- 1 Le TBS = « Total des inscriptions dans un niveau spécifique d’éducation, sans distinction d’âge, ex (...)
1Alors qu’au lendemain de son indépendance en 1960, le Burkina affichait un taux brut de scolarisation (TBS)1 au primaire autour de 6%, le pays s’est inscrit dans une dynamique visant l’universalisation de l’enseignement primaire, à la faveur des différentes conférences internationales (Addis-Abeba, 1961, Jomtien, 1990, Dakar, 2000). Un tel défi était d’autant plus difficile à relever qu’une crise économique frappe le monde dans les années 1960-1970, et que le pays connaît une forte augmentation démographique, entraînant celle de la demande sociale d’éducation. Pour répondre à cette pression, et faute d’infrastructures suffisantes, l’entrée en 6ème et en seconde est conditionnée par un concours.
- 2 Cf le discours de Thomas Sankara le 8 mars 1987, lors de la Journée internationale des femmes : San (...)
2À la suite de cette crise économique mondiale, le Burkina s’engage dans une réforme de son système éducatif dans les années 1980. Mais une nouvelle crise économique doublée d’une crise politique interrompra cette réforme. L’éducation ainsi que l’émancipation des femmes2 figuraient toutefois au cœur des préoccupations du régime révolutionnaire qui se met en place en 1983. Cette période des années 1980-1990 est marquée par un accroissement de la scolarisation, mais « sans pour autant assurer l'atteinte de la scolarisation universelle » (Compaoré & Ouédraogo, 2007, p. 28).
3Or, viser l’éducation universelle signifie permettre aux enfants des deux sexes d’accéder à l’école. Et de fait, en 2000, les Objectifs du Millénium pour le Développement (OMD), adoptés notamment par tous les États membres de l'ONU (parmi lesquels le Burkina), posent clairement l’ambition d’« éliminer les disparités entre les sexes, notamment dans l'éducation primaire et secondaire d'ici 2005, et à tous les niveaux de l'éducation d'ici 2015 ».
4C’est à la scolarisation des filles dans le primaire que nous nous intéresserons dans ce texte, aux politiques et actions développées au Burkina qui seront mises en perspective avec des données chiffrées.
5Les politiques et actions déployées en faveur de la scolarisation des filles au Burkina s’inscrivent dans un contexte plus large que nous allons rappeler.
6Depuis les années 1980, au regard des exigences du développement, il est devenu nécessaire pour le continent africain, de valoriser davantage les femmes à travers leur rôle actif dans ce processus. Cet objectif poursuit la volonté de promouvoir les droits des femmes, dans le fil direct de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, de la Convention sur l’Élimination de toutes les formes de Discriminations à l’Égard des Femmes (CÉDEF) de 1979, de la Déclaration de la conférence de Beijing de 1995.
7Ainsi, la question de l’égalité entre les sexes et de l’équité est devenue un axe central dans la définition des politiques de développement : la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en 1981 et son protocole additionnel en 2003, le Sommet du Millénaire pour le développement en 2000, la Déclaration Solennelle des chefs d’États de l’Union Africaine sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique (Protocole de Maputo) en 2004, la Politique de l’Union Africaine en matière de genre en décembre 2008…
8Au Burkina Faso, cette exigence s’est traduite dans un certain nombre de textes juridiques, de réformes politiques et de plans et programmes visant la démocratisation de l’éducation. Les Constitutions de 1960, 1970 et 1977 affirmaient déjà que « tout citoyen a droit à l’instruction », consacrant ainsi le droit des filles à la scolarisation. Plus tard, le Code des personnes et de la famille, adopté en 1989, offrait un statut juridique et la protection sociale aux femmes et aux enfants. Selon la Constitution du 2 juin 1991, aucune considération basée sur le sexe ne doit conduire à une discrimination.
9Dans l’objectif de donner plus de force à la politique d’égalité entre les sexes, l’État burkinabè a créé en 1997 un ministère de la promotion de la femme. Il « a ratifié l’ensemble des conventions internationales pour l’égalité entre les sexes » (OCDE, 2018, p. 17) et adopté en 2009 la Politique Nationale Genre (PNG), qui prévoit l’« intégration du genre à toute politique de développement » et « dans tous les documents de politique cadre et de plans d’actions au Burkina Faso » (p. 7).
10Cette politique repose sur une « définition nationale consensuelle du Genre » selon laquelle « le genre doit être analysé sous l’angle des inégalités et des disparités entre femmes et hommes en examinant les différentes catégories sociales dans le but d’une plus grande justice sociale et d’un développement équitable » (PNG, 2009, p. 10). Elle s’appuie sur le constat du poids de l’organisation sociale traditionnelle et de « certaines croyances religieuses », « utilisé[e]s pour expliquer et légitimer les inégalités et disparités existant entre les hommes et les femmes qualifiées par certains de normales, naturelles voire divines » (ibid., p. 13). Dans ce texte, le genre réfère au système des différences socialement et historiquement construites entre les sexes.
11Depuis l’indépendance, pour résorber les disparités entre filles et garçons en matière de scolarisation, l’État burkinabè a mis en branle un important dispositif institutionnel et législatif.
12La réforme du système éducatif en 1974, puis « l’École révolutionnaire » de 1984 reposaient sur des ambitions de démocratisation de l’école publique en la rendant plus accessible et plus adaptée à la demande sociale.
13L’article 2 de la loi d’orientation de l’éducation du 9 mai 1996 a inscrit que « tout citoyen a droit à l’éducation sans discrimination fondée sur le sexe, l’origine sociale, la race ou la religion » - principe réaffirmé dans l’article 3 de la loi d’orientation de l’éducation du 30 juillet 2007.
14Dans cette dynamique, le Plan Décennal de Développement de l’Éducation de Base (PDDEB, 2001/2010) visait entre autres la réduction des inégalités entre les sexes par l'information/sensibilisation en faveur de la scolarisation des filles, et des mesures incitatrices visant à favoriser leur accès et leur maintien à l'école.
