Navigation – Plan du site

AccueilNuméros53MatériauxLes diplômesDe l’importance du mysticisme dan...

Matériaux
Les diplômes

De l’importance du mysticisme dans la formation de Sartre et Beauvoir

Juliette Simont

Texte intégral

  • 1 « Sartre inédit. Le mémoire de fin d’études (1927) », Études sartriennes, no 22, Paris, Garnier, 20 (...)

1La prégnance du thème de la mystique dans l’œuvre de Sartre, de prime abord étonnante au vu de son athéisme revendiqué, est commentée de longue date. D’un bout de sa production à l’autre, en effet, de 1943 aux années 1970, la mystique lui est un outil décisif dans les analyses – ou psychanalyses – de Bataille, Baudelaire, Genet, Kierkegaard, Mallarmé, Flaubert, ces compagnons en écriture et en pensée, diversement admirés ou critiqués. Lui-même ne se met pas hors jeu : l’autodiagnostic que propose Les Mots fait également usage de ce levier théorique. De quelle nature est cet intérêt persistant ? La publication récente de son mémoire de fin d’études1 est peut-être susceptible d’éclairer cette question sous un angle neuf en permettant de l’ancrer dans un contexte historico-culturel.

2C’est en 1927 que Sartre mène à bien ce travail, intitulé L’Image dans la vie psychologique. Rôle et nature. Le directeur en est Henri Delacroix, lui-même auteur d’une thèse parue en 1899 : Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au xive siècle, puis d’Études d’histoire et de psychologie du mysticisme (1908).

3Le mémoire a été édité par Gautier Dassonneville à partir d’une transcription dactylographiée réalisée par Michel Rybalka à la fin des années 1970, à l’époque de la préparation du volume des Œuvres romanesques de Sartre pour la « Bibliothèque de la Pléiade ». Ce dactylogramme comporte 272 pages suivies de cinq pages d’annexes composées de fragments plus tardifs que l’on peut sans doute dater de 1934-35, c’est-à-dire du moment où Sartre reprend son travail universitaire pour l’intégrer à ses acquis phénoménologiques – refonte qui donnera lieu, en 1936, à la parution de L’Imagination, puis, en 1940, à celle de L’Imaginaire. Le document, bien conservé, porte des annotations manuelles, corrections de coquilles ou ajouts visant à compléter des mots que Rybalka n’avait pu déchiffrer. Rybalka précise que sont manquantes les quatre premières pages du manuscrit dont il a effectué la transcription. Lorsque Dassonneville, en 2018, édita le texte, le manuscrit n’était pas localisé. Il ne l’était pas davantage lors de la rédaction des lignes qu’on va lire. La comparaison entre le dactylogramme et le manuscrit reste donc à faire.

  • 2 Pour une description détaillée tant de la matérialité du dactylogramme que du projet de Sartre, on (...)

4Au sommaire du travail du jeune Sartre, l’on trouve un index des ouvrages cités (5 pages), et cinq chapitres d’inégale longueur : I – Image et perception (23 pages) ; II – Image et pensée (131 pages) ; III – Les attitudes envers l’image (49 pages) [fig. 1] ; IV – Image et personnalité (8 pages) ; V – La nature de l’image (45 pages) ; Conclusion – Perception et esprit (2 pages) [fig. 2]. Le propos de Sartre, brutalement résumé, est une critique du rôle représentatif assigné par la psychologie traditionnelle à l’image (I), suivi d’une réflexion sur le « rôle » véritable de l’image (II, III, IV) et enfin d’un exposé sur la « nature » de l’image. Contre la thèse soutenue par l’école de Würzburg en Allemagne et par Binet en France, selon laquelle est possible une pensée pure, fonctionnant sans images, Sartre affirme que la pensée est foncièrement imageante2.

Fig. 1 : Le diplôme de Sartre, fo 73, ch. III « Les Attitudes envers l’Image »

Fig. 1 : Le diplôme de Sartre, fo 73, ch. III « Les Attitudes envers l’Image »

© Archives Sylvie Le Bon de Beauvoir

Fig. 2 : Le diplôme de Sartre, conclusion

Fig. 2 : Le diplôme de Sartre, conclusion

© Archives Sylvie Le Bon de Beauvoir

*

  • 3 Pour le « mystique », voir Études sartriennes, no 22, p. 165-175 ; pour l’ « artiste », p. 180-198.

5Au chapitre III de son mémoire, Sartre dresse une typologie des « attitudes envers l’image » ; il commence par « Les grands mystiques », suivis par « Le savant », « L’artiste », « Le schizoïde ». Au « savant », Sartre consacre peu de pages, ce qui n’a rien d’étonnant – il a peu d’appétence pour la chose scientifique ; peu aussi au « schizoïde », ce qui l’est davantage étant donné l’intérêt pour la « folie » qu’il manifestera dans la suite de son œuvre ; le « mystique » et l’ « artiste » font l’objet de développements beaucoup plus longs3.

