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Dossier

Éduquer les hommes noirs

bell hooks
Traduction de Aroun Mariadas Savarimouttou

Notes de la rédaction

Traduction du chapitre « Schooling black males » In b. hooks (2004) We real cool. Black Men and Masculinity (pp. 32-43). New York & London: Routledge.

Notes de l’auteur

Nous remercions le LEGS qui a pris en charge le coût de la traduction.

Texte intégral

1Plus qu’aucun autre groupe d’hommes dans nos sociétés, les hommes noirs sont perçus comme manquant de capacités intellectuelles. Enfermés dans des stéréotypes racistes et sexistes, comme s’ils étaient davantage des corps que des esprits, ils sont, dans le système impérialiste, suprémaciste blanc, capitaliste et patriarcal, plus susceptibles d’être perçus comme des personnes bêtes ou paraissant lentes (c’est-à-dire pas très brillantes) comme on disait avant, dans les années 1950. Durant mon enfance, il n’avait échappé à personne, dans notre voisinage exclusivement noir, que l’homme noir qui pensait était considéré comme une menace par le monde raciste. Aucune corrélation n’était faite entre la capacité d’une personne à penser, à réfléchir et son niveau d’instruction. Les hommes noirs bien éduqués ont appris à agir comme s’ils étaient ignorants dans un monde où un homme noir intelligent risque d’être puni.

  • 1 NdT : Wright, R. (1945). Black Boy. New York, London: Harper & Brothers.
  • 2 NdT : Richard Wright (1908-1960) : romancier, poète, essayiste et journaliste afro-américain. Il ab (...)
  • 3 NdT : Wrigh, R. (1947). Black Boy. Paris : Gallimard, p. 34. (Traduction de l’américain vers le fra (...)
  • 4 NdT : Loc. cit. p. 66.
  • 5 NdT : Lois Jim Crow : lois locales et nationales mises en place principalement dans les États du Su (...)

2Depuis l’esclavage jusqu’à aujourd’hui, les hommes noirs ont été à l’avant-garde des efforts faits par les Afro-Américain·e·s pour acquérir une éducation à tous les niveaux. A la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, tout homme noir qui cherchait à se libérer de l’esclavage considérait l’éducation comme une échappatoire. À cette époque, le manque de ressources matérielles a souvent amené les familles noires à envoyer les filles à l’école et à pousser les garçons à trouver un travail. Dans son autobiographie Black Boy (Garçon noir)1, publiée dans les années 1930, Richard Wright2 décrit sa honte de la pauvreté, le manque d’habits et de livres qui en résultait. « Je commençai à aller en classe au Howard Institute à un âge assez tardif, ma mère n’ayant pu m’acheter les vêtements nécessaires pour me rendre présentable »3. Comme beaucoup de familles noires qui souffraient de difficultés économiques, la famille de Wright déménageait souvent, ce qui signifiait que la scolarité de leurs enfants était constamment interrompue. « Bien que j’eusse près de neuf ans, je n’avais pas accompli une seule année scolaire complète et je ne m’en rendais pas compte. Je savais lire et compter, et c’était à peu près tout ce que savaient la plupart des gens, adultes ou enfants, qu’il m’était donné de rencontrer »4. Après la période esclavagiste sous les lois Jim Crow5, les hommes noirs ont dû se battre pour avoir le droit de s’instruire. Et même quand ce droit fut gagné, le besoin immédiat de la survie matérielle a souvent éclipsé leurs efforts pour accéder à l’éducation.

3De nos jours, dans la culture impérialiste pétrie de suprématie blanche capitaliste et patriarcale, la plupart des garçons venant de milieux pauvres et défavorisés sont socialisés à travers les médias de masse et conditionnés par une éducation classiste selon laquelle tout ce que qui est requis pour leur survie est leur capacité à faire un travail physique. Les garçons noirs, que l’on compte de façon disproportionnée parmi les pauvres, ont été socialisés pour croire que la force et l’endurance physique sont tout ce qui compte vraiment. Cette socialisation est autant en place dans le monde actuel qu’elle l’était pendant l’esclavage. Conditionnés à rester des membres permanents d’une sous-classe, conditionnés à ne pas avoir le choix et par conséquent, prêts à tuer pour le pays en guerre à chaque fois que ce serait nécessaire, les hommes noirs sans privilège de classe ont toujours été ciblés pour leur mauvaise éducation. On leur a appris et on leur apprend encore que « penser » n’est pas important, que « penser » ne les aidera pas à survivre. Tragiquement, beaucoup d’hommes noirs n’ont pas su résister à cette socialisation. Ce n’est pas par hasard que plusieurs penseurs noirs brillants ont terminé en prison parce que, déjà, enfants, ils étaient considérés comme menaçants, mauvais, et dangereux.

  • 6 NdT : Loc cit., p. 202.
  • 7 NdT : Loc cit., p. 202.