15A suivi le Programme de Développement Stratégique de l’Éducation de Base (PDSEB, 2012-2021) définissant la feuille de route pour la politique de développement de l’éducation entre 2012 et 2021. Il vise notamment « la réalisation de l’enseignement primaire universel en 2021 dont 75,1% de Taux d’Achèvement au Primaire en 2015 avec une équité fille/garçon ». L’une des principales mesures est que « d'ici 2021 tous les enfants, notamment les filles [...] aient la possibilité, d’une part, d'accéder à un enseignement primaire obligatoire et gratuit de qualité et d’autre part, de le suivre jusqu'à son terme » (PDSEB, p. 40). L’obligation scolaire s’est étendue au post-primaire en couvrant les enfants de 6 à 16 ans. Toutes ces mesures visent à accroître l’accès et le maintien à l’école, notamment pour les filles.
16Concomitamment au PDSEB, la Stratégie Nationale Accélérée de l’Éducation des Filles au Burkina Faso (SNAEF 2012-2021) a été mise en œuvre. Elle avait pour objectif de contribuer à la réalisation de la Scolarisation Primaire Universelle (SPU) en 2020, en réduisant les disparités de genre par la création des conditions favorables à l’accélération de l’éducation des filles en termes d’accès, de maintien et de réussite.
17Notons aussi la « Politique sectorielle de l’éducation du Burkina Faso » (PSE/BF 2014-2023) qui rappelle l’obligation et la gratuité scolaires pour ce qui concerne l’enseignement de base, par la « promotion de l’égalité et l’équité d’accès pour tous » en vue d’« éliminer les disparités liées au sexe à tous les niveaux du système éducatif ». En outre, le Plan Sectoriel de l’Éducation et de la Formation (PSEF) 2017-2030 prévoit des actions de résorption des disparités, dont la finalité est d’atteindre l’équité dans l’accès comme dans la qualité.
18Le dispositif institutionnel d’impulsion et de coordination de la politique en faveur de la scolarisation des filles a connu une évolution tendant à lui accorder davantage de capacités et de compétences opérationnelles, grâce à une révision de l’organigramme du ministère en charge de l’enseignement primaire.
19Ainsi, le Service de Promotion de la Scolarisation des Filles (SPSF) est créé en 1989. En 1993, ce service, prenant en compte désormais le formel et le non formel, devient le Service de la Promotion de l’Éducation des Filles (SPEF). À partir de 1996, ce service se transforme en Direction de la Promotion de l’Éducation des filles (DPEF) au sein de la Direction Générale de l’Enseignement de Base (DGEB). En 2016, la DPEF est renommée Direction de la promotion de l’éducation inclusive, de l’éducation des filles et du genre (DPEIFG), elle devient une direction technique de la Direction Générale de l’Éducation Formelle (DGEF), avec pour mission de développer des stratégies favorisant l’accès, le maintien et la réussite des filles dans le système, et d’identifier, mener, et promouvoir toute action susceptible de contribuer à l’analyse de la problématique de la scolarisation des filles. À partir de 2017, la direction sera directement rattachée au Secrétariat Général du ministère sous l’appellation « Direction de la Promotion de l’Éducation Inclusive, de l’Éducation des Filles et du Genre (DPEIEFG) » avec pour mission de mettre en œuvre la politique et les stratégies nationales en matière de promotion de l’éducation inclusive, de l’éducation des filles et du genre. Ce rattachement au Secrétariat Général témoigne du choix politique de considérer l’éducation des filles comme une priorité du ministère, ce qui a renforcé significativement ses possibilités de proposition et d’action.
20En plus des actions globales ambitionnant le développement de l’accès et permettant en aval d’accroître les opportunités de scolarisation, on dénombre diverses mesures visant une plus grande mobilisation sociale en faveur de l’éducation scolaire des filles. Elles relèvent principalement de 6 ordres :
-
des mesures touchant les infrastructures (construction de salles de classes ; réalisation de latrines séparées…) ;
-
- 3 L’école primaire comprend 6 niveaux : CP1, CP2, CE1, CE2, CM1, CM2.
des mesures économiques (gratuité et prise en charge des frais de cotisation des associations de parents d’élèves -APE- pour les filles nouvellement inscrites au CP13 ; généralisation de la cantine scolaire à toutes les zones rurales et périurbaines ; octroi de la ration alimentaire sèche à emporter aux filles jusqu’en CM2 dans les localités où les taux brut d’admission des filles sont les plus faibles ; soutien des mères qui scolarisent leurs filles par la création d’activités génératrices de revenus, notamment à travers des prêts sans intérêt; dotation de tous les élèves en fournitures scolaires…) ;
-
des mesures de discrimination positive (pratique du quota de 50% de filles lors des recrutements…) ;
-
- 4 Il s’agit des partenaires qui « accompagnent » l’État « dans le financement et le développement de (...)
des actions de sensibilisation (mise en place des Associations des Mères Educatrices -AME- et campagnes de sensibilisation co-organisées par la DPEIEFG et les AME des écoles pour aider à lever les obstacles socioéconomiques et culturels, mise en œuvre de mesures incitatives avec l’appui des Partenaires Techniques et Financiers4 - PTF - pour accroître l’intérêt direct ou indirect des parents à scolariser leurs filles…)
-
des actions de sensibilisation et de renforcement des connaissances des filles et adolescent·e·s sur les questions de « santé sexuelle et reproductive » – notamment pour limiter les grossesses précoces ;
-
des actions de formation en direction des personnels d’encadrement et des enseignant·e·s pour les sensibiliser au genre.
21À cela il faut ajouter les politiques de développement des bailleurs internationaux (UNESCO, Banque mondiale, Fonds Européen pour le Développement, Partenariat mondial pour l'éducation…) qui ont non seulement priorisé l’égalité entre les sexes, notamment via l’éducation, mais aussi conditionné leurs aides financières à cette visée. Ainsi, le Partenariat mondial pour l'éducation apporte son soutien financier aux pays s’engageant dans des Plans sectoriels de l'éducation intégrant la notion de genre. L'initiative « Priorité à l'égalité » (« Gender at the Centre Initiative »), lancée par le G7 en 2019, vise à renforcer l'égalité filles-garçons dans les systèmes éducatifs de 8 pays africains, parmi lesquels le Burkina.