  • 4 Pour mesurer la complexité du champ, cf. Émile Poulat, Critique et Mystique, Paris, Éditions du Cen (...)

6Si Sartre commence son chapitre par la mystique, ce n’est pas simple révérence pour Henri Delacroix ; c’est, qu’il en ait conscience ou non, pour des raisons inhérentes au champ du savoir universitaire de ces années-là. Les historiens de la religion, bien sûr, le savent, mais pas nécessairement les lecteurs de Sartre : le premier tiers du xxe siècle est marqué, dans les sciences humaines (psychologie et psychopathologie, ethnologie, sociologie), par un essor considérable de l’intérêt pour la mystique. Par ailleurs, la philologie et la critique historique font accéder des corpus de textes de « mystiques » au statut d’objet d’étude – l’approche d’Henri Delacroix, ainsi, se centre sur l’analyse des textes des grands mystiques. À cela il faut ajouter, dans le champ de la religion même, un renouveau des vocations à sensibilité mystique et l’apparition de revues spécialisées qui, en débat avec les sciences sociales, tentent de se réapproprier leur propre héritage spirituel. Quant à la philosophie qui, en dépit de son importance académique, est en perte de pouvoir symbolique, elle fait de « la mystique » un lieu de résistance au compartimentage théorique produit par les sciences sociales, un fond spirituel indépendant de toute appartenance religieuse déterminée, irréductible, imprenable et en outre légitimement opposable aux savoirs positifs parce qu’il se réclame d’une expérience. Il n’est pas étonnant que des professeurs de Sartre et de Beauvoir participent à ce bouillonnement intellectuel autour de « la mystique », impliquant des disciplines variées, traversé de controverses, fertile en publications4 – outre Henri Delacroix, Jean Baruzi, important pour la jeune Beauvoir, est l’auteur d’une thèse remarquée sur saint Jean de la Croix ; pas étonnant non plus que l’étudiant Sartre, cherchant, entre positivisme et idéalisme, une troisième voie – qu’il essaie de faire valoir en psychologie –, éprouve une vive curiosité pour le thème.

*

  • 5 Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, Félix Alcan, 19 (...)
  • 6 Henri Delacroix, Le Mysticisme spéculatif en Allemagne, Paris, Félix Alcan, 1899, p. 171 sq.
  • 7 Ibid., p. 174.

7Le mémoire de Sartre porte donc sur l’image et, quant au point qui nous occupe, sur le type de rapport que le mystique entretient avec elle. Cette question est débattue en théologie : le rôle joué par l’imagination y détermine la différence entre méditation et contemplation. Jean Baruzi, que cite Sartre, marque la différence entre Thérèse d’Avila, qui, dans sa pratique des exercices spirituels d’Ignace de Loyola, « n’a pas été conduite […] en une voie dénuée d’images », autrement dit qui ne s’est pas sentie contrainte d’abandonner les constructions sensitives et imaginatives de l’exaltation pour accéder à l’état supérieur de la contemplation. Il poursuit : « Par contre, saint Jean de la Croix s’en va loin de toute parole et de toute vision […], il interdit que l’on brise par des images une voie spirituelle qui doit nous conduire au-delà de toute donnée distincte5 ». Les mystiques à qui vont les faveurs de Sartre préfèrent le néant à l’image ; pour eux, le monde, « froid, vide, silencieux », est dépourvu de signes venus d’en haut ; saint Jean de la Croix, Maître Eckhart et son disciple Tauler sont les héros sartriens du mysticisme ainsi compris. Ce qui intéresse Sartre en saint Jean de la Croix ou Maître Eckhart, c’est la radicalité de la logique de négation qu’ils mobilisent. Le vrai mystique est celui qui nie le monde extérieur, cette croûte sensible, et qui, réfugié dans une intériorité qu’il pense d’abord toute de spiritualité, s’aperçoit qu’elle est également extérieure, boursouflée d’images sensibles qu’il lui faut aussi congédier. À propos de saint Jean de la Croix, Sartre écrit : « Il est dès l’abord et avant tout un négateur » ; la vie psychologique est pour lui une épreuve envoyée par Dieu, il faut s’en purifier pour atteindre « la nudité, la passivité complète, la nuit des sens et de l’esprit ». Mais saint Jean, ajoute-t-il, est plus catholique que mystique, car il est encore soumis au bon vouloir de Dieu, qui, une fois accomplie la purification, descendra ou non dans sa « nuit obscure ». Chez Maître Eckhart, le type mystique est, dit Sartre, plus pur. Selon lui, le fait, pour l’âme, d’atteindre le néant se convertit par soi en accès à la divinité, il n’y faut pas d’intervention de Dieu. Delacroix écrit : « Rien n’est plus loin de ce Dieu [celui du christianisme] que le non-Être obscur où toute force sommeille […] et pourtant ce non-Être, au-dessus de ce Dieu, est le principe de Dieu6. » Mais Eckhart lui-même recourt à l’image pour expliquer le passage du Rien innaturé à la Trinité, puis à la nature naturée7.