4Pendant les périodes sombres de l’histoire où l’oppression, la discrimination et la ségrégation raciale étaient légales, les hommes noirs de toutes les classes sociales étaient particulièrement conscients de la nécessité de résister à ces stéréotypes. Ils avaient conscience que les adopter pouvait être mortel. Les biographies et les autobiographies d’hommes noirs qui ont réussi à transcender la pauvreté dans laquelle ils sont nés font toutes le récit d’individus qui ont lutté pour obtenir une éducation à l’intérieur de systèmes éducatifs qui ne les y encourageaient pas. Richard Wright qui apprit à lire dans sa petite enfance, aimait lire et écrire. Pourtant, cela l’a mis en porte-à-faux avec le monde du travail raciste blanc qui voulait juste d’un homme noir qu’il soit bête et obéissant. Wright se souvient que lire des livres lui apportait la vision d’une vie différente, qu’en s’imaginant écrivain il « maintiendrait l’espoir vivant ». Les livres lui ont appris qu’on pouvait voir la vie de différentes façons. Avouant qu’il voulait trouver un sens à sa vie il écrit : « Le rêve que j’échafaudais, tout le système d’éducation du Sud avait pour mission de l’étouffer… Je commençais à rêver les rêves que l’État avait proclamés faux »6. Comme lecteur et penseur, Wright était constamment interrogé par ses camarades d’école et professeur·e·s qui voulaient qu’il reste silencieux. Elles et ils voulaient savoir : « Pourquoi poses-tu tant de questions ? »7.

  • 8 NdT : Ellis Cose (né en 1951) : journaliste et écrivain américain, il est l’auteur d’une dizaine de (...)

5Wright raconte l’histoire vraie de la rencontre entre un homme noir et le système d’éducation publique des années 1920, histoire que les hommes noirs de tout âge racontent encore aujourd’hui. Tout en confiant ses souvenirs d’école, Ellis Cose8 raconte avoir regardé en arrière et avoir réalisé que les enfants noirs et pauvres « étaient considérés comme réfractaires à tout enseignement ». Comme Wright, il se souvient peu de son envie d’apprendre : « Cette expérience à l’école élémentaire a fait qu’il m’était difficile de prendre l’école au sérieux. Je n’ai jamais été un mauvais étudiant, mais je ne voyais tout simplement pas l’école comme un endroit où on pourrait apprendre des choses ou encore où mon esprit pourrait être stimulé. Plus j’allais à l’école, plus mes propos étaient vérifiés ». Comme Wright, Cose était réprimandé parce qu’il était un penseur, parce qu’il posait des questions : « Il y avait le professeur, en troisième ou quatrième année, qui disait à la classe que les nègres avaient la langue paresseuse. C’était, je pense, sa façon de nous stimuler et de nous rassurer, de faire en sorte que l’on soit à l’aise avec nos lacunes en lecture et en prononciation… Puis, il y avait la professeure de septième année qui me punissait quand je remettais en cause le niveau des lectures en classe. Oui, elle était d’accord, les livres étaient écrits pour des élèves de cinquième année, mais nous n’étions même pas capables d’effectuer un travail de cinquième année, alors j’aurais mieux fait de fermer ma bouche et d’être reconnaissant envers l’école qui avait au moins daigné nous donner des livres ». À maintes reprises, quand ils racontent l’histoire de leur vie, les hommes noirs racontent avoir été punis à l’école pour avoir osé penser et poser des questions.

  • 9 NdT : Haki Madhubuti (né en 1942) : poète, écrivain, essayiste, éditeur américain et une des figure (...)

6La curiosité, qui pourrait être considérée comme un signe de génie chez un garçon blanc, est vue comme perturbatrice quand elle est exprimée par des garçons noirs. Écrivant sur son enfance dans les années 1950, le poète et éducateur Haki Madhubuti9 dit que son point de vue sur l’éducation a été transformé par sa lecture de l’histoire de Richard Wright. Il se souvient : « À treize ans, ma mère m’a demandé d’aller à la bibliothèque publique de Détroit afin d’aller lui chercher un livre. Le titre du livre était Black Boy de Richard Wright. J’ai refusé d’y aller parce que je ne voulais aller nulle part où j’aurais à demander quoi que ce soit lié au fait d’être noir. La haine de soi qui occupait mon esprit, mon corps et mon âme m’en empêchait… Moi et des millions d’autres jeunes noir·e·s étions des produits d’un système d’éducation blanc qui nous apprenait à lire et à respecter au mieux le développement littéraire, créatif, scientifique, technologique et commercial des autres. Personne n’a dit aux hommes : “Tu devrais te haïr”. Cependant, les images, symboles, produits, créations, promotions et autorités de l’Amérique blanche m’ont transmis la suprématie blanche de façon très subtile et souvent de façon assez ouverte et m’ont appris à me détester ». Lire Black Boy a donné à Madhubuti l’autorisation d’apprendre, d’être un penseur critique : « Pour la première fois de ma vie, je lisais des mots développés en idées qui n’insultaient pas mon humanité… En terminant Black Boy… Je posais des questions différentes à l’école ou à la maison ». Les étudiant·e·s noir·e·s, comme Madhubuti, partagent souvent l’expérience selon laquelle des enseignant·e·s noir·e·s peu éclairé·e·s enferment souvent les garçons noirs dans des stéréotypes, autant que les enseignant·e·s non-noir·e·s le font.

  • 10 NdT : McCall, N. (1994). Makes Me Wanna Holler. A Young Black Man in America. New York: Random Hous (...)
  • 11 NdT : Nathan McCall (né en 1955) : journaliste et auteur américain, dont l’œuvre multiforme (romans (...)