22Depuis son accession à l’indépendance, le Burkina Faso a réalisé des progrès substantiels sur le plan éducatif, avec un TBS au primaire passé de 6,7% en 1960 à 89,6% en 2018-2019 (INSD, 2020). Depuis les deux dernières décennies, le système éducatif burkinabè connaît une forte croissance des effectifs des élèves, et plus encore à l’école primaire, notamment en raison des efforts de construction d’infrastructures. De manière plus fine, qu’observe-t-on en termes d’évolution, sur le plan sexué et selon différents indicateurs chiffrés ? Nous nous appuierons sur les données fournies par Direction Générale des Études et des Statistiques Sectorielles du Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales (DGESS/MENAPLN) et de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD).
- 5 Le TBA = « Nombre total des nouveaux élèves en première année de l’enseignement primaire, sans cons (...)
23Selon le tableau de bord de l’enseignement primaire de 2019-2020 (DGESS/MENAPLN, 2020a), le Taux Brut d’Admission (TBA)5 des filles est passé de 18,8% en 1989/90 à 102,7% en 2017/2018, retombé à 93,5 en 2019/2020 – sachant qu’« un taux brut d’accès élevé indique en général un degré élevé d’accès à l’enseignement primaire » (Unesco, 2009).
24Entre 2012/2013 et 2019/2020, le TBA des garçons a augmenté de 2,1 points de pourcentage, celui des filles de 1,2 points de pourcentage.
25En 2019/2020, le TBA des garçons (96,3%) reste encore légèrement supérieur à celui des filles (93,5%) avec un indice de parité de 0,97, ce qui signifie qu’en 2020, les filles continuent à avoir légèrement moins accès à l’école que leurs homologues masculins.
26Toutefois, pour d’autres indicateurs, des progrès significatifs sont à noter.
27Le graphique n°1 affiche une croissance continue du TBS. Rappelons que l’universalisation de l’enseignement requiert un taux de scolarisation brut de 100% et « Quand le taux de scolarisation brut dépasse 90% pour un niveau d’enseignement, le nombre total des places pour les élèves approche le nombre requis pour que le groupe d’âge officiel soit scolarisé en totalité » (Unesco, 2009).
Graphique n°1 : Évolution des TBS au primaire
Source : INSD, 2020
28Le graphique n°1 montre nettement l’augmentation du taux de scolarisation des filles et la réduction de l’écart entre les filles et les garçons entre 1991 et 2019 : il est passé de 24,31% en 1991/1992 90,9% en 2017/2018, retombé à 87,5% en 2019/2020 (DGESS/MENAPLN, 2020a).
29Entre 2012/2013 et 2019/2020, le TBS des filles a augmenté de 6,5 points de pourcentage contre 4,2 points de pourcentage pour les garçons. En 2019/2020, le TBS des filles (87,5%) est légèrement au-dessus de celui des garçons (85,8%), donnant ainsi un indice de parité de 1,02, ce qui signifie une disparité en faveur des filles.
30Visiblement les politiques en faveur de l’éducation des filles ont fini par porter leurs fruits dans l’enseignement primaire, le TBS des filles a augmenté significativement.
Tableau n°1 : Évolution des effectifs des élèves du primaire selon le sexe de 1990 à 2019
Source : Données compilées à partir des annuaires statistiques de l'éducation de base
31Une lecture longitudinale de l’évolution des effectifs des élèves du primaire fait ressortir une progression continue des proportions des filles par rapport à l’ensemble des élèves : entre les années scolaires 1989/1990 et 2018/2019, on note un écart positif de 11 points. Entre 2012/2013 et 2019/2020, le taux d’accroissement moyen annuel (TAMA) de l’effectif des filles est de 4,3% contre 3,7% pour celui des garçons (DGESS/MENAPLN, 2020a, p.6).
32Les actions visant à accroître l’accès des filles à l’école semblent porter leurs fruits ces dernières années.
Tableau n°2 : Évolution des taux de redoublements selon le sexe de 1999/2000 à 2018/2019
Année
|
1999/00
|
2004/05
|
2009/10
|
2014/15
|
2018/19
|
2019/2020
|
CP1
|
Garçons
|
12
|
6,7
|
4,1
|
1,6
|
1,7
|
1,8
|
Filles
|
12
|
6,1
|
3,6
|
1,4
|
1,4
|
1,5
|
Total
|
12
|
6,4
|
3,9
|
1,5
|
1,5
|
1,7
|
CP2
|
Garçons
|
13
|
10,2
|
8,0
|
6,3
|
6,4
|
6,7
|
Filles
|
13
|
9,8
|
7,2
|
5,2
|
5,0
|
5,2
|
Total
|
13
|
10,0
|
7,7
|
5,8
|
5,7
|
6,0
|
CE1
|
Garçons
|
17
|
13,0
|
9,1
|
4,6
|
4,3
|
4,7
|
Filles
|
17
|
12,2
|
8,5
|
3,8
|
3,5
|
3,7
|
Total
|
17
|
12,7
|
8,9
|
4,2
|
3,9
|
4,2
|
CE2
|
Garçons
|
16
|
13,9
|
12,2
|
8,4
|
8,5
|
8,6
|
Filles
|
16
|
13,7
|
12,0
|
7,3
|
6,9
|
7,3
|
Total
|
16
|
13,8
|
12,1
|
7,9
|
7,7
|
7,9
|
CM1
|
Garçons
|
17
|
13,9
|
11,5
|
4,9
|
5,4
|
5,7
|
Filles
|
19
|
15,7
|
12,9
|
4,9
|
5,1
|
5,4
|
Total
|
18
|
14,7
|
12,1
|
4,9
|
5,3
|
5,5
|
CM2
|
Garçons
|
36
|
30,2
|
26,5
|
11,6
|
16,9
|
30,6
|
Filles
|
37
|
32,2
|
31,0
|
14,9
|
20,8
|
24,5
|
Total
|
37
|
31,1
|
28,6
|
13,3
|
18,9
|
22,7
|
Source : Données compilées à partir des annuaires statistiques de l'éducation de base
- 6 Depuis 2002, une politique de passage automatique à l’intérieur des sous-cycles de l’enseignement p (...)
33Dans le tableau n°2, on observe que les taux de redoublement6 sont relativement faibles dans les petites classes, notamment du CP1 au CE2, mais croissent en CM1 et en CM2.