  • 8 Gautier Dassonneville, « Une contribution sartrienne au roman de la psychologie : le Diplôme sur l’ (...)

8Le mystique perd le monde sensible, et se perd lui-même en se vidant de son intériorité. Mais gagne-t-il quelque chose en contrepartie ? Le paradoxe de cet éventuel retournement, résumé par la formule « qui perd gagne », occupera Sartre tout au long de son œuvre. À l’aube de celle-ci, dans son mémoire, il suggère que l’échec du mystique, son drame, d’autant plus intense qu’il a atteint un état plus désertique, c’est de s’apercevoir que la traque des images est sans fin, que la pensée sans images est impossible – en somme, le mystique démontre malgré lui la thèse centrale du mémoire : la pensée ne peut se passer de l’image8.

*

9Les connaissances engrangées par Sartre en vue de ce travail lui serviront longtemps. Vingt-cinq ans plus tard, au livre III de Saint Genet comédien et martyr, quand il s’agit de comprendre la posture d’esthète de Genet s’enfonçant dans le royaume des apparences faute de pouvoir se revendiquer de la solidité de l’Être, Sartre écrit ceci, dans un passage intitulé « L’image » :

  • 9 Jean-Paul Sartre, Saint Genet comédien et martyr, Paris, Gallimard, 1985 [1952], p. 401-402.

Il [Genet] refait en sens inverse le chemin des grands mystiques. Persuadés que l’image n’est rien, ceux-ci tentaient de l’arracher d’eux pour parvenir à une éblouissante cécité ; Genet, fuyant Dieu, va de la lumière à la nuit : mais l’Enfer n’est pas silence ni ténèbres, c’est un pullulement d’images […], [Genet] a son être dans l’image et c’est lui, lui seul, qui produit l’image qui contient son être9.

  • 10 Id., L’Image dans la vie psychologique : rôle et nature, op. cit., p. 169.
  • 11 Id., Saint Genet comédien et martyr, op. cit., p. 247.
  • 12 William James, L’Expérience religieuse. Essai de psychologie descriptive, Paris, Félix Alcan, 1906, (...)
  • 13 Jean-Paul Sartre, Saint Genet comédien et martyr, op. cit., p. 276.

10La compréhension que, jeune homme, il s’est forgé de Thérèse d’Avila revient également dans le même ouvrage. Il écrit en 1927 que cette « mystique utilitaire » se sert en réalité de ses états d’extase comme d’aiguillons pour ses desseins de femme d’action : « […] sainte Thérèse, grande sainte et grand écrivain, n’était pas une grande mystique10 ». Un quart de siècle plus tard, elle continue à être à ses yeux une mystique antipathique et frauduleuse : il écrit alors que les combats auxquels se livre cette âpre négociatrice quand elle fonde des monastères réformés sont de nature politique, que sa solitude est de façade, que «  ses supérieurs l’ont presque toujours soutenue […]11 ». Marguerite-Marie Alacoque est un autre des repoussoirs de Sartre dans Saint Genet, et il l’a également rencontrée dans ses lectures de jeunesse. Les hauts faits à teneur scatologique de cette sainte au mysticisme stérile – William James déplorait la « misérable exiguïté » de son intelligence12 – sont en 1952 raillés par Sartre, qui conclut : « Pour ma part je n’aime pas tant la merde qu’on le dit, c’est pourquoi je refuse la Sainteté sous toutes ses formes13. »

*

11Ni la mystique militante, capitaine réformateur du Carmel, ni l’oblate recevant le Sacré-Cœur pour avoir avalé les déjections des malades ne satisfont Sartre en fait de mysticisme. Quel est le ressort de la fascination que lui inspirent certains mystiques ?

  • 14 Paru en 1922 aux éditions Payot.

12Ses considérations de jeune homme à propos de saint Jean de la Croix et Maître Eckhart le montrent : ce qu’il découvre avec passion dans la mystique, beaucoup plus qu’une problématique religieuse, c’est une logique (il a lu l’essai de Bertrand Russell, Le Mysticisme et la Logique14), un schème de radicalité, un fonctionnement du négatif, un tour dialectique spécifique – « qui perd gagne ». « Pour arriver à être tout, veillez à n’être rien en rien », ces mots de saint Jean de la Croix l’accompagneront tout du long.