7Alors que, dans les années 1980, il écrit sur la lutte pour l’éducation dans son autobiographie Makes Me Wanna Holler (Ça me donne envie de hurler)10, Nathan Mc Call11 décrit le harcèlement racial qu’il a subi en tant qu’enfant de onze ans, seul, dans une école majoritairement blanche : « J’étais le seul Afro-Américain dans la plupart de mes cours. Quand je rentrais dans une salle et que je m’asseyais, les étudiant·e·s à côté de moi se levaient et s’éloignaient… Ce n’était pas bien mieux avec les professeur·e·s blanc·he·s. Elles et ils évitaient de me regarder dans les yeux autant que possible… C’était trop à gérer pour un enfant de onze ans, et je n’essayais pas. Au lieu de ça, j’essayais de devenir invisible, restais seul et silencieux pendant les discussions en classe, et ne posais jamais de questions pendant ou après les cours. Je gardais les yeux rivés sur le bureau où je regardais en face de moi pour éviter d’attirer l’attention sur moi. Je titubais, engourdi et réservé, chaque jour d’école ». Le foyer de McCall était constitué de ses deux parents. Ils n’étaient pas pauvres. Ils voulaient qu’il excelle à l’école et pendant un moment il s’y est obligé. Quand McCall quitte l’école, alors qu’il est adolescent, pour aller dans une école où il y a davantage d’étudiant·e·s noir·e·s, il choisit de traîner avec les jeunes à la mode au détriment de ses études : « Après que j’ai commencé à traîner avec eux et elles, ma vision de l’école a complètement changé. Elle avait plus l’air d’une arène sociale que d’un endroit pour apprendre. Les rigueurs académiques perdirent leur lustre et la récompense d’avoir tenu un rôle d’honneur n’était plus la même. Soudain, je ne voulais plus être vu portant des livres plein les bras et je me sentais trop mal à l’aise pour participer aux discussions en classe ». McCall considérait que son refus de l’éducation était le rejet d’un monde où on lui faisait sentir qu’il n’était pas à sa place et qu’il n’y serait pas quel que soit son degré d’intelligence.

  • 12 NdT : Masters, J. J. (1997). Finding Freedom: Writing from Death Row. Junction City: Padma Publishi (...)
  • 13 NdT : Jarvis Jay Masters (né en 1962) : écrivain et bouddhiste, condamné à la peine capitale en 199 (...)

8Dans l’autobiographie Finding Freedom: Writing from Death Row (Trouver la liberté : écrire depuis les couloirs de la mort)12, Jarvis Jay Masters13 se souvient qu’il avait la conviction dans sa petite enfance qu’il n’y avait pas d’issue à sa souffrance. Il est arrivé dans les couloirs de la mort avec des compétences minimales en lecture et en écriture. Enfant d’une mère célibataire toxicomane et violente, il n’avait jamais considéré l’instruction comme quelque chose qui pourrait changer sa destinée. Il se croyait maudit : « Si je regarde en arrière, je réalise que ce n’était pas la rage qui me motivait, bien que je me cachais derrière la colère pour éviter certaines vérités au sujet de ma vie. Je me rappelle une fois où je marchais dans la rue, quand je suis tombé sur un arbrisseau qui poussait dans le béton d’un parking entre les voitures. Ma première réaction a été de le regarder, de l’étudier, de réfléchir. Je me suis dit “Comment est-ce possible ?”. Mais je n’étais pas à l’école, je n’apprendrais jamais ces choses. J’ai écrasé l’arbrisseau car je savais que je n’irais jamais à l’école. Il n’y avait pas de place pour l’émerveillement dans ma vie ». Élevé en maison d’accueil, en tant que jeune adolescent noir, Masters se sentait piégé. Il désespérait déjà à son jeune âge. Wright, qui avait fait face à un système d’oppression de race et de classe bien plus brutal qu’aucun Masters n’ait connu, avait appris enfant à se battre contre le système. Il lisait des livres qui lui apprenaient à espérer. Masters retrouva espoir seulement à l’âge adulte, dans les couloirs de la mort, où il s’est instruit, où les livres lui ont appris à libérer son esprit.

  • 14 NdT : Newton, H., P. (1968). Fear and doubt. In H. P. Newton, Essays From the Minister of Defense ( (...)
  • 15 NdT : Huey Newton (1942-1989) : homme politique, écrivain et théoricien afro-américain, fondateur d (...)
  • 16 NdT : hooks, b. (1996). Bone Black: Memories of Girlhood. New York: Henry Holt & Company.
  • 17 NdT : Dans la continuité de la période de l’esclavage, l’accès à l’éducation des personnes noires a (...)
  • 18 NdT : En 1954, la ségrégation scolaire est déclarée inconstitutionnelle dans les écoles publiques d (...)

9Ellis Cose décrit de façon poignante la façon dont il a appris à être « si méfiant de l’école, si étranger à ses méthodes et si convaincu d’être trop intelligent pour être là, que je n’étais pas d’humeur à y mettre tout mon cœur ». Dans l’essai « Fear and Doubt » (Peurs et doutes)14, Huey Newton15 écrit la façon dont les hommes noirs pauvres aspirent à l’instruction et ont pourtant peur d’échouer s’ils la recherchent : « Ils disent à leurs enfants que les choses seront différentes pour eux s’ils sont éduqués et compétents mais il n’y a rien d’autre que cet avertissement occasionnel pour stimuler l’éducation. Les personnes noires sont de grandes adoratrices de l’éducation, même celles des couches socio-économiques les plus basses mais en même temps, elles ont peur de voir leurs craintes vérifiées ». Ces sentiments à propos des premières années de scolarité sont exprimés par les hommes noirs de toutes classes. Dans les mémoires de mon enfance16, j’écris sur mon expérience des écoles ségréguées17 où les garçons noirs excellaient et étaient considérés comme plus intelligents que la plus intelligente des filles et sur la façon dont les choses ont changé quand les écoles ont été intégrées18. Les professeurs blancs n’avaient pas envie d’enseigner aux garçons noirs et les parents blancs n’avaient pas envie que des garçons noirs s’assoient à côté de leurs fils et de leurs filles. Soudain, les garçons noirs intelligents étaient invisibles. Quand un garçon noir « spécial » était autorisé à aller dans les classes d’enfants doués, c’était seulement qu’après qu’il avait prouvé ses capacités à être convenablement soumis. Il était toujours le garçon intelligent et solitaire qui avait réussi à exceller, qui avait appris à être obéissant, à se taire. Les garçons noirs intelligents qui, parfois, voulaient se faire entendre se retrouvaient souvent exclus, jugés perturbateurs et placés dans des classes d’enfants lents ou dans des classes spéciales qui sont de simples cellules de confinement pour celles et ceux considéré·e·s comme délinquant·e·s. Les personnes pauvres et garçons de classe ouvrière qui excellent dans leurs études dans le système scolaire public sans renoncer à leur esprit et leur intégrité, y arrivent parce qu’ils ont un·e défenseur·e, un parent, un tuteur, une tutrice ou un·e professeur·e qui intervient quand le système d’éducation biaisé menace de les détruire.