34Du CP1 au CE2, quelle que soit la classe, le taux de redoublement des filles reste inférieur à celui des garçons. Par contre en CM1 (jusqu’en 2009/2010) et en CM2, les filles sont toujours les plus nombreuses à redoubler. Pour ce niveau, leur taux de redoublement baisse moins rapidement que celui des garçons. L’entrée dans l’adolescence apparaît un moment clé pour les deux sexes, bien plus pour les filles. Depuis 2014/2015, ce taux repart à la hausse (et le contexte pandémique a accentué cette évolution, ce qui montre bien l’importance du travail des enfants et adolescent·e·s).
Tableau n°3 : Évolution des taux d’abandon selon le sexe de 1999/2000 à 2018/2019
Année
|
1999/00
|
2004/05
|
2009/10
|
2014/15
|
2018/19
|
2019/2020
|
CP1
|
Garçons
|
6
|
8,4
|
8,1
|
9,8
|
12,8
|
13,2
|
Filles
|
6
|
10,8
|
8,9
|
8,8
|
11,3
|
11,5
|
Total
|
6
|
9,5
|
8,5
|
9,3
|
12,1
|
12,4
|
CP2
|
Garçons
|
7
|
3,4
|
4,5
|
1,4
|
4,2
|
4,8
|
Filles
|
7
|
3,1
|
4,6
|
1,0
|
3,9
|
3,8
|
Total
|
7
|
3,3
|
4,5
|
1,2
|
4,0
|
4,3
|
CE1
|
Garçons
|
10
|
6,7
|
9,7
|
10,1
|
13,9
|
14,5
|
Filles
|
9
|
5,6
|
7,1
|
7,1
|
9,7
|
10,4
|
Total
|
9
|
6,2
|
8,5
|
8,7
|
11,9
|
12,5
|
CE2
|
Garçons
|
11
|
5,8
|
5,3
|
5,0
|
7,8
|
8,5
|
Filles
|
9
|
4,0
|
2,2
|
1,0
|
2,8
|
3
|
Total
|
10
|
5,0
|
3,9
|
3,1
|
5,4
|
5,8
|
CM1
|
Garçons
|
11
|
8,2
|
14,3
|
16,1
|
21,1
|
22
|
Filles
|
10
|
6,7
|
12,3
|
13,6
|
15,4
|
15,6
|
Total
|
10
|
7,6
|
13,4
|
14,9
|
18,3
|
18,8
|
Source : Données compilées à partir des annuaires statistiques de l'éducation de base
35Dans le tableau n°3, entre 1999/2000 et 2019/2020, on note que le taux d’abandon des filles est inférieur à celui des garçons dans presque toutes les classes. En CP1, le taux des filles est supérieur jusqu’en 2010. Les taux d’abandon pour les deux sexes sont particulièrement importants en CM1, et en hausse depuis 2007/2008. Ce taux a même doublé pour les garçons entre 1999 et 2019. L’entrée dans l’adolescence est assurément un moment crucial et sensible dans les parcours scolaires. On peut ajouter aussi l’effet pervers (négatif) de l’institution du Concours d'Excellence à l'école primaire dans les années 1990 qui prime notamment les enseignant·e·s qui réalisent les meilleurs taux de réussite au CEP. On peut faire l’hypothèse que certain·e·s optent pour l’exclusion les élèves peu performants avant l'examen du CEP au CM2 afin de réaliser de bons taux de réussite – dans les enquêtes nationales annuelles sur les Conditions de Vie des Ménages, parmi les motifs d’abandon figure invariablement le renvoi.
- 7 Le taux d’achèvement du primaire est le rapport entre le nombre de non redoublants inscrits en dern (...)
36Quant au taux d’achèvement primaire (TAP)7 des filles, il est passé de 22,6% en 2001/2002 à 67,66% en 2017/2018 pour retomber à 64,9% en 2019/2020 (DGESS/MENAPLN, 2020a). Il a commencé à dépasser celui des garçons en 2014/2015. Même si ce taux est en baisse depuis 2018, il reste supérieur à celui des garçons (56%). L’indice de parité du TAP donne 1,16 en 2019/2020 et traduit un meilleur achèvement des filles par rapport aux garçons.
37Entre les années scolaires 1989/1990 et 2018/2019, le taux de réussite à l’examen national du Certificat d’Études Primaires (CEP) connaît une évolution fluctuante.
Tableau n°4 : Évolution des taux de réussite au CEP selon le sexe de 1989/1990 à 2019/2020
Source : Données compilées à partir des annuaires statistiques de l'éducation de base
38On note que les écarts entre les taux de réussite des garçons et des filles se réduisent, notablement cette dernière décennie. Nous l’interprétons comme un indice que les politiques et mesures en faveur de l’éducation des filles (PNG, DPEF…) produisent des résultats ; toutefois les efforts doivent se poursuivre en regard de l’enjeu que représente cet examen. En effet, il sert de concours d’entrée en 6ème, il est donc déterminant pour la suite des études.
39Pour autant, l’ensemble de ces données font apparaître les progrès des filles en termes de scolarisation et de réussite à l’école primaire ces dernières décennies. On peut sans doute le mettre au crédit des politiques et des mesures en faveur du maintien des filles jusqu’à la fin de leur scolarisation primaire, que nous avons indiquées dans la partie précédente.
- 8 Les Mossi (ou Moaaga « moaga ») constituent l'ethnie majoritaire (environ 53%) et vivent dans le ce (...)
- 9 Selon le 4ème Recensement de 2006 (les données du 5ème recensement de 2019 ne sont pas encore dispo (...)
- 10 Voir Bambara & Wayack-Pambe (2019) ; Wayack Pambè & Pilon (2011).
40La situation scolaire des filles au niveau du primaire s’est notablement améliorée. Pour autant, au regard de spécificités du Burkina Faso, il y a lieu d’y regarder de plus près. Ces conclusions valent-elles pour l’ensemble du territoire – sachant que la population est majoritairement rurale -, quels que soient les groupes ethniques – le pays compte une soixantaine d’ethnies8 - quelles que soient les religions – 3 religions dominent au Burkina9 - quel que soit le type d’éducation - le système burkinabè est structuré en éducation formelle, non formelle, informelle et spécialisée -, de personnel enseignant - voir en annexe le tableau synthétique -, d’infrastructures scolaires, de configurations familiales –qui est la ou le chef·fe de ménage ?10 -, quelle que soit la taille et composition de la fratrie… ? Les précédentes études faisaient particulièrement ressortir des disparités entre filles et garçons entre zones urbaines et zones rurales. Examinons ce qu’il en est.