  • 15 William James, L’Expérience religieuse. Essai de psychologie descriptive, op. cit., p. 300.

13En 1927, la mise en évidence de ce schème logique s’accompagne de la valorisation d’un style de mystique. Le « bon » mystique, c’est le négateur intransigeant et austère, celui qui révèle dans sa nudité le fonctionnement de la logique de négation, en la récurant jusqu’à l’os – au plus loin du pathétique ruisselant de sang et d’humeurs de Marie Alacoque ou de l’opportune efficience des « états » de cette « débrouillarde15 » de Thérèse. Maître Eckhart, dans son voyage au bout du non-Être, est pour le jeune Sartre au sommet de la pyramide mystique.

  • 16 Aussi convient-il de ne pas durcir l’opposition. Voir à ce propos Jean-François Louette, « Existenc (...)
  • 17 Jean-Paul Sartre, « Un nouveau mystique », Situations, I, Paris, Gallimard, 1984 [1947], p. 160.
  • 18 Ibid., p. 134.
  • 19 Id., Mallarmé. La lucidité et sa face d’ombre, Paris, Gallimard, coll. « Arcades », 1986, p. 164.

14Que restera-t-il de ce partage dans l’œuvre ? En un sens, beaucoup. Soit le cas Bataille, la première des résurgences massives de la problématique mystique dans la pensée de Sartre – la longue critique de L’Expérience intérieure, intitulée « Un nouveau mystique », est parue dans Les Cahiers du Sud en 1943. Sartre s’y applique à réfuter philosophiquement Bataille, et l’extension de son article, le fouillé de l’argumentation montrent assez l’importance pour lui de cet adversaire16. Mais les choses se placent-elles bien, en dernière instance, sur le plan théorique ? Une formule, dans « Un nouveau mystique », attire l’attention : « affaire de goût17 », dit Sartre de la façon dont Bataille joue son « qui perd gagne ». Or les « goûts » pour Sartre n’ont rien d’anodin : ils dévoilent la cohérence profonde de la personne, son « choix originel », c’est-à-dire, forgée dans l’enfance, sa posture globale et idiosyncrasique par rapport à la question que lui pose l’Être, les fins et valeurs dernières qui régissent son existence et au prisme desquelles elle déchiffre le monde. Sans doute Bataille, plus que d’avoir des « torts » conceptuellement démontrables, n’est-il pas du « goût » de Sartre, ce goût qui en 1927 déjà l’éloignait des mystiques effusives et le rendait enclin au dénudement métaphysique. « Vient-il à parler de la misère humaine ? Voyez, dit-il, mes ulcères et mes plaies. Et le voilà qui écarte ses vêtements18 » : le dramatisme enfiévré que Sartre impute au style de mystique de Bataille est dans le droit fil de ses préférences et réticences de jeune homme. À l’inverse, il se trouvera en immédiate sympathie, en 1952, avec le style de Mallarmé, cet autre « mystique », ce petit homme froid et discret qui de la mort de Dieu tire, sans pathos, une « extraordinaire logique négative19 » : poèmes où, rongés d’absence, s’abolissent le monde et le langage, et qui s’auto-abolissent à leur tour dans le scintillement du Livre impossible. Mallarmé est en quelque sorte le Maître Eckhart de la poésie.

15Et, puisque le ressort mystique « qui perd gagne » est un schème logique, un simple opérateur de radicalité, il peut être mobilisé à des propos fort différents. On l’a dit, Sartre s’en est servi à foison dans le débat sans fin qu’il a mené avec l’écriture et les écrivains (y compris lui-même, fils d’un certain Poulou) ; mais, tout comme il existe un Maître Eckhart de la poésie, il existe aussi, dans un tout autre registre, un saint Jean de la Croix de la révolution, Sartre l’a connu en 1960, il se nomme Fidel Castro :

  • 20 Id., « Ouragan sur le sucre, II », Les Temps modernes, no 649, p. 200.

Il atteint à la souveraineté nationale par la voie ascétique du dépouillement. […] Si Castro s’est trouvé en se perdant, si refusant d’être soi il devient le peuple, je crois connaître une des sources de ce haut vertige. D’autres Espagnols se sont fascinés autrefois sur le dénuement. C’était au XVIe siècle. […] C’est Jean de la Croix qui a écrit : « Pour arriver à être tout, veillez à n’être rien en rien »20.

*

  • 21 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, II. L’Expérience vécue, Paris, Gallimard, « Folio », 2018 [19 (...)
  • 22 Ibid., p. 538.

