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1Qui sont ces « mères singulières » qui « abandonnent leur enfant » en France aux xix^e et xx^e siècles ? L’ouvrage que Martine Fauconnier Chabalier consacre à cette question est alimenté par le parcours professionnel de son auteure, qui a exercé les fonctions d’inspectrice de l’action sanitaire et sociale et de chargée de mission au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP).

2Issu d’un travail de thèse en histoire contemporaine, le livre repose sur un large corpus de sources écrites et orales qu’il a fallu mettre en relation. En effet, le secret qui entoure ces décisions, souvent gardées sous silence, l’anonymisation des dossiers, l’éparpillement des traces administratives et l’évolution des procédures sur une période qui recouvre plus d’un siècle rendent le travail de reconstitution historique particulièrement difficile. L’auteure a donc, entre autres, mobilisé archives départementales et dossiers d’adoptions et conduit des entretiens auprès de mères de naissance et de personnes adoptées.

3L’ouvrage est scindé en deux grandes parties, l’une consacrée à l’expérience pratique de l’abandon (le lieu d’accouchement, l’abandon, les mères de naissance, les facteurs d’abandon), l’autre aux liens qui, parfois, se (re)nouent entre mères de naissance et enfants « abandonnés ». Cette seconde partie traite de l’évolution des droits des mères et des enfants à retisser des liens, des demandes d’information, des secrets conservés ou dévoilés.

5Les nombreux dossiers administratifs consultés brossent le portrait d’une bureaucratie qui se montre parfois cruelle, notamment lorsqu’elle refuse de répondre aux personnes à la recherche de leur mère de naissance avant que le législateur ne clarifie les obligations envers le public à la fin des années 1970. Ainsi, « Bernard », né en 1927 et confié à l’Assistance publique l’année de ses cinq ans, essuie une fin de non-recevoir lorsqu’il écrit en 1948 pour demander l’adresse de sa mère. Le courrier qu’il reçoit affirme que l’Assistance publique « ne possède aucun renseignement », qu’il « est inutile de [se] déplacer », tout en lui conseillant « d’organiser sérieusement [son] existence, seul, maintenant [qu’il est] majeur » et de se créer lui-même « un foyer lorsque le moment sera venu » (p. 303 sq.). La lecture du dossier a révélé pourtant que la mère avait manifesté le désir de reprendre « Bernard » lorsqu’il était enfant, requête qui avait été approuvée, sous condition de ressources. Elle avait même rédigé un courrier plus récemment pour donner de ses nouvelles, expliquant qu’elle avait été blessée pendant la guerre. « Bernard », connu pour son « caractère violent », finit par obtenir l’adresse souhaitée après avoir proféré par écrit des menaces et accepté de présenter des excuses au directeur du service. La grande majorité des enfants, plus respectueux de l’administration, n’obtiendront pas les informations accordées à cet ancien pupille.

6Colorée par l’expertise professionnelle de l’auteure, la seconde partie de l’ouvrage constitue une analyse des bonnes pratiques en matière d’accès aux origines et sera particulièrement utile aux spécialistes de l’aide sociale à l’enfance. On regrettera toutefois que la notion de « lien » qu’il s’agit de « renouer » ne soit pas davantage mise à distance. Le chapitre intitulé « Des droits ténus et en diminution pour les mères » ne mentionne par exemple pas la question de la protection accordée par l’accouchement sous le secret. La conclusion, qui plaide pour la reconnaissance des droits des mères de naissance et insiste sur leur expérience maternelle « singulière », suggère que l’accouchement sous le secret pourrait être une forme de « déni de grossesse administratif » (p. 369 sq.).

7C’est finalement lorsqu’il s’intéresse à l’« abandon », contextualisé historiquement et reconstitué grâce à des sources précises, que le travail titanesque entrepris par Martine Fauconnier Chabalier nous semble le plus convaincant.