41Si nous nous reportons aux dernières données disponibles (DGESS/MENAPLN, 2020b), on observe que le taux de croissance de l’effectif des élèves en milieu urbain reste supérieur à celui du milieu rural (39,8% contre 28,4%) sur les périodes 2012/2013 à 2019/2020. Précisément, suite au constat d’une faible offre et demande de scolarisation dans certaines communes rurales caractérisées par une forte insuffisance d’infrastructures scolaires et de personnels enseignants qualifiés, mais aussi par les indicateurs de scolarisation les plus faibles, des « communes prioritaires » ont été créées en 2009. On en dénombre aujourd’hui 43 réparties dans 9 des 13 régions que compte le pays (voir la carte en annexe). Or, en 2019, le TAP des filles des « communes prioritaires » était de 29,7% contre 70,2% pour les filles des autres communes (DGESS/MENAPLN, 2020a). On relève des écarts entre le TBS (24,2%) et le TAP (16,3%) des filles de la région du Sahel dont la population nomade est majoritairement rurale et analphabète, et le TBS (111,6%) et le TAP (88,5%) des filles de la région du Centre dont la population est plus urbaine et lettrée. L’inégalité est criante selon que l’on vit en ville ou au village.
42Comment expliquer la persistance de ces disparités ? À défaut d’avoir pu mener (en raison de la situation pandémique) le travail qualitatif empirique exploratoire prévu pour étayer cet article, nous nous appuyons sur les travaux antérieurs (Badini & Tamini, 1994 ; Somé, 1994 ; Yaro, 1994 ; Sanou, 1995 ; Gérard, 1998 ; Paré-Kaboré, 2003, 2014 ; Pilon & Yaro, 2001 ; Kabore, Lairez & Pilon, 2003 ; Zoundi, 2006 ; Kobiané, 2014 ; Wayack-Pambé & Sawadogo, 2017a…). La plupart de ces recherches mettent en avant des facteurs « historico-politique, économique, socio-culturel, pédagogique » (Kaboré, Lairez & Pilon, 2003, p. 224) ou leur combinaison pour expliquer la limitation de l’accès, du maintien et de la réussite des filles à l’école.
43Monique Ilboudo (2006, 2007) met en exergue l’organisation patriarcale de la société burkinabè, notamment la survivance des organisations traditionnelles, telles que les chefferies par exemple.
44Des représentations négatives des femmes sont également transmises par des légendes ou mythes, des dictons et proverbes. Par exemple, Kaboré (1987) rapporte que l’ethnie majoritaire (Mossi) au Burkina, diffuse l’idée que leur parole est « surtout négative et dangereuse » (p. 117). Les langues elles-mêmes véhiculent « les attentes de la société quant à la place des femmes » (Ilboudo, 2007, p. 164).
45Par ailleurs, en dépit des textes législatifs garantissant plus d’égalité et de droits, des inégalités demeurent. La polygamie n’est pas interdite par la loi. On observe ainsi que la pratique du « Pog-lenga » (« femme bonus »), forme de polygamie, qui consiste pour la nouvelle épouse à amener sa nièce dans la famille de son mari, est fréquente. Pour l’accès à la propriété, malgré les textes législatifs, ce sont les droits coutumiers qui s’imposent dans de nombreuses régions.
- 11 Dans la région rurale du Sahel, 51,3% des filles âgées entre 15 et 17 ans sont mariées de même que (...)
46Ajoutons des pratiques qui subsistent, notamment en zones rurales, telles que l’excision (malgré les efforts politiques conduits depuis 1996 contre les mutilations génitales féminines), les mariages précoces et forcés11, le sororat, qui est le remariage d’un veuf avec la sœur de son épouse décédée ou le lévirat, qui est celui d’une veuve avec le frère de son défunt mari, les rapts d’adolescentes scolarisées dans le but de les épouser sans l’autorisation familiale. Ces systèmes matrimoniaux réduisent clairement les femmes à une « marchandise », selon les termes de Rita Segato (2018, p. 14). En effet, comme le souligne Kobiané (2014), « les pratiques matrimoniales confèrent aux femmes le statut de propriété ». La dot ou « la compensation matrimoniale » pour les filles promises dès leur naissance (Yaro, 1994, p. 686) fait d’elles une source de revenu familial (Somé, 1994, p. 277).
47Cette organisation sociétale influence le rapport à l’école : les femmes sont confinées dans un rôle de mères et de ménagères, car selon « le dicton moré "paga la yiri" », « la femme, c’est le foyer » (Ouédraogo, 1998, p. 137). Par leur éducation familiale, les filles comme les garçons apprennent (à accepter) cette division traditionnelle sexuée des rôles et des tâches associées, qui assigne les femmes à ce rôle domestique. Notons que les évolutions contemporaines touchant les sociétés subsahariennes, notamment le Burkina, ne semblent pas bouleverser cet ordre socio-sexué (Badini-Kinda, 2010). Une enquête récente par entretiens auprès de parents et d’adolescent·e·s à Ouagadougou fait ressortir l’importance de ces apprentissages différenciés pour les parents : « la fille, destinée à être une épouse, doit obligatoirement être éduquée à exercer les “travaux de femmes” (Pag tûma en mooré), à savoir notamment la cuisine, l’entretien de la maison (nettoyage, balayage, corvée d’eau, lessive, etc.) et la garde des enfants. (…) les garçons sont orientés vers les tâches dites masculines, à savoir celles qui requièrent une certaine force physique ou des déplacements loin du domicile » (Sawadogo, Bazié & Guiella, 2018, p. 298).