16Partageant la même culture universitaire et les mêmes professeurs, Beauvoir et Sartre ont un ancrage tout différent dans la question de la mystique. Le début du chapitre XIII du second tome du Deuxième Sexe, intitulé « La mystique », cerne avec précision cette différence : « Certes, il y a eu des hommes qui ont aussi brûlé de cette flamme [mystique] ; mais ils sont rares et leur ferveur revêtait une figure intellectuelle fort épurée. Au lieu que les femmes qui s’abandonnent aux épousailles célestes sont légion ; et elles le vivent d’une manière étrangement affective21 ». C’est précisément à ce mysticisme « intellectuel » et « fort épuré » que Sartre, on l’a vu, porte un vif intérêt, et il se trouve, en effet, être masculin : saint Jean de la Croix, Maître Eckhart. Pour Beauvoir, l’élucidation du mysticisme est étroitement liée à la condition féminine. Elle étaye ce lien, dans l’ouvrage de 1949, par la succession de trois chapitres, « La narcissiste », « L’amoureuse », « La mystique ». Parce que l’intervention sur le monde lui est interdite, parce qu’elle ne peut faire, la femme en est réduite à « s’occuper » et elle s’occupe avant tout narcissiquement d’elle-même ; parce que l’intelligence rationnelle lui est censément étrangère, elle se cantonne aux épanchements affectifs ; elle scrute sa précieuse vie intérieure, lustre son apparence, fait tourner au manège de l’érotomanie des amants purement imaginaires, « elle s’enfonce dans la nuit de la mauvaise foi22 ». L’amour lui permettra, croit-elle, de sortir des mirages intérieurs : elle anéantit son moi déficient et se voue au service de cet être supérieur, l’homme, qui, laissant tomber sur elle un regard aimant, lui transfusera la souveraineté de sa mâle existence et comblera ainsi le narcissisme que la solitude ne permettait pas de consolider. Las, l’oblativité féminine apparaît rapidement à l’amant comme un piège tyrannique, il reprend sa mise ou n’acquiesce que contraint par un sentiment de culpabilité ; le carrousel de la mauvaise foi se remet à tourner ; masochisme, érotomanie, jalousies destructrices, la religion de l’amour où s’est réfugiée la femme échoue à la sauver. Reste à surenchérir : à aimer agenouillée non plus l’homme, mais l’Époux divin, qui fait descendre sur son adoratrice de célestes déclarations d’amour à quoi répondent extases, ravissements et mortifications. Il peut y avoir une valeur du mysticisme, note Beauvoir, qui tiendra à l’investissement objectif de l’énergie mystique, à sa capacité de servir de support à l’action :

  • 23 Ibid., p. 584.

Il y a des femmes d’action comme sainte Catherine, sainte Thérèse, Jeanne d’Arc, qui savent fort bien quel but elles se proposent et qui inventent lucidement les moyens de les atteindre : leurs révélations ne font que donner une figure objective à leurs certitudes ; elles les encouragent à suivre les chemins qu’elles se sont tracés avec précision23.

17À l’ancrage différent de la thématique répond ainsi une appréciation différente : on s’en souvient, Sartre relativisait, au profit du mysticisme métaphysique de saint Jean de la Croix et d’Eckhart, le mysticisme « utilitaire » de Thérèse d’Avila ; pour Beauvoir, au contraire, ce qui importe, c’est que la « femme d’action », fût-elle mystique, sort de la vassalité des affects narcissiques et gagne une liberté concrète.

18On mesure pleinement la force critique de ces pages en les rapportant à ce dont elles proviennent. Car la mystique, pour Beauvoir, n’est pas seulement un moment théorique de la dénonciation de l’aliénation de la femme ; elle s’enracine dans son existence intime de jeune fille, dévoilée par des publications qui se suivent en quelque sorte à l’envers ; la plus récente dans sa rédaction, Mémoires d’une jeune fille rangée, est la plus ancienne au plan éditorial (1958) ; vient ensuite Anne, ou quand prime le spirituel, premier roman, achevé en 1937 mais qui ne vit le jour qu’en 1979 ; et enfin Cahiers de jeunesse, journal de bord extraordinairement attachant d’une existence incandescente, charnelle, hardie et avide de découvertes, éclairée par l’acuité d’une rare intelligence – tenu de 1926 à 1930, ce journal parut en 2008.

  • 24 Ead., Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, « Folio », 1991 [1958], p. 503.
  • 25 À l’heure où je relis ces lignes, Les Inséparables vient de paraître (Simone de Beauvoir, Les Insép (...)