  • 19 NdT : L’expression Black Power est utilisée pour la première fois par Richard Wright dans son ouvra (...)

10Une des principales raisons pour laquelle les défenseur·e·s du Black Power19 ont choisi de travailler dans des écoles qui distribuent le petit-déjeuner et/ou donnent des cours particuliers était qu’il était généralement reconnu que les systèmes d’éducation non seulement échouaient à éduquer les personnes noires pauvres mais se satisfaisaient de cet échec, se contentant de blâmer la victime. Pourtant, faut-il blâmer des garçons noirs de six, sept et huit ans parce qu’ils ne savent pas lire ou écrire ? Quand l’esclavage s’est terminé en 1865 et que quatre millions de personnes noires ont été libres, la plupart d’entre elles ne savaient ni lire ni écrire.

11D’après le recensement de 1900, 57% des hommes noirs étaient analphabètes. Alors que l’on avance dans le vingt et unième siècle, les hommes noirs forment encore un énorme pourcentage des personnes analphabètes. Étant incapables de lire et écrire ou possédant un ensemble de compétences rudimentaires, les hommes noirs peu instruits ne sont préparés ni à rejoindre les rangs des chômeuses et chômeurs ni même à y rester. Même avant que les garçons noirs ne rencontrent une culture de rue génocidaire, ils ont déjà été agressés par le génocide culturel en cours dans les institutions éducatives de la petite enfance, où on ne leur apprend simplement rien.

  • 20 NdT : hooks, b. (2001). Be Boy Buzz. New York: Hyperion/Jump at the Sun.
  • 21 NdT : La Vie de famille : série états-unienne créée par William Bickley et Mickael Warren. Diffusée (...)

12Engagée à créer des livres qui représentent de jeunes hommes noirs et à les placer au centre d’histoires universelles, j’ai écrit un livre pour enfants intitulé Be Boy Buzz20, lequel donne une représentation positive de l’individualité entière des garçons. Les garçons représentés sont noirs. L’illustrateur du livre est un homme blanc. Quand on m’a montré les premières illustrations, j’ai remarqué que beaucoup des images étaient celles de garçons noirs en mouvement, en train de courir, sauter, jouer ; j’ai demandé des images de garçons noirs qui ne bougeaient pas, qui appréciaient la solitude, qui lisaient. L’image d’un garçon qui lit était particulièrement importante à inclure parce qu’il est clair que cette société fait comprendre aux jeunes garçons noirs qu’ils n’ont pas besoin d’être des lecteurs. Dans certaines familles noires où lire est encouragé chez les filles, un garçon qui aime lire est considéré comme suspect, comme sur la voie de devenir une « tapette ». De toute évidence aussi longtemps que les personnes noires adhéreront à la notion de masculinité patriarcale, qui dit que les vrais hommes ne sont que corps et non esprits, les garçons noirs qui sont cérébraux, qui veulent lire, et qui aiment les livres risqueront d’être ridiculisés et considérés comme pas assez masculins. De toute évidence, les représentations de l’homme noir studieux à la télévision dans les sitcoms comiques (Urkel, dans La Vie de famille par exemple21) suggèrent que l’homme noir studieux est une bête curieuse, un monstre. Les parents permettent aux garçons noirs de consommer cette image négative puis se demandent pourquoi ils ne veulent pas être des élèves sérieux et des lecteurs engagés.

13La lecture a été une source fondamentale de savoir, de pouvoir et de libération pour les hommes noirs, particulièrement pour beaucoup d’hommes noirs incarcérés. Parallèlement, beaucoup d’hommes noirs responsables, sans emploi, sont analphabètes et n’ont pas accès à une structure d’éducation qui leur apprendrait à lire et écrire. Ils peuvent aussi être si rongés par la honte de ne pas avoir maîtrisé ces compétences dans leur jeunesse qu’ils refusent de chercher à apprendre à l’âge adulte. Les hommes noirs en prison, qui ont du temps à eux, en profitent souvent pour apprendre à lire et à écrire. Pourtant ce sont des compétences qu’ils auraient dû apprendre à l’école, plus tôt dans leur vie.

14Apprendre à lire et écrire sont des compétences de base qui sont nécessaires lorsqu’il est question de travailler et d’être un citoyen pleinement productif. Ces compétences ne sont pas enseignées à la plupart des hommes noirs. Les systèmes d’éducation échouent à leur transmettre ou à leur inspirer l’apprentissage, quel que soit leur âge. Parallèlement, beaucoup d’hommes noirs sortent diplômés du lycée avec un niveau de lecture et d’écriture de troisième ou de quatrième. Les exigences du travail et de la famille peuvent les amener à arrêter de lire et d’écrire à la fois, par conséquent ils perdent les compétences qu’ils avaient plutôt que de s’appuyer dessus. J’ai enseigné à de nombreux jeunes hommes noirs dans des classes de collège, eux-mêmes de grands lecteurs et écrivains, qui ont tout simplement arrêté de lire à partir du moment où ils sont entrés dans le monde du travail. Ils disent qu’ils n’ont pas le temps de lire. Mais ils disent aussi que lire les stresse surtout si ça leur fait penser à des sujets qui engendrent davantage de sentiments d’impuissance et de désespoir. Ils préféreraient s’amuser pendant leur temps libre. La plupart du temps, ils ne considèrent pas la lecture comme une activité agréable.