48Par ailleurs, comme l’enquête de Yaro (1994) l’a fait ressortir, le sens de l’école diffère selon les groupes. Alors que les familles situées dans les zones rurales du Séno et de la Tapoa se rejoignent dans leur réticence à scolariser leurs enfants (p. 678), les raisons expliquant la faible scolarisation des filles se distinguent. Pour le Séno, situé dans la région du Sahel, qui compte une population majoritairement musulmane, l’école est vue « comme une institution pour hommes », où les filles n’ont pas leur place (p. 683). Pour les familles de la Tapoa, située dans la région de l’Est, « scolariser une fille n’a vraiment pas de sens à partir du moment où elle est “donnée en mariage” dès sa naissance ». Ainsi l’école est appréhendée « comme un instrument qui peut entraîner “la perte de la fille” » (p. 687), « un danger patent » (Lang, 1998, pp. 212-213), un passage non essentiel pour elle. Gérard (1998) souligne que « l’instruction des filles remettrait en cause les structures familiales, voire même celles de la société, à travers un bouleversement de la répartition sexiste des rôles – non plus contenus mais libérés – ainsi que des savoirs et des pouvoirs » (p. 200). Kabore, Lairez & Pilon (2003) évoquent « la crainte des parents que les filles scolarisées ne s’émancipent trop et notamment refusent le futur mari choisi par la coutume ; le risque de grossesse chez les filles pubères) » (p. 225). Les abandons pourraient ainsi s’expliquer par le retrait des filles par leurs parents pour les marier.
49Paré-Kaboré (2014) explique que ce « contexte socioculturel pas toujours favorable, notamment en milieu rural » jouerait dans « l’insuffisance de performance des filles » faute de motivation (p. 109), ce qui réduit leur engagement dans les apprentissages (Paré-Kaboré, 1998). De même, les travaux domestiques limitent le temps consacré aux activités scolaires, et donc l’investissement des filles dans les études (Jarousse, Mingat, Ouedraogo & Zebango, 1991).
50Selon les données de l’INSD (2014), 40,1% de la population vit sous le seuil national de pauvreté de 153.530 FCFA par tête et par an. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que les ressources financières limitées des ménages réduisent les chances des filles d’accéder, et surtout de se maintenir dans le cursus et d’y réussir. Au regard des charges liées à la scolarisation de leurs enfants, les ménages priorisent leur garçon, l’héritier de la famille (« la préséance pour les garçons réduit l’accès des filles à l’instruction, surtout dans des contextes de pauvreté extrême » OCDE, 2018, p. 74). Selon les analyses de Jones et al. (2010), investir dans l’éducation des filles dans des contextes de pauvreté semble parfois ne pas faire sens pour les familles qui préfèrent investir dans celle des fils, qui resteront s’occuper d’eux au détriment de leur fille appelée à changer de famille lors de son mariage (Paré-Kaboré, 2003, p. 5, Kobiané, 2014) et plus susceptible de soutenir la famille de son mari.
51Par ailleurs, certaines familles qui comptent de nombreux enfants, ont souvent recours au « confiage » d’une partie des enfants, dont les filles, à d’autres familles pour alléger leurs charges : ces pratiques sont souvent à l’origine de la déscolarisation de certaines filles confiées, victimes de maltraitance et d’exploitation à outrance pour les travaux domestiques dans les familles d’accueil (Kabore, Lairez & Pilon, 2003 ; Wouango & Turcotte, 2014).
52Comme l’école est une microsociété qui n’échappe pas aux normes sociales, notamment de genre, les pratiques enseignantes peuvent comporter du sexisme « indirect » et « inconscient » -ce qui relève du curriculum caché ou implicite (Mosconi, 2001, p. 101) - comme les travaux portant sur d’autres contextes le font largement ressortir (Duru-Bellat, 2016). L’étude réalisée par la Direction de la promotion de l’éducation des filles (Dague & Somé et al., 1996) avait conclu à une différence de traitement des filles et des garçons, en faveur de ces derniers. Les enseignantes comme les enseignants interagissent plus avec les garçons dans les activités scolaires. Les observations font ressortir une division sexuée des tâches : c’est aux filles qu’il est demandé d’effacer le tableau, balayer la salle de classe… Pour actualiser cette étude, les données recueillies dans le cadre du projet de recherche OPERA (Observation des pratiques enseignantes en relation avec les apprentissages des élèves) constituent un corpus précieux, qui pourrait être exploité selon cette direction.
53Si la formation enseignante a été révisée avec l’intégration de la « pédagogie sensible au genre » - développée par le Forum des éducatrices africaines (FAWE) et lancée en 2005 - les travaux font défaut pour apprécier les effets sur les pratiques enseignantes et les élèves. On relève l’évaluation d’une expérimentation au Burkina menée pour le Forum, selon laquelle à la faveur de l’introduction de ce modèle pédagogique, « les filles se sont senties autorisées à s’exprimer lorsque les enseignants favorisaient de façon inéquitable les garçons en salle de cours (…) » (FAWE, 2018, p. 4).
54Ajoutons que, comme d’autres espaces sociaux, l’école n’échappe pas aux harcèlements et violences sexuelles, qui peuvent s’exercer sur les filles, non seulement de la part de leurs camarades masculins, mais aussi des enseignants (Jousset & Ouédraogo, 1994 ; Devers, Henry & Hofmann, 2012). La sous-scolarisation des filles au niveau post-primaire freine le recrutement de femmes enseignantes. Or, leur sous-représentation au sein du corps enseignant joue sur les relations avec les élèves alors que la sur-représentation masculine au sein des établissements d’enseignement « favorise la perpétuation et l’impunité des violences à l’école » (UA/CIEFFA, 2010, p. 42). C’est pourquoi, féminiser la profession enseignante est « largement encouragé et soutenu par le gouvernement qui y voit un moyen de promouvoir une plus grande égalité entre les sexes » (MPF, 2004, p. 7).
55Un autre axe concerne les contenus et programmes scolaires, qui occultent très souvent ces dimensions de genre. Comme on l’observe dans d’autres contextes, les programmes participent à diffuser l’idée d’une supériorité des hommes (Mosconi, 1994). Cela apparaît par exemple dans les programmes d’histoire qui consacrent les figures héroïques déclinées majoritairement au masculin. Monique Ilboudo (2007, pp. 163-164) observe l’invisibilisation de la figure de Yennenga, qui a pourtant contribué à la fondation de l’empire des Mosse. Dans le cadre du processus en cours de relecture des curricula de l’enseignement de base, le Burkina Faso s’est engagé à dépouiller les contenus de tout sexisme, à introduire ces problématiques dans les curricula eux-mêmes. Le parcours des programmes d’Éducation civique et morale (ECM) du primaire fait effectivement apparaître la présence de ces thématiques. Dès le CP1, on note le thème de « l’égalité entre filles et garçons dans le milieu de vie », une séance consacrée aux « tâches dans leur milieu de vie » qui doivent être les mêmes pour les filles et les garçons, le thème de l’excision et des mariages d’enfants. En CE1, est abordée la notion de genre, en CM, les IST /VIH/SIDA.