19Les Mémoires d’une jeune fille rangée avaient, de l’éloignement par rapport à une éducation religieuse et de tentations mystiques persistantes, construit un clair récit souvent teinté, à la faveur du recul, d’auto-ironie et aimanté par le drame de la mort de Zaza à la fin 1929, sur quoi se termine le livre : « Ensemble nous avions lutté contre le destin fangeux qui nous guettait et j’ai pensé longtemps que j’avais payé ma liberté de sa mort24. » Cette conquête de liberté est d’autant plus poignante quand, grâce aux Cahiers de jeunesse, on en découvre la gestation au fil d’une existence qui se cherche dans l’incertitude des sentiments, dans les territoires extrêmement variés que défrichent la lectrice vorace et l’étudiante assidue, dans l’explosion des colères, des joies, des enthousiasmes, dans les effondrements de désespoir. La mort de Zaza creuse dans le journal de la jeune Beauvoir un cratère de sidération et de silence, et, à n’en pas douter, jointe à la rencontre avec Sartre, achèvera de la nettoyer de tout résidu religieux. Quand prime le spirituel sera, quelques années plus tard, le tombeau de Zaza, en des pages vibrantes de rage contenue, de douleur et de sourds remords. Zaza mourut, peut-être, d’une maladie foudroyante, mais fut aussi assassinée à petit feu : elle était consumée de longue date par le harcèlement que lui infligeait une mère bigote et dominatrice, obsédée par la mission de marier ses filles selon d’obtuses convenances bourgeoises ; elle était épuisée aussi par les prudences de celui qu’elle aimait et qui disait l’aimer, Merleau-Ponty, croyant, belle âme tiède et timorée, incapable de protéger la jeune fille de sa terrible génitrice. Beauvoir, dans ce livre féroce, éclaire par facettes les troubles profondeurs du consentement des victimes du spiritualisme à ce qui les opprime, à travers cinq portraits de femmes et cinq récits à la fois autonomes et interdépendants ; mettant des traits d’elle-même dans plusieurs de ces personnages, elle ne s’excepte pas – et c’est la force de ce texte – de la bienséante conspiration qui vint à bout des forces de la trop tendre Zaza25.

20Narcissisme, soumission amoureuse, amour mystique : la lecture des Cahiers de jeunesse donne toute sa sève à l’argumentation critique du Deuxième Sexe. Sartre décidément n’était pas seul à penser contre soi et l’on mesure, par les reproches dont Beauvoir, implicitement, s’accable elle-même, l’intensité de son exigence et son honnêteté.

  • 26 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, II, op. cit., p. 519.
  • 27 Ibid., p. 259.
  • 28 Ibid., p. 320.
  • 29 Ibid., p. 690.

21Narcissisme d’abord. Dans Le Deuxième Sexe, Beauvoir écrit : « Les circonstances invitent la femme plus que l’homme à se tourner vers soi et à se vouer son amour26 ». Et dans son journal de jeunesse, quelques expressions, parmi cent autres, de ce penchant féminin : « Le culte du moi et ses exquises nuances, la volupté de l’analyse et des ivresses qu’on se crée27 », « Ah ! Je m’aime et j’aime ma vie28 », « ma passion pour moi-même29 ». Cette dimension de l’écriture de la jeune Beauvoir est en permanence infirmée par son intelligence curieuse de tout et passionnément tournée vers le dehors ; la tentation narcissiste y est néanmoins insistante et il est difficile d’imaginer que la femme mûre l’ait oubliée vingt ans plus tard – elle fera encore grand usage de son journal, plus tard, dans Mémoires d’une jeune fille rangée.

  • 30 Ibid., p. 549.
  • 31 Ead., Cahiers de Jeunesse, 1926-1930, texte établi, édité et présenté par Sylvie Le Bon de Beauvoir (...)

22Amour ensuite. De l’amoureuse et de la façon dont, pour se grandir elle-même, elle confond l’homme avec un dieu, Beauvoir écrit dans Le Deuxième Sexe : « En toutes deux [chez l’amoureuse soumise à l’homme et chez l’épouse de Dieu], c’est le même rêve infantile, le rêve mystique, le rêve amoureux : en s’abolissant au sein de l’autre, exister souverainement30. » Et la jeune femme dans ses cahiers : « Une si petite fille, Jacques, cette grande personne cache aux autres, pour ne donner qu’à toi – une telle docilité, tant de faiblesse consentante, une si absolue tendresse. J’ai répété moi aussi ces mots : “Mon Dieu, si vous êtes, faites que je vous aime un jour comme j’aime cet homme !”31 ».

  • 32 Ibid., p. 441.
  • 33 Ibid., p. 376.
  • 34 « Il faudrait […] rejoindre le problème de la personnalité que l’amour pose si exactement, le probl (...)
  • 35 Ead., Mémoires d’une jeune fille rangée, op. cit., p. 439.
  • 36 Ead., Cahiers de jeunesse, op. cit., p. 802.

