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1L’ouvrage comprend une partie des contributions et des idées débattues lors d’une journée d’études organisée par le GRHAM avec le soutien de l’École doctorale d’Histoire de l’art de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. L’axe thématique de ces investigations, comme l’indique explicitement le titre du volume, est l’image des veuves et les diverses manières dont celle-ci s’est constituée et a été perçue en Occident (particulièrement en France et en Angleterre) aux xvii^e et xviii^e siècles. Les neuf études peuvent être vues, dans leur ensemble, comme des micro-histoires, certaines d’entre elles étant reconstituées à travers l’art et les représentations visuelles. Outre son apport factuel, le volume propose un angle de vue différent et une perspective nouvelle pour la compréhension de la société de l’Ancien Régime. L’art, par définition, est tributaire d’une pluralité d’interprétations, d’où peuvent émerger une multitude de nuances colorant le tableau des sociétés anciennes plus que ne peuvent le faire les sources historiques écrites analysées de manière isolée. Cette analyse, bien contextualisée, comme c’est le cas ici, offre clarté et cohérence.

2Les études rassemblées dans l’ouvrage ne se limitent pas à analyser les objets d’art, leur circulation, leurs possesseurs et leurs créateurs, mais prennent aussi en compte le contexte et les motifs de leur production, leur parcours et la symbolique qui prenait différentes formes selon les yeux par lesquels les œuvres étaient regardées et investiguées. Les diverses figurations de la veuve (reine, régente, courtisane, mère, remariée, commerçante, artiste, sainte et coquette, séductrice) offrent à cette démarche une fraîcheur toute neuve et prolongent les efforts déjà consacrés à l’étude des veuves sous l’angle du genre (dont un bref historique est présenté par Scarlett Beauvalet, « Le veuvage féminin à l’époque moderne : le temps de tous les possibles », p. 14-26). Certaines de ces figures tentent de remodeler ou d’améliorer leur statut juridique et social, les reines cherchant à consolider et légitimer leur pouvoir par l’art, par exemple par la commande et la réalisation de tableaux ou de statues. D’autres reprennent l’entreprise de leur mari défunt, essayant non seulement de maintenir l’atelier ou le commerce d’art, mais aussi de le développer. La conduite, le succès ou l’échec de ces femmes sont directement influencés par le public, alors principalement masculin. D’autres textes du volume ajoutent une troisième perspective : l’image de la veuve reconstituée à travers le regard du public ou plus largement de la société. La perception est souvent moralisatrice, tributaire des systèmes de valeurs propres aux personnes en contact avec certaines de ces œuvres d’art et représentations.

3Dans l’historiographie, les veuves sont en général présentées comme ayant un statut supérieur aux autres états féminins (épouse, fille), du moins d’un point de vue juridique. Le premier groupe de textes aide à compléter l’analyse de ce statut et montre combien il était compliqué, même avec des droits étendus, de survivre et d’agir dans la société. Ainsi, Scarlett Beauvalet montre qu’en France, comme d’ailleurs partout en Europe, la situation des veuves dans la société est d’abord définie par le droit : au nord de la Loire dominait le système coutumier, tandis qu’au sud, c’était le droit romain, chacun ayant des avantages et des limitations pour la position des veuves dans la dynamique du ménage et des successions. L’autrice nous invite à voir comment l’indépendance offerte aux femmes par ce statut a inquiété les hommes, ceux-ci tentant de limiter autant que possible leur marge action des veuves. L’étude de Scarlett Beauvalet fournit un cadre utile pour les autres analyses.

4Les textes suivants nous plongent dans l’atmosphère des cours royales française et anglaise, explorant l’étiquette vestimentaire des veuves et les manières dont elles utilisaient la période de deuil pour consolider leur position dans cette société de cour. Julie Özcan, dans « Veuves royales : représentations politiques du veuvage en France et en Angleterre à l’époque moderne (xvii^e-xviii^e siècles) » (p. 27-43), adopte une double perspective : celle d’une comparaison des différentes positions juridiques des veuves (par exemple, avec ou sans enfants) et une analyse comparée entre les sociétés de cour française et anglaise. Le texte cartographie les représentations picturales, leur symbolisme et leur périmètre de circulation, ainsi que les bénéfices politiques, dynastiques, personnels ou financiers obtenus grâce à leur dimension émotionnelle. Les étapes du deuil étaient bien réglées, non seulement en termes de durée, mais aussi de vêtements, en fonction de la position de la veuve dans la hiérarchie noble de l’époque. L’analyse d’Aurélie Chatenet-Calyste, « L’habit des veuves à la cour au xviii^e siècle : normes, représentations et garde-robes » (p. 44-58), nous invite quant à elle à examiner non seulement le culte du corps et le modèle d’image imposé par l’étiquette de la cour de Louis XV, mais aussi l’évolution de la mode. L’analyse, y compris quantitative (voir les graphiques en annexe, p. 134-135), des inventaires des dames veuves de la suite de la reine Marie Lezsczynska révèle leurs préférences en matière de couleurs, matériaux et bijoux.