  • 22 NdT : Le penseur marxiste, Antonio Gramsci, distingue les intellectuels « traditionnels » et les «  (...)

15Contrairement aux hommes de la génération de mon père, qui croyaient qu’ils devaient être des penseurs/intellectuels organiques22, aujourd’hui les hommes noirs se concentrent sur le fait de gagner de l’argent. Quand les hommes de la génération de mon père rentraient de leurs emplois subalternes et mal payés, ils voulaient avoir des conversations sérieuses. Ils lisaient les journaux, des livres. Et le plus souvent, ils ne faisaient pas savoir aux personnes blanches pour qui ils travaillaient qu’ils étaient des « penseurs ». Encore une fois, il faut faire une distinction entre une personne instruite et un penseur critique, quelqu’un qui a une réflexion sur le monde.

16Aujourd’hui, beaucoup d’hommes noirs intelligents instruits savent qu’ils ne sont pas supposés être des penseurs critiques et ils n’essaient pas de l’être. Un homme noir, même instruit, qui pense de façon critique est encore considéré avec suspicion dans la culture dominante. Souvent, les hommes noirs instruits dans des emplois bien payés apprennent à adopter une attitude conciliante afin de ne pas sembler menaçants pour leurs collègues blanc·he·s. Un homme noir de plus de trente ans travaillant dans un environnement majoritairement constitué de femmes blanches se retrouvait constamment traité comme un objet sexuel. Une jeune femme blanche lui écrivait des petits mots en imitant l’anglais des Noirs, disant qu’elle « acceptait d’être sa pute ». Bien qu’il soit conscient du sexisme à caractère racial dans son attitude, il sentait qu’il aurait l’air de ne pas avoir l’esprit d’équipe, de ne pas faire partie du groupe, s’il était perçu comme réticent à le prendre comme une plaisanterie. Pourtant cet homme noir de classe moyenne qui n’avait jamais parlé un mauvais anglais ou un patois noir était obligé d’adopter un style « rap de ghetto » qui indiquait à ses collègues qu’il était vraiment noir.

  • 23 NdT : Style relatif à l’image créée autour des jeunes hommes noirs issus de quartiers pauvres et vi (...)
  • 24 NdT : Sous l’esclavage, au-delà du travail forcé, les personnes noires sont obligées de divertir le (...)
  • 25 NdT : Grier, W. & Cobbs, P. (1968). Black Rage. San Francisco: Basic Books.
  • 26 NdT : William Grier, Price Cobbs : psychiatres états-uniens dont le livre Black Rage est devenu un (...)

17Alors qu’on entend souvent parler d’hommes noirs privilégiés qui adoptent un style de petit gangster de cité (gangsta-boy style23), on entend rarement parler de la pression qu’ils reçoivent des personnes blanches pour prouver qu’ils sont « vraiment noirs ». Cette pression fait partie d’un arsenal racial psychologique parce qu’il fait savoir aux personnes noires instruites, particulièrement aux hommes noirs, qu’aucun niveau d’instruction ne leur permettra d’échapper à l’imposition de stéréotypes racistes. Souvent dans des contextes éducatifs majoritairement blancs, les hommes noirs offrent un spectacle de minstrel24 de type ghetto comme une façon de se protéger de la rage blanche Ils veulent sembler inoffensifs, pas menaçants et, pour se faire, doivent divertir des personnes peu instruites en leur faisant savoir : « Je ne pense pas être ton égal. Je sais quelle est ma place. Bien que je sois instruit, je sais que tu penses que je suis toujours un animal au fond de moi ». Dans Black Rage25, les psychiatres William Grier et Price Cobbs26 décrivent ce qu’ils appellent « l’homme noir paradigmatique » : cet homme est toujours qualifié de « gentil » par les personnes blanches. Quel que soit l’environnement intégré dans lequel il travaille, il est la norme par rapport à laquelle les autres personnes noires sont mesurées. « Si seulement ils étaient tous comme lui, tout irait beaucoup mieux ». Il est passif, ne s’affirme pas, n’est pas agressif. Il a fait de l’identification avec son agresseur une vertu et a adopté des manières cajoleuses et accommodantes. Les environnements d’éducation racialement biaisés exigent souvent des hommes noirs qu’ils remplissent ces conditions afin de prouver qu’ils sont dociles, qu’ils peuvent apprendre. Dans des structures d’éducation ségréguées, c’était tout simplement une réalité admise que les hommes noirs pouvaient exceller à l’université et le feraient. C’est une des raisons pour laquelle beaucoup de parents noirs encouragent aujourd’hui les efforts déployés pour créer des écoles ségréguées. Pendant les années de ségrégation raciale légale, personne dans les communautés noires ne considérait l’éducation comme une affaire de blancs.

  • 27 NdT : John McWhorter (né en 1965) : linguiste et professeur d’anglais, de littérature comparée état (...)
  • 28 NdT : McWhorter, J. (2000). Losing the Race: Self Sabotage in Black America. New York: The Free Pre (...)