23Mystique enfin, donc. De la religion catholique, Beauvoir s’est éloignée – c’est un différend avec Merleau-Ponty, qui de son séjour à Solesmes est revenu « assis32 » –, mais non des élans mystiques : « J’ai reconnu que je devais chercher, mais pas dans le catholicisme […]. Mais justement dans la religion il y a la mystique33. » La mystique, recours spirituel qui échapperait aux tares de la foi institutionnelle ? Elle écrit pour Baruzi un devoir sur la personnalité qu’elle médite pendant plusieurs mois et où se nouent, semble-t-il, les trois dimensions que ciblera plus tard Le Deuxième Sexe : l’exploration de soi, la réflexion sur l’amour et sur l’acte de foi34. Son professeur l’en complimente, ses camarades, moins : René Maheu fait la moue et déplore les relents de religion, de mystique et de romantisme qui s’y attardent35. Ses conversations avec Sartre, qui lui expose en 1929 sa naissante pensée de la contingence, lui font comprendre les « restes de mystique » qui en elle « accrochent à cette théorie » admirable à ses yeux36.

24Mais c’est seule qu’elle reconfigurera de fond en comble cette constellation – attention à « soi », amour, acte de foi mystique – en en comprenant l’enracinement dans la condition féminine et, inversement, en comprenant celle-ci par une réflexion sur les effusions de sa jeunesse.

*

  • 37 Ead., La Force de l’âge, Paris, Gallimard, « Folio », 2003, p. 34.

25Au début de La Force de l’âge, Beauvoir dit combien Sartre et elle-même, dans leur jeunesse, cherchaient le salut, lui par la foi en l’Art et la Beauté, elle par la foi en la Vie et le Bonheur. Et elle conclut : « c’est que nous étions deux mystiques37 ».

  • 38 Jean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, dans « Les Mots » et autres écrits autobiographiqu (...)

26J’ai tenté de montrer ici que, mystiques, ils ne l’étaient pas seulement par la radicalité de leurs investissements existentiels et philosophiques respectifs : ils se sont aussi imprégnés et emparés d’un air du temps, d’une culture universitaire et de savoirs précis dispensés par leurs enseignements, et les ont utilisés, infléchis, modelés au gré de leurs intérêts. Sartre tire de la mystique une logique du paradoxe, à la fois radicale et plastique, qui l’accompagnera tout au long de son œuvre. Quant à Beauvoir, plus tôt que Sartre, elle fut sensible au poids déterminant de ce qu’ils allaient appeler « situation ». Dans l’immédiat avant-guerre, quand Sartre revendique sa liberté face à la guerre qui vient et sa capacité à donner un sens à l’événement en l’assumant – par la défense de sa liberté d’écrivain face à l’idéologie nazie –, Beauvoir lui fait remarquer : « Vous, c’est possible. Mais qu’est-ce que le berger des Cévennes a à défendre ?38 » Une dizaine d’années plus tard, elle aura compris sa propre « situation » et que ses exaltations ou abattements mystiques de jeune fille étaient un des marqueurs de l’aliénation féminine en cette première moitié du xxe siècle.

Haut de page

Notes

1 « Sartre inédit. Le mémoire de fin d’études (1927) », Études sartriennes, no 22, Paris, Garnier, 2019, p. 43-247.

2 Pour une description détaillée tant de la matérialité du dactylogramme que du projet de Sartre, on lira l’excellente introduction de Gautier Dassonneville, « Une contribution sartrienne au roman de la psychologie : le Diplôme sur l’image (1927) », dans Études sartriennes, no 22, déjà cité, p. 15-41.

3 Pour le « mystique », voir Études sartriennes, no 22, p. 165-175 ; pour l’ « artiste », p. 180-198.

4 Pour mesurer la complexité du champ, cf. Émile Poulat, Critique et Mystique, Paris, Éditions du Centurion, 1984, p. 254-306, et Michel de Certeau, La Fable mystique. XVIe-XVIIe siècle, II, Paris, Gallimard, 2013, p. 19-50.

5 Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, Félix Alcan, 1931 [1924], p. 91-92. Voir aussi Henri Delacroix, Études d’histoire et de psychologie du mysticisme, Paris, Félix Alcan, 1908, p. 81 sq.

6 Henri Delacroix, Le Mysticisme spéculatif en Allemagne, Paris, Félix Alcan, 1899, p. 171 sq.

7 Ibid., p. 174.

8 Gautier Dassonneville, « Une contribution sartrienne au roman de la psychologie : le Diplôme sur l’image (1927) », art. cit., p. 14.