56Enfin, les supports d’enseignement, manuels et livres sont des vecteurs de transmission de stéréotypes de sexe, comme le font ressortir les travaux menés dans différents contextes, et les rares études disponibles pour le Burkina.
57En mars 1995, sous la direction de l’Institut pédagogique du Burkina Faso, le Service pour la Promotion de l’Éducation des Filles a organisé un séminaire en vue d’examiner les stéréotypes sexistes dans des manuels scolaires de lecture, de calcul, d’histoire …
- 12 Cette conférence décide l’abolition du code de l’indigénat et l’adoption d’une politique d’assimila (...)
58Dans sa recherche doctorale, A. Ouédraogo (1997) a comparé deux manuels de lecture. Le premier, Mamadou et Bineta (1951), relève des séries d’André Davesne et de Joseph Gouin éditées à partir de 1929, à l’époque coloniale à destination de toute l’Afrique noire francophone, couvrant tout le primaire, visant à être adaptées au contexte africain, lesquelles ont fait l’objet d’un « toilettage » après la Conférence de Brazzaville (30 janvier-8 février 1944)12. Le second, Lire au Burkina (1992), a été conçu à partir de 1986, dans le contexte sociopolitique marqué par la volonté de « produire et consommer burkinabé ». La décision avait été prise que les conceptions des manuels scolaires reviennent désormais à l’Institut Pédagogique du Burkina, pour une cohérence avec les programmes burkinabè et les « réalités socio-culturelles des élèves ».
59Dans son analyse, Ouédraogo relève « la faiblesse numérique des personnages féminins » (1998, p. 124), qui se retrouve dans le nombre de mots qui les désignent ainsi que dans l’iconographie. De surcroît, les personnages féminins sont assignés à des rôles secondaires, désignés dans le premier manuel par deux prénoms seulement (contre 38 prénoms masculins), les mentions de « mère », « fille » ou « femme de » étant privilégiées. Les caractéristiques physiques et psychologiques sont aussi très stéréotypées : futilité et faiblesse du côté féminin, force du côté masculin. Il révèle également que « la gamme de métiers proposés aux femmes (…) demeure insuffisante au regard de la grande diversité d’activités destinées aux hommes : 8 activités différentes pour les femmes contre 39 pour les hommes » (p. 135). Dans les deux manuels du corpus, la figure d’autorité (dans tous les domaines) est exclusivement masculine.
60En 1999, le Ministère de la Promotion de la Femme a commandé une étude, Recensement de stéréotypes positifs et négatifs sur la femme burkinabè. Le corpus portait notamment sur les manuels de lecture de toutes les classes du CP1 au CM2. L’analyse conclut à la présence de stéréotypes sexistes, « dans le texte comme dans les illustrations » (MPF, 2009, p. 8). L’appréciation des personnels enseignants interrogés dans une étude récente converge : « La présence de stéréotypes sexistes et le manque de modèles positifs féminins dans les manuels ont été mentionnés dans toutes les régions » (Lussier & Coulibaly-Zongo, 2017, p. 24).
61De fait, lorsqu’on parcourt ces manuels, on relève la division sexuée des rôles. Les figures féminines sont représentées du point de vue textuel comme iconographique dans des tâches domestiques ménagères : « gogo va au marigot » (CP1), « ramata pile du riz » (CP1), « eulalie allume un feu » (CP1), « Gnaman prépare l’igname » (CP1), « Fatou prépare le repas » (CE1 3e année, 90). Un texte, intitulé « Une fille soigneuse », loue les qualités (ménagères) de Gisèle : « la petite Gisèle avait déjà acquis les réflexes d’une bonne ménagère, d’une mère de famille soucieuse de la bonne santé de la maisonnée », « Elle maniait avec dextérité les ustensiles de cuisine »… (CM2 6e année, p. 148).
62Du côté des personnages féminins, on retrouve la préoccupation de la beauté, de l’apparaître : « julie a une jolie jupe » (CP1 1e année, 60), « mamou a un joli bijou » (CP1 1e année, 76), « Gnaman a un joli pagne » (CP1). Un texte décrit un mariage : « ce matin, la sœur de Didier se marie. La voilà dans son joli boubou. Elle a de belles tresses et porte un collier de perles. Ah ! quelle belle mariée » (CP2 2e année, 37), alors que rien n’est dit de la tenue du marié. Sita se réjouit de ce qu’elle a reçu pour la rentrée scolaire : « Ma mère m’a donné deux belles tenues. Mon oncle, lui, m’a offert des chaussures », alors que Raogo est content de retourner à l’école pour ce qu’il va apprendre (CE1 3e année, 6). Un texte, intitulé « Fatou, jeune fille élégante », célèbre sa beauté (CM2 6e année, 152). Outre cette focalisation sur l’apparence, on note une réduction au corps : « Nani est nue » – elle est assise, recroquevillée – alors que dans le même manuel (CP1), « Ali est vêtu » - il se tient debout fièrement.
63L’ordre sexué est également représenté par la supériorité physique masculine, notamment au travers de scènes de violence : « Ali tape Lalé » (Ali tient Lalé par le poignet, son bras levé sur le point de la frapper), « Claude frappe Blandine » - Blandine est assise, se protège du coude, Claude est debout, prêt à lui administrer un coup de pied (CP1).
64Les personnages se distinguent nettement par les objets possédés : « moussa a une voiture noire » (CP1, p. 80), « papa a une moto », « malo a une moto » (CP1), « maxime a un taxi » (CP1), « zagré a un livre et un sabre » (CP1), alors que « madeleine a un balai » (CP1), « alima a une tomate » (CP1), « yéri a une goyave » (CP1).
