rendre compte de l’existence d’objets et de lieux, sans oublier la nature. Deux pages bibliographiques (p. 32-33) témoignent de l’usage de l’interdisciplinarité des géographies culturelles avec les ouvrages de Pierre Bourdieu, Michel Foucault, Bruno Latour, Gilles Deleuze et Félix Guattari. Le souci majeur des géographes impliqués dans les géographies culturelles revient en fait à s’affranchir de tout formalisme dans le seul but d’appréhender un monde en pleine mutation. Une ambition qu’il est difficile de contester et qu’il faut peut-être même saluer.

2Compte tenu de la multiplicité des contributions et de la diversité des thématiques abordées, il est quasi impossible de rendre compte de l’ensemble des articles où figurent des chercheurs bien connus comme John Agnew, Kay Anderson, Denis Cosgrove, Don Mitchell, Kataryne Mitchell, Jennifer Wolch ainsi que de jeunes chercheurs comme Carolin K. Reid, Calre Newstead et Joyce Davidson. L’article de Kataryne Mitchell intitulé "Les géographies culturelles de la transnationalité" permet d’illustrer ce désir d’innovation. Comme l’indique l’auteur, la mondialisation se traduit par un changement dans le système de gouvernance mondiale prenant la forme d’une prolifération de traités économiques transrégionaux ou encore transnationaux ainsi que par l’avènement d’un nouvel ordre spatial caractérisé par une forte polarisation (richesse et pauvreté) à l’échelle micro comme macro. D’où l’intérêt d’étudier les formes et principes de la transnationalité. L’auteur fait référence à son étude menée à Vancouver (Colombie britannique) au sujet des conflits entre immigrés transnationaux et habitants (résidant depuis plusieurs générations) tout en les replaçant dans le cadre de la politique fédérale de l’immigration et de la disponibilité de capitaux en provenance du Sud-Est asiatique et plus particulièrement de Hong Kong. Pour Mitchell, comprendre la transnationalité définie comme l’expression culturelle de l’entre-deux revient à privilégier l’étude des réseaux indissociables du fait migratoire. Élaborer une théorie de la transnationalité devient un outil efficace pour revisiter les catégories de la géopolitique principalement enracinée dans le cadre de l’État-nation ainsi que les thématiques d’identité nationale, d’espace et de temps. D’où l’intérêt de mobiliser les concepts de mobilité et d’hybridité. Plus question delire le monde à partir d’un centre et d’une périphérie.

3Attribuer le titre de géographies culturelles à toute recherche visant à expliquer le monde contemporain, marqué par la nouvelle dynamique d’un capitalisme prenant pour horizon la planète, ne peut a priori qu’enrichir la géographie et séduire tous ceux qui partent du principe que leur discipline peut contribuer au même titre que d’autres à penser et imaginer de nouveaux modes de régulation du capitalisme mondialisé. Ces arguments sont certes riches, mais la majorité des auteurs n’évoquent à aucun moment l’intérêt de renouveler les méthodes en pratiquant par exemple une démarche comparative afin de mieux rendre compte de la complexité des phénomènes dans cet univers mondialisé. Pas plus qu’il n’est explicitement dit combien les géographes se doivent de mener leurs travaux dans le cadre d’équipes transnationales, comme cela se pratique déjà à l’échelle européenne. Ces deux critiques ne doivent pas masquer la diversité des contributions de ce guide qui en fait d’ailleurs la richesse. Les géographies culturelles ont désormais le statut d’une discipline d’avant-garde, mais il revient encore aux géographes de s’approprier de nouvelles méthodes d’investigation ou encore de les rendre plus explicites pour éviter de faire preuve de naïveté face à de sérieux enjeux scientifiques et politiques.