5La mort voyage partout, mais elle est assumée et vécue différemment. Après les reines et les dames de la haute société, les épouses d’artistes (peintres) et de marchands d’art passent au premier plan. Pour certaines veuves, la mort provoque des déséquilibres irrémédiables ; pour d’autres, elle devient un véritable défi. Ainsi Mathurine Riembre, ne se laissant pas abattre par les difficultés du veuvage et choisissant de se remarier (trois mariages au total, voir l’arbre généalogique p. 75), réussit dans le Paris du xvii^e siècle à conserver et à augmenter le capital social et économique hérité (Maxime Bray, « “Ladite Riembre a fait elle seule de son chef le commerce et négoce desdits tableaux”. Stratégies matrimoniales et capacité d’action de Mathurine Riembre, marchande de tableaux dans la seconde moitié du xvii^e siècle », p. 59-78). Les luttes et stratégies de survie sociale et économique ne sont pas faciles non plus pour les veuves des peintres et sculpteurs du Paris du xvii^e et xviii^e siècle. Bruno Guilois, dans son texte (« Derrière la veuve, la maîtresse peintresse ? Être veuve de peintre à Paris aux xvii^e et xviii^e siècles », p. 79-86), reconstitue quant à lui l’histoire et le destin de ces femmes et les défis auxquels elles ont dû faire face après avoir repris les affaires de leur époux.

6Dans le dernier groupe de textes qui traitent de l’atmosphère de la culture visuelle, l’analyse juxtapose trois plans : la symbolique religieuse, la vision des peintres et l’impact sur le public au contact avec les œuvres d’art. Le texte d’Alysée Le Druillenec, « La Vierge-Veuve, un modèle accompli de la viduité ? » (p. 87-95), explore l’iconographie de la Vierge Marie, se concentrant spécialement sur une hypostase moins connue : l’image de la « Vierge-Veuve » (selon la formule de François Giry), représentée dans des tableaux signés par les peintres du xvii^e siècle, Carlo Maratta et Reynaud Levieux. Ce modèle pictural, identifié dans les tableaux représentant la mort de saint Joseph, est né dans le contexte de la Réforme catholique qui a encouragé la diffusion du culte de saint Joseph. Cette représentation n’était pas très répandue, mais correspondait au modèle idéal de la veuve – une veuve impassible, résignée à la perte qu’elle a subie et comprenant que son dernier devoir était de prier et d’attendre Dieu. L’auteure en propose une esquisse en recourant à la fois à l’image proprement dite et aux interprétations par des auteurs de l’époque comme Jacques-Bénigne Bossuet.

7Les deux derniers textes nous invitent à explorer deux autres registres du veuvage : la veuve joyeuse et coquette, qui trouve rapidement consolation dans les bras d’un autre homme, et la veuve vertueuse qui reste en deuil jusqu’à son lit de mort. Florence Fesneau, dans son étude, « La veuve joyeuse dans l’imaginaire de la France du xviii^e siècle » (p. 98-107), nous donne à voir, par l’entremise des peintures inspirées des fables de La Fontaine, le modèle crée par Charles-Antoine Coypel (tipo fisso) et cherche à mettre en évidence la relation entre texte et image et l’impact de ce genre de représentations dans la société bourgeoise du xviii^e siècle. Puis Emma Barker, dans « The Virtuous Widow in the Late Eighteenth-Century Art » (p. 108-123), part des idées de Robert Rosenblum sur les transformations de l’art à la fin du xviii^e siècle pour proposer une analyse nouvelle des nombreuses représentations de la veuve vertueuse / inconsolée / pleine de chagrin et de leur ambiguïté interprétative, mais étudie aussi leur diffusion, ainsi que leur réception par le public de l’époque. Le volume se clôt par l’essai signé par Pierre-Antoine Fabre, « L’impossible nom » (p. 124-129), qui lance le défi de continuer cette démarche.

8Une annexe d’illustrations, qui aurait pu être élargie, met à la disposition du lecteur et de la lectrice un appui utile pour une meilleure compréhension des idées débattues dans l’ouvrage. Dans l’ensemble, le volume propose de croiser les représentations avec les pratiques sociales. Il en résulte un tableau nuancé du veuvage féminin, les auteurs et autrices ayant réussi à rapprocher de nous ces figures de veuve et à enrichir la connaissance de la complexité historique de leur statut.