65Concernant les jeux, on observe également une différenciation entre les filles et les garçons. Les garçons sont plutôt à l’extérieur, ils jouent aux billes (« Camille [qui est un garçon] joue aux billes », CP1), au ballon (« benoît et konlobé [jouent au football] », « Confé et Combary jouent au ballon », CP1, « Derrière les classes, sur le terrain de sport, les garçons jouent au ballon », CM1), à des « jeux dangereux » (« Le jeu de Bruno est de "marcher sur un pan de fer qui franchissait un canal" », CM1), ils chassent (« Belkot tue un petit serpent », « Guillaume a attrapé une grenouille », CP2), ils pêchent (« achille va à la pêche », CP1)… Quant aux filles, elles jouent à « la marelle » (« Téné jette sa pierre dans la première case ; elle sautille sur un pied. Elle pousse la pierre de case en case », CE1), « au waré » (CM1), à la mariée (« les plus jeunes [filles] préparent un mariage. Elles ornent les tresses de la mariée de belles fleurs puis la conduisent à la mairie. En file indienne, elles la suivent, chacune tenant le cadeau qu’elle veut lui offrir », CM1), à « la chandelle » (CM1), elles dansent (« lili et gogo », CP1).
66En termes de représentation du monde professionnel, il apparaît également bien divisé sur le plan sexué et plutôt masculin. La partie consacrée aux métiers s’ouvre sur « la personne occupée au foyer : la ménagère », qui fait le ménage, le marché, la cuisine, suivent le forgeron, le bijoutier, le boulanger, le tailleur (CP1). Alors que sa mère est au chevet de Madi malade, Adama malade consulte un homme médecin. Alors qu’on voit Mathieu, qui est infirmier, apprendre à lire à ses enfants, Dafiatou, sa femme (qui) est tisseuse, assise au sol, dans la cuisine, « fait du fonio » (CP2). Sur d’autres images, on voit un infirmier vacciner des enfants (CE1), un chercheur dans son laboratoire (CM1), des journalistes, parmi qui on peine à distinguer la moindre figure féminine (CM2).
67Et les supports de l’ECM ne sont pas en reste : si François illustre la non différenciation des tâches (« François est un garçon de CM2. Le soir quand il rentre de l’école, il aide sa maman, en pilant le soumbala, en lavant les assiettes. Il surveille même la marmite sur le feu et remue la sauce si nécessaire »), la répartition sexuée est toujours aussi présente : « Aujourd’hui, c'est samedi, les parents de Maria sont sortis. Maria, restée seule, lave les plats », alors que « [Paul] n'aime pas aussi balayer la cour avec les filles ». Et on trouve trace de stéréotypes sexués dans les cadeaux : un vélo pour l’un (« Ali dit à son père qu’il sera le premier de sa classe. Son père lui dit : Si tu es premier de ta classe, je t’achèterai un vélo. À la première composition, Ali est premier, son père achète le vélo », CE1), un bijou pour l’autre (« Papa a promis à sa fille Safi un cadeau à la fin du 2ème trimestre. Il lui dit : "Si tu obtiens ta moyenne, je te donne un joli bracelet" », CM1).
68En dépit de la conscience que les manuels scolaires participent à transmettre des stéréotypes sexistes, la politique de gratuité des manuels scolaires à destination des élèves des écoles primaires depuis la rentrée scolaire 2007, et la difficulté à l’honorer partout (en regard de la démographie scolaire) ont fait obstacle à un travail de révision qui aurait conduit à remiser les manuels en circulation. Pour autant, à la faveur de la réforme curriculaire, engagée depuis 2013, de nouveaux manuels scolaires doivent voir le jour. La volonté politique est affirmée par la directrice générale de la recherche en éducation et de l’innovation pédagogique qu’ils proposent « des modèles de femmes leaders occupant des postes responsabilité, afin que les filles aient des modèles, des références », ce qui passe aussi par l’usage du féminin (préfète, gouverneure, professeure…) (Kaboré-Dera, 2017, p. 5), pour contrer ces « modèles peu valorisés qui sont souvent en posture de dominés » (Ouédraogo, 1998, p. 126). Dans cet esprit, cette même direction a organisé en 2018 un atelier pour élaborer un cahier des charges à destination des éditeurs. L’attente « de façon générale » est que ces nouveaux manuels travaillent à « déconstruire certaines représentations de la société tout en prenant en compte la notion du genre, de l’environnement et aussi faire la chasse aux stéréotypes discriminatoires ».
69Les politiques publiques en faveur de la scolarisation des filles s’enracinent au Burkina Faso dans un ensemble de textes légaux qui prônent l’égalité des droits en général et du droit des filles à l’éducation en particulier. Elles reposent aussi sur des réformes institutionnelles qui ont permis le renforcement des capacités décisionnelles et opérationnelles du ministère en faveur de la scolarisation des filles au primaire. Ainsi, d’une part, des actions ont été mises en œuvre et centrées sur l’accroissement de l’offre d’éducation pour que l’insuffisance d’infrastructures ne serve plus de prétexte pour fermer les portes de l’école aux filles. D’autre part, des mesures discriminatoires incitatives ont contribué à une mobilisation sociale en faveur de la scolarisation des filles, ce qui a eu pour effet d’atténuer au fil des décennies les obstacles qui s’opposaient à leur accès et maintien à l’école. L’évolution positive des indicateurs d’accès, de maintien et de réussite des filles au primaire au Burkina Faso peut être lue en partie comme le produit d’une volonté politique, sous la très forte pression des bailleurs de fonds mondiaux, ayant conduit à des actions déployées grâce aux financements internationaux.
70Si les progrès en termes de scolarisation primaire sont incontestables, la question de l’espérance scolaire des filles, bien qu’en progrès, demeure entière (Kobiané, 2014). Alors que le genre dans le PNG était compris comme un système socialement et historiquement construit, fondé sur la division et la hiérarchisation des sexes, on note au fil du temps une acception plus large, « moins négativement connotée », désignant toute personne vulnérable. C’est ainsi que la Direction de la promotion de la scolarisation des filles et du genre a été renommée « Direction de la promotion de l’éducation inclusive, de l’éducation des filles et du genre » (Wayack-Pambè & Sawadogo, 2017b, p. 190). Cela participe à euphémiser voire diluer les rapports sociaux en jeu. Or, pour transformer les différents rapports d’oppression, qui jouent dans la scolarisation des filles, leur réussite et leur poursuite au-delà de l’école primaire, des modifications significatives des pratiques enseignantes nous paraissent nécessaires. Cela passe par des pédagogies non seulement « sensibles au genre », mais surtout émancipatrices (Freire, 1970/1974 ; Sankara, 2001), en somme féministes (hooks, 1994/2019 ; Ilboudo, 2007).