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Une géographie de la nudité

Paul Claval
p. 138-139
Référence(s) :

Francine Barthe-Deloizy, 2003, Géographie de la nudité. Être nu quelque part, Paris, Bréal, 239 p.

Texte intégral

1La civilisation naît d’une rupture symbolique avec l’état de nature : elle est marquée par le passage du cru au cuit, du nu au vêtu — ou comme le disent gentiment les naturistes, du nu au "textile". Comme le souligne Francine Barthe-Deloizy, le nu n’est jamais purement naturel, spontané : il est pétri de culture. C’est déjà vrai dans les sociétés qui ne s’habillent pas, car elles ont besoin, comme les autres, de signifier leur rupture d’avec la brutalité originelle : d’où l’importance des tatouages, des scarifications et d’ornements qui n’ont rien de fonctionnel, comme les étuis phalliques de l’Irian-Nouvelle-Guinée ; d’où le souci, souvent, de faire disparaître ce qui rappelle trop l’animalité, la pilosité par exemple. Le nu est toujours inséré dans un contexte culturel, dans un lieu.

2Les sociétés "textiles" n’ignorent par le nu. Elles ont tendance à classer comme sauvages les groupes qui vivent "comme leur mère les a faits". Il est rare, pourtant, que les "civilisés" condamnent totalement l’absence de vêtements, car celle-ci peut signifier l’innocence de la vie primitive ou la force de groupes qu’aucune contrainte n’est venue mutiler ; elle rappelle la puissance des pulsions sexuelles, que l’on s’efforce de contrôler, mais que l’on ne peut ignorer.

3Phénomène culturel, le nu est toujours mis en scène : certains espaces de la vie privée sont faits pour l’autoriser — Ia chambre à coucher, la salle de bain. Depuis deux siècles, ces pièces ne cessent de s’étendre. Leur organisation devient plus complexe. Dans les sociétés occidentales, le nu tient une place grandissante dans la vie publique : il se réclame souvent d’idéologies naturistes et propose alors une autre manière de vivre la société, celle qui fait l’apologie du soleil, et affirme la place des corps. Le nu fait irruption dans les lieux où se pratiquent les sports, sur les plages en particulier. Il continue à choquer et à provoquer des émotions fortes : d’où son usage contestataire, de plus en plus fréquent dans les manifestations publiques ; d’où la place que lui fait la publicité, qui l’utilise pour séduire : il n’y a pas de meilleur argument pour vendre un parfum, une voiture ou un réfrigérateur que de confier sa présentation à une beauté totalement (ou presque totalement) dénudée. Les connotations érotiques sont fort utiles pour plaire, ou pour provoquer des réactions de réprobation qui sont aussi des arguments de vente, comme les publicités Bennetton le montrent à l’envi.

4Francine Barthe-Deloizy passe ainsi en revue la diversité de la mise en scène — de la mise en culture, si l’on préfère — du nu. Au-delà, elle fait découvrir le rôle du regard dans la structuration de toute vie sociale : regard horizontal et pur du naturiste, à hauteur du visage, qui prive de leur charge explosive les nudités que la doctrine professée conduit à dévoiler ; regard vertical "de la langouste", celui des "textiles", qui parcourent le corps d’autrui de bas en haut, à la recherche des articulations où leur cuirasse est mise en défaut. On aurait tort de ne retenir de oe travail, remarquablement illustré, que l’aspect pittoresque : il éclaire de manière originale les comportements sociaux. Il enseigne que la vie sociale, c’est partout et avant tout une discipline du regard — une discipline variable comme le sont toutes les formes de culture.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Claval, « Une géographie de la nudité »Géographie et cultures, 50 | 2004, 138-139.

Référence électronique

Paul Claval, « Une géographie de la nudité »Géographie et cultures [En ligne], 50 | 2004, mis en ligne le 04 avril 2022, consulté le 30 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/gc/17210 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.17210

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Auteur

Paul Claval

Université de Paris-Sorbonne

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

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