18À partir de la politique d’intégration raciale qui débute à la fin des années 1960, les personnes noires instruites ont souvent assimilé la logique de la suprématie blanche en regardant de haut les personnes noires qu’elles considéraient comme inférieures. Beaucoup de personnes noires privées d’éducation ont ainsi commencé à considérer la personne noire instruite comme une ennemie. La culture, prise dans son ensemble, regorge d’anti-intellectualisme. À cause de cela, les personnes noires qui n’étaient pas instruites, particulièrement celles qui vivaient dans un monde ségrégué où l’accès à l’éducation n’était pas facile, ont été prédisposées à être suspicieuses des personnes noires instruites. Le réquisitoire de droite de John McWhorter27 Losing the Race: Self Sabotage in Black America28 (Perdre la race : l’auto-sabotage dans l’Amérique noire) souligne de façon utile que les personnes noires « ont hérité leur anti-intellectualisme de siècles de marginalisation » mais échoue à faire le lien entre l’anti-intellectualisme des personnes noires et l’anti-intellectualisme dans la culture commune. McWhorter a passé une si grande partie de sa vie avec des personnes blanches instruites qu’il a l’air incapable de faire face à l’anti-intellectualisme enseigné par les médias de masse, particulièrement la télévision. Il insiste sur le fait que « l’anti-intellectualisme n’est pas imposé aux Noir·e·s américain·e·s par les blanc·he·s mais est transmis comme un trait culturel ». Bien sûr pour dire cela, McWhorter choisit d’ignorer l’héritage académique et intellectuel des Afro-Américain·e·s avant les années soixante.

  • 29 NdT : Sur la traduction en français du terme « empowerment », voir Maury, Y. & Hedjerassi, N. (2020 (...)

19L’anti-intellectualisme dans les communautés noires est souvent une arme utilisée dans une guerre de classe entre les personnes noires qui se sentent condamnées à une existence étriquée parce qu’elles ne sont pas instruites et ne sont donc pas capables de monter dans l’échelle sociale et celles instruites, qui aspirent à faire partie de la classe dirigeante. Ces personnes noires instruites, des classes privilégiées, ont eu tendance à considérer les personnes non instruites avec mépris. Et ces dernières ont répondu en renvoyant ce mépris. Pourtant, on entend plus parler des personnes non instruites que des autres. Beaucoup des jeunes défenseur·e·s du Black Power étaient d’avides lecteurs et lectrices. C’étaient des penseurs et penseuses critiques qui avaient reçu une bonne instruction. Certaines et certains d’entre eux étaient des intellectuel·le·s organiques. Il n’existe pas d’anti-intellectualisme dans leurs écrits et pas non plus d’équation entre l’instruction et le fait d’être blanc. Dans le monde racialement intégré de l’école, les universitaires noir·e·s qui ont acquis l’éducation comme outil de mobilité sociale dévalorisent souvent leur érudition quand elles et ils parlent avec des personnes noires non instruites. Souvent les personnes noires ayant un niveau d’études universitaires se sentent éloignées de la communauté noire. Quand elles ont l’opportunité de sociabiliser et de créer du lien avec des personnes noires, elles minimisent leur éducation comme si c’était un moyen de se connecter avec un monde noir anti-intellectualiste. C’est aussi une stratégie pour avoir la meilleure place. Elles peuvent ainsi rester à leur place d’élite noire exceptionnelle en étant les gardien·ne·s du temple qui accumulent du savoir sur la façon dont l’éducation empouvoire29, tout en prétendant que celle-ci n’a pas d’importance.

  • 30 NdT : Lee, D. L. (1973). From Plan to Planet: Life Studies – The Need for Afrikan Minds and Institu (...)

20Celles et ceux qui soutenaient la liberté des personnes noires à disposer d’elles-mêmes ont toujours priorisé l’éducation en l’associant au développement de la conscience et de la pensée critique. En fait, les défenseur·e·s du Black Power étaient la plupart du temps critiques de la mauvaise éducation des personnes noires par le système d’éducation en place et encourageaient la création d’écoles noires progressistes. Au début des années 1970, le livre de Don L. Lee, From Plan to Planet: Life Studies – The Need for Afrikan Minds and Institutions30 (Du plan à la planète : Études de la vie – Le Besoin de Cerveaux Africains et d’Institutions) met l’accent sur le besoin d’éducation. Exhortant les hommes noirs à créer des structures d’éducation progressiste, il écrit : « Où sont formés les hommes noirs ? Principalement au coin des rues ou dans les prisons. Comment se fait-il que nos frères ne développent pas autant de conscience noire à l’extérieur qu’à l’intérieur d’eux-mêmes ? Comment se fait-il que la plupart de nos frères acquièrent leur conscience politique dans les prisons après qu’on leur a infligé entre 99 ans de prison et la perpétuité ? Principalement parce que nous avons échoué à construire les institutions nécessaires pour éduquer et réorienter nos hommes… Avec cette nouvelle vision, il est fondamental que nous commencions à institutionnaliser nos pensées et nos actions et nous avons besoin d’institutions pour cela ». Don L. Lee (renommé Haki Madhubuti) a donc créé des écoles progressistes.