9 Jean-Paul Sartre, Saint Genet comédien et martyr, Paris, Gallimard, 1985 [1952], p. 401-402.

10 Id., L’Image dans la vie psychologique : rôle et nature, op. cit., p. 169.

11 Id., Saint Genet comédien et martyr, op. cit., p. 247.

12 William James, L’Expérience religieuse. Essai de psychologie descriptive, Paris, Félix Alcan, 1906, p. 298 et 351.

13 Jean-Paul Sartre, Saint Genet comédien et martyr, op. cit., p. 276.

14 Paru en 1922 aux éditions Payot.

15 William James, L’Expérience religieuse. Essai de psychologie descriptive, op. cit., p. 300.

16 Aussi convient-il de ne pas durcir l’opposition. Voir à ce propos Jean-François Louette, « Existence, dépense : Bataille, Sartre », Les Temps modernes, no 602, 1999, p. 16-36.

17 Jean-Paul Sartre, « Un nouveau mystique », Situations, I, Paris, Gallimard, 1984 [1947], p. 160.

18 Ibid., p. 134.

19 Id., Mallarmé. La lucidité et sa face d’ombre, Paris, Gallimard, coll. « Arcades », 1986, p. 164.

20 Id., « Ouragan sur le sucre, II », Les Temps modernes, no 649, p. 200.

21 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, II. L’Expérience vécue, Paris, Gallimard, « Folio », 2018 [1949], p. 574.

22 Ibid., p. 538.

23 Ibid., p. 584.

24 Ead., Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, « Folio », 1991 [1958], p. 503.

25 À l’heure où je relis ces lignes, Les Inséparables vient de paraître (Simone de Beauvoir, Les Inséparables, introduction de Sylvie Le Bon de Beauvoir, Paris, Éditions de l’Herne, 2020) ; dans ce court récit de 1954, Beauvoir raconte une fois de plus son amitié avec Zaza et sa fin tragique ; par rapport aux écrits auparavant disponibles, les péripéties narrées sont grosso modo les mêmes, ainsi que la critique de la religion ; mais, moins écorchée de douleur, plus distanciée que dans le roman de 1937, la plume de Beauvoir fait mieux saisir la séduction qui émanait de Zaza, sa liberté, son intelligence, son humour cynique, et donc la contradiction explosive entre cette forte personnalité et son respect des convenances familiales qui la tuèrent.

26 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, II, op. cit., p. 519.

27 Ibid., p. 259.

28 Ibid., p. 320.

29 Ibid., p. 690.

30 Ibid., p. 549.

31 Ead., Cahiers de Jeunesse, 1926-1930, texte établi, édité et présenté par Sylvie Le Bon de Beauvoir, Paris, Gallimard, 2008, p. 453.

32 Ibid., p. 441.

33 Ibid., p. 376.

34 « Il faudrait […] rejoindre le problème de la personnalité que l’amour pose si exactement, le problème de l’acte de foi qui touche de si près aux deux premiers » (ibid., p. 368).

35 Ead., Mémoires d’une jeune fille rangée, op. cit., p. 439.

36 Ead., Cahiers de jeunesse, op. cit., p. 802.

37 Ead., La Force de l’âge, Paris, Gallimard, « Folio », 2003, p. 34.

38 Jean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, dans « Les Mots » et autres écrits autobiographiques, J.-F. Louette (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, p. 202.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Le diplôme de Sartre, fo 73, ch. III « Les Attitudes envers l’Image »
Crédits © Archives Sylvie Le Bon de Beauvoir
URL http://journals.openedition.org/genesis/docannexe/image/6417/img-1.png
Fichier image/png, 583k
Titre Fig. 2 : Le diplôme de Sartre, conclusion
Crédits © Archives Sylvie Le Bon de Beauvoir
URL http://journals.openedition.org/genesis/docannexe/image/6417/img-2.png
Fichier image/png, 755k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Juliette Simont, « De l’importance du mysticisme dans la formation de Sartre et Beauvoir »Genesis [En ligne], 53 | 2021, mis en ligne le 15 décembre 2022, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/genesis/6417 ; DOI : https://doi.org/10.4000/genesis.6417

Haut de page

Auteur

Juliette Simont

Juliette Simont est docteur en philosophie, maître de recherches au Fonds National de la Recherche scientifique de Belgique, enseignante à l’Université libre de Bruxelles. Elle est l’auteur d’Essai sur la quantité, la qualité, la relation chez Kant, Hegel, Deleuze ; de Jean-Paul Sartre. Un demi-siècle de liberté ; de Gérard Lebrun et les Critiques de Kant. Le moment de « La mort de l’homme » ; ainsi que de nombreuses études sur la philosophie française contemporaine, particulièrement sur Sartre.

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search