21Dans sa première vision du développement institutionnel, une vision qu’il a partagée avec d’autres hommes noirs anti-racistes, il a relié la création d’écoles au nationalisme noir. L’intégration a amené beaucoup de personnes noires à délaisser le nationalisme noir car il était lié au séparatisme racial. Face à l’échec de l’école à éduquer les hommes noirs de nos jours, les individus, particulièrement ceux qui sont afrocentristes, préconisent la création d’écoles séparées. Souvent, les écoles séparées pour les garçons noirs sont présentées comme le meilleur choix d’éducation à cause de l’importance donnée à une discipline stricte plutôt qu’à l’apprentissage. Pourtant, souvent, ce n’est pas la sévérité qui amène les garçons à réussir dans ces écoles, mais plutôt le fait qu’on s’occupe bien d’eux, qu’on leur accorde de l’attention et qu’ils soient perçus comme des élèves qui peuvent exceller dans les études. Les garçons noirs éduqués dans des environnements favorables régressent souvent quand ils entrent dans des écoles à majorité blanche où ils sont catégorisés de façon stéréotypée comme non-apprenants.

22Les programmes d’alphabétisation de masse, particulièrement ceux qui ciblent les hommes noirs sans emploi, associant ainsi apprentissage et développement de la pensée critique, sont nécessaires pour corriger l’échec de l’école primaire. L’enseignement à domicile aussi bien que la création d’écoles privées progressistes qui éduquent à la conscience critique sont des alternatives importantes pour les hommes noirs. Si ces derniers peuvent s’éduquer ou se rééduquer en prison, il est d’autant plus plausible que des personnes noires concernées puissent former correctement des garçons noirs dans les communautés et les maisons dans lesquelles ils vivent. Dans les sous-cultures où un tel enseignement existe déjà, les garçons et hommes noirs se réapproprient l’envie d’apprendre, de s’instruire, malgré les tentatives de la société d’écraser et de silencier les esprits curieux. La scolarisation progressive des hommes noirs ne peut devenir une norme seulement si nous commençons à prendre leur éducation au sérieux, en rétablissant le lien entre apprentissage et libération.

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Notes

1 NdT : Wright, R. (1945). Black Boy. New York, London: Harper & Brothers.

2 NdT : Richard Wright (1908-1960) : romancier, poète, essayiste et journaliste afro-américain. Il aborde, dans ses écrits, des thématiques raciales, en particulier, les violences et discriminations que vivent les Afro-Américain·e·s aux États-Unis de la fin du 19e au milieu du 20e siècle. Ses premiers écrits deviennent rapidement des best-sellers. Richard Wright a eu une influence notable sur nombre de penseurs et penseuses afro-américain·e·s.

3 NdT : Wrigh, R. (1947). Black Boy. Paris : Gallimard, p. 34. (Traduction de l’américain vers le français par Marcel Duhamel en collaboration avec Andrée R. Picard).

4 NdT : Loc. cit. p. 66.

5 NdT : Lois Jim Crow : lois locales et nationales mises en place principalement dans les États du Sud des États-Unis entre 1877 et 1964. Ces lois établissaient une ségrégation (séparation) raciale dans les transports, le logement, l’emploi, l’éducation, etc, empêchant activement les personnes noires d’accéder aux droits fondamentaux. Elles ont fait perdurer un système raciste, violent et humiliant à leur égard et sur des générations, dans une logique de pureté raciale. En effet, quiconque avait une goutte de sang noir était discriminé selon la règle du « one drop rule » (une goutte suffit).

6 NdT : Loc cit., p. 202.

7 NdT : Loc cit., p. 202.

8 NdT : Ellis Cose (né en 1951) : journaliste et écrivain américain, il est l’auteur d’une dizaine de livres dont Bone to Pick, The Envy of the World. Son bestseller, The Rage of the Priviledged Class, traite de l’impossibilité pour les classes moyennes noires américaines d’atteindre le rêve américain.

9 NdT : Haki Madhubuti (né en 1942) : poète, écrivain, essayiste, éditeur américain et une des figures du Black Arts Movements. Son nom de naissance est Don L. Lee. En 1973, un institut africain le baptise d’un nom swahili « Haki R. Mudhabati » qui signifie « justice, éveil, force, précis ». Le Black Arts Movements est un mouvement culturel des années 1960 et 1970 qui influencera l’esthétique de nombreuses et nombreux artistes afro-américain·e·s.

10 NdT : McCall, N. (1994). Makes Me Wanna Holler. A Young Black Man in America. New York: Random House.

11 NdT : Nathan McCall (né en 1955) : journaliste et auteur américain, dont l’œuvre multiforme (romans, mémoires, biographie, commentaires sociaux) porte sur les expériences de vie afro-américaines.

12 NdT : Masters, J. J. (1997). Finding Freedom: Writing from Death Row. Junction City: Padma Publishing.

13 NdT : Jarvis Jay Masters (né en 1962) : écrivain et bouddhiste, condamné à la peine capitale en 1990. Il a écrit à propos de son expérience dans les couloirs de la mort.

14 NdT : Newton, H., P. (1968). Fear and doubt. In H. P. Newton, Essays From the Minister of Defense (pp. 15-17). USA: Black Panther Party. https://archive.lib.msu.edu/DMC/AmRad/essaysministerdefense.pdf

15 NdT : Huey Newton (1942-1989) : homme politique, écrivain et théoricien afro-américain, fondateur du Black Panther Party.

16 NdT : hooks, b. (1996). Bone Black: Memories of Girlhood. New York: Henry Holt & Company.

17 NdT : Dans la continuité de la période de l’esclavage, l’accès à l’éducation des personnes noires a été empêché notamment par des voies légales. À Boston, au milieu du 18e siècle, des personnes afro-américaines lancent une pétition pour dénoncer l’utilisation de leurs impôts qui financent seulement l’éducation d’enfants blancs. Les lois Jim Crow viennent entériner une discrimination scolaire existante : les écoles d’enfants blancs sont séparées de celles destinées aux enfants noirs et ce jusqu’à l’université. Cette politique ségrégationniste se poursuit jusque les années 1960.

18 NdT : En 1954, la ségrégation scolaire est déclarée inconstitutionnelle dans les écoles publiques des États-Unis. L’intégration scolaire, connue sous le nom de déségrégation, est ensuite mise en place dans les écoles publiques et privées. Les écoles intégrées, qui accueillaient des étudiant·e·s, noir·e·s comme blanc·he·s, ont pu contribuer à lutter contre les violences raciales et pour les droits civiques des Afro-Américain·e·s au cours de la seconde moitié du vingtième siècle. Pourtant, les écoles intégrées n’ont pas effacé le racisme et la pauvreté qui en découle. Depuis les années 1990, un nombre grandissant d’écoles est à nouveau ségrégué.

19 NdT : L’expression Black Power est utilisée pour la première fois par Richard Wright dans son ouvrage éponyme. Elle est lancée par Stokely Carmichael, membre du Student Nonviolent Coordinating Committee (un des principaux organismes du mouvement afro-américain des années soixante) dans un discours prononcé en 1966. Le Black Power encourage les personnes noires à s’organiser ensemble, à reprendre leur pouvoir et leur autonomie face à la suprématie blanche. Ce terme rassemble différents mouvements politiques, culturels et sociaux noirs aux Etats-Unis, en lutte contre la ségrégation raciale des années 1960 et 1970.

20 NdT : hooks, b. (2001). Be Boy Buzz. New York: Hyperion/Jump at the Sun.

21 NdT : La Vie de famille : série états-unienne créée par William Bickley et Mickael Warren. Diffusée sur le réseau CBS entre 1989 et 1997, elle raconte le quotidien d’une famille afro-américaine dont les soucis sont causés par le voisin maladroit mais très intelligent, Steve Urkel.

22 NdT : Le penseur marxiste, Antonio Gramsci, distingue les intellectuels « traditionnels » et les « intellectuels organiques », qui donnent au prolétariat « son homogénéité idéologique et la conscience de sa fonction, non seulement dans le domaine économique, mais aussi dans le domaine social et politique » (Contre-figures, p. 459). « L'intellectuel organique a une fonction technique et politique » (Diouf, M. (2017). Intellectuel. Langue d'Esope : le meilleur et le pire. Paris : L’Harmattan, p. 25).

23 NdT : Style relatif à l’image créée autour des jeunes hommes noirs issus de quartiers pauvres et vivant d’activités criminalisées. La culture et l’esthétique relatives à l’argent de la drogue, au sexe et aux femmes sont perçues comme « cool » et divertissantes par la culture dominante blanche. Pourtant, comme disait le rappeur Tupac Shakur, dans le documentaire qui lui est consacré (Tupac: Resurrection, Paramount, 2003) : « Je n’ai pas créé la violence aux États-Unis. Je n’ai pas inventé la vie criminelle. Je l’ai diagnostiquée » (“I have not brought violence to you. I have not brought Thug Life to America. I didn't create Thug Life. I diagnosed it”).

24 NdT : Sous l’esclavage, au-delà du travail forcé, les personnes noires sont obligées de divertir les esclavagistes. Elles inventent des codes pour subvertir leur tâche et se moquent de leurs maîtres et maîtresses. Sans percevoir le degré d’ironie et de dérision des spectacles, des personnes blanc·he·s se mettent à imiter à leur tour les personnes noires et créent un type de représentation et de culture racistes destinées à un public blanc. Dans cette perspective, le minstrel show ou minstrelsy, du début du 19e siècle, développe le principe déshumanisant du blackface. C’était des spectacles faits par les Blancs, pour les Blancs, pour se moquer de l’allure des Noirs. Et pour se faire passer pour des Noir·e·s, elles/ils se maquillaient le visage, d'où le terme de "blackface" - voir Chalaye, S. (2020). Race et théâtre. Un impensé politique raciste. Arles : Actes Sud). Le personnage de Jim Crow va ainsi populariser le blackface aux États-Unis et donner son nom aux lois ségrégationnistes : les lois Jim Crow. Quelle que soit l’époque, les blanc·he·s attendent/réclament/demandent donc des personnes noires qu’elles jouent des rôles attendus, conformes à leurs stéréotypes racistes.

25 NdT : Grier, W. & Cobbs, P. (1968). Black Rage. San Francisco: Basic Books.

26 NdT : William Grier, Price Cobbs : psychiatres états-uniens dont le livre Black Rage est devenu un ouvrage incontournable sur les questions raciales ainsi qu’un livre lu dans les écoles.

27 NdT : John McWhorter (né en 1965) : linguiste et professeur d’anglais, de littérature comparée états-unien. Il est l’auteur de livres sur le langage et les relations interraciales.

28 NdT : McWhorter, J. (2000). Losing the Race: Self Sabotage in Black America. New York: The Free Press.

29 NdT : Sur la traduction en français du terme « empowerment », voir Maury, Y. & Hedjerassi, N. (2020). Empowerment, pouvoir d’agir en éducation - À la croisée entre théorie(s), discours et pratique(s). Spirale - Revue de recherches en éducation, 66, 3-13.

30 NdT : Lee, D. L. (1973). From Plan to Planet: Life Studies – The Need for Afrikan Minds and Institutions. Detroit: Broadside Press.

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Pour citer cet article

Référence électronique

bell hooks, « Éduquer les hommes noirs »Genre Éducation Formation [En ligne], 6 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 29 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/gef/831 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gef.831

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Auteur

bell hooks

Professeure émérite en résidence, Berea College (Berea, Kentucky)

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